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vente qu'un retard de peu de jours 1. On crut un moment que les difficultés financières étaient aplanies.

Il restait pourtant encore de graves objections. Un papier municipal pouvait-il devenir une monnaie nationale et circuler dans tout le royaume? Puisque la question de la vente des biens était résolue par l'acceptation de l'offre des municipalités, ne valait-il pas mieux, comme l'avait demandé trop tôt Pétion, que la nation n'usât que de son propre crédit vis-à-vis d'elle-même ? En second lieu, ces biens qu'on allait mettre en vente étaient toujours grevés de l'hypothèque des frais du culte, et cette seule pensée devait faire reculer les acheteurs. L'abbé de Montesquiou avait, au nom du comité des finances, signalé plusieurs fois cette difficulté à l'Assemblée. Tant que ces deux obstacles ne seraient pas levés, il était évident qu'on ne pouvait pas faire circuler les assignats comme une monnaie et suppléer par eux au défaut de numéraire.

1. Le décret d'aliénation du 17 mars 17.0 fut complété par un décret du 14 mai 1790, fixant la manière dont les municipalités et les particuliers pourraient acquérir : 1o les terres; 2o les rentes et prestations en nature; 3o les rentes et prestations en argent; 4o divers (moins les bois). Il réglait le mode d'estimation et de payement, les enchères publiques, le payement en plusieurs termes. Un des objets du décret du 14 mai était d'augmenter parmi les habitants des campagnes le nombre des propriétaires », et pour cela il prescrivait de diviser les biens ruraux en petits lots; dès que les enchères partielles égalaient l'enchère de la totalité du bien; il facilitait le payement : 12 p. 100 du prix de l'adjudication à payer dans la quinzaine, le reste en douze années.

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L'Assemblée changea le mode d'aliénation par le décret du 3 novembre 1790 qui exigea un premier versement de 20 p. 100 dans le mois de l'adjudication et le reste en quatre ans et demi pour les biens ruraux, en deux ans et demi pour les autres biens.

A Paris il y eut, au sujet de l'exécution des décrets du 17 mars et du 14 mai, un conflit entre les districts et le conseil de ville. Le 12 mars, le district, ayant décidé de prendre part à la souscription, déclara en même temps que les districts de quartier avaient seuls droit de prendre une résolution définitive. Le 26 mars, les districts déclarèrent qu'ils acceptaient le décret du 17; mais trente-trois d'entre eux demandèrent que l'opération fût faite par eux. Bailly les soutint, et ce furent en effet les districts qui nommèrent les commissaires. Mais le conseil de ville réclama (17 juin) devant l'Assemblée nationale; les commissaires envoyèrent (24 juin) une contre-réclamation. L'Assemblée nationale autorisa son comité à traiter directement avec les commissaires. Ensuite un décret du 8 juillet 1796 autorisa la municipalité de Paris à administrer, comme district départemental, les biens ecclésiastiques de son ressort en attendant la formation de l'administration départementale (Voir le discours de Brissot, Actes de la commune de Paris, t. VI, p. 62). — Le 23 mars 1790 un décret avait été rendu sur la proposition d'Andran en vue de régler la situation de la Caisse d'escompte à laquelle le Trésor devait alors 185 millions et dont les billets allaient se trouver en concurrence avec ses assignats.

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Première émission d'assignals (décret du 17-22 avril 1790). Ces deux objections ramenèrent la question du papier-monnaie à la tribune et renouvelèrent les débats lorsque le comité des finances vint présenter (9 avril) le rapport attendu depuis quelques jours sur les plans proposés par le ministre et par la municipalité. Aux deux grandes objections se joignait une troisième difficulté: les assignats porteront-ils ou ne porteront-ils pas intérêt? Depuis le mémoire de Necker, la question était agitée dans un grand nombre de brochures. Le triomphe des assignats semblait assuré; mais on ne savait pas encore quelle forme ils revêtiraient.

Le 9 avril, le comte de Toustain de Viray, député de Lorraine, proposa de porter l'émission à un milliard, sans intérêt et sans cours forcé, pour rembourser immédiatement les anticipations et dettes à gros intérêts; de déclarer à cet effet qu'on ne recevrait que des assignals en payement des biens nationaux, que les assignats seraient brûlés après la vente. « On me dira: Diminuez la masse des biens du clergé qui seule était le gage des frais du culte. Je répondrai qu'un bon père de famille qui a beaucoup de dettes doit, en bon économe, commencer par se libérer... » Il essaya ensuite de fondre son projet avec celui du comité.

