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RAPPORT

FINANCIER DE
GARNIER-PAGĖS.

RÉDUCTION

DES REMBOUR

SEMENTS.

OFFRANDES
PATRIOTIQUES.

VI. LES MESURES FINANCIÈRES DU GOUVER

NEMENT1

G

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ARNIER-PAGÈS ne voulait employer que les procédés réguliers. Il essaya de se procurer de l'argent en faisant appel au patriotisme. Il publia le 10 un « Rapport sur la situation financière de la République », où il promettait « la vérité, tout entière, sans crainte, mais sans ménagements ». La monarchie était responsable de la crise; elle avait accru la dette de près d'un milliard, mis le budget en déficit, entrepris des travaux «< sans mesure », laissé une dette flottante, immobilisé les fonds des caisses d'épargne. Cette situation, «< la République l'accepte », et elle va la liquider. « Comm ent? » Par « des mesures sages, énergiques, promptes ». Pour «< empêcher que les espèces ne s'écoulent du Trésor », elle réduira le nombre des emplois tout en accordant «< une juste rémunération (point de sinécures, peu d'employés, bien payés). » Pour faire rentrer le numéraire dans les caisses on vendrait les diamants de la Couronne, on ferait fondre l'argenterie du Roi, ce qui « aurait le caractère d'une expiation »; on vendrait une partie des forêts de l'État («< ces magnifiques propriétés ne rapportant guère que 2 p. 100 »); et surtout on émettrait un emprunt national en rente 5 p. 100 au pair, pour lequel on pouvait compter sur « la magnifique expansion de patriotisme, de dévouement, d'abnégation » suscitée par la République. « Un grand nombre de citoyens » avaient «< offert au gouvernement le don de sommes considérables ». Ainsi la situation n'avait «< plus rien d'effrayant », et le rapport concluait : « La République a sauvé la France de la banqueroute. »

Mais déjà on frappait d'une mesure révolutionnaire les créanciers des caisses d'épargne qui réclamaient leurs dépôts. Le gouvernement, ayant reconnu que « la plupart des gros dépôts appartenaient à des familles aisées, » décidait de ne rembourser en numéraire que les dépôts inférieurs à 100 francs. Au-dessus de 100 francs, il rembourserait la moitié en rentes 3 p. 100 au pair : c'était une banqueroute d'un tiers. Les bons du Trésor échus étaient remboursés en rentes au pair : ce qui faisait perdre de 25 à 40 p. 100.

Pour couvrir l'emprunt, Garnier-Pagès comptait sur l'enthousiasme civique. Depuis qu'on savait le Trésor dans la détresse, beaucoup de républicains, surtout des ouvriers, apportaient naïvement à l'Hôtel de Ville de petites sommes, ou même des bijoux. Une «< commission des dons et offrandes patriotiques » les recevait. Ce fut une affluence de gens de

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1. Garnier-Pagès (tendance apologétique). Annuaire historique (hostile au gouvernement). Courtois, Histoire de la Banque de France... 1875. A. Antony, La politique financière du Gouvernement provisoire, 1910.

tous les métiers, venant offrir une partie de leurs économies ou le salaire de leurs journées de travail. Il y eut des cas touchants. Un ouvrier écrivit : « J'ai pour toute fortune 500 francs à la caisse d'épargne; je vous prie de m'inscrire pour 400 francs. » Les ouvriers imprimeurs sur étoffes, durement atteints par le chômage, apportèrent 2000 francs. Ce fut un élan spontané, semblable au mouvement d'offrandes prussien de 1813, que les historiens allemands ont célébré. Mais les possesseurs de fonds ne poussèrent pas le patriotisme jusqu'à payer 100 francs un titre de rente qui à la Bourse n'en valait pas 70; l'emprunt national ne fut pas couvert.

Le numéraire se retirait de plus en plus. La Banque de France avait continué de faire l'escompte au commerce et de rembourser ses billets en argent (elle n'émettait alors que des billets de 1 000 et de 500 francs). Les demandes de remboursement étaient devenues rares, et la crise semblait évitée quand le bruit courut à la Bourse peut-être répandu à dessein — que la Banque avait fermé ses guichets : les changeurs exigèrent un agio de 50 francs pour changer un billet de 1 000 francs. Les porteurs de billets de banque se présentèrent alors en si grande foule à la Banque qu'on ne parvint pas à les servir tous : la Banque ferma ses portes. Le 15 mars au soir, il ne lui restait en caisse que 59 millions à Paris, 64 dans les départements, contre un passif de 260 millions de billets en circulation et 85 millions de comptes courants.

