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LIVRE PREMIER

LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE

LA RÉPUBLIQUE

CHAPITRE PREMIER 2

I. LES CONDITIONS SOCIALES ET POLITIQUES DE LA RÉVOLUTION.

II. L'INSTALLATION DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

III. LA PROCLAMATION DU DROIT

--

AU TRAVAIL (25 FÉVRIER). IV. LE REFUS DU DRAPEAU ROUGE (23-26 FÉVRIER).
V. L'ABOLITION DE LA PEINE DE MORT EN MATIÈRE POLITIQUE. VI. LA CRÉATION DE LA
COMMISSION POUR LES TRAVAILLEURS ET LES PROMESSES FISCALES.

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VII. L'ACCEPTATION

IX. LES ADHÉSIONS

I. LES CONDITIONS SOCIALES ET POLITIQUES DE LA RÉVOLUTION

L

A Révolution de 1848, si grosse de conséquences imprévues, nous DIFFERENce des est à peine intelligible aujourd'hui; car la génération qui l'a faite, bien que placée à égale distance entre la Révolution française et notre

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1. BIBLIOGRAPHIE DES SOURCES. Catalogue de l'histoire de France, de la Bibliothèque nationale, t. IV, 1857 (Histoire par règnes et journaux), t. XI, 1879 (Supplément). — P. Caron Bibliographie des travaux publiés de 1866 à 1897 sur l'histoire de France,... 1907-12. G. Brière et P. Caron, Répertoire méthodique de l'histoire moderne et contemporaine de la France, annuel pour les années 1898 à 1903, en 2 séries de 1904 à 1909, depuis 1910 publié dans la Revue d'histoire moderne et contemporaine (indique les ouvrages, les articles de périodiques et les comptes rendus critiques). Ch. Schmidt, Les sources de l'histoire de France depuis 1789 aux Archives nationales, 1907. Lorenz et Jordell, Catalogue général de la librairie française, 26 vol., 1840-1915, en 16 séries (tables analytiques des matières à la fin de chaque série). – P. Caron, Sources manuscrites parisiennes de l'histoire... de la deuxième République, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1904-05. Les documents administratifs (rapports des commissaires de 1848 ou des préfets de 1848 à 1852) ont presque tous disparu; ce qui s'est conservé, ce sont les documents judiciaires (rapports des procureurs) versés aux Archives nationales. Sur les Archives départementales, voir, dans la Révolution de 1848, t. VI, Nole sur les sources de l'histoire de la deuxième République dans les archives départementales.

SOURCES. I. OFFICIELLES. Le Moniteur universel publie tous les actes du gouvernement et les discours de ses membres. Em. Carrey, Recueil complet des actes du Gouvernement provisoire, 1848. Duverger, Collection des lois, 1 vol. par an, donne le texte des lois et décrets, avec des annotations utiles. Les Procès-verbaux du Gouvernement provisoire et de la Commission exécutive, conservés aux Archives de la Chambre des députés, sont restés inédits, cachés dans le dossier de l'enquête sur l'insurrection de juin. Ils sont analysés

CONDITIONS DE LA VIE EN 1848 ET DE NOS JOURS.

LAVISSE.

H. contemp., VI.

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époque, vivait dans une condition sociale et politique bien plus proche du XVIIIe siècle que du xxe.

En cet åge antérieur aux chemins de fer et à la télégraphie électrique, temps de communications lentes et de déplacements rares, les Français, même des classes aisées, sont encore enfermés dans un cercle étroit d'habitudes et d'idées traditionnelles qui se renouvellent très lentement. La production économique reste liée aux procédés antiques : en agriculture, la jachère, les prairies naturelles, le fumier de ferme; en industrie, le travail à la main des artisans ou des ouvriers à domicile; la grande industrie naissante n'use qu'exceptionnellement des machines. La division de la société en classes est accentuée par la différence de costume, de manières et de langage entre le peuple et la bourgeoisie. L'instruction est très médiocre dans toutes les classes. Le tiers des hommes, les trois quarts des femmes n'ont même pas appris à lire. Les paysans et les ouvriers ne lisent pas, il n'y a pas de journaux populaires, les livres sont encore un luxe. Les bourgeois et les nobles ont reçu l'instruction «< classique classique » formelle dont ils retiennent quelques souvenirs littéraires, mal complétée par les journaux, pauvres de contenu.

