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zot faisait ensuite sur l'esprit révolutionnaire qui travaillait encore les classes où dominent les intérêts conservateurs, mais surtout les classes pauvres, où les doctrines les plus antisociales, et les provocations subversives adressées aux plus mauvaises passions sont accueillies, et sur la nécessité de la contenir par une politique ferme, par une forte organisation de pouvoir; et à ce sujet, M. Guizot n'hésitait pas à dire que les lois faites depuis six ans contre l'anarchie, étaient indispensables; qu'elles avaient sauvé le pays, qu'elles étaient destinées à le sauver plus d'une fois encore. C'étaient des armes nécessaires qu'il fallait se garder de laisser rouiller.

Quant aux projets présentés dans cette session, M. Guizot regrettait le rejet de la loi de disjonction le Gouvernement s'était acquitté d'un devoir en la proposant; les autres lui paraissaient également utiles au pays, et il se proposait de les défendre si elles arrivaient à la discussion.

Après ce discours, qui avait fait des impressions diverses sur les différentes parties de la Chambre, M. le président du Conseil crut devoir remonter à la tribune pour donner des explications sur la dernière crise ministérielle. Il n'admettait pas, comme M. Guizot, que l'homogénéité d'un cabinet fût la condition essentielle de sa durée. Selon lui, les cabinets devaient représenter, dans leurs élémens, les principaux élémens de la majorité. Cette idée avait présidé à la formation du 6 septembre, quoique la combinaison alors présentée par M. Molé n'eût pas été acceptée dans toutes ses conditions.

« Cependant, dit M. le président du Conseil, la combinaison que le cours des choses me fit accepter, me parut renfermer en effet quelques germes de destruction pour l'avenir. Un événement parlementaire ne tarda pas à nous révéler, du moins pour moi, que la combinaison du cabinet ne répondait point parfaitement à ces conditions de majorité que j'avais cherchées.

« C'est ici, Messieurs, que je différe en quelque chose de l'honorable orateur auquel je réponds. Lorsque la loi de disjonction fut rejetée par la Chambre, je ne sais si ma mémoire me trompe, mais j'oserais jurer ici qu'elle ne me trompe pas, personne n'eut moins que moi l'idée de la retraite; et si quelques membres du cabinet en recurent quelque découragement ei crurent que ce rejet était en effet une manifestation contre le ministère, ce n'est pas moi. Je dirai seulement que, pour ma part, je vis un grand mal dans le rejet de la loi de disjonction, que je regrette aussi, Messieurs, et

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que je regrette parce que j'étais convaincu, comme je le suis encore, qu'il était nécessaire qu'une manifestation législative protestat contre les événemens de Strasbourg. (Une foule de membres : Voilà la vérité!)

« Je ne doute pas du tout que le rejet de cette loi n'ait changé la situation du cabinet; mais je n'en reste pas moins convaincu que la situation du cabinet n'était pas satisfaisante, et cela par les mêmes raisons qui m'avaient fait présenter une autre composition au 6 septembre.

« Comment le cabinet s'ébranla-t-il? Je ne dirai pas par la retraite, car il ne donna pas sa démission, autant que ma mémoire me le rappelle, mais par je ne sais quelle rumeur qui s'éleva sur certains bancs, qu'il fallait remplacer un des membres du cabinet (M. Gasparin). Pour moi, je le dis avec beaucoup de regret, la composition une fois acceptée, j'étais bien décidé à la maintenir le plus long-temps possible.

Ce n'est pas moi qui ai donné le signal de la retraite à personne, je le proteste ici; mais quand l'ébranlement eut commencé, je n'eus pas un autre système que celui que j'avais eu au 6 septembre.

A ce que M. Guizot avait dit, en parlant du retrait de la loi d'apanage, M. le président du Conseil assurait qu'il n'avait pas craint la discussion. « Ce que nous avons voulu éviter, disait-il, touche à des intérêts plus graves; ce que nous avons craint d'affronter, c'etait la chance du rejet. »

Enfin, en observant la situation générale du pays, M. le président du Conseil la trouvait améliorée; la France lui paraissait fatiguée de ses agitations passées.

