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tement contre lui comme vis-à-vis d'un tiers quelconque, et paralyserait son exception justi dominii par la réplique de la garantie. Il y a donc des cas où l'exception ou réplique de garantie peut exister, sans qu'il y ait possibilité de concevoir une action directe en garantie (1).

109. On dit que les exemples ci-dessus justifient la loi qui déclare nulle la clause de non garantie en tant que le vendeur prétendrait s'exempter de l'obligation qui pèse sur lui quand l'éviction procède de son propre fait.

Non seulement la loi n'a pas besoin de justification sur ce point, mais il faut même remarquer que la décision de l'article 1628 s'imposait comme étant la conséquence nécessaire des principes; de telle sorte que cette décision devrait encore être suivie, même si l'art. 1628 n'existait pas.

En effet, le bon sens ne peut pas admettre dans une même situation juridique, des éléments contradictoires entre eux, d'une part la volonté de transférer la propriété au moyen de la vente, et d'autre part la volonté d'éviter ce même transfert, en réservant le fait personnel futur, se produisant dans les limites mêmes de l'acte pour le renverser. Nous avons déjà eu l'occasion de formuler une observation semblable à propos des droits de créance. Il n'est pas possible de convenir que l'on entend être créancier, et en même temps que l'on consent à ne pas être payé (Voy. t. VII, no 183). De même il n'est pas possible de convenir qu'on sera rendu propriétaire par le vendeur, et en même temps que celui-ci sera dispensé de rendre l'acheteur propriétaire.

Par conséquent la clause générale portant que le vendeur ne serait pas tenu de l'éviction, même dérivant d'un fait à lui personnel, devait être forcément, dans tous les cas et sans distinction, frappée de nullité. Une telle clause équivaudrait,

(i) Voy. MOREAU, Fond. de l'except. de gar., Rev. crit., 1887, p. 107.

d'ailleurs, à la convention par laquelle on déclarerait ne pas répondre de son dol (1).

Mais il ne saurait en être de même de la clause spéciale qui exonérerait le vendeur de l'obligation de garantie, dans le cas particulier où l'éviction proviendrait de tel fait à lui personnel formellement prévu par le contrat, soit antérieur à la vente, soit même postérieur (2). La clause spéciale de non garantie aurait seulement pour effet de restreindre le champ de la vente envisagée quant à son objet, mais en définitive laisserait subsister la vente, tandis que la clause générale la ferait en quelque sorte disparaître.

110. En dehors des droits sur la chose vendue créés antérieurement à la vente par le vendeur lui-même, ou acquis par lui après la vente, on peut encore concevoir certaines entreprises par lesquelles le vendeur voudrait reprendre ou chercherait à reprendre tout ou partie de la chose vendue. Il est manifeste qu'il doit s'abstenir de telles entreprises. Ce sont principalement les faits de ce genre que les auteurs ont eu vue quand ils parlent de l'obligation négative dont le vendeur serait tenu de ne pas troubler l'acheteur dans sa possession.

On comprend ce que cela veut dire, mais la formule employée n'est pas heureuse. Sans doute, il y a des obligations spéciales de ne pas faire, de ne pas accomplir tel acte déterminé; mais il n'y a pas et il ne peut pas y avoir d'obligation générale négative, ou plutôt cette obligation négative ou d'abstention n'est autre que le droit réel envisagé sous l'une de ses faces (Comp. t. IV, no 3; t. VII, no 2). Les arrêts sont obligés d'en convenir, même quand ils ont commencé

(1) L. 23, D. 50, 17, De div. reg. jur.

(2) DUVERGIER, t. I, no 337; AUBRY et RAU, S 355, texte et note 43; LAURENT, t. XXIV, n. 256; GUILLOUARD, t. I, n° 398, 399; Cass. 2 mai 1864, S. 65, 1, 381; Cass. 8 déc. 1880, S. 82, 1, 297; Lyon, 11 janv. 1883, D. 84, 2, 147.

par dire le contraire. Ainsi, dans une espèce la Cour de cassation déclare d'abord d'une manière générale que l'obligation de garantir la paisible possession de la chose vendue, emporte pour le vendeur, celle de s'abstenir de tout acte qui tendrait à priver l'acheteur de partie des avantages sur lesquels il devait naturellement compter (1). Mais finalement elle décide que, par suite, le vendeur d'une maison n'a pas le droit de modifier d'une manière préjudiciable à l'acheteur, l'éclairage et l'aération des appartements de cette maison en élevant un mur sur la propriété voisine à une faible distance des fenêtres donnant jour à la maison vendue, lorsqu'il s'est engagé à respecter ces ouvertures, car il s'agit uniquement de l'exécution du contrat intervenu entre les parties (2).

