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conduisit Marie-Louise jusqu'à Dresde, où sa famille vint la joindre. Il se vit, avec orgueil, entouré d'un cortége de souverains qui pour la dernière fois venaient saluer sa fortune.

Il partit..... Déjà, dès le passage du Niémen et de la Wilia, s'étaient révélés tous les inconvéniens, tous les dangers d'une expédition gigantesque, dans de vastes contrées absolument dépourvues de ressources. La difficulté des transports et des subsistances, la mauvaise organisation des hôpitaux, le besoin, les fatigues de ces marches forcées et continuelles, avaient fait éprouver à l'armée d'immenses pertes, avant même qu'elle eut combattu.

Napoléon entrevoyait déjà de sinistres présages, et pendant qu'entraîné par son destin, il allait au loin briser son sceptre, il pouvait opposer au spectacle des maux qui l'entouraient les souvenirs de la félicité dont il eût pu continuer à jouir avec gloire, si lui-même ne se fût empressé de la troubler. Ses pensées le reportaient vers Marie-Louise, vers ce jeune enfant, objet de toutes les espérances d'un avenir si vaste, et que son ambition s'efforçait d'agrandir encore.

Le 5 septembre, il était sur les bords de

la Moskowa, faisant ses dispositions pour la bataille de Borodino, donnant ses ordres pour cette grande lutte qui devait commencer le lendemain au point du jour. Il était environné des chefs de son armée qui recevaient de lui leurs instructions; tout à coup arrive au camp le comte de Bausset, préfet de son palais, envoyé de Paris par Marie-Louise pour lui remettre le portrait du roi de Rome. A cette nouvelle tous les préparatifs sont suspendus; dans l'impatience de sa joie, il ordonne qu'on déballe ce portrait sur-le-champ, et qu'on le place dans sa tente sans différer.

Dans ce tableau, peint par Gérard avec un admirable talent, le jeune prince était représenté à demi couché dans son berceau; un sceptre et le globe du monde lui servaient de hochet. Napoléon contempla avec transport les traits de son fils. Il appela lui-même les officiers de sa maison et les généraux qui attendaient ses ordres, pour leur faire partager la satisfaction dont son cœur était rempli.

<< Messieurs, leur dit-il, si mon fils avait quinze ans, croyez qu'il serait ici au milieu de tant de braves, autrement qu'en peinture.

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Un moment après il ajouta : « Ce portrait est vraiment admirable, j'en suis enchanté. »

Il voulut qu'on le placât en dehors de sa tente, sur une chaise, afin que tous les officiers et les soldats de sa garde pussent le contempler et y puiser, dit-il, de nouveaux motifs, de nouvelles inspirations de courage pour la grande affaire qui devait avoir lieu le lendemain.

Ce portrait resta ainsi exposé toute la journée aux regards empressés des soldats... Depuis il fut placé au Kremlin dans la chambre qu'occupait Napoléon.

Il n'est pas dans les bornes que je me suis prescrites de retracer les détails de cette bataille de la Moskowa, la plus sanglante des temps modernes et à la fois la moins décisive; de raconter cet incendie prodigieux auquel un patriotisme exalté livra l'antique capitale de la Russie, pour ne laisser entre les mains du conquérant ni les ressources que cette immense ville eût pu fournir à son armée, ni le gage d'un traité que désormais la vengeance ne pouvait plus accepter. Je ne reproduirai pas le lugubre tableau de cette désastreuse retraite dans laquelle, au milieu de ses plaines dévastées et

désertes, le génie protecteur de la Russie sembla vouloir punir de ses mortels frimas la destruction de la ville sacrée.

Napoléon arriva seul à Paris, et ses soldats, restes de cette armée immense, semblables à des fantômes décharnés, vinrent épouvanter de leur aspect les frontières de la France, en tombant par milliers, victimes d'une épidémie, funeste résultat de leurs affreux besoins, de leurs excessives fatigues, de leurs longues et cruelles souffrances.

Les revers de Napoléon donnèrent à l'Europe le signal de l'indépendance. Préparés, par la société secrète du Tugendbund, à rompre leurs fers, les peuples d'Allemagne frémissaient d'impatience et proclamaient la guerre avant que leurs souverains songeassent à la déclarer. La défection du général prussien Yorck, contre les intentions positives de son maître, fut le symptôme le plus évident de ce soulèvement général, et put apprendre à Napoléon que des alliés qu'il ne devait qu'à la contrainte allaient l'abandonner, parce qu'ils ne croyaient plus à sa force invincible. Mais, se roidissant contre la fortune, avec une incroyable activité, il organisa de nouveaux et vastes moyens de guerre.

Repoussant toute pensée de paix, avant que la victoire eut effacé les désastres de Moscou, il n'hésita pas à porter un défi solennel à l'Europe, en déclarant publiquement qu'il ne changeait rien aux conditions de paix précisées par lui, avant la campagne de 1812.

Avant de se mettre à la tête de son armée, il fit reconnaître régente du royaume l'impératrice Marie-Louise; soit qu'il espérât que l'intervention directe de cette princesse, dans le gouvernement de la France, pourrait influer d'une manière avantageuse sur les déterminations ultérieures de l'empereur son père; soit que le souvenir récent de l'audacieuse conspiration du général Mallet, qui n'avait échoué que fortuitement, lui eût fait sentir la nécessité de ne pas laisser son destin à la merci d'individus ou de corps, dont les adulations et les sermens garantissaient peu le zèle ou la fidélité.

Suppléant par son active volonté à ce qu'il y avait d'incomplet dans ses ressources, il conduisit lui-même ces nouveaux et nombreux bataillons dans les plaines d'Allemagne. Au milieu de l'affreux carnage qui signala les deux batailles de Lutzen et de Bautzen, nos jeunes soldats, avec un courage intrépide, cueillirent

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