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H. C. VI. PL. 12. PAGE 250.

LA COUR IMPÉRIALE

L'IMPERATRICE EUGENIE ET SES DAMES D'HONNEUR

Cliché Lemare.

Dans un paysage champêtre, l'impératrice (en haul à gauche) est assise au milieu de ses dames d'honneur : la princesse d'Essling, la duchesse de Bassano, les marquises de Las Marismas et de La Tour-Maubourg, la baronne de Pierres, les comtesses de Malaret et de Lezay-Marnézia, el Mme Feray d'Isly. Lithographie d'Aug. Lemoine, d'après la peinture de Winterhalter.

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OFFICIELS.

Désormais l'étiquette de la Cour est fixée. Ce qui varie, ce sont les Divertissements divertissements. Ce ne sont d'abord que des plaisirs officiels. A Paris l'impératrice a sa réception quotidienne de quatre à six; le soir, bal, concert, spectacle. L'Empereur veut que les dignitaires de sa cour et ses ministres donnent des fêtes: on s'est partagé la semaine, la Cour a gardé le jeudi, où se presse une foule de plus de 800 invités. C'est un « tourbillon de fêtes et de plaisirs ».

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On cherche bientôt des distractions plus imprévues et plus variées. « Dans tous les salons on s'amuse à faire tourner les tables »>, dit Hübner (en mai 1853), et (en décembre) il note que l'impératrice « s'est donnée avec toute l'ardeur de sa nature andalouse aux tables tournantes ». Ce sont des dames russes qui opèrent, la table frappe deux coups pour le tsar, trois pour l'Empereur. En 1854, on fait venir à la Cour un magnétiseur qui endort un assistant et lui fait prédire la guerre. La grande maîtresse de la maison de l'impératrice, la comtesse Tascher de la Pagerie, ayant donné en 1854 un bal masqué, formé suivant la tradition bourgeoise de pierrots et de pierrettes, la mode se met aux bals costumés. Les dames du monde officiel paraissent déguisées en marquises, en bergères, en folies, les hommes en Turcs et en Grecs. L'Empereur et l'impératrice, en dominos, officiellement couverts par un incognito qui ne trompe personne, assistent à un quadrille de paysans napolitains couronnés de pampres; pour les mettre à l'abri d'un mauvais coup, la maîtresse de la maison, avant de laisser entrer aucun invité, l'a regardé démasqué. On s'amuse aussi aux jeux innocents et aux charades à la fin de 1833, Hübner en voit jouer une dont le mot est Musard (c'est le nom d'un bal public à la mode); on fait muse, arrhes, et le tout se termine par une « danse à la musarde; l'Empereur danse avec l'impératrice ». La tante de Napoléon III, la grandeduchesse de Bade, « ne cache pas sa douleur et sa surprise », puis « son indignation ». Les divertissements, gênés en 1855 par la guerre et l'Exposition, reprennent en 1836. On joue une charade dans l'intimité (devant plus de 80 personnes). On joue aux Tuileries Les deux Aveugles d'Offenbach.

Le 16 mars, l'impératrice met au monde le prince impérial : le pape accepte d'être son parrain; le baptême, où il se fait représenter par un légat, est l'occasion d'une grande fête (14 juin).

En 1857, au Carnaval, l'impératrice paraît dans un bal costumé, en Diane chasseresse, puis en dogaresse, l'Empereur en chevalier noir et rouge. Au bal costumé du ministre des Affaires étrangères, Mme de Castiglione, la favorite du moment, est en magicienne de Bohême avec un corsage très échancré, une jupe très courte, les cheveux épars; l'Empereur et l'impératrice se promènent en dominos, « s'imaginant ne

TABLES

TOURNANTES.

BALS MASQUÉS.

CHARADES.

NAISSANCE

DU PRINCE
IMPÉRIAL.

BALS COSTUMES

AMUSEMENTS
IMPROVISÉS.

SÉANCES

DE SPIRITISME.

EFFET
SUR L'OPINION.

pas être reconnus ». Au printemps de 1857, fète champêtre à Villeneuvel'Étang. Après le déjeuner sous la tente et les courses sur l'herbe, on a joué à l'assaut de Malakoff; le mamelon qui figure la tour est défendu par l'impératrice et ses dames, attaqué par l'Empereur à la tête des hommes. « C'était, dit Hübner, un peu trop gai et trop intime pour l'occasion. » Dans le monde orléaniste on raconte que « l'Empereur monte à l'assaut à quatre pattes », et « prend les dames par les pieds ». En automne (1856) commence le régime des invitations à Compiègne par séries d'invités de 8 jours chacune. La réception a son cérémonial réglé à l'entrée du château une haie de laquais, à chaque porte deux Cent-gardes; le préfet du palais reçoit chaque invité et met un domestique à son service. Le dîner, de cent couverts, se donne dans une grande galerie dorée à colonnes aux sons d'une musique militaire, derrière chaque invité un laquais. La soirée qui suit est «< guindée et raide ». Pour « tuer ces longues soirées », dit la comtesse Tascher, on danse avec une espèce de piano-mécanique. A minuit on est couché. Les invités sont libres toute la matinée jusqu'au déjeuner; à deux heures l'impératrice décide l'emploi de la journée. S'il n'y a pas de chasse, on part en chars à bancs; le but habituel de la promenade est le château de Pierrefonds, alors en ruines. Un jour qu'il fait froid on s'est réchauffé en chantant et dansant la boulangère; on a fait la promenade dans les ruines en se tenant par la main, l'Empereur menant la chaîne. Pour se distraire on passe la revue des toilettes; la crinoline est apparue. « les uns disent que c'est hideux, d'autres que c'est cossu ».

