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DÉVELOPPEMENTS CRITIQUES

ÉCLAIRCISSEMENTS ET NOTES.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

On ne peut se le dissimuler, le monde est jeté sur la pente d'un gouffre qui se creuse, de plus en plus profond, sous nos pas. A mesure que nous descendons, les ténèbres s'étendent, s'épaississent, et dans la nuit qui peu à peu nous enveloppe de ses ombres, on entend passer des voix étranges, sinistres, pleines de blasphèmes, effrayants échos du noir abîme. A ces voix qui propagent la mort, les générations frémissantes ont répondu par de longs cris de détresse, et la nature, comme frappée au cœur, a frissonné d'épouvante.

Toute une légion d'écrivains, artisans de ruine, évoquent chaque jour dans leurs livres et leurs revues les spectres du matérialisme et de l'athéisme. « La France, disent-ils, est matérialiste » (Revue germanique, introduction, 1re liv.) et « depuis un demi-siècle, elle

fait des efforts malheureux vers le spiritualisme. » (Idem, ibid.)

<< Dieu, Providence, immortalité, bons vieux mots, « un peu lourds peut-être... » (Études. d'hist. rel., par M. Renan, p. 418).

A l'adorable personne du Christ, ils substituent la déesse Humanité : « Dans le Christ évangélique, une << partie mourra: c'est la forme locale et nationale, « c'est le juif, c'est le galiléen... Le thaumaturge et le « prophète mourront; l'homme et le sage resteront, ou « plutôt l'éternelle beauté vivra à jamais dans ce nom << sublime, comme dans tous ceux que l'humanité a «< choisis pour se rappeler ce qu'elle est et s'enivrer de << sa propre image. Voilà le Dieu vivant, voilà celui « qu'il faut adorer.» (Id. ibid., p. 214).

Ils prophétisent la ruine prochaine du christianisme: « Les temples matériels du Jésus réel s'écrouleront, << les tabernacles où l'on croit tenir sa chair et son « sang seront brisés; déjà le toit est percé à jour, et <«<l'eau du ciel vient mouiller la face du croyant age« nouillé. » (Rev. des Deux-Mondes, sept. et oct. 1857, p. 242, art. de M. Renan).

A la petite aristocratie des lettrés, des parfaits, la religion idéale et philosophique; à l'immense majorité du genre humain, à l'ignoble vulgaire, les symboles grossiers et les préceptes d'une loi qui matérialise son objet; tel est le rôle humiliant et honteux qu'on assigne à la multitude jusqu'au jour où son bras traduira à son profit les idées des aristocrates de l'intelligence. L'élévation in<< tellectuelle sera toujours le fait d'un petit nombre : « pourvu que ce petit nombre puisse se développer

a librement, il s'occupera peu de la manière dont le a reste proportionne Dieu à sa hauteur. Ce qu'il y a << dans un dogme établi de mesquin ou même de dan« gereux n'existe pas pour le peuple, dont la vocation « n'est pas la critique; et voilà pourquoi des superstia tions qui nous déplairaient chez l'homme cultivé, << ont du charme chez le peuple. » (Études d'hist. relig., p. xv-xvII).

Un ancien professeur du Collège de France a commenté avec une brutale énergie ce langage perfidement édulcoré du jeune philosophe que nos académies ont appelé dans leur sein et qu'ils applaudissent et encouragent: « La lutte est sérieuse et à outrance. Il s'agit << non-seulement de réfuter le papisme, mais de l'extir< per; non-seulement de l'extirper, mais de le désho<< norer; non-seulement de le déshonorer, mais, comme « le voulait l'ancienne loi germaine contre l'adultère, « de l'étouffer dans la boue... » Il ajoute : « Le despo« tisme religieux ne peut être extirpé sans que l'on << sorte de la légalité : aveugle, il appelle contre lui la « force aveugle... Sortez de la vieille Église, vous, vos << femmes, vos enfants. Sortez par toutes les voies ou« vertes; sortez, et si, par des événements que j'ignore, << la Providence vous tend encore une fois la main, « sachez la saisir.» (Introduction de M. Edgard Quinet aux œuvres de Marnix).

C'est l'éternelle conjuration des puissances de ténèbres contre les enfants de lumière, de Satan contre Dieu et contre son Christ; c'est la grande lutte de la cité du souverain mal contre la cité du souverain bien. Nous n'avons pas eu d'autre but en composant cet ou

vrage que d'esquisser le tableau de cette guerre incessante, telle qu'elle se présente à l'observateur au milieu du dix-neuvième siècle.

Un dernier mot.

Nous touchons dans cet ouvrage à tous les systèmes, à toutes les doctrines qui renferment quelque venin ou quelque erreur; nous rencontrons à chaque instant sous notre plume des noms propres contre lesquels nous avons à formuler quelque accusation plus ou moins grave. Des âmes honnêtes et chrétiennes, mais timides et faibles, regretteront peut-être de ne pas trouver en nous plus de condescendance pour les égarements du cœur et de l'esprit chez la génération présente. Si ce reproche nous était adressé, nous répondrions par ces belles considérations que nous empruntons à l'un de nos plus éminents prélats, et l'un des plus éloquents défenseurs de la vérité outragée.

« Le roi-prophète nous apprend qu'il n'y a pas de plus grand malheur pour les hommes et pour les sociétés que la diminution des vérités (1). Si les vérités sont sauves, les mœurs mêmes les plus dégradées ne peuvent manquer de se relever bientôt; mais si les vérités fléchissent avec les mœurs, celles-ci ne se relèveront plus. Prenons-y garde et tâchons de déjouer la tactique présente de l'esprit d'erreur et de ténèbres. Les convulsions violentes, les révolutions profondes qu'ont subies les nations depuis plus de soixante ans, les menaces plus effrayantes encore qu'elles ont entendues, leur ont enfin révélé la provenance du mal et

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indiqué la nature du remède. Le remède, qui ne le voit désormais? C'est la religion. Aussi le mot de religion est-il partout. L'éternel ennemi de Dieu et de l'homme l'a compris : empêcher la génération actuelle de se porter vers le christianisme comme vers l'unique moyen de guérison, c'est impossible; il n'y réussirait pas. Que faire donc? Eh bien! il s'efforcera d'affaiblir, de corrompre ce spécifique et d'en neutraliser ainsi la force et la vertu. Quel triomphe, quel succès pour lui si les mains du malade, si celles mêmes du médecin allaient devenir ses complices pour opérer ce mélange et cette falsification! Supposons qu'en temps d'épidémie le pharmacien de la cité eût la barbarie de couper de moitié eau l'antidote qui aurait besoin de toute sa puissance pour triompher du fléau mortel, cet homme serait-il moins criminel qu'un empoisonneur public? Or, la société est en proie à un mal terrible qui lui ronge les entrailles et qui peut la précipiter au tombeau. Le contre-poison ne sera efficace que s'il garde toute son énergie; il sera impuissant s'il est atténué. Ne commettons pas le crime d'obéir aux fantaisies, aux sollicitations même du malade. Le miel au bord de la coupe, à la bonne heure; mais que la potion conserve toute sa force: sinon, la société périra par cette funeste condescendance (1). »

(1) Seconde instruction synodale de Mgr l'évêque de Poitiers à son clergé diocésain, sur les principales erreurs du temps présent, page 90 (1858).

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