Garnier-Pagès se résigna à l'expédient traditionnel des temps de crise, le cours forcé des billets de banque. Mais, pour se concilier le monde des affaires, il attendit que le gouverneur de la Banque vint solliciter l'intervention de l'État. Ce fut le conseil de la Banque' qui demanda le cours forcé. Le gouvernement, couvert par cette démarche officielle, ordonna, par le décret du 15 mars, que les billets seraient reçus comme monnaie légale; la Banque était « jusqu'à nouvel ordre » dispensée de les rembourser en espèces; elle publierait tous les huit jours sa situation; le chiffre d'émission des billets serait limité à 350 millions. Le cours forcé fut bien accueilli : les billets, après avoir un peu baissé, remontèrent au pair; la Banque put prêter de l'argent à l'État.

Il fut plus difficile de procurer des ressources au Trésor. Les propositions ne manquaient pas; mais le gouvernement les rejeta toutes parce qu'elles risquaient d'ébranler le crédit ou ne procuraient pas de ressources immédiates; il ne voulait pas effrayer le monde des affaires, et il ne pouvait pas attendre. L. Blanc demandait une Banque d'État avec

1. Dans le récit de Garnier-Pagès la proposition du cours forcé apparaît comme « une réponse inattendue » du ministre des Finances qui en aurait pris l'initiative. « Le gouverneur et le sous-gouverneur de la Banque se sentent délivrés. » On convient ensuite que la Banque paraîtra faire spontanément la demande et la justifiera devant le public.

L'ENCAISSE

DE LA BANQUE
ÉPUISÉE.

COURS FORCE.

PROJETS

DE RECETTES.

L'IMPOT DES

45 CENTIMES.

COMPTOIR
D'ESCOMPTE.

pouvoir d'émettre des billets, mais c'eût été ruiner les billets de la Banque de France et évoquer le spectre des assignats. On proposa de confisquer les domaines de la famille d'Orléans, mais on craignit d'effrayer les propriétaires. On proposa une suspension des paiements, mais la banqueroute, même partielle, parut dangereuse. On parla d'anticiper sur les recettes en faisant payer d'avance les contributions de l'année, mais cet expédient aurait jeté le désordre dans la perception. La vente des forêts ne pouvait être exécutée sur-le-champ. L'impôt sur le revenu, que le gouvernement adoptait en principe, exigerait plusieurs mois pour être organisé. Élever les impôts indirects eût été contraire aux principes du gouvernement, qui condamnait l'impôt de consommation comme pesant plus lourdement sur le pauvre.

Le gouvernement se rabattit sur le procédé le plus expéditif, conseillé par les journaux conservateurs et autorisé par des précédents (1813, 1814, 1815, 1830). Il décida un supplément exceptionnel aux contributions directes, et le fit porter, non seulement sur le principal dû à l'État, mais sur les centimes additionnels du département et de la commune, parce qu'il fallait l'établir sur les rôles déjà préparés. On ne discuta que le chiffre du supplément. La majorité voulait doubler la contribution (comme en 1814 et 1813); Garnier-Pagès déclara n'avoir besoin que de 45 p. 100. Ledru-Rollin et Louis Blanc proposèrent d'épargner les petits contribuables en fixant un minimum au-dessous duquel on serait exempt; Garnier-Pagès représenta qu'il serait plus pratique de dégrever ceux que le percepteur jugerait incapables de payer. « Vous ne connaissez pas la campagne, dit le vieux Dupont : en ce cas on ménage le riche qui a de l'influence, plutôt que le pauvre. » Le décret du 18 mars établit un impôt supplémentaire de 45 centimes par franc sur toutes les contributions directes; les percepteurs dresseraient plus tard la liste des contribuables à dégrever.

Le gouvernement essayait aussi d'aider les commerçants et les industriels à traverser la crise. Pour remplacer les banques en faillite qui fournissaient la troisième signature exigée par la Banque de France, un décret du 7 mars créa à Paris un Comptoir national d'escompte, destiné à escompter les effets à deux signatures, et à faire les opérations de banque, encaissements, recouvrements, comptes courants. Un comptoir analogue devait être créé dans chacune des villes de commerce (en trois ans il s'en créa 62). Le capital était formé de trois parts égales, fournies par l'État, par la ville, par des actionnaires associés; mais l'État payait en bons du Trésor, les villes en obligations, les actionnaires seuls fournissaient de l'argent comptant. Il aida à liquider << l'encombrement des portefeuilles » en escomptant 243 millions d'effets en 1848.

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LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE

Rangée du haut (de gauche à droite): Carnot, Cavaignac, Bethmont. 2 rang: Flocon, L. Blanc, Dupont de l'Eure, A. Marrast. 3 rang: Crémieux, Albert, Ledru-Rollin, Marie. Rangée du bas: Arago, Lamartine, Garnier-Pagès. Au-dessous, la Liberté, debout Lithographie anonyme, Bib. Nat. Est. Qb 178.

sur les barricades de février.

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