dans Ch. Seignobos. Les procès-verbaux du Gouvernement provisoire (Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1906). II. JOURNAUX (Voir Catalogue de l'histoire de France, t. IV). Les plus importants sont le National (républicain gouvernemental); le Journal des débats, le Constitutionnel (orléanistes); l'Univers (catholique); l'Assemblée nationale (légitimiste); la Réforme (républicain démocratique); la Démocratie pacifique (socialiste fouriériste); la Gazette des tribunaux, le Droit (donnent le compte rendu des procès politiques). — Lesur, Annuaire historique (année 1848), conservateur, résume les événements de l'année. III. SOUVENIRS, RÉCITS ET APOLOGIES (la plupart ne contiennent que quelques détails utilisables et ne seront cités qu'aux passages où ils ont fourni un renseignement): Lamartine, Histoire de la Révolution de 1848, 2 vol. 1849; Trois mois au pouvoir, 1848 (recueil de discours précédé d'un récit daté du 25 août). L. Blanc, Histoire de la Révolution de 1848, 2 vol. 1870 (recueil d'études publiées de 1849 à 1859). Caussidière, Mémoires, 2 vol. 1849. - Le récit le plus détaillé et le plus sûr pour l'histoire du Gouvernement provisoire est GarnierPagès, Histoire de la Révolution de 1848, 10 vol., 1860-71; compilation de renseignements tirés des documents contemporains; l'auteur a utilisé les notes inédites prises par Pagnerre pendant les séances du gouvernement, beaucoup plus instructives que les procès-verbaux. A. Delvau, Histoire de la Révolution de février 1850 (secrétaire de Ledru- Rollin). OUVRAGES.

Des nombreuses histoires publiées un peu après la Révolution (F. Girard, L. Gallois, H. Castille, Granier de Cassagnac, Gradis), la plus lisible est Daniel Stern (pseudon. de la comtesse d'Agoult), Histoire de la Révolution de 1848, 3 vol., 1850-53. - Principales histoires d'ensemble: V. Pierre, Histoire de la deuxième République française, 2 vol., 1873-78. P. de la Gorce, Histoire de la seconde République française, 2 vol., 1887, tous deux royalistes. G. Renard, La République de 1848, 1906; Noles et références, 1906 (fait partie de T'Histoire socialiste). G. Bouniols, Histoire de la Révolution de 1848, 1918. Ad. Stern, Geschichte Europas (voir p. 280). A. Crémieux, La Révolution de février, 1912, donne la bibliographie et l'historiographie des travaux sur la Révolution et la République. Sur la province, Gossez, Le département du Nord sous la deuxième République, 1904. Dutacq, Histoire de Lyon pendant la Révolution de 1848, 1910. P. Muller, La Révolution de 1848 en Alsace, 1912. G. Weill, Histoire du parti républicain en France de 1854 à 1870, 1900. - Une revue spéciale, La Révolution de 1848, rédacteur en chef G. Renard, paraît depuis 1904. 2. SOURCES. A. Crémieux, La Révolution de février. Étude critique sur les journées des 2124 février 1848, 1912 (récit détaillé et bibliographie critique très complète). Les principales sources sont le Moniteur, Garnier-Pagès, Louis Blanc, corrigé par Caussidière et les récits, contre-révolutionnaires publiés en 1850 par des témoins oculaires suspects, Drevet, Chenu Bouton, Lahodde, Lucas.

