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LES REBOISEMENTS DU MÉZENC

Le point culminant de la chaîne du Vivarais est constitué par le Mézenc, merveilleux belvédère de la France centrale, dont les deux sommets s'élèvent, à 240 mètres l'un de l'autre, à 1748 et 1754 mètres d'altitude, sur la limite des départements de l'Ardèche et de la Haute-Loire. De ce piédestal de phonolithe, on découvre à l'est la vallée du Rhône et les cimes neigeuses des Alpes, à l'ouest les monts du Velay, la chaîne de la Margeride et le massif imposant du Cantal, au sud la butte conique du Gerbier des Joncs, qui abrite la source de la Loire, les sucs de Seponet, de la Lauzière et de Montfol.

Tandis que le Mézenc surplombe à l'est des vallées abruptes et dénudées où coulent des affluents de l'Erieux, il se prolonge vers l'ouest par une série de hauteurs, le plateau de Costebelle (1640 m. d'altitude) et le mont d'Alambre (1695 m. d'altitude). Ce dernier domine la vallée de la Gazeille au sud, la vallée de la Gagne et le plateau de Saint-Front au nord. A 1300 m. au nord-ouest du Mézenc, naît le Lignon, qui arrose Fay-le-Froid, le Chambon, Tence et va se jeter dans la Loire, entre Bransac et Bas-en-Basset, à 465 mètres d'altitude, après avoir parcouru de nombreux méandres dans des gorges sauvages et profondes, creusées dans le granit. Du Mézenc au mont d'Alambre, on trouve deux cols, l'un, appelé col de la Croix de Pécata (1564 m. d'altitude), entre le Mézenc et le plateau désolé de Costebelle, au-dessus de la source du Lignon, l'autre, col de la Croix de la Plonge (1564 m. d'altitude), entre Costebelle et les pentes rocheuses du mont d'Alambre.

Le décret du 25 mars 1843 a constitué sur le flanc ouest du Mézenc un périmètre de reboisement d'une étendue totale de 735 hectares, de forme à peu près rectangulaire, mesurant 4.500 mètres de longueur de l'est à l'ouest et 1600 mètres de largeur moyenne du nord au sud1.

La série des Estables (403 hectares) appartient au périmètre de la

1.

Sur le versant oriental du Mézenc qui fait partie du département de l'Ardèche le périmètre de reboisement de Borée couvre 450 hectares.

(55 ANNÉE). 1er JUIN 1916

XIV.

II

Loire supérieure; elle occupe le versant occidental du Mézenc, la partie sud du plateau de Costebelle et les pentes du mont d'Alambre, à l'exposition générale du sud et de l'ouest.

Les séries de Saint-Front (193 hectares) et de Chaudeyrolles (139 hectares) s'étendent sur les versants nord du Mézenc et de la montagne de Costebelle, des deux côtés de la dépression où le Lignon prend nais

sance.

L'altitude de ce vaste ténement varie de 1430 à 1754 mètres, la déclivité de 5 p. 100, au nord du mont d'Alambre, à 50 p. 100, sur le flanc méridional du Mézenc.

Le sol est constitué sur 619 hectares environ par des phonolithes à pyroxene œgyrinique et à sphène, cette dernière souvent visible à l'œil nu, disposées en coulées massives. Au nord des séries de Saint-Front et de Chaudeyrolles, des andésites micacées et fortement augitiques couvrent go hectares. Enfin le trachyte supérieur se montre sur 35 hectares sur la bordure nord de la série des Estables, intercalé entre les coulées de phonolithes et d'andésites.

Il nous a paru intéressant de rechercher quels ont été les résultats obtenus par nos devanciers dans l'exécution de travaux de reboisement entrepris dans le périmètre du Mézenc, les procédés employés, les essences adoptées.

Disons tout d'abord que l'entreprise n'était pas sans difficultés. Le climat de la région est des plus rigoureux; la neige y subsiste pendant plus de six mois, les gelées ne cessent jamais de s'y faire sentir pendant la nuit; les vents y soufflent continuellement avec un extrême violence, particulièrement sur les sommets et au voisinage des cols. Le sol provenant de la décomposition des phonolithes est généralement dépourvu de pierrailles et de graviers et, par suite de sa pénétrabilité, il est très sensible aux influences du gel et du dégel et les jeunes plants sont exposés à un déchaussement excessif. On rencontre quelques débris de rochers épars sur la montagne de Costebelle et sur les pentes du mont d'Alambre, des dalles de phonolithe au voisinage du sommet du Mézenc; partout ailleurs, le sol est recouvert de gazon, de bruyères courtes et d'airelles myrtilles.

