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dinaires de la puissante parole de Mirabeau sur l'Assemblée, et il avait proposé, en conséquence, un dialogue dans lequel il aurait argumenté devant les députés contre le champion des assignats. Déjà même il s'était posté à la tribune au moment où Mirabeau y montait. Mais on avait repoussé en riant ce mode insolite de discussion, et Maury, réduit à parler à son tour, se montra violent sans apporter rien de neuf sur la question après le grand orateur. La discussion dura encore deux jours. Bergasse-Lazeroules donna de solides raisons contre les assignats. Dupont de Nemours essaya de se relever du coup que lui avait porté Mirabeau; mais il semblait que celui-ci eût alors en lui le génie de la révolution. D'ailleurs la droite, dont les sympathies secrètes affaiblissaient les plus solides raisons, se déconsidéra aux yeux de la majorité par la motion de d'Espréménil qui proposa de rétablir le clergé dans la possession de tous ses biens et de le prier de fournir pendant dix ans un secours extraordinaire à l'État. On demande le renvoi au comité de santé.

Le 29 septembre, après un dernier discours de Barnave, le décret, amendé par Camus et par Crillon jeune, fut adopté, sous la forme suivante, à la majorité de 508 voix contre 423 : « L'Assemblée nationale décrète que la dette non constituée de l'État et celle du ci-devant clergé seront remboursées, suivant l'ordre qui sera indiqué, en assignats-monnaie sans intérêt. Il n'y aura pas en circulation au delà de 1 milliard 200 millions d'assignats, y compris les 400 millions déjà décrétés. Les assignats qui rentreront dans la Caisse de l'extraordinaire seront brûlés. Il ne pourra en être fait une nouvelle fabrication sans un décret du Corps législatif, sous la condition qu'ils ne puissent excéder la valeur des biens nationaux, ni se trouver au-dessus de 1 milliard 200 millions en circulation. »>

Il fut décidé, le 8 octobre, que l'État ne donnait plus aucune garantie aux billets de la Caisse d'escompte et que les 400 millions d'assignats qui étaient déjà en circulation cesseraient de porter intérêt à partir du 16. Il fut décidé aussi, sur la proposition de Perisse (13 décembre), que les billets seraient payables au porteur et non plus à ordre 1 ; cette forme dispensait de tout endossement, et l'assignat se trouvait débarrassé d'une entrave qui en avait gêné la circulation. Des décrets furent rendus (3 novembre, 31 décembre) en vue de faciliter aux particuliers et aux municipalités l'acquisition des biens nationaux.

On s'occupa de la fabrication qui fut rendue moins coûteuse. SaintAubin fut chargé de graver la planche 2. Une armoire à triple serrure

1. Un décret du 1er juin laissait la faculté d'endosser l'assignat quand on l'envoyait par la poste.

2. Les assignats portaient alors: « Domaines nationaux hypothéqués au remboursement des assignats par le décret de l'Assemblée nationale des 16 et 17 avril 1790, sanctionné par le roi.- Assignat de.... livres. Il sera payé au porteur la somme de... livres à la Caisse de l'extraordinaire, conformément aux décrets des 16 et 17 août et 29 septembre 1790. »

fut destinée à renfermer ces billets; tous les lundis, le trésorier recevait la quantité nécessaire pour la semaine 1. A mesure que les billets rentraient, ils devaient être biffés et marqués du mot annulé; et chaque fois que la somme des billets biffés s'élevait à un million, ils devaient être brûlés en public (décret du 6 décembre).

La France avait dès lors un papier-monnaie. Rien n'y manquait : cours forcé, absence d'intérêt, échange de la main à la main, émission considérable de 1 milliard 200 millions, dépassant la moitié de la somme à laquelle Necker évaluait, quelques années auparavant, tout le numéraire du royaume.