Dans l'hiver de 1857 un médium écossais, Hume, qui prétendait converser avec les esprits, fut reçu à la cour, fit parler une table au nom de la reine Hortense qui prédit une guerre de deux ans. Dans la demi-obscurité on vit un accordéon s'enlever de terre et jouer, les robes des dames furent tirées par des mains inconnues, une table de 12 couverts fut soulevée. Au printemps, les réceptions à Fontainebleau furent organisées avec des chasses avec déjeuner sur l'herbe, des courses dans la forêt; le soir, des jeux, des charades, des danses et, un colin-maillard, jeu favori de l'impératrice.

Ces divertissements, qui nous semblent enfantins, firent scandale comparés à la vie dévote de la cour des Bourbons et à la vie bourgeoise de la famille d'Orléans. Les adversaires du régime racontaient « les orgies » de la cour impériale, c'était un sujet de chansons et de pamphlets. Il est vrai que les officiers de « la jeunesse dorée » gardaient des allures cavalières en désaccord avec le ton de dignité que Napoléon voulait faire prendre à sa Cour. La grande maîtresse se plaint qu'à Fontainebleau, « le clan des viveurs », réfugié dans un salon du rez-dechaussée, se conduisait «< avec sans gêne », et « l'impératrice les tolé

rait». Cette alternance de cérémonies et de laisser-aller donnait l'impression de parvenus essayant de jouer un rôle trop lourd pour eux. Ce luxe de costumes, de laquais et de dorures sentait trop le neuf; Hübner, habitué aux manières d'une vieille Cour, trouve (1858) cette magnificence << théâtrale et improvisée. L'étiquette ne se fait accepter de nos jours que lorsque ses origines se perdent dans la nuit des temps. »

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APOLÉON III exerce vraiment les pouvoirs que la Constitution. lui confère; il « gouverne par les ministres ». Il se fait renseigner et conseiller, mais c'est lui qui décide tout. Il disait en 1854 au prince Albert qu'il ne permettait pas à ses ministres de discuter les affaires. Il se tenait aux Tuileries le matin, d'ordinaire deux fois par semaine, une réunion des ministres; mais elle ne ressemblait pas au Conseil des ministres délibérant des régimes parlementaires. L'Empereur, qui fixait l'ordre du jour, n'y mettait que les affaires d'administration et de finances où il lui plaisait d'être éclairé par une discussion contradictoire il écoutait, puis congédiait les ministres. La réunion n'avait rien à voter, ni à faire signer. L'Empereur donnait les signatures à chaque ministre individuellement avant ou après la séance; il décidait les questions importantes dans son cabinet avec le ministre compétent.

Napoléon III, ennemi du régime parlementaire, tenait beaucoup à sa qualité de chef d'État responsable. Il écrivait à Vaillant (1856), à propos d'instructions où l'on avait oublié de mentionner son nom :

Dans un gouvernement bien organisé et même constitutionnel comme l'Angleterre, toute décision grave est prise au nom du souverain; à plus forte raison pour un gouvernement comme le mien, où je veux et où je dois tout savoir, où la responsabilité des faits m'incombe seul. Autrement nous aurions tous les inconvénients du régime représentatif sans en avoir les avantages. Car, avec ce système, si les ministres étaient responsables de leurs actes, ils avaient le contrôle des Chambres. Mais aujourd'hui, si un ministre..., sans s'être concerté avec moi, arrête des mesures hors de la sphère commune, il se met en opposition directe avec l'esprit de la Constitution. Il relevait dans le rapport d'un général au ministre « cette phrase inconvenante: Pour remplir vos intentions et celles de l'Empereur » — plus inconvenante chez un militaire; car le plus beau titre d'un souverain en Europe a toujours été celui de chef de l'armée ».

Napoléon III fit l'expérience de ce que signifie « tout savoir » pour le souverain d'un grand État administré par des fonctionnaires.

Je suis responsable de fait et de droit de tout ce qui se passe », écrivait-il à Vaillant en 1856, et j'en ignore cependant une grande partie. Si j'envoie directement un officier prendre des informations sur les lieux, tous les agents se concertent pour les lui déguiser, et s'il signale un de ces mille abus inséparables de la nature des choses, on lui garde rancune au lieu de lui savoir gré. »

MÉTHODE DE TRAVAIL

DE NAPOLÉON.

SA CONCEPTION
DE SON ROLE.

IMPUISSANCE

ENVERS

LES BUREAUX.

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