D'après d'anciennes traditions, les montagnes du Mézenc étaient boisées autrefois et le déboisement de cette région daterait du milieu du XVIIIe siècle. On montre encore au village des Estables des poutres

en sapin, énormes, provenant des anciennes forêts détruites. On voit du reste dans les parties basses du plateau de Saint-Front quelques bouquets de futaie de hêtres dont l'existence démontre que la végétation boisée s'est maintenue dans les environs du Mézenc jusqu'à une date assez récente. Certains font remonter à l'époque de la guerre des Camisards la destruction des forêts de la région; il est plus probable qu'elles ont dû disparaître sous la hache des habitants, désireux d'augmenter la surface de leurs pâturages qui nourrissent les beaux spécimens de la race bovine, dite du Mézenc 1.

On ne saurait s'expliquer d'ailleurs la présence dans un climat aussi rigoureux et dans une région aussi inaccessible d'une population. relativement considérable, si, à l'origine, elle n'avait pas trouvé sur place les bois qui ont servi à la construction des habitations. Le défaut de voies de communication n'aurait pas permis d'aller les chercher au loin. On est donc forcé d'admettre que le pays a été boisé autrefois et que la destruction des forêts est le résultat de l'imprévoyance des hazitants.

Quoiqu'il en soit, la région est actuellement complétement dépourvue de bois et les habitants du village des Estables, situé à 3 kilomètres au sud-ouest de Mézenc ne se servent d'autre combustible que de plaques de gazon, séchées au soleil, qui dégagent en brûlant une odeur infecte. L'enlèvement de ce gazon a comme conséquence la dégradation des pâturages sur une grande étendue tous les ans ; la terre mise à nu est soumise par suite à la désagrégation causée par les agents atmosphériques, à l'action du ruissellement et du ravinement, lors des chutes de pluies diluviennes qui se produisent fréquemment, et disparaît peu à peu,

1. La race du Mézenc est actuellement en décroissance par suite de la tendance qu'ont les agriculteurs à importer dans le pays des vaches qui appartiennent à des races meilleures laitières. Le bœuf du Mézenc est gros, court et trapu; la tête est courte et grosse, le front large et plat, l'encolure forte, les épaules et le poitrail sont larges, les membres sont relativement courts, mais les extrémités fortes et nerveuses. Le pelage est de couleur froment plus ou moins clair, le mufle et les muqueuses sont rosés, les cornes courtes, grosses à la base, lisses et pointues.

Les vaches ne donnent que 1200 à 1600 litres de lait par an, mais leur beurrc a une réputation bien méritée.

La viande est fine et très appréciée. Elle alimente en grande partie les boucheries de Saint-Etienne, du Vivarais et du Dauphiné.

En somme, la race du Mézenc ne possède aucune aptitude spéciale à un degré élevé. Elle perd beaucoup de sa taille et de son ampleur dans les terrains granitiques et n'acquiert le maximum de ses qualités que dans les terres riches en chaux et en potasse, comme celles que donne la désagrégation des roches volcaniques au sud d'Yssingeaux et à l'ouest du Puy. (DE LAPPARENT, Etude sur les races, variétés et croisements de l'espèce bovine en France, Bulletin mensuel de l'office de renseignements agricoles, 1914).

pour laisser place à la roche aride. Si la pente n'est pas considérable, les dégâts sont moindres; mais il faut toujours une dizaine d'années pour que le tapis végétal se reconstitue. Le défaut de bois de chauffage entraîne donc une diminution regrettable de l'étendue des pâturages, en même temps qu'il force les habitants de cette malheureuse région à recourir à un combustible nauséabond et incapable de leur donner le calorique qui leur serait nécessaire sous ce climat plus âpre que celui des régions alpestres.

La nécessité de procurer du combustible aux populations de cette région déshéritée a été envisagée lors de l'établissement des périmètres du Lignon et de la Loire supérieure, mais on s'est surtout préoccupé d'assurer le maintien des terres sur les pentes, de régulariser le régime des eaux de la Loire et de ses affluents, et aussi de modifier dans un sens favorable le climat de la contrée.

