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ignorans, & de miférables barbares quand ces Arabes fe décraffaient. Nous nous fommes formés bien tard en tout genre, mais nous avons regagné le tems perdu. Votre livre, surtout, en est un bon témoignage. Il m'a beaucoup instruit ; mais j'ai encore quelques petits fcrupules fur la patrie de la petite vérole. J'avais toûjours pensé qu'elle était native de l'Arabie déferte, & coufine germaine de la lèpre, qui appartenait de droit au peuple Juif, peuple le plus infecté qui ait jamais été dans notre malheureux globe.

Si la petite vérole était native d'Egypte, je ne vois pas comment les troupes de Marc-Antoine, d'Augufte & de fes fucceffeurs ne l'auraient pas apportée à Rome. Prefque tous les Romains eurent des domestiques Egyptiens Vernd canopi. Ils n'en eurent jamais d'Arabes. Les Arabes reftèrent prefque toûjours dans leur grande prefqu'ifle jufqu'au tems de Mahomet. Ce fut dans ce tems que la petite vérole commença à être connue. Voilà mes raifons; mais je me défie d'elles, puifque vous pensez différemment.

Vous m'avez convaincu, monfieur, que l'extirpation ferait très préférable à l'inoculation. La difficulté eft de pouvoir mettre une fonnette au cou du chat. Je ne crois pas les princes d'Europe portés à faire une ligue offenfive & défenfive contre ce fléau du genre-humain. Mais fi vous obtenez quelques arrêts contre la petite vérole; je vous prierai auffi, fans aucun intérêt, de préfenter requête contre fa groffe fœur.

Je ne fais laquelle de ces deux demoifelles a Et le plus de mal au genre-humain, mais la

groffe fœur me parait cent fois plus absurde que l'autre. C'est un fi énorme ridicule dans la nature d'empoifonner les fources de la génération, que je ne fais plus où j'en fuis quand je fais l'éloge de cette bonne mère. La nature eft très aimable & très refpectable, fans doute; mais elle a des enfans bien infames.

Je conçois bien que fi.tous les gouvernemens de l'Europe s'entendaient enfemble, ils pourraient à toute force diminuer un peu l'empire des deux fours. Nous avons actuellement plus de douze cent mille hommes qui montent la garde en pleine paix ; fi on les employait à extirper les deux virus qui défolent le genre-humain, ils feraient du moins bons à quelque chofe. On pourrait même leur donner encore à combattre le fcorbut, les fiévres pourprées & les autres faveurs de ce genre, que la nature nous a faites.

Vous avez dans Paris un Hôtel-Dieu où régne une contagion éternelle, où les malades, entaffés les uns fur les autres, fe donnent réciproquement la pefte & la mort. Vous avez des boucheries dans de petites rues fans iffuë, qui répandent en été une odeur cadavereufe, capable d'empoifonner tout un quartier. Les exhalaifons des morts tuënt les vivans dans vos églifes, & les charniers des Innocens ou de St. Innocent font encore un témoignage de barbarie, qui nous met fort audeffous des Hottentots & des Nègres.

Nous ferons longtems fous & infenfibles au bien public. On fait de tems en tems quelques efforts & on s'en laffe le lendemain. La conftance, le nombre d'hommes néceffaire, & l'argent

manquent pour tous les grands établiffemens. Chacun vit pour foi. Sauve qui peut eft la devise de chaque particulier. Plus les hommes font inattentifs à leur plus grand intérêt, plus vos idées patriotiques m'ont infpiré d'estime. J'ai l'honneur d'être, &c.

Lettre de madame la marquise d'ANTREMONT, à l'auteur. En lui envoyant quelques ouvrages en vers:

A Aubenaz le 4 Février 1768.

MONSIEUR,

UNC

Ne femme qui n'eft pas madame Desforges Maillard, une femme vraiment femme, & femme dans toute la force du terme, vous prie de lire les piéces renfermées fous cette envelope; elle fait des vers parce qu'il faut faire quelque chofe; parce qu'il eft auffi amufant d'affembler des mots que des nœuds, & qu'il en coûte moins de fymétrifer des penfées que des pompons: vous ne vous appercevrez que trop, mon

fieur, que ces vers ont peu coûté, & vous lui direz que

Des vers faits aifément font rarement aifés.

Elle fe rappelle vos préceptes fur ce fujet & ceux de Boileau, qui partage avec vous l'art de graver fes écrits dans la mémoire de fes lecteurs

& d'inftruire l'efprit fans lui demander des efforts. Vos principes & les fiens font admirables; mais ils ne s'accordent pas avec la légéreté d'une perfonne de vingt-un ans, qui a beaucoup d'antipatie pour tout ce qui eft pénible. Heureufement je rime fans prétention, & mes ouvrages reftent dans mon porte-feuille. S'ils en fortent aujourd'hui, c'eft parce qu'il y a longtems que je défirais d'écrire à l'homme de France que je lis avec le plus de plaifir, & que je me fuis imaginée que quelques piéces de vers ferviraient de paffeport à ma lettre, je n'ai point eu d'autres motifs, monsieur ;

Il eft des femmes beaux efprits;

A Pindare autrefois dans les jeux olympiques,
Corinne, des fuccés lyriques,

Très fouvent difputa le prix:

Pindare affurément ne valait pas Voltaire ;
Corinne valait mieux que moi:
Qu'il faudrait être téméraire

Pour entrer en lice avec toi !
Mais je le fuis affez pour défirer de plaire
A l'écrivain dont le goût est ma loi.
Si tu daignais fourire à mes ouvrages,
Quel fort égalerait le mien!
Tu réunis tous les fuffrages,

Et moi je n'afpire qu'au tien.

Il ferait bien glorieux pour moi, monfieur, de l'obtenir; n'allez pourtant pas croire que j'o.

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fe me flatter de le mériter; mais croyez que rien ne peut égaler les fentimens d'eftime & d'admiration avec lefquels j'ai l'honneur d'être.

Réponse.

Vous n'êtes point la Desforge Maillard ;

De l'hélicon ce trifte hermaphrodite
Paffa pour femme, & ce fut fon feul art;
Dès qu'il fut homme il perdit fon mérite;
Vous n'êtes point, & je m'y connais bien,
Cette Corinne & jaloufe & bizarre
Qui par fes vers, où l'on n'entendait rien,
En déraifon l'emportait fur Pindare,
Sapho plus fage, en vers doux & charmans
Chanta l'amour, elle eft votre modèle,
Vous poffédez fon esprit, ses talens;
Chantez, aimez; Phaon fera fidèle.

Voilà, madame, ce que je dirais fi j'avais l'âge de vingt-un ans; mais j'en ai foixante & quatorze paffés; vous avez des beaux yeux, fans doute, cela ne peut être autrement, & j'ai pref que perdu la vue vous avez le feu brillant de la jeuneffe, & le mien n'eft plus que de la cendre froide vous me reffufcitez; mais ce n'est que pour un moment, & le fait eft que je fuis

mort.

C'eft du fond de mon tombeau que je vous fouhaite des jours auffi beaux que vos talens. J'ai l'honneur d'être, &c.

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