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La vie politique, réservée aux classes aisées, qui forment le corps électoral et la garde nationale, n'a jamais été active; elle est engourdie depuis 1840 par la pression gouvernementale. La bourgeoisie elle-même, qui a le monopole du pouvoir, a peu d'instruction politique; elle ne sait presque rien ni de l'étranger, ni du passé de la France, ni de la réalité présente. Tout le reste de la nation est tenu à l'écart de la vie publique, et même de l'administration locale. Les bourgeois, le clergé, les ouvriers, les paysans sont mécontents, pour des motifs différents, mais l'opposition politique se réduit à un mécontentement vague. On a discuté si la monarchie de juillet a été emportée par un mouvement profond ou brisée par un accident superficiel; la Révolution prouve du moins que la machine politique était en équilibre instable; l'assaut a été donné par une très petite minorité qui ne savait même pas précisément ce qu'elle voulait, mais la majorité est restée inerte, et le personnel monarchique s'est senti si impopulaire qu'il n'a pas osé résister.

La place abandonnée par la bourgeoisie royaliste a été prise par <«<les hommes de 48 », pleins de bonne volonté et dépourvus d'expérience. Leurs idées théoriques consistaient en doctrines juridiques apprises à l'École de droit ou en formules humanitaires répandues par les écoles socialistes. La compression qui pesait sur la presse et les associations ne leur avait laissé faire aucun apprentissage politique par la discussion. Le romantisme les habituait aux effusions de sentiments vagues et au lyrisme grandiloquent; leur naïveté les faisait prompts à l'enthousiasme et à l'indignation, ignorants des forces réelles et des procédés d'action de la vie pratique.

La sagesse politique de ce temps se résumait dans la devise Ordre et liberté, commune aux orléanistes et aux républicains. La France avait souffert tantôt d'un excès d'autorité, tantôt d'une licence désordonnée; le remède était un équilibre entre l'ordre indispensable à la vie sociale et la liberté nécessaire au progrès. Mais par quels moyens l'établir? et dans quelle mesure? Cette génération, habituée à voir la garde nationale intervenir dans la politique, n'éprouvait pas de scrupule à faire défendre les droits civiques par les citoyens en armes, même contre le gouvernement, et ne s'interdisait pas le recours à l'insurrection. Cependant, sauf le petit groupe blanquiste prêt à imposer par un coup de force la dictature du prolétariat, les républicains eux-mêmes désiraient s'en tenir aux procédés légaux et aux manifestations pacifiques.

FAIBLESSE de
L'ÉDUCATION
POLITIQUE.

ORDRE ET LIBERTÉ.

DÉSIR D'AMÉ

DU PEUPLE.

Tous reprochaient à la monarchie censitaire d'avoir négligé le peuple, et jugeaient nécessaire d'améliorer le sort des travailleurs. Mais, LIORER LE Sort sur la voie à suivre, un désaccord profond les divisait en deux camps. Les modérés et les timorés, préoccupés de préserver l'ordre social contre le danger d'expériences subversives, voulaient une révolution

IGNORANCE

DE LA VIE

DES OUVRIERS.

ACTES

IRRÉFLÉCHIS.

purement politique; la république démocratique fondée sur le suffrage universel suffirait à fournir au peuple l'instrument pour transformer sa condition. Les démocrates ardents, résolus à des innovations immédiates, réclamaient la révolution sociale pour calmer les souffrances et les colères des ouvriers, sans préciser le rôle de l'État dans cette transformation économique.

Pour la première fois en France les hommes politiques s'intéressaient aux classes populaires, mais sans les connaître. La masse ouvrière, paralysée par la surveillance de la police, n'avait ni organes pour se faire connaître ni groupements pour se concerter et prendre conscience de ses intérêts et de ses désirs. Aujourd'hui que le journal, le roman, la littérature sociale ont familiarisé le public français avec la vie et les sentiments des travailleurs manuels, nous avons peine à nous représenter combien les bourgeois d'alors comprenaient mal les paysans qu'ils voyaient à la campagne et au marché, les ouvriers qui habitaient les étages supérieurs de leurs maisons. Les conservateurs se les figuraient avides de pillage et de massacre, et croyaient que « les partageux » communistes voulaient mettre les terres en commun pour les partager; ils ne se rassurèrent même pas après avoir vu les gens du peuple respectueux de la religion et de l'instruction, toujours prêts à accepter pour chefs les notables bourgeois. Mais les démocrates qui s'apitoyaient sur les misères des travailleurs, même ceux qui les avaient visités comme médecins ou défendus comme avocats, ne connaissaient guère mieux leurs peines, leurs travaux, leurs réclamations. Les chefs d'écoles socialistes eux-mêmes n'étaient pas en relations personnelles avec les ouvriers.