A ce dernier point de vue, il est hors de doute que la création d'une vaste forêt sur ce massif montagneux, qui domine toute la chaîne du Vivarais, diminuerait la violence des vents qui soufflent en tempête une partie de l'année, courbant tous les végétaux sous leurs rafales et les obligeant à prendre une forme buissonnante, accentuant l'évaporation pendant l'été, ne laissant plus aux herbes des pâturages l'humidité qui leur est nécessaire.

La présence d'un massif de forêts sur ces crêtes nues devait aussi ralentir la fonte des neiges, prévenir les inondations 1, atténuer les effets désastreux des orages et du ravinement. L'enlèvement par larges plaques du gazon, employé comme combustible dans les habitations, facilite en effet la dégradation du sol et la formation de fissures capables d'amener des dommages sérieux. C'est ainsi qu'en 1875, à la suite d'un violent orage, un ravin s'est formé, emportant la route de Fay-le-Froid aux Estables sur une longueur de 800 mètres, accumulant contre les maisons de ce dernier village une quantité considérable de matériaux détritiques qui l'auraient envahi complètement, si l'orage avait eu une plus longue durée. Le 7 octobre 1878, une chute abondante d'eau, de 4 à 6 heures du matin, sur le versant occidental du Mézenc produisit le

I. -

Le régime de la Gazeille, du Lignon et de la Gagne est essentiellement torrentiel. Leurs crues sont surtout dangereuses au printemps lors que vient à fondre l'enorme quantité de neige accumulée sur les pentes du Mezenc et des montagnes voisines. Les orages de la saison chaude déterminent aussi des précipitations énormes qui glissent sur les versants dénudés et, arrivées dans les lits étroits de ces rivières, s'y pressent en flots tumultueux.

La longueur du cours du Lignon est de 86 kilomètres avec une pente de o m. 047 par mètre dans les y premiers kilomètres. Son débit moyen est de 22 mètres cubes par seconde; il varie de 1 mc. 800 à l'étiage à goo mètres cubes par les grandes crues.

9

même jour à 10 heures du matin une crue soudaine de la Loire qui emporta une partie du village de Brives.

Aux termes du décret du 25 mars 1863, les reboisements obligatoires devaient s'exécuter sur 1136 hectares de terrains situés sur le territoire des communes de Chaudeyrolles, des Estables et de Saint-Front. Lorsque le périmètre fut révisé en exécution de la loi du 4 avril 1882, la contenance à acquérir par l'Etat dans ces trois communes fut réduite à 864 hectares, le surplus ayant été abandonné aux communes propriétaires. Ces terrains furent acquis en 1886 au prix de 83.171 francs, soit 152 fr. 80 l'hectare.

* * *

On peut distinguer dans l'historique des travaux de reboisement du Mézenc six périodes successives:

1o De 1863 à 1877, ce fut la période des tâtonnements. On a exécuté des plantations très espacées avec des essences qui ne convenaient pas au climat rigoureux du Mézenc; les sapins et hêtres plantés à découvert, sans autre abri que les bruyères et les airelles, ont disparu. Des semis de pin de Haguenau et de pin noir d'Autriche effectués sur des étendues considérables à des altitudes variant entre 1500 et 1600 mètres ne réussirent pas davantage. Dès 1882, il ne restait plus aucune trace de ces travaux qui ont porté sur 460 hectares environ. Il semble qu'on ait négligé les parties basses où la réussite était facile pour s'attaquer exclusivement aux points culminants et aux versants les plus mal exposés.

L'insuccès des semis doit être attribué principalement au déchaussement; en effet, le sol, ameubli par la culture, se soulève fréquemment jusqu'à o m. 30 et o m. 40 de hauteur au printemps suivant. Les plantations, faites avec des plants généralement très petits, ont été compromises également par l'influence des gelées; les plans les plus forts, qui avaient échappé au déchaussement, restaient isolés et ont disparu, les uns pendant le désastreux hiver de 1879-1880, les autres pendant l'été de 1881, dont la sécheresse fut extrême;

2o De 1878 à 1884, on s'est efforcé de remédier aux inconvénients du déchaussement, en n'effectuant plus que des semis par potets et en ne grattant le sol que superficiellement de façon à laisser subsister l'abri protecteur du gazon des airelles et des bruyères dont les racines

1.

Dont 735 hectares seulement sont réunis en un seul massif autour du Mézenc.

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