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de la bienséance à s'imposer en pareille occurrence; et il félicitait les orateurs de ce qu'usant de leur droit parlementaire, ils avaient fait des discours et non pas des pamphlets (allusion qui fit porter tous les regards sur M. de Cornemin, auteur d'un pamphlet sur, c'est-à-dire contre la dotation territoriale proposée pour le duc de Nemours). M. Dupin ne s'élevait pas avec moins d'énergie que le garde des sceaux sur les dangers et sur l'inconvenance des mandats impératifs, sur les avis qu'on prétendait avoir à demander aux électeurs, système qui tendait à transporter les pouvoirs là où ils n'étaient pas ; et, quant à l'argument tiré de la richesse du patrimoine qu'on suppose au prince royal, M. Dupin certifiait que le prince royal n'avait pas un sou de patrimoine ni en réalité ni en expectative; car, à la différence des anciennes lois qui donnaient tout à l'aîné et rien aux princes, l'abandon du patrimoine du roi avait été fait aux sept cadets seulement, l'exclusion de l'aîné auquel l'acte ne réservait pas même sa légitime.

« Ainsi, disait en terminant M. Dupin, le prince royal n'aura rien que ce qu'il tiendra de la nation, et c'est ici que, ressaisissant la noble pensée du projet, la pensée du prince lui-même, qu'il m'a exprimée avec insistance, je dis qu'il serait indigne de lui comme de nous de disputer sur des chiffres; ils sont en blanc dans le projet de loi. Considérez-les comme en blanc dans le rapport; c'est à votre vote que j'en appelle ! »

L'adhésion presque unanime que la Chambre donnait à ces paroles, le désir qu'elle manifestait d'aller aux voix n'empêchèrent point M. de Briqueville d'ajouter sa protestation à celles de ses amis. Il se récria sur l'imprudente prodigalité qu'on montrait au moment où la guerre extérieure pouvait imposer tant de sacrifices à la France; et, jetant un regard critique sur les dépenses que la liste civile faisait à Versailles, il en concluait qu'elle était assez riche pour faire prendre sur elle-même l'augmentation de dotation demandée pour le prince royal; mais il accordait le million de frais d'établissement et le douaire proposé pour la princesse.

On était impatient d'aller aux voix. Quelques membres

de l'extrême gauche et un seul membre du côté droit s'étaient levés contre les deux premiers articles. Le 5°, après une observation sur la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu à l'augmentation du douaire dans le cas où la princesse resterait veuve avec des enfans, fut voté à l'unanimité; et le dépouillement du scrutin, ensuite ouvert sur l'ensemble du projet, offrit 307 boules blanches et 49 noires sur 336 votans.

Le projet porté quelques jours après (le 27 avril) à la Chambre des pairs, renvoyé à une commission qui en proposa l'adoption, et soumis, le 29, à la discussion, y souleva des observations critiques de M. le vicomte Dubouchage sur le domaine privé et sur le partage qui en avait été fait en 1850, observations auxquelles il ajoutait des vœux pour la promulgation prochaine d'une amnistie au moins pour les délits politiques.

Malgré ces observations auxquelles répondirent M. le baron Feutrier et le ministre de l'intérieur, aucun amendement n'était proposé sur les dispositions du projet dont l'ensemble fut adopté à la majorité de 116 voix sur 120 votans.

Une opposition plus sérieuse s'annonçait contre le projet relatif à la dot de la reine des Belges, présenté, dès le 26 janvier, à la Chambre élective, et dont la discussion avait été fixée, après celle des crédits supplémentaires pour 1836.

Il avait pour objet de mettre à la disposition du ministre des finances une somme d'un million sur l'exercice de 1857 pour payer la dot de madame la princesse Louise d'Orléans, conformément au traité conclu, le 28 janvier 1852, entre le roi des Français et le roi des Belges.

Il faut se rappeler, pour apprécier les difficultés qu'il eut à subir, que, d'après l'art. 21 de la loi du 2 mars 1832, la dotation des fils puinés et des filles du roi devait être faite par le Trésor public, en cas d'insuffisance du domaine privé.

La commission, chargée d'examiner le projet, y avait donné son adhésion (rapport fait, le 10 mars, par M. LacaveLaplague) sans demander la production des pièces justifica

tives qui devaient lui prouver l'insuffisance du domaine privé; mais cette réserve de haute convenance n'avait pas eu l'assentiment de l'opposition. Plusieurs fois, et notamment dans la séance du 24 avril, on avait interpellé le ministère (MM. Odilon Barrot, Lherbette) pour obtenir la communication de ces pièces avant l'ouverture de la décision. Quoiqu'on eût alors passé à l'ordre du jour sur la proposition regardée comme au moins prématurée, le ministère s'était pourtant résigné à donner quelque satisfaction à l'opinion publique déjà si agitée par la question de l'apanage du duc de Nemours.

Le 27 avril, à l'ouverture du débat, le ministre de l'intérieur (M. le comte de Montalivet), rappelant les interpellations qui avaient été adressées au ministère, expliqua les motifs du refus qu'il avait fait de déposer aucun renseignement, aucune pièce justificative sur le bureau. La demande lui avait paru contraire au véritable esprit de la loi de 1832. Le principe invoqué une fois admis, on ne pouvait se dérober à toutes ses conséquences; on allait jusqu'à une véritable enquête, jusqu'au dépôt de tous les comptes de la liste civile, c'est-à-dire d'une portion du budget qui avait été mise en dehors des investigations du pouvoir parlementaire.

