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qui ordonnerait à cette fille de se retirer pendant un certain temps dans une maison tierce où elle ne pourrait recevoir celui qu'elle veut épouser. Il subordonnerait sa décision à intervenir à des mesures que la loi n'impose pas, et priverait l'enfant de la liberté que la loi reconnaît à tout majeur (1). Malgré cette doctrine, formellement proclamée par la Cour suprême, la Cour de Montpellier a ordonné une pareille mesure, et la Cour d'Aix a déclaré nuls des actes respectueux notifiés dans l'hypothèse dont nous venons de parler (2).

Mais de quelle manière sera-t-il légalement constaté qu'un enfant a respectueusement demandé conseil à ses père et mère sur le mariage qu'il veut contracter? Ce sera d'abord lorsque les actes respectueux auront été notifiés par le ministère d'un notaire que l'enfant aura requis à cet effet, et qui sera accompagné d'un autre notaire ou de deux témoins. Or, ici s'élève une difficulté faut-il qu'avant que le notaire se transporte chez les parens et y rédige son procès-verbal, il ait dressé un acte spécial que l'enfant signe et qui constaté que celui-ci l'a réquis de signifier les actes respectueux? La Cour de Lyon a décidé, le 23 décembre 1831, qu'il fallait suivre ce mode sous peine de nullité, parce que, si on ne le suivait pas, rien ne constaterait que la réquisition faite au notaire a précédé l'acle respectueux, car l'enfant n'a dans cette hypothèse apposé sa signature qu'à la fin de l'acte constatant et la réquisition et la notification.» La Cour de Toulouse a jugé de même le 2 février 1830. Cette jurisprudence nous semble erronée. Il est vrai que l'art. 154 C. C. porte que l'acte respectueux sera notifié et que, dans le procès-verbal qui doit être dressé, il sera fait mention de la réponse; d'où il semble résulter que l'acte respectueux et le procès-verbal de notification doivent former deux actes distincts. Mais cette interprétation n'est-elle pas judaïque? où est la nécessité de deux actes? Les huissiers qui font journellement des notifications n'en dressent qu'un seul. Nous ne voyons pas pourquoi il en serait autrement pour les notaires que la loi substitue aux huissiers pour la signification des actes respectueux. H ǹous semble qu'aucune raison solide ne s'oppose à ce que le même acte ou procès-verbal qui exprime la demande respectueuse de l'enfant en contienne aussi la notification. Tel est l'usage suivi à Paris. On dresse une réquisition en tête du procès-verbal, l'enfant la signe, et cette réquisition devient l'acte respectueux que le notaire notifie. Au reste, il est bien aisé d'éviter la difficulté. Le notaire n'a qu'à dresser un acte par lequel l'enfant suppliera respectueusement ses parens de lui donner conseil sur son projet de mariage et requerra de l'officier ministériel la notification de cet acte, qu'il signera avec lui. Ensuite le notaire se transportera auprès des parens, fera la notification de l'acte respectueux et en dressera procès-verbal.

Cette notification sera valable quoique l'enfant n'accompagne pas le notaire chez ses parens. Aucune disposition légale n'exige sa présence. Une foule d'arrêts l'ont décidé (3). Il n'est pas non plus nécessaire que le notaire soit porteur d'une procuration spéciale; officier public, il atteste que l'acte

Cass., 21 mars 1809, t, 28, p. 207.

(2) Montpellier, 31 déc. 1821, t. 23, p. 390; Aix, 6 janv. 1824, t. 28, p. 206. (3) Rouen, 27 fév. 1826; Bruxelles, 18 juill. 1808; Angers, 10 mars 1813; Agen, 1er fév. 1817; Douai, 22 av. 1819; Lyon, 28 oct. 1827, t. 1, p. 262, 266, 275, 278, 288, v• Actes respectueux, no 5, 14, 22, 24, 33; t. 34, p. 62.

est fait au nom de l'enfant, et les parens doivent ajouter foi à cette énonciation qui est authentique comme tout le reste du procès-verbal (1). Tóutefois quelques Cours ont jugé le contraire, et elles ont même décidé qu'une seule procuration ne suffirait pas au notaire. Il lui en faut une, selon elles, pour chaque notification. Elles se fondent sur ce qu'il y a conduite irrévérente de la part d'un fils qui, au lieu d'attendre aprés chaque demande le conseil de ses parens, a résolu d'avance d'accomplir son projet de mariage, quelles que fussent leurs réponses (2). Mais nous ne croyons pas ce raisonnement exact.On ne peut voir dans une pareille conduite de l'enfant que la fermé intention de se marier malgré ses parens. Or, ce n'est pas lå de så part ́un acté d'irrévérence; et puisque la loi lui permet de braver leur volonté, il y aurait contradiction à ce qu'il ne pût manifester son intention par le fait d'une seule provocation. Aussi plusieurs tribunaux ont repoussé la doctrine que nous critiquons ét que nous croyons plus exigeante que la loi n'a voulu Pêtre (3).