« Vous devez, disait Anson, rapporteur du comité, 170 millions à la Caisse d'escompte, vous avez cette année, en supprimant les anticipations, un déficit de 300 millions. Tous les anciens expédients de la finance, toutes les demi-mesures qu'on vous a proposées ou qu'on pourrait vous proposer ne sauraient sauver l'Etat. Nous vous offrons une ressource nouvelle, une opération hardie, mais simple; nous rejetons les mesures compliquées, les palliatifs impraticables, et qui perpétueraient le discrédit... Que le numéraire se soit enfui ou qu'on l'ait caché ; que la crainte ou la malveillance l'ait fait disparaître, il est certain qu'il a disparu et que les billets de caisse ne peuvent en tenir lieu. Il faut donc remplacer le numéraire : plus d'hésitation, plus de retard; la perte d'un jour deviendrait funeste... Il est temps de poser sur la base d'un crédit vraiment national le type du remboursement de la dette publique; montrons enfin à l'Europe entière que nous apercevons nos ressources et reprenons bientôt la vaste route de notre libération, au lieu de nous traîner dans les sentiers tortueux et obscurs des emprunts morcelés. »

L'assignat était ce talisman qui devait remplacer le numéraire et ouvrir au crédit une ère nouvelle. Il fallait bien se garder de le confondre avec le papier-monnaie. « Le papier-monnaie a une hypothèque générale; il s'agit ici d'une hypothèque spéciale, affectée sur des im

meubles certains. >> Point de papier municipal, la nation n'a besoin de personne pour assurer son crédit. Les municipalités ne doivent lui servir que d'intermédiaires pour la vente. Point de charges qui effrayeraient les acheteurs; que les assignats portent intérêt, afin que les créanciers de l'État ne subissent aucune perte; mais que cet intérêt ne soit pas supérieur à 4 1/2 pour ne pas faire une concurrence funeste aux lettres de change du commerce. Il n'y aura pas de billets moindres de deux cents livres, afin de ne pas chasser le numéraire des relations journalières, et l'émission ne sera que de 400 millions, afin de ne pas encombrer la place d'une monnaie qui s'avilirait. Dans une pareille mesure, quelle injustice, quel danger peut-on voir à la création des assignats? « C'est une grande famille où les créanciers et les débiteurs négocient et se donnent des contrats sur des immeubles jusqu'à ce qu'ils aient pu vendre ces immeubles; ce pacte est très légal... Ces assignats auront la valeur monétaire que leur imprimera le sceau de l'État; ils auront une valeur immobilière que n'a jamais eue jusqu'à présent le papier d'aucun État... Tout nous annonce que la circulation des assignats est la meilleure des opérations... Une dernière considération doit sans cesse être présente à votre esprit cette opération va lier tous les citoyens à la chose publique; chacun désirera que l'aliénation des biens domaniaux et eccclésiastiques soit accélérée, et vous savez que le désir de tout un peuple laisse à peine entrevoir l'intervalle de sa volonté au moment de l'exécution. » Anson proposait d'attribuer aux assignats un intérêt de 4 p. 100, afin que chacun eût avantage à les garder en portefeuille, de ne pas faire de coupure inférieure à 200 francs afin de ne pas chasser la monnaie d'argent, et de limiter l'émission à 400 millions. Il y avait dans ce rapport bien des illusions; mais l'Assemblée partageait la confiance du rapporteur et couvrit son discours d'applaudissements.

<< Des coquilles sont la seule monnaie de plusieurs peuples de l'Amérique et l'Angleterre a du papier-monnaie. Pourquoi nous serait-il défendu d'en avoir? Si cette monnaie leur est avantageuse, pourquoi nous serait-elle funeste? Si en Angleterre le seul crédit de la Banque suffit pour soutenir la valeur de ses billets au pair de l'argent, comment un papier-monnaie qui chez nous aurait pour gage des valeurs territoriales égales à la valeur numérique qu'on lui aurait assignée, comment un papier-monnaie destiné à être converti à des époques très prochaines soit en argent, soit en propriétés foncières, auquel le Corps législatif aurait, en attendant cette conversion, attribué toutes les fonctions du numéraire métallique; comment, dis-je, un tel papier-monnaie pourrait-il valoir moins que l'or, l'argent et le cuivre monnayés?1 » La discussion occupa les séances des 10, 15, 16 et 17 avril.

1. Le Mouvement religieux à Paris pendant la Révolution, par le Dr ROBINET.

Divers projets furent proposés dans la presse et à la tribune. Roderer pensait que 400 millions seraient suffisants. Martineau, s'appuyant sur le chiffre de la dette exigible que l'on évaluait alors à 789 millions, demandait 800 millions d'assignats et le cours forcé. « Le papier-monnaie, disait-il, dans les temps de despotisme est dangereux; il favorise les déprédations. Mais dans une nation constituée qui veille elle-même à l'émission des billets, qui en détermine la quotité et l'emploi, ce danger n'existe plus. » Le duc d'Aiguillon voulait aussi une émission plus considérable et le cours forcé. La Rochefoucauld, l'abbé Gouttes étaient du même avis au sujet de la circulation du papier.

