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contrat de vente de transférer la propriété, une obligation de dare ne pouvant résulter que d'une stipulation (1);

4o Enfin était nulle toute convention ayant pour objet de dispenser le vendeur de rendre l'acheteur propriétaire; une pareille convention était contraire à l'essence de la vente :

Nemo potest videri, disait Labéon, eam rem vendidisse, de cujus dominio id agitur ne ad emptorem transeat; sed aut locatio est aut aliud genus contractus (2).

4. Les modernes en déclarant que le transfert de la propriété n'est pas de l'essence de la vente, mais seulement de sa nature, ont donc affirmé une contre-vérité. Du reste ils se donnent un démenti à eux-mêmes, lorsque, voulant expliquer leur formule, ils présentent comme exemple le cas où les parties ont formellement déclaré que la propriété ne sera transférée à l'acheteur qu'après un certain temps (3), ou à l'arrivée d'une condition, ou bien encore lorsque le vendeur, qui n'est pas propriétaire au moment du contrat, aura pu traiter avec le véritable propriétaire de l'objet vendu, ou enfin lorsque l'acquéreur aura payé son prix (4). Or, dans aucune de ces hypothèses on ne voit le vendeur dispensé de rendre l'acheteur propriétaire. La date du transfert de la propriété est seulement retardée ou rendue incertaine par une condition.

On a au contraire soutenu que, dans certains cas, le transfert de la propriété devait être actuel, et ne pourrait être valablement retardé par aucune clause. La jurisprudence belge nous en offre plusieurs exemples. Ainsi on a décidé que la négociation à terme de valeurs à lots était autorisée en Belgique, mais à condition toutefois qu'elle transfère immédiatement à l'acheteur, non seulement le droit aux coupons et

(1) L. 25, § 1, 18, 1, De contrah. empt.; Voy. MAYNZ, t. II, § 328, note 10.

(2) L. 80, § 3, D. 18, 1, De contrah. empt.

(3) Cass. Belge, 26 juill. 1872, Pas., 72, 1, 152.

(4) Contrà, Gand, 3 avr. 1883, Pas.,[83, 2, 294.

aux chances de tirages, mais aussi la propriété du titre; or la propriété du titre n'est pas transmise à l'acheteur, si le vendeur se réserve la faculté de reporter le lot jusqu'au paiement intégral du prix, ou jusqu'à la sortie à un tirage de l'obligation. En conséquence, l'opération traitée avec pareille réserve est nulle (1). A été pareillement déclarée nulle une vente de valeurs à lots, quand le vendeur se réserve le droit de mettre en dépôt ou en nantissement les titres vendus, jusqu'au paiement intégral du prix, ou jusqu'à la sortie de l'obligation par voie de tirage au sort (2).

En France quelques décisions ont consacré pour certaines coupures inférieures au minimum légal des résultats analogues, mais par des motifs tout à fait différents et qui n'ont rien de juridique (3). Il a été finalement reconnu par la Cour de cassation, que, dans une vente de valeurs de bourse, il n'est pas interdit aux parties de convenir que les titres pourront être conservés par les vendeurs jusqu'à parfait paiement, ou déposés par eux, sous leur responsabilité, chez des tiers, méme en garantie d'avances faites; une pareille clause ne constitue pas le pacte commissoire prohibé par l'art. 2078 (4), et il est certain qu'on peut vendre une simple chance.

C'est du reste avec raison que, laissant de côté cette idée que le transfert de la propriété n'est pas de l'essence de la vente, on a fait observer que le législateur aurait dû ajouter au texte de l'art. 1582, que le vendeur s'oblige à procurer à l'acheteur la possession à titre de propriétaire, car autrement l'obligation du vendeur ne se distinguerait pas de

(1) Trib. comm. Bruxelles, 24 juill. 1889, 3, 325 et la note. (2) Cass. Belge, 1 mai 1890, Pas., 90, 1, 193.

(3) Paris, 2 nov. 1892, S. 94, 2, 270; Comp. Cass. 18 juin 1872, S. 73, 1, 19; Cass. 9 mai 1857, S. 57, 1, 545; Voy. BUCHÈRE, Traité des valeurs mobilières, no 314, 315, 1188.

(4) Cass. 14 mars 1894; Cass. 4 juin 1894, S. 94, 1, 393; Cass. 11 déc. 1888, D. 89, 1, 237; Contrà, Guillouard, t. I, no 174.

celle d'un bailleur (1), ainsi que l'avait déjà fait remarquer Labéon.

5. C'est en effet au transfert de la propriété qu'il faut s'attacher pour savoir si les parties ont voulu faire une vente ou un louage.

En principe quand il s'agit de dégager le véritable caractère d'un contrat, il faut s'en tenir à la qualification employée par les parties qui doivent savoir, mieux que personne, ce qu'elles ont voulu faire (2). Néanmoins comme les parties peuvent s'être servies de termes impropres, il faut aussi examiner les dispositions mêmes de l'acte et la nature des droits qui en font l'objet. La jurisprudence française a même une tendance à faire prévaloir l'appréciation des conventions faites par le juge (3).