Les hommes investis par une révolution imprévue d'un pouvoir illimité se trouvaient brusquement contraints d'improviser la solution de tous les problèmes pratiques posés par la transformation démocratique des institutions, sans autre guide que des doctrines abstraites exprimées dans une langue vague. L'inexpérience enthousiaste, la candeur des sentiments, la bonne volonté innocente qui font le charme des hommes de 48 se combinaient avec la confusion de leurs idées pour rendre leur conduite désordonnée à l'instant où le désarroi de la société donnait à l'action des individus une puissance exceptionnelle. Leurs actes, accomplis sans but précis, au moyen de forces obscures, parmi des dangers imprévus, au hasard des impulsions irréfléchies ou des contraintes du moment, ont eu des conséquences décisives pour le sort de la France. L'historien, pour les rendre intelligibles, est obligé de les exposer jusque dans le détail des accidents individuels, et de s'efforcer d'en préciser les motifs, au risque parfois d'en fausser le sens.

II.

L'INS TALLATION DU GOUVERNEMENT

PROVISOIRE

ENDANT que la Chambre des députés tentait d'établir la régence

séances, mit fin à la royauté, et du même coup écarta du pouvoir le personnel de l'opposition royaliste. Thiers et Odilon Barrot, ministres in extremis de Louis-Philippe, n'avaient pas même eu le temps d'entrer en fonctions. Le gouvernement légal étant détruit, la place restait libre pour un régime nouveau.

En attendant l'Assemblée, seule qualifiée pour donner à la France un gouvernement définitif, on créa un Gouvernement provisoire. Ce fut en apparence une résolution improvisée par la foule dans le tumulte de la salle envahie. Mais elle avait été préparée par une réunion tenue avant midi aux bureaux du National, organe des républicains bourgeois. Le « Comité de direction » avait dressé d'abord une liste de six noms, trois députés républicains (Arago, Marie, Garnier-Pagès), Marrast, rédacteur en chef du National, Lamartine, O. Barrot; il avait écarté LedruRollin de peur d'effrayer la bourgeoisie. Mais la foule, réunie sous les fenêtres, avait envahi les bureaux et dressé des listes différentes, sans Marrast ni Barrot, avec Ledru-Rollin, Crémieux, Dupont.

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A la tribune de la Chambre, Lamartine annonça :

Le gouvernement aura pour mission: 1° d'établir la trêve indispensable et la paix publique entre les citoyens; 2° de préparer à l'instant les mesures nécessaires pour convoquer le pays tout entier... et pour consulter... tout ce qui porte dans son titre d'homme le droit de citoyen....

Le vieux Dupont (de l'Eure), installé au fauteuil du président, lut la liste du National. Il fut interrompu, après le cinquième nom, par les cris « La République! A l'Hôtel de Ville! » Une partie de la foule sortit avec Lamartine. Ledru-Rollin, monté à la tribune, reprit la liste. « Nous ne pouvons pas, dit-il, présenter à la France des noms qui ne seraient pas approuvés par vous. » Alors, improvisant un simulacre d'élection par le peuple, il lut les noms un à un. La foule criait : Oui, ou Non; les sténographes prenaient note.

DESTRUCTION DE LA ROYAUTÉ.

PROCLAMATION

DU

GOUVERNEMENT
PROVISOIRE.

Les quatre premiers noms étaient connus et populaires. Dupont, Les membres du né en 1767, membre du Conseil des Cinq cents, collègue de Laffitte GOUVERNEMENT. en 1830, vénérable relique de la première Révolution, patriarche de la

démocratie, respecté pour sa vie intègre, représentait la tradition républicaine. Lamartine, dont le nom illustre devait servir à rassurer la bourgeoisie française et les gouvernements d'Europe, venait de conquérir aussi le peuple républicain de Paris par son Histoire des Giron

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