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avant le mesurage, le pesage, etc., ayant pour résultat de rendre impossible l'opération qui doit faire apparaître le prix, laisse la vente imparfaite et les risques doivent demeurer à la charge du vendeur. Il en sera de même en cas de perte partielle. Le vendeur pourra exiger seulement un prix proportionné à la quantité de marchandises qu'il est en mesure de livrer (1).

Cette solution est cependant contestée. Les uns, au point de vue du transfert de la propriété, soutiennent que la vente envisagée doit être traitée comme la vente d'un corps certain et par suite qu'elle est immédiatement translative de propriété, car la chose est suffisamment déterminée, et pour connaître le prix, il ne reste à faire qu'un calcul dont les bases sont convenues (2); mais comme la vente est faite sous condition suspensive, puisqu'elle est subordonnée à l'opération du pesage, etc., les risques, en vertu de l'art. 1585, ne passeront à l'acheteur qu'à partir de la date de cette opération accomplie (3).

La réponse est facile : d'abord le pesage ne saurait jamais être considéré comme une condition suspensive (4); c'est un élément de validité de la vente laquelle ne saurait exister sans prix (Voy. t. VII, n° 341). En outre le calcul destiné à faire apparaitre le prix est impossible à faire, puisque l'importance de la chose vendue n'a pas été exprimée, et que la chose a péri. On a vendu tout le blé contenu dans tel grenier, à raison de 20 fr. l'hectolitre, mais comme tout le blé a disparu, comment faire pour savoir combien il y avait d'hectolitres?.... D'ailleurs les rédacteurs du Code ayant rattaché l'une à l'autre

(1) BAUDRY-LACANTINERIE, t. III, n° 468; Comp. ARNTZ, n° 970, 971. (2) LAURENT, t. XXIV, no 439.

(3) COLMET DE SANTERRE, t. VII, no 7 bis II; Comp. POTHIER, De la vente, no 308; Orléans, 14 août 1880, D. 81, 2, 38.

(4) GUILLOUARD, t. I, no 30; BAUDRY-LACANTINERIE, t. III, no 469; Comp. Cass. 7 janv. 1880, S. 82, 1, 463.

la question des risques et celle du transfert de la propriété, il n'est pas possible de la séparer,

18. C'est ce qui est reconnu par d'autres auteurs (1). Par conséquent, disent-ils avec raison, le système du Code est très simple. S'il s'agit d'une vente en bloc, elle est parfaite du jour du contrat; au contraire, s'il s'agit d'une vente faite au poids, au compte ou à la mesure, la vente n'est parfaite, tant au point de vue du transfert de la propriété qu'au point de vue des risques qu'après l'opération du comptage, du pesage ou du mesurage. Or, dans l'espèce que nous venons d'examiner, il faut d'abord compter, mesurer ou peser la marchandise pour trouver le chiffre, encore inconnu, qui exprime sa quantité, et multiplier ensuite ce chiffre par celui qui indique la valeur de l'unité de mesure, dans l'espèce 20 fr. l'hectolitre. C'est donc une vente faite au compte, ou à la mesure ou au poids, et non une vente en bloc.

Cela parait évident; cependant les mêmes auteurs n'hésitent pas à trouver dans l'espèce envisagée, les éléments d'une vente en bloc devant être régie, tant pour le transfert de la propriété que pour les risques, par le texte suivant :

ART. 1586. Si, au contraire, les marchandises ont été vendues en bloc, la vente est parfaite,

quoique les marchandises n'aient pas encore été pesées, comptées ou mesurées (*).

« Nous ne voyons pas de différence, disent en effet ces auteurs, entre la vente de tout le blé contenu dans un grenier, et la vente de telle vache à tant le kilogramme, et il nous paraitrait bien difficile de soutenir, dans cette dernière hypothèse, que les risques ne sont pas pour l'acquéreur du jour du contrat (2).

Il a été jugé en effet, dans le cas de vente d'une vache, que,

(*) Art. 1586. L. 35 SS 5 et 6; L. 62 § 2, D. 18, 1, De contrah. empt.

(1) GUILLOUARD, t. I, no 31. (2) GUILLOUARD, t. I, n° 30.

dès l'instant de la vente, les risques étaient à la charge de l'acheteur. Mais pourquoi? Parce que la vache, destinée à la consommation, avait été vendue, non pas à tant le kilogramme, mais pour le prix global de 450 fr., le prix du kilogramme demeurant d'ailleurs fixé à 1 fr. 68, de sorte que, suivant la décision à laquelle nous faisons allusion, il y aurait lieu, pour les parties, de se faire compte de la différence si l'écart entre le poids présumé et le poids réel était appréciable (1).

Est-ce que la décision eût été la même si, au lieu d'un prix global rendant inutile tout calcul ultérieur, il y avait eu simplement vente, à tant le kilogramme, d'une vache dont le poids n'était pas indiqué? Comment aurait-on procédé pour trouver le prix si la vache avait disparu par l'effet d'un cas fortuit? On répond qu'on appliquera les règles ordinaires sur la preuve (2). Mais c'est aller contre la volonté des parties. Quand on vend à tant l'unité de mesure un ensemble de marchandises dont l'importance n'est pas exprimée, les parties n'ont pas entendu que le comptage, le pesage ou le mesurage puisse être, après coup, remplacé par des équivalents, la vente est réellement conclue au compte, au poids ou à la mesure, donc elle n'est point parfaite tant que l'opération nécessaire pour faire apparaître le prix n'a pas eu lieu.

