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publicaines représentatives ou démocratiques »'. On n'a jamais douté cependant que les Constitutions des États particuliers de l'Union et celles des cantons suisses pussent être soumises à une révision totale.

Enfin, la procédure même de la révision, telle qu'elle a été établie par la loi du 25 février 1875 (art. 8), pourrait elle-même être révisée, puisque cet article 8 (sauf le dernier alinéa) peut être ré visé. Beaucoup d'esprits le désirent en France. Car beaucoup pensent, comme je l'ai dit plus haut, que le seul mode de révision conforme aux principes consiste à la faire opérer par une Assemblée Constituante. C'est ce que demandait Gambetta lors de la discussion de la loi constitutionnelle du 25 février 18752. Pourraiton, en prenant pour point de départ notre droit constitutionnel, tel que je viens de l'exposer, aboutir à la révision par une Assemblée Constituante? Plusieurs le croient, et M. Naquet, en 1894, a développé à cet égard un plan précis devant la Chambre des députés. Il consiste à demander aux Chambres une résolution déclarant qu'il y a lieu de modifier l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875; puis l'Assemblée Nationale substituerait à cet article une disposition déclarant que, dorénavant, la révision de la Constitution serait opérée par une Assemblée Constituante, dont elle déterminerait la composition et les pouvoirs ; enfin, l'Assemblée Constituante serait élue et procéderait à la révision. Cela est-il possible juridiquement? Oui, mais à la condition que l'Assemblée Constituante ainsi créée n'aurait pas des pouvoirs illimités. Elle ne pourrait pas changer « la forme républicaine du Gouvernement », car elle ne tiendrait son existence légale, constitutionnelle, que d'une Constitution qui elle-même contenait cette restriction. L'Assemblée Nationale, qui réviserait l'article 8 (sauf

1 Art. 6.

2 Annales de l'Assemblée Nationale, t. XXXVI, p. 422.

3 Séance du 15 mars 1894 (Journal officiel du 16, Débats parlementaires, p. 527). «Ma proposition est conçue en ces termes : La Chambre des députés, considérant que la révision intégrale de la Constitution est nécessaire; considerant que cette révision ne peut produire son effet que si elle est l'oeuvre d'une Constituante; mais considérant que ce mode de révision exige la révision préalable par la procédure actuelle de la loi constitutionnelle du 25 février 1875; décide Il y a lieu de réunir l'Assemblée Nationale à Versailles pour réviser l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 ». En ces termes, je crois, la proposition n'était pas recevable: elle aurait dù excepter l'avant-dernier paragraphe de l'article 8. Les diverses propositions de révision qui se sont produites au Sénat ou à la Chambre des députés depuis 1884 ont été relevées, classées et étudiées dans une thèse présentée à la Faculté de droit de Paris, le 29 octobre 1901. Gabriel Lepetit: Propositions de révision des lois constitutionnelles émanant de l'initiative parlementaire depuis 1881.

l'avant-dernier alinéa), ne pourrait pas donner au nouveau pouvoir constituant (quel qu'il fût), qu'elle créerait, le droit d'accueillir des propositions qu'elle n'avait pas le droit de discuter elle-même. Il y a là un engrenage, d'où, une fois pris, on ne peut plus sortir. Mais dans ces propositions qui tendent à changer le mode de révision, que de complications et d'aventures possibles, et combien la procédure admise dans la Constitution actuelle est plus prudente et plus pratique, tout en pouvant être aussi largement efficace, le jour où le pays le voudrait sérieusement!

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CHAPITRE VIII

La réglementation des droits individuels.

J'ai présenté dans la première partie (ch. IV) la théorie des droits individuels. En même temps j'ai montré quelle importance a, particulièrement chez nous, la réglementation de ces droits par la loi'. C'est cette réglementation que je me propose maintenant d'exposer. Pour cela il faut distinguer et examiner séparément les deux éléments auxquels se ramènent ces droits : l'égalité civile et la liberté individuelle.

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L'égalité civile, le principe peut-être le plus fécond de tous, ne comporte point par elle-même de réglementation particulière ; ou plutôt la réglementation s'en trouve dans la législation nationale tout entière. C'est en effet le premier principe dont le respect s'impose au législateur.

L'égalité des droits a été proclamée par la Révolution, et figure dans les diverses déclarations des droits de l'homme et du citoyen, dans des termes qui rappelaient les théories de droit naturel d'où elle était sortie : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », dit l'article 1er de la déclaration de 1789. Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi », répète l'article 3 de la déclaration de 1793. Cela visait l'hypothèse de l'état de nature, dans lequel les hommes, étant indépendants de tout pouvoir, étaient par là même égaux en droits, comme le sont aujourd'hui les nations entre elles. La formation de la société civile avait supprimé l'absolue indépendance, mais avait maintenu l'égalité qu'elle avait pour but de sauvegarder. L'école du droit de la nature et des gens admettait d'ailleurs 1 Ci-dessus, p. 500 et s.