Cette opinion avait pourtant des contradicteurs qui ne partageaient pas l'engouement de l'Assemblée pour les assignats. Dupont de Nemours, l'ancien ami de Turgot, démontrait que le papier n'était pas une monnaie. « Qu'est-ce qu'un assignat? C'est une délégation sur une vente; c'est une promesse ; c'est un engagement contracté à terme plus ou moins long. Il ne peut servir aux usages journaliers de la circulation; et lui donner cours forcé, c'est ruiner le commerce avec l'étranger et appauvrir l'État qui ne recouvrera d'impôts qu'en papier. Laissez donc les assignats libres; donnez-leur un intérêt modique; ne les imposez à personne, et ils seront recherchés par un grand nombre de vos créanciers. »

1. Liberté constitutionnelle réclamée pour les assignats (probablement par PÉRISSEDULUC). L'auteur déclare vouloir éclaircir les idées. Il se prononce contre le cours forcé. Les assignats sont des mandats portant hypothèque sur des biens certains; soit, mais l'échéance est éloignée. Le commerce ne veut pas de lettre de change à échéance lointaine. La monnaie doit avoir une valeur réelle pour offrir un objet d'échange. «....... Les signes représentatifs ne manqueront jamais dans un pays où il y a des valeurs réelles, mais la quantité des signes doit être proportionnée à la réalité pour que la représentation soit assuré... » - « La plus grande et la plus funeste erreur dans laquelle une nation puisse tomber est celle de croire que l'injustice peut lui être utile... »

En avril, BOISLANDRY, dans ses Observations sur les dangers du papier-monnaie, supplie qu'on sépare l'arriéré à rembourser en assignats libres et les dépenses ordinaires à acquitter avec les recettes. - « Je conjure l'Assemblée nationale de proscrire à jamais toute émission de papier-monnaie, comme l'un des plus grands fléaux qui puissent affliger un peuple. »

<< Papier pour

Dans une réponse anonyme en trente pages à Périsse-Duluc, on lit : « Aujourd'hui que la nation a mis entre les mains du Trésor public des propriétés disponibles. aujourd'hui qu'il peut tirer des titres de change sur des propriétés dont la vente est aussi sûre que celle d'une cargaison sur le produit de laquelle un commerçant anticiperait ses payements, pourquoi n'userait-t-il pas incessamment de cette ressource pour rendre à la circulation tout ce qu'il doit ?» (p. 7) — papier, et, en temps de discrédit, le libre perd toujours davantage que le forcé. » (p. 10). - Mais que prouve ce refrain sur la déroute des billets de Law? Que ces billets n'étaient pas hypothéqués sur les biens du clergé. » (p. 27).— L'opinion que l'estampille de l'Etat pouvait donner une valeur conventionnelle au papier était alors très répandue.

Boisselin, archevêque d'Aix, faisait à peu près les mêmes demandes, mais avec beaucoup moins de ménagements: « On a proscrit le nom de banqueroute, disait-il; je croyais que vous aviez proscrit le papier-monnaie. Le papier-monnaie est l'effet du discrédit; il en est en même temps la cause: il annonce la difficulté des ressources présentes, le doute sur les ressources à venir. »

La droite était hostile au projet; non qu'elle fût composée d'hommes plus clairvoyants en matière de finances; mais loin de se sentir, comme le reste de l'Assemblée, entraînée vers cette mesure par des considérations politiques, elle craignait de donner à la Révolution une arme puissante en consommant la spoliation du clergé. Elle faisait. ressortir principalement la contradiction qui existait dans un papier destiné à servir de monnaie et portant en même temps intérêt. Elle représentait avec vivacité les effets probables d'un discrédit prochain. « Si l'on venait à vous, généreux représentants de la plus loyale des nations, s'écriait Maury, si l'on vous proposait la banqueroute, vous frémiriez d'horreur. Eh bien, c'est pis encore, c'est la mort publique qu'on vous propose! Donnerez-vous un intérêt au papier monnaie ? S'il perd un pour cent, ce sera une banqueroute d'un vingtième. Il perdra; il sera frappé d'une perte inévitable, dès le premier jour de sa création. Il peut par la suite éprouver une perte incalculable qui le réduise à rien. Le débiteur sera donc autorisé à faire banqueroute à tous ses créanciers? Tout homme en France qui ne doit rien et à qui tout est dû est un homme ruiné par le papier-monnaie. »

« Cette loi, ajoutait Cazalès, qui forcerait tous les Français d'être banqueroutiers les uns envers les autres, qui ferait des Français le rebut de toutes les nations, ne serait rachetée par aucun avantage réel. Le gouvernement se verrait obligé de payer la même quantité de deltes. Ceux qui osent vous donner ce conseil ont-ils prévu que bientôt tous les impôts seront payés en papier-monnaie? Oseront-ils vous proposer de créer de petits billets, et d'associer ainsi au crédit public le petit peuple, toujours ou trop timide ou trop hardi dans ses démarches? Veulent-ils donc nous exposer à des insurrections de tous les jours, commandées par le désespoir et par la faim?.... Pour qu'un papier-monnaie reste à la hauteur du titre de la création, il faut un grand crédit dans le gouvernement; il faut une grande confiance... Le crédit repose sur les bases du gouvernement, sur la liquidation de la dette, sur la perception des impôts. Vous ne pourrez assurer l'impôt tant que le peuple sera armé d'un bout du royaume à l'autre, tant que vous n'aurez pas rendu au pouvoir exécutif tout le ressort qu'il doit avoir. >>

Ni les virulentes apostrophes de Maury, ni les arguments plus solides de Dupont et de Cazalès ne firent une grande impression sur

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