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peut-être était-ce dans l'espérance d'en finir plus tôt sur une question qui paraissait bien décidée dans l'esprit de la majorité. Mais M. le colonel Paixhans, voyant l'opposition si acharnée, se présenta pour défendre une cause qu'on ne devait pas abandonner, dans l'intérêt et pour l'honneur de la couronne de juillet. «Jamais Gouvernement avait-il plus fait pour le << peuple dans l'espace de six années? jamais l'avenir s'était-il « présenté aussi beau? jamais le peuple avait-il eu autant à << bénir, plus à espérer, et l'alliance commencée avec la Bel«< gique n'était-elle pas d'un prix incomparable avec le léger << sacrifice demandé ? »

Ces considérations de générosité politique n'arrêtèrent point des discussions de chiffres où les orateurs de l'opposition (MM. de Thiard et Charamaule) jetèrent plus d'aigreur que jamais. M. de Cormenin, dont ses amis invoquaient le secours, et que le ministre de l'intérieur lui-même appelait à la tribune, n'y parut un instant que pour déclarer qu'il refusait le terrain de la discussion, à moins qu'on ne produisît les pièces demandées, en persistant toutefois dans l'opinion que le capital du domaine privé n'était pas au-dessous de 74 millions, et qu'avec ce capital on pouvait bien payer un million de dot.

Le ministre de l'intérieur, en résumant les détails d'une discussion de chiffres, assez souvent mêlée d'aigreur et de personnalités, en reproduisant et rectifiant quelquefois les calculs qu'il avait présentés, assurait que la reine des Belges n'avait, à l'heure qu'il est, aucune propriété provenant des biens de son royal père; il reconnaissait bien qu'on pouvait prendre aisément un million sur le capital ou les revenus du domaine privé; mais il faisait observer qu'alors il faudrait que le roi quittât la marche qu'il s'était tracée pour les encouragemens et les secours à donner à tous les intérêts souffrans; il faudrait qu'il ne fût plus fidèle à la pensée qui préside aux dépenses de la liste civile; il faudrait qu'il abandonnât ces grands travaux, qui sont en même temps une gloire pour son règne et pour le pays. Enfin, en considérant la demande

faite comme la consécration d'une alliance déterminée par le véritable intérêt de la France, le ministre terminait en invoquant le vote de la Chambre, comme une satisfaction due à l'honneur de la couronne... Une majorité nombreuse répondit à cet appel, et le scrutin sur l'ensemble du projet offrit le résultat suivant:

Nombre de votans, 379. — Boules blanches, 259. Boules noires, 140. Majorité 99.

Présenté peu de jours après (le 8 mai) à la Chambre des pairs, rapporté le 10 mai, par M. de Fréville, et discuté le lendemain (11 mai), le projet n'y trouva que deux opposans (M. le vicomte Dubouchage et M. le marquis de Brézé), qui traitèrent la question, le premier, sous le rapport de l'état du domaine privé, dont il ne trouvait pas l'insuffisance clairement établie; le second, sous celui des réclamations que la France avait à débattre avec la Belgique au sujet de l'expédition d'Anvers (expédition qu'il blâmait d'ailleurs comme une violation des principes de non intervention), objet déjà soulevé dans l'autre Chambre, mais resté sans réponse, et sur lequel il demandait des éclaircissemens à M. le président du Conseil. Les détails donnés à la Chambre élective avaient répondu d'avance au premier orateur. M. le comte Molé répondit au second que tous les droits de la France avaient été réservés pour le remboursement des dépenses d'une expédition faite dans l'intérêt de la France, et qu'on était en voie de négociation, déclaration à la quelle M. le duc de Broglie, ministre des affaires étrangères, à l'époque du siége d'Anvers, ajouta, sur l'insistance de M. de Brézé, que la dette n'avait point été contestée; mais que le Gouvernement belge, tout en reconnaissant que la dette était bien réelle envers la France, soutenait que la Hollande était la véritable débitrice, puisque c'était sur son refus de remettre la citadelle d'Anvers que l'expédition avait été faite.

Cette question écartée, comme étrangère à l'objet en discussion, le projet de loi a été adopté par 91 suffrages sur 109 votans.

CHAPITRE VI.

Cour des pairs.

Procès Meunier. Demande d'an crédit supplémentaire pour les fonds secrets de la police. - Discussion et adoption du projet. - Amnistie. Objets divers.

5 avril. C'est pour la troisième fois que la Chambre des pairs avait à se constituer en cour de justice pour juger un attentat commis sur la personne du roi le 27 décembre. Nous ne reviendrons pas sur les détails que nous en avons donnés (1); nous ne rappelons ici que les circonstances qui se rattachent au procès.

L'assassin, saisi dans l'exécution de son crime, conduit au poste du château, puis à la Conciergerie, n'avait point hésité à l'avouer. Il avait répondu aux premières questions qui lui furent faites qu'il le méditait depuis près de six ans ; que, dès son enfance, il avait conçu une haine violente contre la famille d'Orléans, « parce que, disait-il, ses lectures lui avaient << appris que les d'Orléans avaient toujours fait le malheur de << la France. » Mais, en avouant son crime, il n'avait voulu dire ni son nom, ni son pays, ni sa profession.