De quoi s'agissait-il en effet? De déterminer quel était exactement le champ de la vente, c'est-à-dire l'étendue du droit réel transféré à l'acheteur. La vente comprenait-elle la conservation des fenêtres comme moyen d'éclairage et d'aération? Si cela était vrai, il est certain que le vendeur ne pouvait pas venir diminuer le droit réel par lui transmis, et il est inutile pour expliquer ce résultat d'alléguer une prétendue obligation négative générale. Quoi qu'il en soit, les faits personnels dont le vendeur demeure toujours garant, nonobstant toute stipulation de non garantie, sont uniquement ceux dont il doit s'abstenir par la seule raison qu'il est vendeur. Mais cela ne veut pas dire qu'il puisse, sans engager sa responsabilité, accomplir tous les autres, seulement sa responsabilité sera engagée à un autre titre que celui du vendeur.

111. Il faut en effet distinguer :

Il est certains actes qui sont interdits au vendeur, unique

(1) Cass. 3 mai 1886, D. 87, 1, 61.

(2) Ibid.

ment parce qu'il est vendeur, et que ces actes tendraient à détruire ou à restreindre le droit réel transmis. Mais des actes absolument semblables seraient permis à un tiers qui ne serait pas le vendeur et qui ne représenterait pas celui-ci. Ainsi, par exemple, celui qui a vendu un fonds de commerce. avec la clientèle et l'achalandage, ne pourrait pas, au lendemain de la vente, créer un établissement similaire à côté de son acheteur, car ce serait reprendre la chose vendue. Au contraire, un tiers, le premier venu, qui ne représenterait pas le vendeur, pourrait créer un tel établissement.

Il est d'autres actes qui sont interdits au vendeur, non pas seulement parce qu'il est vendeur, mais parce qu'ils sont interdits à tout le monde, tels sont les actes de concurrence déloyale, de contrefaçon illicite, etc. Ces actes ou faits personnels ne sont pas en dehors de la théorie de la garantie. L'acheteur qui en souffre obtiendra donc la réparation qui lui est due soit au moyen de l'action en garantie, à la charge de prouver la violation du contrat intervenu entre les parties, soit au moyen de l'action spéciale directement attachée par la loi au fait lui-même incriminé.

La Cour de cassation a appliqué ces principes en décidant que l'auteur qui a vendu sans réserve la première édition de son œuvre, est devenu un tiers à l'égard de son acheteur; que par suite, il ne peut faire paraître une autre édition, même sous un titre différent, avant l'épuisement de la première, à peine d'être considéré comme contrefacteur, et d'encourir la confiscation de l'édition nouvelle (1). Il est manifeste que ce n'est pas comme garant qu'il peut être ainsi recherché, il est recherché au même titre que tout autre contrefacteur. Mais cela ne l'empêche pas d'être vendeur; l'acheteur a donc, en pareille hypothèse, deux actions d'abord l'action en ga

:

(1) Cass. 19 déc. 1893, S. 94, 1, 313; Comp. Cass. 22 fév. 1847, 47, 1, 83; GUILLOUARD, t. I, no 338.

S.

rantie qui ne peut disparaître par cette circonstance que le fait contraire à la convention est en même temps une contrefaçon, et l'action proprement dite en contrefaçon. On peut même concevoir l'exercice cumulé des deux actions ainsi l'auteur, après avoir vendu une première édition, cède à un second acheteur une édition qui est publiée, sous un autre titre, avant l'épuisement de la première. L'acheteur agira en contrefaçon contre celui qui a publié cette nouvelle édition, afin d'en obtenir la confiscation, et en garantie contre l'auteur, afin d'en obtenir de justes dommages.

112. Les mêmes principes doivent être appliqués en matière de ventes de fonds de commerce. La vente d'un fonds de commerce, même en l'absence de toute stipulation expresse, emporte virtuellement l'interdiction de tout acte pouvant porter atteinte au droit réel transmis à l'acheteur en permettant au vendeur de reprendre soit directement, soit indirectement ce qu'il a transmis (1). Par conséquent, le vendeur d'un fonds de commerce ne peut, du moins à une époque rapprochée de la vente, et qui sera forcément appréciée par le juge en l'absence de toute stipulation, ouvrir dans le voisinage un établissement de même nature (2), soit par lui-même, soit par l'intermédiaire d'un tiers parent ou non (3).

La Cour de cassation décide, sur ce point, qu'il appartient aux juges du fond de décider souverainement la question de savoir si, au cas de vente d'un fonds de commerce, et alors que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir n'est pas expressément formulée, cette interdiction ne résulte pas de l'ensemble des dispositions insérées dans l'acte de vente ou le

(1) Riom, 20 mars 1876, S. 77, 2, 50.

(2) Paris, 7 janv. 1890, S. 91, 2, 21; Bourges, 12 nov. 1889, D. 91, 2, 267; AUBRY et RAU, S 355, texte et note 2; BAUDRY-LACANTINERIE, t. III, no 541; GUILLOUARD, n° 330, 331, 333.

(3) Comp. Paris, 11 déc. 1889, D. 90, 2, 283.

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