« Nous ne faisons à personne la guerre pour la guerre, dit-il en quittant la tribune; au contraire nous tendons la main à tous ceux qui viennent à nous sincèrement et de bonne foi, qui nous acceptent, nous, nos opinions, notre manière de gouverner, notre système : nous n'acceptons que ceux-la.

« Du reste nous ne voulons point lutter pour le plaisir de lutter; mais si le mal relevait la tête, Messieurs, nous saurions prouver que le monopole de l'énergie n'appartient à personne, et qu'armés des lois que vous avez faites, nous saurions le réprimer.

Malgré ces assertions, l'opposition ne paraissait pas convaincue; M. de Laboulie voyait le ministère en suspens entre deux systèmes, sans en représenter aucun. C'était une véritable négation; et, en relevant ce qui avait été dit de la loi d'apanage, on ne savait pas bien si la lòi était retirée ou simplement ajournée. M. le ministre du commerce et des travaux publics (M. Martin du Nord), qui voulut aussi faire sa profession de foi sur le système que le Gouvernement entendait suivre et sur les lois présentées, regardait la loi d'apanage comme fondée sur un principe essentiellement monarchique et

constitutionnel. « Elle avait été retirée, disait-il, non parce que le ministère avait changé d'opinion sur son principe, mais parce qu'il était prudent de ne pas brusquer l'opinion', lors même qu'elle était pervertie. »

3 mai. La querelle n'en resta pas là: M. Aug. Giraud, insistant sur les contradictions qu'il voyait dans le système et dans le langage du ministère, invoquait à cet égard le témoignage des membres de la commission; quoique le ministère parlât tant de conciliation, jamais les divisions n'avaient été plus profondes qu'elles ne l'étaient en ce moment dans la Chambre.

:

<<< Vous tendez la main à tout le monde, disait-il aux mi«nistres eh bien! depuis le commencement de cette dis<«< cussion, est-il venu quelqu'un à cette tribune, nettement <«<et franchement, vous offrir la sienne? >>

La discussion arrivée à ce point, le rapporteur de la commission crut devoir aussi donner quelques explications sur la situation singulière dans laquelle elle s'était trouvée au moment de sa nomination : c'était peu de jours après le rejet de la loi de disjonction, et les amis du ministère du 6 septembre croyaient nécessaire de le raffermir par un témoignage éclatant de confiance. Ainsi cette question, posée dans la commission, fut résolue affirmativement, et le rapporteur fut chargé d'exprimer la plus entière confiance. Mais la crise ministérielle ayant éclaté, la commission se trouvait placée dans une situation difficile.

« Assurément, dit l'honorable rapporteur, si le nouveau cabinet eût été pris dans une des nuances de l'opposition, et s'il eût annoncé l'intention de s'écarter de la politique suivie jusqu'ici, la situation eût été simple : la commission eût proposé le rejet, ou bien elle aurait témoigné de son dissentiment par un amendement. Mais c'eût été une grande injustice, car tous les membres du nouveau cabinet étaient pris dans les rangs de la majorité; de plus, ce cabinet annonçait l'intention de se conformer à la politique de ses prédéces

seurs,>>

Cependant elle avait cru devoir rester dans une certaine réserve, n'offrir son appui qu'à certaines conditions; et,

avant de prendre une détermination définitive, elle avait jugé nécessaire d'entendre les ministres et de les inviter à s'expliquer non seulement sur la nécessité de l'allocation, mais encore sur la ligne politique qu'ils se proposaient de suivre, ce qu'ils avaient fait de manière à déterminer le vote de la commission.