Il était encore inconnu, lorsqu'à la lecture de l'ordonnance royale (du 27 décembre 1856) qui le traduisait devant la Cour des pairs, et de son signalement donné dans les feuilles publiques, un sieur Barré, ancien négociant, y voyant des indices qui se rapportaient à un membre de sa famille, se présenta, pour éclaircir ses soupçons, dans le cabinet de l'un des juges d'instruction. Lå en effet, l'assassin, confronté sur-le-champ

(1) Voyez ci-dessus, chap. Ier,

avec lui, l'avait reconnu pour son oncle et n'avait plus fait difficulté de déclarer qu'il s'appelait Pierre-François Meunier, né le 3 janvier 1814 à la Chapelle-Saint-Denis.

Son père et sa mère, commissionnaires-aubergistes à l'époque de sa naissance, ayant mal fait leurs affaires, s'étaient séparés. Le père était tombé dans un état voisin de la misère; sa mère avait été recueillie par son frère, le sieur Barré, négociant en sellerie, qui prodiguait à son neveu les soins d'un père. Mais le jeune Meunier, à peine alors âgé de 5 à 6 ans, y avait toujours mal répondu. Après avoir travaillé chez son oncle, et avoir essayé de divers états, il était revenu se placer chez le sieur Lavaux, son cousin, lequel avait repris en 1836 le commerce de son oncle.

Les recherches faites, depuis son arrestation, sur les antécédens de Meunier, l'avaient signalé comme incapable de se fixer à aucune profession, ennemi du travail, affectant l'athéisme, dégradé par la débauche, doué d'un entêtement aveugle, mais susceptible encore de quelque retour à des idées de morale et d'humanité.

Dans les premiers temps qui suivirent la révolution de 1850, il se montrait zélé partisan du Gouvernement nouveau; mais peu à peu ses opinions modifiées étaient devenues tout-à-fait républicaines. Il s'était jeté dans les insurrections qui avaient ensanglanté la capitale; il ne craignait pas de manifester en toute occasion ses intentions hostiles au Gouvernement, son admiration pour Alibaud et son dessein de l'imiter.

Mais avait-il agi seul, sans autre impulsion que ses convictions? Ses déclarations, au moment de son arrestation, semblaient annoncer qu'il faisait partie d'une bande secrète d'individus qui se seraient engagés par un effroyable serment à tuer le roi; mais il avait ensuite désavoué ces propos comme d'atroces plaisanteries, et, dans les quinze premiers interrogatoires devant la commission de la Cour des pairs, il avait constamment soutenu qu'il n'avait pas de complices; qu'il avait seul conçu son crime; qu'il l'avait seul exécuté; qu'il Ann, hist. pour 1837.

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n'en avait même jamais communiqué le projet à personne. Cependant, le 4 février, il parut changer de système, et compromit assez gravement quelques individus avec lesquels il avait eu des relations intimes, pour que la commission d'instruction crût devoir les faire arrêter.

L'un d'eux était le sieur Lavaux, son cousin germain, propriétaire de l'établissement dans lequel il était employé comme premier commis, lequel (Lavaux) se trouvait, par une singulière coïncidence, faire partie, comme garde national à cheval, de l'escorte du roi le jour de l'attentat; un autre, nommé Lacaze, ouvrier dans le même établissement. Tous trois, suivant les nouveaux aveux de Meunier, se trouvant un soir, sur la fin de novembre 1855, chez M. Barré ( avant la cession de son établissement au sieur Lavaux), avaient tiré au sort à qui tuerait le roi, et le billet fatal était échu à Meunier. Quant aux moyens d'exécution, aucun d'eux n'y avait alors songé; mais cette idée n'avait cessé de poursuivre Meunier. C'est de cette époque qu'il avait eu des attaques nerveuses dans lesquelles lui était échappé le projet qu'il avait formé de tuer le roi. Quant à Lacaze, il était retourné dans sa famille, à Auch, depuis dix mois; mais Meunier n'avait cessé que par intervalles ses relations avec Lavaux, qui le menait quelquefois dans un tir, et chez qui il avait pris le pistolet, instrument de son crime.

Deux autres individus, nommés Dauche, commis intéressé chez Lavaux, et Rédarès, étudiant en médecine, y avaient été compromis, mais à un moindre degré, par leurs relations avec les accusés et pour quelques contradictions dans leurs interrogatoires.

Tels étaient les faits principaux résultant du rapport fait le 3 avril à la Cour des pairs, par M. Barthe, l'un des commissaires chargés de l'instruction du procès, rapport qu'il terminait en déplorant « l'influence d'une classe d'écrivains qui, « détruisant tout sentiment de respect dans les classes popu<< laires, se servent contre la constitution du pays de la liberté

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