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chanté des chefs-d'oeuvre du fiécle paffé autant que dégouté du fatras prodigieux de nos médiocrités, je vais expier les miennes en me faifant le commentateur de Pierre Corneille. L'académie a agréé ce travail; je me flatte que le public le fecondera, en faveur des héritiers de ce grand

nom.

Il vaut mieux commenter Héraclius que de faire Tancrède, on rifque bien moins. Le premier jour que l'on joua ce Tancrède, beaucoup de fpectateurs étaient venus armés d'un manufcrit qui courait le monde, & qu'on affurait être mon ouvrage : il reffemblait à cette Zulime.

C'est ainsi qu'un honnête libraire, nommé G...., s'avifa d'imprimer une histoire générale, qu'il affurait être de moi, & il me le foutenait à moi-même, il n'y a pas grand mal à tout cela, quand on vexe un pauvre auteur les dix-neuf vingtiémes du monde l'ignorent, le refte en rit, & moi auffi. Il y a trente à quarante ans que je prenais férieusement la chofe. J'étais bien fot! Adieu, je vous embraffe.

A Mr. de V.....

Ferney ce 11 Décembre 1765.

"Ouvre une caiffe, monfieur ; j'y vois, quoi? moi-même en perfonne, deffiné d'une belle

main.

Ce Danfel, beau comme le jour,
Soutien de l'amoureux empire,
A dans mon champêtre féjour
Deffiné le maigre contour
D'un vieux vifage à faire rire.
En vérité c'était l'amour,
S'amufant à peindre un fatyre
Avec les crayons de la Tour.

Il est vrai que dans l'eftampe on me fait terriblement montrer les dents; cela fera foupçonner que j'en ai encore. Je dois au moins en avoir une contre vous, de ce que vous avez paffé tant de tems fans m'écrire.

Bérénice difait à Titus:

Voyez-moi plus fouvent, & ne me donnez rien. Je pourrais vous dire :

Ecrivez-moi fouvent, & ne me peignez point.

Mais fi je fuis flatté de votre galanterie, je ne peux me plaindre du burin. Je remercie le peintre, & je pardonne au graveur.

On pretend que vous avez des affaires & des procès. Qui terre n'a pas, fouvent a guerre ; à plus forte raifon qui terre a.

Dii tibi formam,

Dii tibi divitias dederunt, artemque fruendi.

Ajoutez-y furtout la fanté, & ayez la bonté de m'en dire des nouvelles quand vous n'aurez

rien

rien à faire. L'abfence ne m'empêchera jamais de m'intéreffer à votre bien être & à vos plaisirs. Si vous êtes dans le tourbillon, vous me négligerez; fi vous en êtes dehors, vous vous fouviendrez, monfieur, d'un des plus vrais amis que vous ayez. Vous l'avez dit dans vos vers, & je ne vous démentirai jamais.

Extrait de la gazette de Londres.

Du 20 Février 1762.

au

Ous apprenons que nos voifins les Fran çais font animés autant que nous moins, de l'efprit patriotique. Plufieurs corps de ce royaume fignalent leur zèle pour le roi, & pour la patrie. Ils donnent leur néceffaire pour fournir des vaiffeaux, & on nous apprend que les moines, qui doivent auffi aimer le roi & la patrie, donneront de leur furperflu.

On affure que les bénédictins qui poffèdent environ neuf millions de livres tournois de rente dans le royaume de France, fourniront au moins neuf vaiffeaux de haut bord.

Que l'abbé de Citeaux, homme très important dans l'état, puifqu'il poffède fans contredit les meilleures vignes de Bourgogne, & la plus groffe tonne, augmentera la marine d'une partie de fes futailles. Il fait bâtir actuellement un palais dont le devis eft d'un million fept cent mille livres tournois, & il a déja dépensé quatre cent mille francs à cette maifon pour la gloire de DIEU.

Il va faire conftruire des vaiffeaux pour la gloi

re du roi.

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On affure que Clervaux fuivra cet exemple quoique les vignes de Clervaux foient très peu de chofe; mais poffédant quarante mille arpens de bois, il eft très en état de faire conftruire de bons navires.

Il fera imité par les chartreux, qui voulaient même le prévenir, attendu qu'ils mangent la meilleure marée, & qu'il eft de leur intérêt que la mer foit libre. Ils ont trois millions de rente en France, pour faire venir des turbots, & des foles. On dit qu'ils donneront trois beaux vaiffeaux de ligne.

Les prémontrés & les carmes, qui font auffi néceffaires dans un état que les chartreux, & qui font auffi riches qu'eux, fe propofent de fournir le même contingent. Les autres moines donneront à proportion. On eft fi affuré de cette oblation volontaire de tous les moines, qu'il est évident qu'il faudrait les regarder comme ennemis de la patrie, s'ils ne s'acquittaient pas de ce devoir.

Les Juifs de Bordeaux fe font cottifés. Des moines qui valent bien des Juifs, feront jaloux fans doute, de maintenir la fupériorité de la nouvelle loi fur l'ancienne.

Pour les frères jéfuites, on n'eftime pas qu'ils doivent fe faigner en cette occafion, attendu que la France va être inceffamment purgée des dits frères.

P. S. Comme la France manque un peu de gens de mer, le prieur des céleftins a propofé

aux abbés réguliers, prieurs, fous-prieurs, recteurs, fupérieurs qui fourniront les vaiffeaux, d'envoyer leurs novices fervir de mouffes, & leurs profes fervir de matelots Le dit céleftin a démontré dans un beau difcours, combien il eft contraire à l'efprit de charité de ne fonger qu'à faire fon falut, quand on doit s'occuper de celui de l'état : ce difcours a fait un grand effet, & tous les chapitres délibéraient encor au départ de la poste.

A Mr. PAULET, au fujet de fon hiftoire de la petite vérole.

JE

Ferney 22 Avril 1768.

E crois, monfieur, que Don Quichotte n'avait pas lu plus de livres de chevalerie que j'en ai lu de médecine; je fuis né faible & malade, & je reffemble aux gens qui ayant d'anciens procès de famille, paffent leur vie à feuilleter les jurifconfultes fans pouvoir finir leurs procès.

Il y a environ foixante & quatorze ans que je foutiens comme je peux mon procès contre la nature, j'ai gagné un grand incident, puifque je fuis encore en vie; mais j'ai perdu tous les autres, ayant toûjours vécu dans les fouffrances.

De tous les livres que j'ai lus, il n'y en a point qui m'ait plus intéreffe que le vôtre. Je vous fuis très obligé de m'avoir fait faire connaiffance avec le Rhafez. Nous étions de grands

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