« Ainsi, disait le ministre, nous avons dû nous refuser à faire le dépôt, sur le bureau de la Chambre, des pièces demandées, des états justificatifs qu'on réclame; mais était-ce pour nous soustraire à l'obligation de vous faire connaitre la véritable situation financière de la couronne, qui a donné lieu depuis quelque temps à tant de calomnies contre elle? Non, Messieurs, car si nous avons un devoir à remplir, un devoir de haute convenance, comme nous le disions, nous avons encore un autre devoir à remplir envers elle, c'est de chercher, en vous donnant connaissance de tous les états de sa situation, de chercher à la venger de toutes les amertumes dont elle a été abreuvée. (Trés bien !) En même temps que nous devions donner cette satisfaction à nous-mêmes et à vous, nous sommes trop heureux de répondre au désir si naturel et si patriotique qu'a la Chambre de vouloir s'éclairer de toutes choses dans les questions qui lui sont soumises, »

Ici, le ministre établissait, comme il suit, la situation financière du domaine privé, de la liste civile et de la couronne; situation qu'il avait été à portée de connaître par la position qu'il occupait (comme intendant général de la liste civile ).

<< En 1836, les revenus du domaine privé ont été de 2 millions 596,757 fr. «Les revenus de la liste civile, y compris les 12 millions versés mensuelle. ment par le Trésor dans les caisses de l'intendance générale, et les revenus de l'ancienne dotation de la couronne, moins la distraction et les revenus de l'apanage, tous ces revenus composent un total de 18 millions 674,889 fr.

<«< Ainsi le total des revenus ordinaires de la couronne, tant comme usufruitière que comme propriétaire, de la liste civile comme du domaine privé, est de 21 millions 271,646 fr.

« Tels sont les revenus.

<< Maintenant nous avons voulu nous rendre compte des charges fixes qu'avaient à supporter et le domaine privé et la liste civile, afin que la Chambre puisse apprécier, comme le pays, la somme restant libre au moyen de laquelle la couronne avait à maintenir sa dignité, qui est celle de la France.

« Les charges fixes du domaine privé, y compris les pensions de la succession maternelle, les contributions et toutes les charges particulières, sont de 1 million 590,287 fr.

« Les charges de la liste civile également fixes sont de 9 millions 642,513 fr.

« Le total des charges fixes est donc de 11 millions 232,800 fr., de sorte qu'il reste libre à la disposition facultative de la couronne la somme de 10 millions 38,846 fr.

Entrant alors dans quelques détails sur l'emploi de ce revenu, le ministre faisait observer qu'avec cette somme de 10 millions, la couronne avait à pourvoir à ses dépenses personnelles, aux actes de bienfaisance et de charité publique dont elle était si prodigue, au repeuplement, aux plantations à faire dans les forêts, aux encouragemens donnés aux arts et aux sciences, à toutes les commandes de statues et de tableaux, article qui s'était élevé, dans une seule année, au décuple de la somme votée, chaque année, au budget de l'Etat; aux dépenses extraordinaires que le roi ordonnait dans les palais de la couronne pour les embellir, pour en faire le dépôt de toutes nos gloires nationales ( allusion aux magnifiques réparations qu'on faisait alors à Versailles).

En résultat, au 31 décembre 1836:

Le domaine privé devait 6 millions 525,558 fr. 59 c.; Au 31 décembre de la même année, la liste civile devait 11 millions 554,870 fr. 78 c.;

Le total des dettes de la liste civile et du domaine privé était de 18 millions 158,659 fr. 37 c.

De cette dette il convenait de déduire les acquisitions du domaine privé; mais, compensation faite des acquisitions

et des ventes opérées, le chiffre de l'insuffisance réelle de ce domaine était, dans les calculs du ministre, de 8,006,799 fr. 87 c.; et si l'on exigeait de la liste civile le remboursement de neuf millions qu'elle avait reçus dans les dix-huit premiers mois du règne actuel (1) au-dessus des 12 millions fixés ultérieurement par la loi de 1832, le chiffre de l'insuffisance se trouverait porté à 17,679,000.

« Nous le proclamons hautement, dit le ministre, parce qu'il est la réponse à toutes les amères calomnics dont la couronne à été l'objet malheureusement pendant tant de temps; nous avons exprimé, par l'organe de M. le président du Conseil, le désir que le jour arrivât enfin où nous puissions faire cette réponse; nous avons cru qu'elle serait mieux faite par des chiffres que par toutes les paroles que nous pourrions prononcer à cette tribune.

« Voilà, Messieurs, les résultats généraux que nous avons cru de notre devoir de présenter à la Chambre; nous espérons que ces calculs satisferont toutes les consciences et dissiperont tous les doutes. >>

Ces explications, accueillies avec faveur par la majorité, étaient loin de satisfaire l'opposition qui insistait vivement (MM. Lherbette, Demarçay, Salverte, Larabit) sur la production des pièces justificatives et sur la valeur capitale du domaine privé, afin qu'on sût si le roi ne pouvait pas y trouver le moyen de subvenir à la dotation de ses enfans. En vain M. de Las-Cases déclarait, au nom de la commission qu'elle avait cru devoir s'en rapporter à la notoriété publique, et ne demander au Gouvernement aucune communication, ajoutant qu'avant et après son rapport, les membres qui avaient voulu des renseignemens les avaient obtenus : en vain la commission déclarait à la Chambre que l'insuffisance du domaine privé lui avait été démontréc, et qu'elle votait à l'unanimité pour le projet : l'opposition n'en tenait compte.

Une singularité à remarquer ici, c'est que cinq de ses membres s'étaient fait inscrire contre le projet, et qu'il ne s'était pas présenté un seul député du centre pour le défendre ;

(1) On se rappelle que la liste civile avait été proposée dès la fin de 1850, sous le ministère de M. Laffitte, à 18 millions, et qu'elle avait été payée provisoirement sur ce pied jusqu'à la promulgation de la loi de 1852.

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