Il est tellement certain que l'intention préalablement manifestée par l'enfant de se marier malgré ses parens, n'annulle point les actes respectueux notifiés à ceux-ci, que la Cour de cassation a jugé que ces actes étaient valables, lors même que dans le second et le troisième il aurait protesté qu'il était dans la ferme résolution de ne point abandonner son projet de mariage (4). Il est bien vrai que peut-être, en faisant une pareille protestation, l'enfant semble repousser tout l'effet salutaire que le législateur espère des actes qu'il le force de signifier; mais cela n'empêche pas que l'enfant ne fasse que manifester une intention que la loi lui permet de satisfaire, et que, par conséquent, il doit lui être permis d'exprimer, pourvu toutefois que ce ne soit pas en des termes qui ne permettent plus aux actes respectueux d'en avoir le titre.

D'ailleurs, cette expression n'est pas absolument incompatible avec lá nature de ces actes. Il suffit qu'ils contiennent de la part de l'enfant demande d'un conseil à ses parens en termes respectueux. Or, la demande d'un conseil ne force point à le suivre. C'est là un principe de droit ñaturel. L'enfant obéit donc complètement à la loi, s'il le demande. On pent dire enfin qu'il a chargé le nótaire d'une procuration de signifier tous les actes respectueux, dans la prévision qu'ils seraient tous nécessaires, et non pas pour manifester l'intention de repousser les conseils qui lui seront donnés sur le premier. Cela serait évident, selon nous, et il n'y aurait plus difficulté, si, dans l'unique procuration que l'enfant aurait donnée, il avait chargé le notaire de ne réitérer les actes respectueux qu'après lui avoir communiqué la réponse de ses parens. En ce cas, l'enfant devrait être exempt du reproche de braver décidément leur volonté sans entendre leur avis. Il n'y aurait plus par conséquent qu'à examiner comment la demande serait présentée. Or, aucune disposition législative n'en trace les termes, et ce silence a donné lieu quelquefois à des difficultés. On s'est demandé si les actes respectueux seraient nuls dans le cas où on y aurait employé le

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(1) Bruxelles, 26 déc. 1812, t. 17, p. 87, vo Offres réelles, no 5.

(2) Bruxelles, 3 avril 1823, t. 34, p. 355; Rouen, 19 mars 1828, t. 35,

P. 214.

(3) Caen, 11 avril 1822, 24 février 1827, t. 34, p. 355.

Cass., 24 déc. 1807, t. 1, p. 265, vo Actes respectueuœ, ño 11.

mot sommation. On a soutenu aussi qu'il fallait que l'enfant requît littéralement, non pas le consentement, mais bien le conseil de ses parens. Mais il a été sagement jugé qu'aucune formule sacramentelle n'étant exigée par la loi, on pouvait employer l'une et l'autre expression en les entourant toujours d'autres termes qui n'enlèvent pas aux actes le caractère de respect qu'ils doivent avoir (1).

Toutefois il faut bien observer que, quels que soient les termes dans les quels l'acte est conçu, il doit contenir une demande directe de conseil aux parens de l'enfant. Il est évident qu'autrement l'acte pourrait bien en apparence avoir la forme légale, mais ne renfermerait point ce que la loi veut, c'est-à-dire, l'expression de la demande qui en constitue l'essence, et sur laquelle les parens doivent répondre (2). A plus forte raison, le notaire qui a reçu une procuration pour demander le conseil d'un ascendant ne ferait pas un acte respectueux valable, s'il se bornait à notifier une copie de cette procuration sans énoncer la demande de conseil (3). La loi n'indiquant point les détails que doivent contenir les actes respectueux et le procès-verbal qu'en doit rédiger le notaire, cet officier ne ́serait tenu qu'à mentionner la réponse des ascendans, si l'on se bornait, dans une matière aussi importante, à suivre le texte de l'art. 154 C. G., qui seul a trait à la manière de le notifier. Mais il faut observer qu'il est des énonciations et formalités substantielles qu'ils doivent renfermer sous peine de nullité, parce que, s'il en était autrement, rien ne constaterait qu'ils sont conformes à la véritable intention du législateur.Et, sous prétexte que les nullités ne peuvent être déclarées par les tribunaux que lorsque la loi les a formellement établies, l'on ne pourrait valider ceux de ces actes qui ne réuniraient point les conditions essentielles à leur existence légale, quoique non expressément prescrites par la loi. Mais quelles sont ces énonciations, quelles sont ces formalités? D'abord il est incontestable que le devoir de l'enfant et du notaire est de faire tout ce qui dépend d'eux pour que les actes respectueux soient notifiés à la personne même des ascendans. Mais ce devoir ne pourrait s'étendre au point que l'enfant fût tenu d'adresser à ses père et mère une sommation pour les constituer en demeure de se trouver chez eux au jour et à l'heure où les actes leur seraient notifiés. C'est là un point de jurisprudence fondé sur ce que les tribunaux ne peuvent exiger des formalités que la loi n'a pas prescrites (4). ' Cela n'empêche pas que s'il était prouvé que l'enfant a pris des mesures pour que ses père et mère ne fussent pas rencontrés dans leur domicile, les juges ne pussent voir dans cette affectation essentiellement contraire à la volonté du législateur, un motif légal d'annuler les aciés respectueux (5).