Les effets inévitables de cette émission commençaient aussi à se faire sentir les assignats, qui ne perdaient que 5 p. 100, tombèrent tout à coup dès la fin du mois d'août et perdirent 8, 9 et 10 p. 100. L'Assemblée ne s'en inquiétait pas encore. A plusieurs reprises, pour faire face aux dépenses courantes, elle accorda des subsides extraordinaires en assignats prélevés sur les 1,200 millions: 15 millions le 3 octobre, 31 millions le 13 octobre, 48 millions le 5 novembre, 45 millions le 15 décembre, 15 millions (pour ateliers de charité) le 16 décembre, etc., etc. Les assignats s'écoulaient ainsi par le canal du déficit sans rembourser la dette.

Cependant, le 6 novembre, l'Assemblée décida que sur les 800 millions autorisés le 29 septembre (outre les 400 millions antérieurement autorisés), 600 seraient affectés au remboursement des effets du Trésor et à la liquidation des offices et dîmes inféodées. En effet, le remboursement commença, et l'Assemblée se réjouit d'apprendre à plusieurs reprises que les premières ventes de biens nationaux s'étaient faites dans de bonnes conditions.

Le 24 décembre, Anson annonçait que l'échange des effets royaux et des billets de la Caisse se continuait activement,et qu'on venait déjà de brûler le premier million d'assignats rentrés: « Au 1er du mois prochain, ajoutait-il, aucune nation de l'Europe ne sera plus au courant de ses payements que la nation française. » Belle espérance qui ne se réalisa pas.

Les billets de confiance. Une ombre restait sur ce tableau sédui

1. Le 16 octobre 1790,un décret fut rendu pour la nomination des commissaires qui devaient surveiller la fabrication des formes du papier et des 800 millions d'assignats nouveaux décrétés le 29 septembre précédent. Une loi du 10 novembre 1790 décida que les ballots de billets imprimés seraient scellés du sceau des commissaires du roi et des commissaires de l'Assemblée, déposés aux archives et ne seraient délivrés à la Caisse de l'extraordinaire qu'après que l'Assemblée nationale en aurait décrété l'emploi. Voir aussi les décrets du 4 novembre et du 25 décembre.

2. Le comité des finances évaluait alors à 641 millions le prix des offices, charges et dîmes inféodées, en ajoutant que 372 millions d'assignats suffiraient probablement, une partie des titulaires devant demander leur remboursement en biens nationaux.

sant de l'avenir. Il n'y avait pas de billets inférieurs à 50 livres ; la disette du numéraire se faisait sentir dans les relations journalières et pesait sur le petit commerce et la classe ouvrière. On avait bien imaginé de faire des sous avec le métal des cloches; mais cette opération n'était pas encore terminée, et quelque considérable que fût l'émission, elle ne pouvait suffire à remplacer toute la monnaie dans les échanges au-dessous de 50 livres. Il fallut recourir au papier.

A Paris et dans les provinces, s'organisèrent des caisses qui échangèrent les assignats contre des billets de confiance de 20, de 15 et de 10 sous. Ces caisses eurent du succès; la nécessité les multiplia'. De toutes parts, les municipalités, les districts en établirent au nom de l'intérêt général. Des sociétés d'échange se fondèrent; les unes dans une pensée de charité, d'autres en vue d'une spéculation lucrative. Celles-ci prélevèrent une prime pour le change; celles-là, agissant comme des banques de circulation, émirent une somme de petits billets plus élevée que leur réserve en assignats. Des fabricants, pour payer leurs ouvriers, de simples particuliers, pour solder leur dépense journalière, imitèrent cet exemple. La France fut inondée de papiers de crédit, valant de 40 sous à 6 deniers et circulant sous les noms d'assignat, billet de secours, billet d'association, billet d'échange, billet forcé, bon patriotique, coupon d'assignat, etc. 2

Il n'était guère de ville ou de bourg qui n'eût sa caisse patriotique ; le département de l'Orne en comptait à lui seul 94.

