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solu et obstiné (ainsi le comprenait son amie d'enfance Mme Cornu, qui paraît l'avoir bien connu).

Dès les premiers jours, le désaccord profond éclata par une scène brusque. Le Président avait demandé au ministre de l'Intérieur, L. de Malleville, les pièces relatives à ses complots sous Louis-Philippe; on ne les lui remit pas. On ne lui communiquait pas non plus les rapports reçus par le préfet de police sur les affaires d'Italie. Il écrivit à Malle. ville une lettre irritée où se trahissait en termes napoléoniens l'intention de prendre une part personnelle au gouvernement.

. Ces dépêches doivent m'être remises directement, et je dois vous exprimer tout mon mécontentement de ce retard.... Je n'entends pas non plus que le ministre veuille rédiger les articles qui me sont personnels. Cela ne se faisait pas sous Louis-Philippe et cela ne doit pas être.... En résumé, je m'aperçois que les ministres que j'ai nommés veulent me traiter comme si la fameuse constitution de Sieyès était en vigueur, mais je ne le souffrirai pas. »

Les ministres donnèrent leur démission collective par une lettre au Président, qui le rappelait à la pratique parlementaire. Louis-Napoléon refusa la démission comme «< une calamité pour le pays », et exprima même des regrets. « Cet excellent jeune homme, dit Barrot à ses collègues, est autant à plaindre qu'à blâmer. Son éducation ne l'a point préparé aux devoirs parlementaires. » Mais Malleville maintint sa démission, et Bixio, le seul ministre qui fût républicain, le suivit; ils furent remplacés par des orléanistes.

CONFLIT AVEC

MALLEVILLE.

Louis-Napoléon montrait beaucoup de déférence à Thiers et le fai- INSTallation de sait souvent appeler; mais il ne lui obéissait pas. Thiers lui conseilla LOUIS-NAPOLÉON. de « s'habiller en civil » et de composer sa maison de maîtres des requêtes

pour «<imiter la simplicité américaine »; le prince prit l'uniforme de général de la garde nationale avec un chapeau à plumes blanches, et se constitua une maison militaire, formée d'un colonel aide de camp, trois commandants et cinq capitaines.

Il s'était installé à l'Élysée, habité jadis par la famille de Napoléon Ier; il avait des valets à livrée impériale; dans l'antichambre, des Suisses à hallebarde. Un ancien carrossier de la cour lui procura un grand coupé aux armes impériales, et il acheta deux chevaux qui avaient appartenu au duc d'Aumale. Il sortait souvent à cheval, il montait bien et faisait bonne figure, ayant le buste long et les jambes courtes. Il se mit à visiter les casernes et à se montrer aux revues; les soldats commençaient à crier : « Vive Napoléon! »>

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Louis-Napoléon ne connaissait encore d'autres militaires que de IL NE DISPose pas vieux officiers du premier Empire, sans influence sur l'armée. Les officiers supérieurs en activité étaient orléanistes ou républicains. Le ministère avait réuni toutes les forces militaires de Paris sous le général

LAVISSE.

H. contemp., VI.

9

Changarnier, l'homme de confiance du parti de l'ordre, à la fois général en chef de la garde nationale et commandant de la division militaire de Paris, cumul interdit par la loi. La force militaire n'était pas encore à la disposition du Président pour intervenir dans la politique.

D

VI. LA DECOMPOSITION DE LA MAJORITĖ

ANS l'Assemblée, il restait encore une majorité républicaine, formée par les modérés du National et la Montagne, mais réduite par la défection des hésitants et des indifférents ralliés au ministère. Suivant la tradition républicaine, elle respectait la séparation des pouvoirs et se défiait du régime parlementaire, héritage de la monarchie. Elle n'osait donc pas imposer la pratique parlementaire à un Président si manifestement l'élu de la volonté du peuple, et laissait le gouvernement à la minorité monarchique composée d'hommes plus expérimentés et plus empressés à saisir le pouvoir. Mais, si l'Assemblée renonçait à agir sur le pouvoir exécutif, elle gardait tout le pouvoir législatif; l'Exécutif monarchique pouvait être tenu en échec par le SUR LE TRAVAIL Législatif républicain. La vie politique dépendait donc de la durée de l'Assemblée, sur laquelle le Président n'avait aucun pouvoir. L'Assemblée seule devait décider à quel moment son mandat prendrait fin. La Constitution de 1848 ne fixait que les principes et les organes supérieurs du gouvernement. L'Assemblée avait à régler tout ce qui lui semblerait nécessaire pour transformer le régime monarchique en un régime républicain. Le 9 décembre, par 403 voix contre 178, elle résolut de ne pas se dissoudre avant d'avoir voté dix lois organiques:

DÉCISION

DE L'ASSEmblee.

PROGRAMME

DE DIX LOIS.

