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pour la noble et courageuse persistance de notre patrie! Honneur à la Belgique éplorée, malheureuse, mais jamais souillée!!

Et vous dont la main serre encore la nôtre aujourd'hui, vous mes concitoyens du Limbourg et du Luxembourg, membres comme nous depuis des siècles de la grande famille, vous qui vous proclamiez heureux et fiers d'avoir préparé et consolidé comme nous l'œuvre de notre indépendance, est-ce à croire que vous cesserez d'être Belges et que nous cesserons d'être frères parce que l'Europe coalisée vous aura dit la menace à la bouche: «Le joug que vous aviez secoué, il nous plaît de vous l'imposer de nouveau; le maître que vous aviez rejeté, il nous plaît maintenant de vous le rendre. » Non, les traités imposés par la force ne prévalent nulle part sur les droits de l'humanité. La ligne de démarcation tracée par une politique égoïste n'affaiblira, j'en ai l'assurance, ni nos sentiments, ni nos communes sympathies; nous resterons ce que nous sommes, les fils d'une même mère, les rejetons d'une même race. Cette séparation que l'impérieuse nécessité nous prescrit et dont la honte ne retombera que sur ceux qui la veulent, rien ne suppose qu'elle doive être éternelle, ni même durable. C'est pour un temps, peut-être très-limité, que nous vivrons sous un sceptre et sous des lois différentes. Une politique plus intelligente des vrais besoins des peuples fera place aux calculs étroits de la politique européenne actuelle. Nous ne nous séparons que pour nous retrouver un jour. Et si, des deux parts que la conférence a jugé à propos de faire du Limbourg et du Luxembourg, elle assigne à notre ennemi la plus peuplée, c'est pour nous, Belges de toutes les autres provinces, une raison de plus de penser que notre royaume retrouvera, en de meilleures circonstances, les limites que la nature et notre courage lui avaient données. En acceptant donc le traité qui nous est non pas offert, mais imposé, je renonce, il est vrai, à des droits actuels, mais c'est pour me réserver toutes mes espérances dans l'avenir.

M. DE THEUX, Ministre des affaires étrangères et de l'intérieur. — Lors de l'adhésion du roi Guillaume au traité des 24 articles, le 14 mars dernier, le gouvernement belge avait à choisir entre trois partis: il devait ou se montrer disposé à accepter immédiatement les clauses territoriales, ou repousser l'intervention de la conférence, ou temporiser et chercher à négocier.

Y aurait-il eu dignité à céder dès le mois de mars, sans faire aucun effort pour conserver les populations du Limbourg et du Luxembourg? Les puissances eussent-elles été mieux disposées à entrer en arrangement, après avoir obtenu notre adhésion? Je n'hésite pas à dire que non. Du moment qu'on était assuré de notre adhésion, aucun changement n'était plus possible.

Mais, en adhérant immédiatement, vous n'auriez pas seulement perdu le territoire, vous auriez perdu encore une grande partie des arrérages, dont nous avons obtenu la remise; vous n'auriez obtenu aucune réduction sur la dette. Ce n'est pas là une vaine allégation. Dès le 27 avril dernier, le cabinet britannique me fit notifier que tout espoir qu'entretiendrait la Belgique d'obtenir une modification quelconque au chiffre de la dette serait chimérique, et que tout ce que nous pouvions espérer c'était une transaction sur les arrérages.

Avec des charges aussi accablantes, la Belgique aurait-elle pu exister? aurait-elle pu du moins prospérer? L'abandon de la question territoriale était donc la perte immédiate des habitants auxquels toutes nos sympathies nous rattachaient. C'était un acte peu honorable, alors qu'il n'était pas commandé par la nécessité, par la force majeure. Le pays n'aurait jamais perdu le souvenir d'un abandon aussi facile, alors que tous auraient été persuadés qu'on s'était trop pressé d'y accéder.

Le second système, celui de résister à la conférence, de protester contre la délimitation territoriale, conduisait au même résultat. Aussitôt que la délimitation territoriale aurait été officiellement contestée à la conférence, elle se serait empressée de poser un acte par lequel toutes les négociations auraient été terminées. Dès lors toute chance, résultant des négociations, toute éventualité favorable étaient perdues. De plus, on ne pouvait manquer de concerter immédiatement les mesures coërcitives, et on l'aurait fait d'autant plus facilement que les tribunes de France et d'Angleterre étaient muettes à cette époque. Les négociations sur les arrérages, sur la dette, sur l'Escaut, il ne pouvait en être question dans ce système. Voilà cependant le système qu'on a osé proposer au pays comme la véritable et la seule bonne politique.

Celui que nous avons adopté est le système de la temporisation et des négociations.

Notre politique n'est pas restée inconnue; elle vous a été indiquée

dans le comité secret du mois d'avril dernier. Prolonger le statu quo aussi longtemps que ce sera raisonnablement possible, en s'efforçant d'arriver à un arrangement qui nous permette de conserver intacts le Limbourg et le Luxembourg, tel est le programme que nous avons posé dans cette séance. Cette politique peut être avouée hautement à l'intérieur; car elle a obtenu non-seulement votre suffrage, mais celui de tout le pays, comme l'ont prouvé des adresses d'un grand nombre de conseils communaux et de presque tous les conseils provinciaux. Cette politique peut également être avouée à l'extérieur; et lorsque les craintes qui ont récemment agité l'Europe seront dissipées, elle rendra justice au sentiment patriotique qui a animé le gouvernement et le pays.

La politique du ministère avait-elle des chances de succès? Oui, Messieurs. En premier lieu un désaccord s'était manifesté entre les membres de la conférence, lorsqu'il s'est agi de constater par un protocole l'adhésion du roi Guillaume. La conférence a, en quelque sorte, été dissoute par ce désaccord, jusqu'à ce que de nouvelles instructions aient été envoyées, vers la fin de juillet, aux ambassadeurs des diverses puissances.