Ce qui s'est passé depuis a-t-il changé quelque chose à la situation? ajoute M. le rapporteur. A cet égard je n'ai rien à dire. MM. les ministres sont entrés en communication directe avec la Chambre. Vous avez entendu ces explications, vous savez jusqu'à quel point elles ont été nettes, précises. et concordantes entre ciles. C'est à la Chambre à les juger. Tout ce que je puis dire, c'est que la commission persiste dans ses opinions et dans ses désirs, c'est qu'elle est loin de penser que la politique du 15 mars ait fait son temps, et qu'il convienne de la remplacer par une autre politique qui tourne les difficultés au lieu de les aborder de front; c'est qu'elle pense que le moment n'est pas venu de traiter les lois de sûreté comme de vieilles armes qu'on met en magasin pendant la paix, et que l'on conserve à condition de ne pas s'en servir; c'est qu'elle est profondément convaincue que la conciliation désirée par tout le monde doit être le résultat de la fermeté et non de la faiblesse, de la persévérance et non de la mobilité, d'une conduite droite et franche, et non d'une conduite équivoque et tortueuse. Voilà quelles sont les opinions que la commission a émises et qu'elle maintient aujourd'hui. »

La Chambre paraissait fatiguée de ces débats; aussi M.Mauguin, qui parut ensuite à la tribune, portant la question sur un terrain plus élevé, s'attacha-t-il à réfuter les doctrines émises par M. Guizot sur la loi d'apanage. Là, selon lui, venait d'être révélé le secret de la crise ministérielle. Il y avait, sous les expressions de démocratie jalouse, démocratie envieuse, de supériorité sociale, de prépondérance politique de la classe moyenne, une pensée qui n'osait encore se produire tout entière. Mais M. Mauguin y voyait dès à présent quelque chose de funeste, car on ne pouvait organiser la prépondérance et le triomphe de la classe moyenne sans introduire des inégalités, par conséquent des dominateurs et des dominés, sans alarmer les autres classes, sans jeter dans la société des germes de guerre civile et de révolutions nouvelles.

En résumé, M. Mauguin ne niait pas qu'il n'y eût quelque agitation dans la société et quelque chose à faire pour y ramener le calme et la sérénité; mais la première mesure à

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prendre, celle qui devait produire une réconciliation générale, c'était l'amnistie, c'était le rappel de tous les hommes politiques qui ont pu s'égarer........·

La discussion générale fermée, on ne paraissait plus avoir qu'à discuter le chiffre que M. de Vatry proposait de réduire de 150,000 fr., réduction basée sur la somme à laquelle il supposait que s'élevaient des subventions secrètes payées à des journaux. M. de Vatry ne présentait pas son amendement comme un acte d'hostilité contre le ministère, mais c'était pourtant, d'après les déclarations répétées du ministère, pour lui, question de vie ou de mort... C'est dans ce sens qu'il fut vivement combattu par M. de Lamartine. L'honorable orateur déplorait la triste nécessité d'avoir des fonds secrets pour la police, mais il n'y voyait rien de honteux ni d'immoral. Ce qui serait immoral et honteux, disait-il, ce serait d'abandonner la société sans défense, sans surveillance à toutes les tentatives, à toutes les machinations du vice ou du crime privé; et, en considérant l'importance de la presse comme une représentation du pays ou du moins de l'opinion publique en l'absence des Chambres, en considérant que cette presse était presque toute hostile au Gouvernement, il en concluait la nécessité qu'il eût une presse à lui.

Passant à la question de cabinet, M. de Lamartine acceptait le ministère tel qu'il était, parce qu'il croyait à ses bonnes intentions, à son dévouement à la monarchie et au pays. Cependant s'il y avait derrière lui un groupe d'hommes capables de saisir la majorité, de rallier les opinions disséminées et de saisir d'une main ferme le gouvernail tenu avec tant d'indécision, il dirait au cabinet du 15 avril de se retirer; mais ces hommes capables de nous guider, de souffler un nouvel esprit de vie à un Gouvernement épuisé de six ans d'existence et de lutte, M. de Lamartine ne les voyait pas, parce qu'aucuns n'ont en eux la pensée complète, la pensée orgnisatrice du temps et du pays.

De là, M, de Lamartine, signalant l'opposition comme un

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