De tout cela il faut conclure que le notaire, à la différence d'un huissier. qui porte une copie, doit faire ses efforts pour trouver les parens et leur

(1) Rouen, 27 fév. 1806; Besançon, 12 nov. 1807, t. 1, p. 262, 265, Actes respectueux, nos 6 et 10; Cass., 24 déc. 1807; Toulouse, 27 juin 1821; Amiens, 8 avril 1825.

(2) Montpellier, 1er juillet 1817, t. 1, p. 283, v° Acles respectueux, no 27. (3) Bruxelles, 30 janv. 1813.

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(4) Angers, 10 mars 1813; Agen, 1er fév. 1817; Cass., 11 juillet 1827, t. 33, p. 336; t. 1, p. 274, 278, vo Actes respectueux, no 21, 25.

(5) Toulouse, 12 juillet 1821.

adresser personnellement la notification des actes. Il faut de plus qu'il le constate dans son procès-verbal. Sans cela les tribunaux pourraient annuler les notifications (1). Il n'y aurait point là contradiction avec la doctrine justement adoptée par la majorité des Cours royales que les actes respectueux sont valables, quoique non signifiés à la personne même des ascendans (2). Seulement ce serait déterminer les limites de cette doctrine, ou plutôt expliquer en quel sens on doit l'appliquer.

Du reste, en permettant de notifier les actes respectueux au domicile des ascendans après avoir vainement recherché leur personne, aucun tribunal n'a cu à s'expliquer sur le point de savoir s'il fallait se présenter au domicile de chacun d'eux lorsqu'ils étaient séparés. Cependant ils ont décidé que la notification devait être faite à chacun séparément (3). Il serait en effet contraire à la loi de ne s'adresser qu'à un seul, lorsqu'elle exige formellement que tous deux soient consultés par leur enfant sur son projet de mariage. De là il est naturel de conclure que s'ils ont un domicile séparé, le notaire doit se présenter à leur habitation respective sans cela le but de la loi ne serait point atteint, et il serait impossible de constater dans le procès-verbal la réponse des ascendans qu'elle ordonne d'y insérer.

Ce que nous venons de dire devrait, dans la rigueur du droit, recevoir une exception pour le cas où, au lieu d'être légalement séparés, les ascendans auraient une résidence distincte après s'être séparés de fait. On peut dire que la loi ne reconnaît aucune séparation volontaire, et que, par conséquent, il n'y a licu qu'à se présenter au domicile du mari. Nous conseillons néanmoins d'agir autrement pour prévenir toute difficulté. Au surplus, lé notaire pourrait concilier le fait avec la rigueur du droit. Il pourrait se présenter à la demeure de chacun des époux, et, s'il les trouvait, parler à leur personne, recevoir leur réponse, et rédiger son procès-verbal ou deux procès-verbaux séparés. Ensuite il pourrait, après en avoir prévenu la femme et l'avoir constaté dans son procès-verbal, laisser les copies au domicile du mari, légalement réputé commun aux deux époux. S'il n'avait pas trouvé les époux, il dresserait son procès-verbal et en remettrait pareillement les copies au domicile conjugal, après avoir pris les précautions que nous ve nons d'indiquer.