A Paris, sans parler des assignats et des billets de la Caisse d'escompte, il circula à la fois soixante-trois espèces de billets de confiance; chaque section avait les siens; plusieurs cafés, entre autres le café de Chartres, en émettaient. Quelques-uns de ces assignats étaient en métal, comme ceux des frères Monneron; mais la plupart étaient en carton ou en papier et fabriqués de la manière la plus grossière. Beaucoup n'étaient pas signés, ou étaient écrits à la main; souvent, point de timbre, point de signe particulier; tout au plus une devise, telle que: Paix et confiance, ou Ça ira, ça ira. Une caisse patriotique fut fondée au capital de 6 millions, « pour fournir gratuitement au public en échange d'assignats forcés des billets libres de petites souches »; cette caisse, établie rue des Filles-Saint-Thomas, échangeait «< sans frais ni escompte » les assignats contre des billets de 5, 10, 20, 25 livres, et les billets contre des assignats 3.

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1. Pendant la guerre de 1870-71 plusieurs villes, notamment Dijon, ont été dans la nécessité de recourir aux billets de confiance.

2. Dans beaucoup de localités l'émission de ces bons commença avant le com mencement de l'année 1791. Ainsi, à la sollicitation de la Société des amis de la Constitution, la chambre de commerce de la Rochelle créa, à la fin de décembre 1790, des billets de 6 livres et de 3 livres qu'elle délivrait et recevait à bureau ouvert en échange d'assignats de 300 livres et au-dessous.— Renseignement communiqué par M. MESCHINET DE RICHEMOND, archiviste du département de la Charente-Inférieure. 3. Voir des spécimens de ces billets dans Cent ans de numismatique française

On conçoit quelle confusion, quels désordres et quelles fraudes résultaient de la multiplicité de cette monnaie se croisant dans la circulation sans garantie et sans contrôle. Les billets ne restaient pas au lieu de leur origine : tel payait à Lyon son fournisseur avec des bons d'une caisse patriotique, qui recevait sa monnaie en billets de Beaucaire. Un ouvrier d'Abbeville venu à Paris offrait en payement à son logeur des billets de la maison van Robais. Comme ces papiers n'avaient pas cours forcé, chacun ne les recevait que selon le degré de confiance qu'il leur accordait, et nul porteur de cette bizarre monnaie ne savait en entrant dans un magasin quelle quantité de marchandises il pourrait acheter avec les valeurs de son portefeuille. Il y en avait beaucoup de faux: la contrefaçon était si facile ! On alla jusqu'à faire circuler des billets de communes qui n'en avaient jamais émis. Et pourtant il fallait, tant bien que mal, se contenter de cette monnaie; on n'en avait guère d'autre.

Dès le milieu du mois d'avril 1790, Rabaud de Saint-Etienne apprit à l'Assemblée que plusieurs villes avaient déjà décrété la fabrication de petits billets de confiance. Au commencement de mai, Bordeaux installa des bureaux d'échange. Vers la fin de 1790, beaucoup de communes en possédaient, et comme la disette du numéraire se fit sentir plus vivement de jour en jour, le nombre en augmenta considérablement dans le cours de l'année 1791 qui a été la plus féconde en créations de ce genre.

Les petits assignals (décret du 6 mai 1791). - L'Assemblée nationale ne pouvait pas rester indifférente à cette création de papiers qui accusait dans la nation entière un besoin pressant de numéraire. Déjà, en avril 1790, le député de Saumur, dénonçant l'agiotage auquel le change donnait lieu, avait demandé la création dans les villes de fabrique d'un bureau d'échange où l'on pourrait se procurer des assignats de 5 à 30 livres, sans intérêt, qui n'auraient cours que dans le département; l'intérêt des assignats déposés (les assignats portaient alors intérêt) servirait à couvrir les frais de bureau.

