Page images
PDF
EPUB

Depuis longtemps des ministres réformateurs, comme Machault, Silhouette, Turgot, avaient proposé ou même entrepris des réformes dans l'assiette des impôts. Mais ces réformes semblaient incompatibles avec une société fondée sur des privilèges, et elles avaient été repoussées ou détournées en partie de leur but. Pourtant le danger était devenu si évident sous le règne de Louis XVI que des hommes dévoués au parti des privilégiés, quand ils arrivaient au ministère, se trouvaient amenés à chercher eux-mêmes un remède dans des réformes égalitaires. Après Necker qui avait été disgracié pour avoir formé des projets trop hardis, Calonne, le favori de la cour, quand il s'était senti à bout de ressources, s'était montré plus hardi encore en proposant l'impôt territorial. Brienne, qui le renversa comme coupable d'avoir voulu porter atteinte aux droits des privilégiés, proposa à son

[blocks in formation]

dont il faut déduire les assignations, les frais de perception, etc. qui n'étaient pas à la disponibilité du Trésor (258.425.785 livres), et les moins-values (2,280,787 livres), soit. .

Restait disponible.

Cette dernière somme se composait de : Revenus ordinaires, évalués à 213,989,764 livres, dont il y avait à déduire, pour les insuffisances de recettes du Languedoc, 2,280,787 livres; il restait donc . . .

Ressources extraordinaires (que le ministre se proposait d'obtenir par des assignations sur les recettes futures, par des emprunts, etc.) Soit au total.

211.708.977 livres

168.130.500 livres
379.839.477 livres

640,546.049 livres

260.706,572 livres

379.839.477 livres

[merged small][merged small][ocr errors]

Pour y faire face, le ministre se proposait d'obtenir par des ressources extraordinaires la somme de .

372.444.469 livres 211.708.977 livres 160 735.492 livres

168.130.500 livres

Les principales recettes ordinaires (recettes brutes) étaient les fermes générales (gabelles, tabac, octroi de Paris, douanes, etc.), 150 millions; les recettes générales (taille, capitation, vingtièmes, etc.), 156 millions; la régie générale des aides, 52 millions; les domaines, 51 millions; les fermes des postes et des messageries, 16 millions; la loterie royale, 10 millions. Comme recette nette, le Trésor ne touchait que 18 millions sur les fermes générales, 11 sur les aides, tandis qu'il en touchait 113 sur les recettes générales.

Les principales dépenses étaient la maison du roi et celles des princes, 163 millions (quoiqu'elle eût été réduite); la guerre et la marine,148 millions; les remboursements à terme fixe, 50 millions; les pensions, 32 millions, etc.

Quand on compare ce budget avec celui que Necker présenta l'année suivante pour 1789, on est étonné de la différence de plusieurs chapitres. Ainsi, les maisons royale et princières ne figurent plus que pour 33 millions; les rentes perpétuelles et viagères figurent pour 162 millions en 1789, tandis qu'on trouve à peine 100 millions dans quatre chapitres (9, 12, 13, 14) de 1788, etc. La comptabilité était loin d'être encore régulièrement établie.

tour le même impôt sous un nom différent et fut renversé comme lui. Les notables n'avaient rien accordé parce qu'on leur demandait le sacrifice d'une partie de leurs privilèges. Le nouveau contrôleur général, plus incapable que son prédécesseur, se trouvant en face des mêmes difficultés, voulut emprunter; puis, n'ayant pas trouvé de prêteurs, il prorogea d'un an, sans consulter ses créanciers, le remboursement des assignations et il paya en papier les deux cinquièmes des rentes perpétuelles et viagères: double banqueroute. Il ne payait ses dépenses journalières qu'avec les billets de la Caisse d'escompte, auxquels il avait donné cours forcé 1. Quand Necker fut appelé à lui succéder, il n'y avait que quatre à cinq cent mille livres dans le Trésor. Depuis l'avènement de Louis XVI, l'État avait emprunté 1 milliard 740 millions en rentes constituées et traînait derrière lui une dette flottante de plus de 600 millions. Le cours forcé des billets de la Caisse d'escompte, la rareté du numéraire et le change défavorable qui en étaient les conséquences, la langueur des affaires au milieu des préoccupations politiques, les misères aggravées par un hiver très rigoureux, les dépenses faites pour secourir une foule d'indigents n'étaient pas de nature à améliorer la situation des finances.