Nous avons dit plus haut que l'enfant pouvait se dispenser d'assister à la notification des actes respectueux, et à cet égard nous avons tracé les règles à suivre par le notaire d'après la doctrine des tribunaux. Nous avon aussi fait observer que cet officier avait droit de recevoir de l'enfant un pouvoir spécial pour le représenter, et que ce pouvoir n'avait pas besoin d'être renouvelé à chaque notification. Ici nous avons à examiner s'il faut que le notaire, dans son procès-verbal, déclare qu'il en est porteur. La négative nous semble incontestable. Voici pourquoi: aucun article de loi n'exige que le notaire ait reçu un pouvoir écrit pour signifier des actes respectueux pas plus que pour rédiger tout autre acte. La réquisition écrite

(1) Montpellier, 1er juillet 1817, t. 1, p. 288, vo Acles respectueux, no 32. (2) Bruxelles, 18 juillet 1808; Toulouse, 27 juin 1821; Rennes, 2 mars 1825, etc., t. 1, p. 266, ib., no 13; Contrà, Caen, 12 déc. 1812, t. 1, p. 270, y Acles respectueux, no 270.

(3) Caen, 12 déc. 1812; Douai, 25 janv. 1815; Montpellier, 1er juillet 1817, t. 1, p. 270, 276, 284, vo Actes respectueux, no 19, 23, 30.

que dans l'usage lui fait l'enfant en tient lieu. D'ailleurs, n'y aurait-il pas de réquisition écrite, on soutiendrait avec raison que le notaire n'a pas agi sans pouvoir. Car il doit, comme les huissiers et les avoués, être cru jusqu'à désaveu, et il suffit, a dit avec raison la Cour de Liége, que des officiers publics, tels que des notaires, attestent que l'acte se fait au nom ‹đe l'enfant, pour que les parens doivent ajouter foi à cette énonciation qui est authentique comme tout le reste du contenu au procès-verbal. (Arrêt décembre 1812.)

La Cour de Paris a reconnu ce principe dans une espèce où l'enfant "avait charge un mandataire de le représenter, droit assurément incontestable, puisque la présence de ce mandataire peut produire l'effet d'un utile médiateur entre les parties (1). Cette Cour a déclaré que les ascendans ne pouvaient se plaindre de ce que le pouvoir serait sous seing privé; que, pour T'officier civil, un acte respectueux rédigé dans les formes prescrites.a toute l'authenticité désirable, et que le pouvoir délégué aux notaires les concerne exclusivement.

La mention que doit faire le notaire de la réponse des ascendans après avoir constaté la notification de l'acte respectueux, n'a pas offert de difficulté devant les tribunaux. Mais il n'en est pas de même de la copie du procès-verbal; la Cour de Besançon a décidé que le notaire n'était pas tenu de la délivrer aux parens. Elle s'est fondée sur ce que l'art. 154 C. C. porte que l'acte respectueux sera notifié par un notaire, sans ordonner qu'il délivrera copie du procès-verbal qui doit être dressé (2). » Cette doctrine nous semble erronée. Car il faut considérer l'acte ou comme un acte notarié, ou comme un acte d'huissier, quoique notifié par un notaire. Or, n'est-il pas de l'essence que copies des actes de l'une ou l'autre nature soient laissées aux parties qui y figurent? D'ailleurs les vices qui peuvent faire annuler des actes respectueux doivent être connus des ascendans. Il faut donc qu'ils en aient une copie qui les mette à portée de savoir s'ils pourront les critiquer et les déférer aux tribunaux. Mais doit-on aller jusqu'à dire qu'il faille une copie séparée pour chacun des ascendans ? L'affirmative est évidente, lorsque ce ne sont pas deux époux. Quant au cas où ils le seraient, et où il n'y aurait pas séparation entre eux, on ne voit pas pourquoi une copie pourait être utile à chacun d'eux, puisque l'acte ne peut donner lieu, de la part des ascendans, qu'à une demande en nullité ; demande que la femme ne peut seule intenter (3). Cependant de fortes raisons ont fait proclamer le contraire par la Cour de Caen (4).

Quoi qu'il en soit, il faut toujours considérer la jurisprudence des tribunaux comme constante sur ce point, que le notaire doit constater dans son procèsverbal qu'il a notifié séparément à chacun des parens l'acte respectueux (5). Autre chose est de faire cette notification séparée, et de laisser deux copies séparées de l'acte. Au surplus, si l'on admet qu'il faille remettre ces deux copies, il faut, par voie de conséquence, tenir que le notaire doit, dans son

(1) Amiens, 17 prair. an 11, 17 frim, an 12.

(2) Besançon, 12 nov. 1807, t. 1, p. 264, vo Actes respectueux, no g. (3) Bruxelles, 9 janv. 1824, t. 34, p. 359.

(4) Caen, 13 déc. 1812, t. 1, p. 270, v• Actes respectueux, ño 19. (5) Arrêts précités.

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