Cela n'empêche pas, comme le déclarait le tribun Faure, que dans les ventes au poids, au compte ou à la mesure, comme aussi dans les ventes en bloc, il existe un engagement réel entre les parties, dès le moment du contrat. De cet engagement réciproque résulte pour l'acheteur le droit de demander la livraison des marchandises en faisant la vérification convenue, et pour le vendeur le droit de deman

(1) Trib. comm. Liège, 21 juin 1883, Cl. et B., 84, 58. (2) GUILLOUARD, loc. cit.

der le prix de la vente, en offrant d'en faire la délivrance (1); c'est ce que dit expressément l'art. 1585.

19. Mais quand y aura-t-il vente faite en bloc? La vente en bloc étant traitée comme la vente d'un corps certain, il n'y aura pas vente en bloc, à moins d'une déclaration contraire faite par les parties, par cela seul que les choses vendues sont indiquées en masse. Il faut que le bloc ou la masse soit individualisé par l'indication de son importance. Ainsi lorsqu'un propriétaire vend, à tant l'hectolitre, la totalité de sa récolte de vins existant dans ses caves, et qu'il est stipulé que les vins doivent rester dans les caves du vendeur et n'être mesurées qu'au moment de leur sortie, il n'y a pas vente en bloc. Il faut considérer l'opération comme étant composée d'autant de ventes séparées qu'il y a de pièces comptées ou mesurées (2). Ce qui a été mesuré est pour le compte de l'acheteur; la perte des marchandises qui ne sont pas encore comptées est pour le compte du vendeur. Si la vente avait été faite moyennant un prix fixé à forfait, l'importance de la masse vendue se trouverait ainsi indiquée sa détermination serait suffisante, et le contrat opérerait immédiatement transfert de la propriété et déplacement des risques, peu importe que la vente ait porté sur la totalité ou sur une quotité seulement soit d'une récolte, soit des marchandises contenues dans un lieu désigné. Si les arrêts parlent quelquefois de la vente de la totalité, c'est que l'espèce sur laquelle ils sont intervenus présentait cette circonstance (3).

20. Lorsqu'une marchandise a été achetée in genere, elle est spécialisée par le mesurage; mais cette opération ne suf

(1) FENET, XIV, p. 153; Voy. AUBRY et RAU, § 349, texte et note 22. (2) ARNTZ, t. III, nos 370, 371; Contrà, LAURENT, t. XXIV, no 139, et note 1; Dijon, 13 déc. 1867, D. 70, 5, 372.

(3) Voy. Cass. 25 fév. 1896, Gaz. Pal., 5 mars 1896; Colmet de SANTERRE, t. VII, no 7 bis V; GUILLOUARD, t. I, no 31.

de la non-conformité, soit en raison d'une certaine latitude accordée au vendeur par la commune intention des parties, surtout s'il s'agit de marchandises susceptibles de manipulations dans lesquelles il n'est pas toujours facile d'arriver de prime abord à une exactitude mathématique (1).

Le premier devoir de l'acheteur recevant une marchandise qu'il croit n'être pas conforme à l'échantillon, est de s'adresser sans retard à justice pour faire opérer le dépôt de cette marchandise dans un magasin neutre, et ordonner une expertise.

C'est au vendeur à fournir la preuve de la conformité de la marchandise à l'échantillon, à moins qu'il n'en soit dispensé par une clause dérogatoire (2).

Des difficultés peuvent s'élever sur la sincérité de l'échantillon produit par l'acheteur. Le vendeur qui a suivi la foi de celui-ci en lui remettant l'échantillon, doit s'imputer de n'avoir pris, en le faisant, aucune précaution. Il ne pourra écarter du débat l'échantillon produit par l'acheteur qu'en fournissant la preuve que ce dernier a frauduleusement substitué un autre échantillon à celui qui lui a été remis (3).

Si la non conformité de la marchandise avec les échantillons est reconnue, l'acheteur pourra exiger le remplacement, par des livraisons ultérieures, des marchandises refusées (4). C'est une faculté pour l'acheteur qui pourra préférer conclure à la résolution de la vente. Cette résolution aura lieu pour le tout, si le marché devait être exécuté en bloc dans un délai déterminé (5).

Si la réclamation n'avait pas lieu au moment de la prise de possession, mais seulement un certain temps après avoir fait

(1) Cass. 21 mars 1893, D. 94, 1, 324 (rés. par la C. d'appel).
(2) Gand, 18 mars 1868, B. J., 68, 463.
(3) Liège, 17 juin 1871, Pas., 71, 2, 458.
(4) Paris, 12 déc. 1874, D. 77, 2, 219.
(5) Cass. 15 mai 1877, D. 78, 1, 36.

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