Necker, qui prit la direction des finances au mois d'août 1788, à une date où les États généraux étaient déjà convoqués, se contenta de faire subsister l'État jusqu'au 1er mai à l'aide des billets de la Caisse d'escompte, et de solder les dépenses les plus urgentes avec une centaine de millions que son crédit personnel lui permit de se procurer sans ouvrir publiquement d'emprunt. Le 5 mai 1789, Necker avouait un déficit probable de 56 millions sur le budget ordinaire, mais il n'y comprenait ni les remboursements ni les dépenses extraordinaires qui avaient figuré dans le budget de Brienne. Son rapport, beaucoup trop long et chargé de détails dans lesquels se noyaient de judicieuses observations, ne répondait pas au sentiment réformateur de l'Assemblée et ne fit pas une heureuse impression sur elle.

L'Assemblée laissa le ministre se débattre avec les difficultés journalières de la trésorerie et elle s'occupa dans ses comités, sans même le consulter, des grandes réformes politiques et financières qu'elle pensait avoir reçu la mission d'accomplir. Elle avait raison, non de se priver de l'expérience de Necker, mais de subordonner l'équilibre du budget au remaniement de la Constitution politique et sociale de la France. Si

1. C'était la seconde fois que l'État donnait cours forcé aux billets de la Caisse d'escompte. Cette caisse, fondée en 1776 sous le ministère de Turgot, au capital de 12 millions, avait prospéré jusqu'au moment où le contrôleur général d'Ormesson puisa tant dans son coffre qu'il dut, par un arrêt de surséance, donner cours forcé à ses billets (27 sept. 1783). Calonne rétablit le payement des billets à vue, mais porta le capital de la caisse de 12 millions à 15, puis à 100 dont 70 furent attribués à l'État, Brienne rendit le 18 avril 1788 un nouvel arrêt de surséance.

l'Assemblée nationale constituante n'avait pas accompli une réforme radicale, elle aurait échoué dans des tentatives de réformes partielles, comme avaient échoué les ministres novateurs.

L'Assemblée nationale, quoique privée des ressources financières de l'ancienne monarchie, n'accepta pas moins tout entier l'héritage de ses dettes, auxquelles elle allait bientôt ajouter elle-même l'énorme fardeau des remboursements des charges et offices supprimés. Elle avait déclaré, le 17 juin, qu'elle prenait les créanciers de l'État sous la sauvegarde publique ; le 15 juillet, qu'elle n'écouterait aucune proposition directe ou indirecte de banqueroute; et après la séance du 4 août, le 27, elle renouvela solennellement la même déclaration. Son honneur était engagé ; mais comment faire face à ses engagements au milieu de telles circonstances?

Tentatives pour rétablir l'équilibre. << Suppléer à la masse presque entière des impôts semblait impossible », disait le comité des finances. Necker cependant voulut tenter l'impossible.

Il eut d'abord recours aux emprunts. Il avait toujours regardé ce moyen comme le plus légitime et le moins onéreux de procurer à une nation des ressources extraordinaires. Son crédit personnel avait beaucoup contribué au succès de ses premières opérations. Il crut pouvoir l'employer encore utilement au service de la Révolution, et il ouvrit successivement deux emprunts, le premier de 30 millions (9 août 1789); puis, celui-ci n'ayant pas réussi 1, un autre de 80 millions qui ne fut pas couvert non plus. Quelle confiance les capitalistes pouvaient-ils avoir dans une nation qui rompait brusquement avec tout son passé et dont l'avenir était enveloppé de nuages?