que, même au milieu de la société, les hommes naissaient dans l'état de nature et qu'ils ne perdaient leur absolue indépendance qu'en adhérant au contrat social par un consentement exprès ou tacite, donné par chaque adulte'. Mais l'élimination du contrat social n'en laisse pas moins subsister le principe de l'égalité des droits. La société, nous l'avons dit, a pour but d'assurer le libre développement et le libre exercice des facultés individuelles ; mais par là même elle doit à chaque individu la même protection, c'est à-dire les mêmes droits « Deux hommes, disait Sieyes, étant également hommes, ont à un égal degré tous les droits qui découlent de la nature humaine. Ainsi tout homme est propriétaire de sa personne ou nul ne l'est. Tout homme a le droit de disposer de ses biens ou nul n'a ce droit. Les moyens individuels sont attachés par la nature aux besoins individuels. Celui qui est chargé de besoins doit donc disposer librement de ses moyens; c'est non seulement un droit, mais un devoir ».

Mais, par suite de cette conception même, l'égalité ne peut être qu'une égalité de droit et non pas une égalité de fait. Ceux qui veulent déduire de l'égalité de droit l'égalité de fait, c'est-à-dire le prétendu droit de chacun à des conditions de vie et de jouissances égales, méconnaissent par là même la liberté individuelle qui est la base même de la société. Aussi Sieyés continuait-il ainsi dans son exposition: « Il existe, il est vrai, de grandes inégalités de moyens parmi les hommes. La nature a fait des forts et des faibles; elle départit aux uns une intelligence qu'elle refuse aux autres. Il suit qu'il y aura entre eux inégalité de travail, inégalité de produit, inégalité de consommation ou de jouissance; mais il ne s'en suit pas qu'il puisse y avoir inégalité de droits. Tous ayant un droit égal découlant de la même source, il suit que celui qui entreprendroit sur le droit d'un autre, franchiroit les bornes de son propre droit; il suit que le droit de chacun doit être respecté par chaque autre et que ce droit et ce devoir ne peuvent pas ne pas être réciproques. Donc le droit du faible sur le fort est le même que celui du fort sur le faible »*.

1 Ci-dessus, p. 231, note 1.

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2 Déclaration de 1789, art. 2: « Le but de toute association politique est de conserver les droits naturels et imprescriptibles de l'homme ». Déclaration de 1793, art. 1 « Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles ».

Préliminaire à la Constitution. Reconnaissance et exposition raisonnées des droits de l'homme et du citoyen, par l'abbé Sieyès, juillet 1789, p. 7. Sieyes, Préliminaire, p. 7 et 8. Le projet de déclaration dont il le fait suivre

Ces principes étant rappelés, examinons les diverses conséquences de l'égalité civile, telles qu'elles ont été énumérées ci-dessus 1.

I.

C'est d'abord l'égalité devant la loi; Déclaration de 1789, article 6: « Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse ». C'est un résultat auquel, nous le savons, JeanJacques Rousseau était arrivé par une autre voie, en dégageant une idée qui a passé dans la science politique, à savoir que la loi doit être une règle abstraite et générale, ne pouvant avoir un objet particulier. Cependant Rousseau admettait que la loi pût établir des privilèges et distinguer plusieurs classes de citoyens : « Quand je dis, écrit-il, que l'objet des lois est toujours général, j'entends que la loi considère les sujets en corps et les actionscomme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière. Ainsi la loi peut bien statuer qu'il y aura des privilèges, mais elle n'en peut donner nommément; la loi peut faire plusieurs classes de citoyens, assigner même les qualités qui donneront droit à ces classes, mais elle ne peut nommer tels ou tels pour y être admis; elle peut établir un gouvernement royal et une succession héréditaire, mais elle ne peut élire un roi ni nommer une famille royale3. » On le voit, Rousseau n'admet point que la loi doive nécessairement contenir des dispositions qui indistinctement s'appliquent à tous les citoyens, qu'elle doive statuer à l'égard de tous et sans acception de personnes; ce qu'il exclut seulement, c'est la loi statuant pour ou contre un individu déterminé, ou sur un acte concret, isolément considéré. La loi qui statue au profit d'une catégorie de citoyens, auxquels elle fait, soit en bien soit en mal, une condition particulière, c'est un privilège au sens juridique du mot', quoique dans l'usage on n'emploie guère ce mot que quand il s'agit d'une disposition qui les favorise. Rousseau admettait les privilèges comme possibles.

Sieyès au contraire les repoussait avec la dernière énergie; son

contient un article 16 ainsi conçu: « Si les hommes ne sont pas égaux en moyens, c'est-à-dire en richesses, en esprit, en force, etc., il ne suit pas qu'ils ne soient pas égaux en droits. Devant la loi un homme en vaut un autre; elle les protège tous indistinctement ».

4 Ci-dessus, p. 483.

2 Ci-dessus, p. 15, 229, note 1 et p. 400. ·

3 Contrat social, 1. 11, ch. 6.

Ci-dessus, p. 15, note 1.

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