Ce qui peut tromper les parties sur la véritable qualification qu'il convient d'adopter pour désigner leur contrat, c'est souvent cette circonstance que le prix à payer par l'une d'elles se décomposera en fractions périodiques, calculées d'après certaines bases, de sorte que l'opération ressemblera par certains côtés à une vente, par certains autres à un louage.

On a décidé en Belgique qu'une convention de ce genre, celle par laquelle le propriétaire d'une carrière en cède la jouissance à un tiers pour un temps déterminé et moyennant un prix fixe et annuel n'est ni une vente ni un louage, mais un contrat particulier, sui generis, ce qui ne veut rien dire, tenant à la fois du louage et de la vente (4).

Cette solution est inadmissible; l'objet du contrat est exclusivement un transfert de propriété et non de jouissance; le contrat est donc une vente, peu importe qu'il s'agisse d'une

(1) BAUDRY-LACANTINERIE, t. III, no 446.

(2) Cass. 22 fév. 1887, S. 88, 1, 87.

(3) Voy. Cass. 15 fév. 1893, S. 94, 1, 149; Cass. 9 mai 1892, S. 92, 1, 423; Bourges, 26 déc. 1887, S. 88, 2, 78, etc.

(4) Liège, 31 déc. 1870, Pas., 71, 2, 94, etc.

extraction de moellons, de kaolin (1), de terres plastiques (2) ou de minerai (3). La Cour de cassation a cru devoir faire remarquer que la propriété des moellons extraits se trouve réellement transférée, puisque l'extraction de ces moellons qui, ne pouvant plus se reproduire, diminue la masse de la carrière, doit, après un temps plus ou moins long, l'anéantir entièrement (4)...

Mais en quoi cette circonstance peut-elle influer sur la solution? La Cour de cassation a plusieurs fois implicitement reconnu qu'il n'y avait pas à en tenir compte. Ainsi elle a jugé avec raison que la convention par laquelle un propriétaire concède à une autre personne, le droit de récolter pendant un certain nombre d'années un produit particulier (écorce de chênes-lièges), dont il se réserve la jouissance et l'usage direct constitue une vente mobilière et non un louage (5). La même solution a été admise pour un cas où la chose à livrer consistait dans la première et la seconde herbe de l'année, sans autre concession de jouissance (6). Dans toutes ces hypothèses, cependant, la chose vendue était de nature à se reproduire.

Il résulte des décisions qui précèdent, que, pour distinguer la vente du louage, il faut s'attacher uniquement, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, au point de savoir si une jouissance ou usage quelconque a été accordé à celui qui doit profiter de la récolte. S'il en est ainsi, il y a louage; sinon il y a vente de récoltes. Il importe peu d'ailleurs, que le propriétaire concède le droit de recueillir tous les produits, ou seulement certains produits de sa chose (7).

(1) Cass. 4 août 1886, S. 88, 1, 226.

(2) Bruxelles, 10 fév. 1886, Pas., 86, 2, 181.
(3) Voy. cep. Cass. 29 juin 1886, S. 89, 1, 266.

(4) Cass. 15 fév. 1893, S. 94, 1, 149.
(5) Cass. 25 janv. 1886, D. 86, 1, 141.
(6) Cass. 9 mai 1892, S. 92, 1, 423.
(7) Contrà, GUILLOUARD, t. I, n° 64.

6. Dans les ventes faites moyennant des paiements successifs, il est plus difficile de découvrir si les parties ont voulu faire une vente ou un louage. La question se présente surtout à l'occasion de machines ou autres appareils industriels. Les juges du fond, d'après la Cour de cassation, ne dénaturent pas le contrat qu'ils ont à interpréter et n'excèdent pas leur pouvoir d'appréciation, lorsqu'après avoir constaté l'accord des parties sur la chose et le prix, ils en tirent la conséquence que la vente était parfaite et non conditionnelle, et qu'elle a transféré à l'acheteur la propriété des objets fournis. Il importerait peu que le prix eût été stipulé sous la forme d'annuités qualifiées de loyer ou de redevance, si l'acquittement de ces annuités pendant le délai convenu devait avoir pour effet de libérer complètement l'acquéreur; et l'arrêt qui décide que la vente a été parfaite, mais avec un terme pour le paiement du prix, écarte implicitement la prétention du vendeur de conserver, jusqu'à l'époque de ce paiement, la propriété des marchandises vendues (1).

Il en serait autrement si la convention portait expressément que les objets étaient livrés à titre de location et que la propriété en était réservée au tradens jusqu'au paiement intégral de la redevance promise. Dans ce cas il y aurait bail accompagné d'une promesse de vente subordonnée au paiement intégral du prix (2).

Une Cour a vu au contraire dans une convention semblable tous les éléments d'une vente et non d'une location. Elle a jugé que le tradens ne pouvait, pour rentrer en possession de la chose, se fonder sur ce que la condition à laquelle était subordonnée la transmission de la propriété, à savoir le paiement intégral du prix, n'avait pas été remplie, attendu que l'obligation de payer le prix imposée à l'acheteur en matière

(1) Cass. 16 juin 1885, D. 86, 1, 237.

(2) Lyon, 10 août 1888, S. 90, 2, 113; Alger, 18 fév. 1888, S. 89, 2, 115; Contrà, GUILLOUARD, t. I, n° 65.

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