Necker reconnut son erreur. « De nouveaux emprunts, dit-il dans son mémoire du 24 septembre, ne peuvent qu'augmenter le déficit actuel », et il déclara qu'il était nécessaire de demander à chaque citoyen le sacrifice du quart de son revenu. Cette contribution patriotique ne devait être levée qu'une seule fois, de 1790 à 1792, et on laissait même entrevoir la possibilité de la rembourser quelque jour; elle n'atteignait ni le journalier ni les citoyens dont le revenu n'excédait pas 400 livres. Aucune perquisition, aucune recherche ne devaient être faites pour établir le chiffre des fortunes: on se fiait à la bonne foi, au patriotisme des Français. En outre, on faisait appel aux dons patriotiques et on déclarait ne refuser aucune offrande, quelque modique qu'elle fût. Mirabeau avait approuvé, peut-être insidieusement, le ministre, en lui laissant toute la responsabilité du succès ou de l'insuccès. Il

1. Il est vrai que Necker avait proposé le 7 août l'emprunt de 30 millions à un in térêt de 5 p. 100 et que l'Assemblée l'avait réduit à 4/12. Mais le second, dont l'intérêt était à 5 p. 100 et qui autorisait les prêteurs à verser la moitié de la somme en billets d'État, ne réussit pas non plus: 47 millions seulement furent souscrits.

D

enleva le vote par son éloquence : « La banqueroute, la hideuse banqueroute est là; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur, et vous délibérez! Malgré Dupont de Nemours' et quelques autres orateurs, le projet, accepté sans discussion par le comité des finances, fut voté (26 septembre et 6 octobre 1789), et le 29 septembre, l'Assemblée invita le clergé à porter à la Monnaie l'argenterie des églises. Necker se repaissait de naïves illusions sur la générosité du contribuable devant le fisc. Il donna le premier l'exemple du dévouement en faisant à la patrie un don de 100.000 livres (1er octobre 1789). Cet exemple fut suivi, mais il le fut surtout par le peuple qui vint offrir, qui son salaire, qui ses bijoux; les plus riches ne se montrèrent pas les plus généreux, et l'enthousiasme qui s'était rapidement propagé s'amortit vite. A la fin de l'année 1790, on n'estimait pas à plus de 31 millions le produit de la contribution patriotique 2; les dons patriotiques n'avaient procuré que 1 million en numéraire, et on n'évaluait pas à plus de 6 millions la valeur des coupons et objets mobiliers offerts à la patrie par la générosité des citoyens : c'était bien peu pour combler le vide du Trésor.

L'insuffisance des emprunts et des contributions forçait Necker à s'adresser sans cesse à la Caisse d'escompte dont le crédit chancelant suppléait au crédit ruiné de l'État 3. Depuis sa nomination (août 1788) jusqu'à l'ouverture des États généraux, Necker en tira 50 millions. L'État devait alors à la Caisse 155 millions.

Cependant il fallait à l'État un appui plus solide. Les brochures se multipliaient sur cette question. L'un proposait une Caisse nationale de crédit et de secours prêtant sur hypothèque à 3 p. 100; l'autre, une Banque nationale intimement liée avec l'État et surveillée par les députés. Mais où trouver le capital de ces banques quand l'argent faisait défaut de toutes parts?

Il y avait bien quelques téméraires que cette objection n'arrêtait pas, et qui voyant circuler les billets de la Caisse avec cours forcé, parlaient d'un papier-monnaie, et voulaient lui donner pour garantie la bonne foi publique. Mais le souvenir de Law effrayait les esprits dès qu'on

1. Dupont de Nemours s'efforçait de démontrer que le produit brut de l'agriculture ne dépassait pas 4 milliards, dont 2 milliards 500 millions représentant les frais d'exploitation,700 millions la dîme, les impôts; que le revenu net des propriétaires n'excédait pas 700 à 800 millions, dont 300 millions à peine appartenaient à des propriétaires capables de payer l'impôt. Il proposait d'employer aux besoins de l'État la dime, dont il serait injuste de faire un cadeau gratuit aux propriétaires, et une partie du revenu des biens du clergé.