En supposant les négociations reprises comme elles l'ont été au mois d'août, ne pouvaient-elles pas être rompues, soit par un désaccord entre les puissances, soit par la retraite du cabinet de La Haye, comme celle qu'il avait opérée en 1833?

Les chances de voir établir une trêve entre la Hollande et la Belgique n'étaient pas non plus dénuées de fondement; en effet, le précédent d'une trêve est dans les annales historiques de la Hollande; une trêve semblait convenir à la politique expectante de son roi. Mais cette trêve devait, dans mon opinion, être accompagnée du payement au moins partiel de notre part dans la dette commune.

La prolongation de l'état de possession du territoire était sans doute un des moyens les plus assurés de le conserver comme définitif. Plus les intérêts se multiplient, plus les liens se resserrent, et plus il est difficile de séparer les populations.

L'espoir d'une transaction moyennant une indemnité pécuniaire, était encore une ressource probable; mais ce moyen, on ne pouvait y avoir recours officiellement qu'après avoir obtenu la réduction importante sur le chiffre exagéré de la dette, qui nous avait été imposé en 1831; on devait, en attendant, se borner à l'indiquer.

Nous pouvions compter que les états généraux de la Hollande, que le cabinet de La Haye lui-même, se montreraient, en définitive, favorables à un semblable système de transaction. Et alors, les démarches se faisant simultanément par les deux pays, et étant appuyées par un ou deux gouvernements amis, auraient eu des chances de succès.

La diète aurait peut-être trouvé dans la satisfaction complète des deux États une garantie plus forte pour le maintien de l'équilibre européen, que dans la possession de quelques cantons du Limbourg et du Luxembourg, ou que dans l'association de ces populations à la confédération germanique.

On pouvait encore chercher une compensation territoriale qui eût été de nature à satisfaire les prétentions de la diète. Par exemple, la constitution de la place de Maestricht en place fédérale, qui aurait soulagé les Hollandais d'une charge militaire très-pesante, aurait offert à l'Allemagne un rempart plus précieux que la possession des cantons ruraux du Limbourg et du Luxembourg, sans toutefois, semble-t-il, pouvoir porter ombrage à la France; mais cette propo- . sition ne fut pas accueillie.

Plusieurs événements indépendants de la question belge étaient possibles pendant le cours de la négociation: ainsi la question d'Orient pouvait appeler sur elle toute l'attention des grandes puissances; elle pouvait faire tomber la nôtre dans l'oubli. C'était là un motif de plus pour ne pas nous presser relativement à la question territoriale.

Toutefois si le gouvernement a pris l'initiative de ce système, s'il l'a formulé dès l'ouverture de la négociation avant que les chambres ou le pays se fussent prononcés, ce serait une erreur de croire que le gouvernement ait jamais engagé les chambres ou le pays à faire des manifestations. Le gouvernement n'a pas pu s'exprimer sur ces vœux qu'on a fait entendre, parce qu'en cherchant à modérer les espérances du pays il aurait proclamé en quelque sorte lui-même l'abandon du territoire, ou qu'il ne concevait plus d'espoir de le

conserver.

La politique du ministère a eu l'assentiment des chambres; et cependant les chambres étaient divisées en deux grandes fractions dont l'une semblait disposée à tout risquer pour la conservation du Limbourg et du Luxembourg, tandis que l'autre paraissait fermement résolue à poser des limites aux sacrifices. Dans cet état des opinions

au sein des chambres, la politique du ministère devait être approuvée jusqu'au moment où les événements obligeraient le gouvernement à adopter le système de la paix, ou le système de la résistance: je dis résistance pour éluder le mot guerre.

Aucune profession de foi n'a été exigée de notre part, et nous avons toujours évité de proclamer une opinion absolue sur cette grave question.

Dira-t-on que les chambres étaient persuadées du succès de la négociation sur la question du territoire? Non, Messieurs, personne d'entre vous ne le dira. Les actes diplomatiques invoqués contre nous vous étaient connus; la presse, vos relations habituelles avec les membres du cabinet vous mettaient à même d'être suffisamment informés. Toujours vous avez considéré la question territoriale comme très-problématique.

Mais, Messieurs, avez-vous été induits en erreur à l'ouverture de votre session? Nullement; les faits étaient connus, et, dans le sein de votre commission de l'adresse, j'ai eu soin de les expliquer en détail, sans aucune réserve, sans aucune réticence. De quoi s'agissait-il alors? d'exercer une grande influence sur la tribune française. A cette époque aucune décision n'était émanée de la conférence, les choses étaient encore entières.

Je puis m'appuyer du rapport que le Ministre des affaires étrangères de la Hollande vient de faire aux états généraux dans une séance du 4 de ce mois. Voici, Messieurs, le passage de ce discours qui expose la situation des affaires à cette époque :

« Ces délibérations qui, d'abord, n'étaient que préparatoires et ne portaient pas le caractère officiel, laissaient bien, à la fin de l'année dernière, supposer jusqu'à un certain point leur résultat, mais n'avaient point encore acquis le degré de maturité nécessaire pour permettre de faire quelques ouvertures sur les particularités de la négociation. »

Vous le voyez donc, ni vis-à-vis de la Hollande, ni vis-à-vis de la Belgique, aucune décision de la conférence n'était arrêtée.

Une sympathie vivement exprimée, un appui promis dans l'adresse des chambres françaises, joints aux compensations pécuniaires que la Belgique était disposée à offrir, présentaient encore une grande chance de réussite. Le gouvernement français, avant de s'engager, a attendu la fin de la discussion des adresses; il nous eût suffi de l'appui moral

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