Le 10 octobre 1790, on avait décidé de fabriquer 20 millions en assignats de 50 livres, et le 7 janvier 1791, on avait ordonné la fabrication de 40 autres millions d'assignats de 50 livres. La spéculation en avait

t. I, p. 93. La Bibliothèque au Louvre en possédait une importante collection qui a été détruite par l'incendie de 1871.

1. Il y a eu plusieurs autres décrets rendus alors sur cette matière qui ont successivement modifié les ordres de création : décret du 9 janvier pour la confection d'assignats au-dessous de 50 livres (fabrication ajournée par décret du 11 février); loi du 19 janvier sur la fa brication de 40 millions d'assignats de 50 livres; loi du 11 février sur la fabrication de 10 millions d'assignats de 100 livres (collection de l'Hôtel des Monnaies); loi du 25 février sur la fabrication de 50 millions en billets de 50 livres.

immédiatement accaparé une partie et ces petits billets avaient fait prime. On avait dénoncé à la tribune cet agiotage, et pour le réprimer, l'Assemblée avait décrété le 23 janvier que l'on ne délivrerait plus de billets de cette espèce en échange des billets de la Caisse d'escompte. Déjà aussi (6 et 21 février) on était venu réclamer à la tribune des coupures d'assignat inférieures à 50 livres, et Mirabeau avait appuyé la proposition en demandant s'il pouvait «< y avoir, contre la fabrication des petits assignats d'autre intérêt que celui des vendeurs de petits assignats». Toutefois l'Assemblée s'était alors contentée de décider que les 50 derniers millions qui restaient à fabriquer seraient faits en billets de 50 livres. Elle craignait, et avec raison, en dépassant cette limite, d'encombrer davantage la circulation et d'impliquer les classes pauvres dans tous les embarras d'un discrédit croissant; mais la nécessité allait bientôt lui faire franchir cette limite, malgré ses appréhensions. Ce fut Rabaud de Saint-Etienne qui ramena la question à la tribune dans la séance du 26 avril. « Une plainte générale se fait entendre sur la rareté du numéraire et l'insuffisance des assignats dans les transactions du commerce, dit-il au début de son discours. Pourquoi cette rareté ? C'est que l'argent a disparu par suite des craintes d'une banqueroute, des achats de grains à l'étranger, de la balance désavantageuse du commerce, de la fonte des monnaies. Pourquoi les assignats ne le remplacent-ils pas ? C'est que les assignats ne sont pas une monnaie qui puisse servir dans le plus grand nombre des transactions commerciales; les moins incommodes sont ceux de 50 livres aussi perdent-ils au change moins que les autres. » C'est donc parce que les assignats ne servent pas dans les achats ordinaires qu'ils restent en stagnation, ou que pour les recevoir, le marchand sera forcé d'augmenter le prix de ses denrées. «< Faites de petits assignats: le mal n'existera plus. » Et il proposait de remplacer les assignats de 2,000 livres par des assignats de 5 livres. Charles de Lameth appuya la proposition, et affirma que puisque les sous qui ne contenaient pas leur valeur réelle ne baissaient pas, les petits assignats ne baisseraient pas non plus.

Prugnon, Beaumetz, Cussy et les orateurs ordinaires de la droite. s'élevèrent contre cette mesure au nom de l'intérêt du peuple, parce que l'ouvrier serait payé avec une monnaie dépréciée. Mais une pareille sollicitude provenant des adversaires de la Révolution inspirait peu de confiance. Leurs arguments étaient cependant justes. Cussy surtout fut très pressant ; il montra avec beaucoup de sagacité comment l'argent disparaissait. « Un négociant, disait-il, a 30 livres sterling et

1. Le 14 janvier 1791, le maire et le département de police envoyèrent à l'étatmajor de la garde nationale l'ordre d'empêcher les marchands d'argent de s'établir la nuit à la Caisse de l'extraordinaire en vue d'accaparer et de revendre les petits assignats.

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