2. Cependant, en février 1793, Clavière dans son rapport évalue à 111 millions 1/2 le produit de la contribution patriotique pour les trois années.

3. Le louis de 24 livres se payait en billets de la Caisse d'escompte 24 livres 7 sous en août 1789, 25 livres 1 sou en décembre et 25 livres 5 sous en mars 1790.

4. Un certain Gare, de Beaumont-sur-Oise proposa la création de 600 millions de

prononçait ce mot de papier-monnaie, un jour (1er octobre) qu'Anson, n'osant aborder ouvertement la question, proposait de voter qu'aucun papier de ce genre ne serait mis en circulation, sinon par décret, Mirabeau se leva et foudroya de son éloquence les partisans de cette mesure: « Je ne sais, dit-il, dans quel sens M. Anson soutient que la théorie du papier-monnaie n'appartient ni à celle de l'emprunt ni à celle de l'impôt ; mais je consens, si l'on veut, qu'on l'appelle un vol ou un emprunt le sabre à la main... Non que je ne sache que dans des occasions extrêmement critiques, une nation peut être forcée de recou rir à des billets d'État (il faut bannir de la langue cet infâme mot de papier-monnaie), et qu'elle le fera sans de grands inconvénients si ces billets ont une hypothèque, une représentation libre et disponible, si leur remboursement est aperçu et certain dans un avenir déterminé. » Mirabeau semblait prévoir les assignats.

Les biens du clergé (décret du 2 novembre 1789). Le clergé avait d'immenses propriétés. Il possédait, pensait-on, près de la moitié des terres dans les provinces du Nord et plus du sixième dans le reste du royaume; on disait même, non sans exagération le tiers de tous les biens fonciers. Ces propriétés et ces revenus appartenaient au corps du clergé et ce corps avait cessé d'exister depuis l'abolition de tous les privilèges. « La possession du territoire, disait l'abbé Montesquiou, ne pouvait survivre à la dissolution du corps qui n'était propriétaire qu'à titre collectif,et qui ne l'était qu'à condition de remplir un service public; et cette possession passait de droit à ceux qui désormais se chargeaient d'acquitter ce service, c'est-à-dire à la nation. »

Dès le mois d'août 1789, lorsqu'on discutait un projet d'emprunt de Necker, le marquis de Lacoste avait dit : « Les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation, elle est tenue de les revendiquer », et le chevalier de Lameth: « Je demande qu'on donne aux créanciers de l'État les biens ecclésiastiques pour gage de leur créance ».

lettres de change nationales, disant que le salut de la France dépendait du prompt rétablissement des finances et montrant la différence de son système avec les billets de 1780 (Coll. Desnoyers).- Dans une Lettre à un des Messieurs les députés sur la question du papier-monnaie (22 septembre 1789), un anonyme dit qu'on « parle plus que jamais des projets de papier-monnaie » et ajoute que, sans s'en effrayer absolument, il croit que tout papier-monnaie sera funeste ou insuffisant s'il n'est pas prouvé... Il énumère ainsi vingt-cinq conditions parmi lesquelles celles-ci :

«XI S'il n'est pas prouvé que la portion des contributions publiques qui sera affectée au remplacement complet des revenus des ministres des autels actuellement vivans, des hôpitaux et de tous les main-mortables sera réputée aussi sacrée que celles qui sont affectées à la dignité de la couronne et aux besoins les plus indispensables de l'État. » (Donc on parlait des biens du clergé avant novembre.)

xx. « S'il n'est pas prouvé qu'il sera strictement représentatif d'espèces sans aucune sorte d'intérêt. » (Coll. Desnoyers.)

« PreviousContinue »