PROPOSITION
RATEAU.

MESURES
DE REPRESSION

DE FAUCHER.

2o Conseil

1° Responsabilité des dépositaires de l'autorité publique; d'État; — 3o Régime électoral; — 4° Organisation départementale et communale; 5° Organisation judiciaire; 6° Enseignement; -7° Armée et garde natio

nale;

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8° Presse; 9° État de siège; -10° Assistance publique.

Avec le budget de 1849, il y en avait pour un an au moins.

Le ministère, pressé de se débarrasser de l'Assemblée, lui fit proposer par un représentant du parti de l'ordre, Rateau, de se borner aux deux lois indispensables pour constituer les pouvoirs publics, loi électorale, loi sur le conseil d'État, et de dissoudre l'Assemblée le 19 mars. La Commission conclut au rejet de la proposition. Mais quelques républicains, craignant de paraître se perpétuer au pouvoir contre la volonté du peuple, votèrent avec la Droite. L'Assemblée, par 400 voix contre 396, prit en considération la proposition Rateau.

Le nouveau ministre de l'Intérieur, Faucher, ancien orléaniste de l'opposition dynastique, ennemi ardent des idées socialistes, entreprit la répression de la propagande démocratique; il fit par décret dissoudre

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Le 20 décembre 1848, Louis-Napoléon à la tribune de l'Assemblée, présidée par A. Marrast, prête serment de rester fidèle à la république démocratique, une et indivisible. En avant, ses trois neveux: Jérôme-Napoléon, le prince Murat et Louis-Napoléon, représentants du peuple. Lithographie de Dopter. Bib. Nat. Est. Qb 181.

H. C. VI. PL. 8. PAGE 130.

la Solidarité, et demanda l'urgence pour une loi qui interdisait tous les clubs. L'Assemblée la repoussa, par 418 voix contre 342, et LedruRollin demanda la mise en accusation de Faucher.

LICENCIÉE.

Le gouvernement, n'ayant plus besoin de la garde mobile pour LA GARDE MOBILE maintenir l'ordre dans Paris, la licencia avec un mois de solde. Leurs officiers, brusquement privés d'emploi, envoyèrent des délégués à l'Élysée pour protester; Changarnier en réponse alla à la caserne arrêter deux officiers. Les mobiles se répandirent dans les cafés, les journaux démocrates profitèrent de leur mécontentement pour les exciter à la révolte. Dans la nuit du 28 janvier, la police fit 27 arrestations.

Le 29 janvier, jour où l'Assemblée devait discuter la proposition Rateau, Changarnier, sans prévenir le président Marrast, mit sur pied l'armée de Paris et garnit de soldats les alentours de l'Assemblée. Marrast fit demander les motifs de ce déploiement de forces, Changarnier ne répondit à sa lettre que par un billet qu'il fit porter par un officier responsable, disait-il, de la sûreté de l'Assemblée, il avait dû occuper ces positions; il ne pouvait aller s'expliquer, étant retenu à l'Élysée. A l'Élysée, Changarnier proposait à Louis-Napoléon « d'en finir avec l'Assemblée » par un coup de force. Thiers était là, avec deux chefs du parti de l'ordre (Molé et de Broglie); il s'opposa au coup d'État. D'après son récit, il aurait dit : «< Laissez crier l'Assemblée, Barrot est aussi criard qu'elle; il est fait pour ça, c'est son métier et il le fait bien. Quel mal font ses absurdités, ses violences, ses interruptions? Elles discréditent le Législatif, mais fortifient l'Exécutif.... >> Le Président ne voulut pas d'un coup d'État fait par le général du parti de l'ordre. Changarnier, désappointé, dit à Thiers en s'en allant : «< Avez-vous vu la mine qu'a faite le Président? Après tout c'est un... » (ici une expression militaire de mépris).

L'Assemblée se résigna à un compromis. Au lieu de dix lois, elle décida, par 496 voix contre 307, d'en voter trois seulement avant de se séparer. En fait, elle n'en fit que deux : 1° la loi sur le conseil d'État, suivie de l'élection des conseillers; 2° la loi électorale, qui se borna à maintenir le régime de la loi de 1848.

CHANGARNIER
DÉPLOIE

DES FORCES
MILITAIRES,

ET PROPOSE UN
COUP DE FORCE

CONTRE

L'ASSEMBLÉE.

VII.

LE CONFLIT ENTRE LE GOUVERNEMENT ET L'ASSEMBLÉE

L

E conflit était commencé déjà entre l'Assemblée et le plus ardent des ministres, Faucher. L'Assemblée avait rejeté l'urgence de son projet contre les clubs; la Commission, par 9 voix contre 6, déclara la mesure inconstitutionnelle; le rapporteur Crémieux (20 février) pré

CONFLIT AVEC

FAUCHER.

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