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10 shillings à remettre à Londres. S'il achète à Paris une lettre de change, il la paye au cours, en assignals, 887 livres 7 sous 8 deniers; s'il envoie des métaux monnayés, il lui suffit de 768 livres en louis, de 729 livres 5 sous 5 deniers en argent. Comment voulez-vous, dans de telles conditions, que les assignats ne continuent pas à perdre, et comment de petites coupures remédieront-elles à cette infériorité ? » Il n'y avait rien à répondre.

Ces considérations faisaient sur l'Assemblée une moins vive impression que les besoins et les misères de la multitude; et c'est à cette partie de l'argumentation de la droite que les orateurs de la gauche s'appliquèrent à répondre. Alexandre Lameth disait à ce propos : « On a prétendu que les riches supportaient en ce moment la perte des assignats: c'est le pauvre; c'est toujours au pauvre que va la misère et au riche le bénéfice. »

Rabaud, résumant toute la discussion, avait développé cette pensée, ou du moins montré à quelle détresse le refus des petites coupures allait réduire la classe ouvrière. « Il faut envisager ce qui arrivera dans quelques mois, lorsque les petits manufacturiers se seront épuisés en sacrifices, lorsqu'ils seront forcés de se réduire à la moitié, au tiers, au quart de leurs entreprises. Les ouvriers sentent déjà la perte des entrepreneurs et s'attendent à ce moment désastreux où ils seront privés d'ouvrage et de pain. Ils désirent les petits assignats, témoin les adresses que je dépose sur le bureau. Il est aisé de comprendre que quel que soit le zèle des manufacturiers, tous ne peuvent pas faire le sacrifice de 7 ou 8 p. 100 par semaine, que ceux qui l'ont fait pendant trois mois ne peuvent pas le continuer pendant six mois. »

Le 11 janvier 1791 ', sur la proposition des comités des monnaies 2 et des finances réunis, elle décida la fabrication de 15 millions de menue monnaie d'argent (pièces de 30 et de 15 sous). L'opération paraissant se faire trop lentement 3, l'Assemblée, par deux décrets (17 et 20 mai 1791, loi du 20-22 mai 1791), invita le roi à donner « les ordres les plus prompts » pour fabriquer » pour fabriquer « immédiatement la quantité de monnaie de cuivre suffisante pour satisfaire aux besoins du royaume et faciliter l'échange des petits assignats » ; les directeurs avaient ordre. d'employer à cet effet les anciens coins et les flans existants. Les 24

1. Loi du 11-19 janvier 1791.

2. Ce comité des monnaies avait été créé par décret du 11 septembre 1790. Un décret du 3 avril 1791 organisa la commission chargée de surveiller la fabrication des monnaies.

3. Cette loi du 11-19 janvier 1791 fut d'ailleurs quelque peu modifiée par le décret du 11 juillet 1791, parce que le peu de pièces qui avaient été frappées en vertu de la loi avaient été aussitôt exportées; la loi du 11 juillet augmenta l'alliage afin de rendre cette exportation impossible.

4. Le lendemain 21 mai était rendu un décret relatif à l'organisation générale des monnaies loi du 21-27 mai 1791). Voir aussi la loi du 30 août-8 septembre 1791.

et 25 juin, un double décret prescrivit la fabrication de sous et demisous fondus avec le métal des cloches des églises qui avaient été supprimées dans le département de Paris; puis, le métal ayant été trouvé trop cassant, un autre décret (3-6 août 1791) ordonna non plus de fondre, mais de frapper des pièces avec un métal composé moitié de métal de cloche et moitié de cuivre 1.

Les petits assignats ne furent pas fabriqués aussi promptement qu'on l'avait espéré. Il fallut rendre d'autres décrets (9 juillet, 17 août, 26 août, 20 septembre) pour hâter la frappe des menues monnaies et faciliter la diffusion des petits assignats, quoique la Caisse de l'extraordinaire eût reçu le 8 juillet l'ordre de remettre les billets à la Trésorerie nationale à mesure qu'ils seraient fabriqués, et que la Trésorerie, de son côté, eût été invitée à en envoyer à partir du 11 juillet « autant qu'il serait possible» dans les départements. A Paris, le département avait autorisé d'avance, dès le 17 mai, l'ouverture dans chaque section d'un bureau d'échange des assignats 2.

La proposition, soutenue par Montesquiou à la tribune et approuvée en général par la presse, fut agréée par l'Assemblée qui décida (décret du 6 mai 1791, loi du 13 mai 1791) à la fois la fabrication de 100 millions de petits assignats de 5 livres en remplacement de gros assignats et celle de 15 millions de monnaie de cuivre.

L'Assemblée avait eu, comme nous l'avons dit, à se préoccuper, dès ses débuts de la question monétaire. « La rareté excessive du numéraire, disait un arrêt du Conseil d'Etat du 20 septembre 1789, est due aux retards éprouvés dans le recouvrement des impôts,... au resserrement qu'excite une défiance exagérée,à la réduction des placements que les capitalistes étrangers faisaient habituellement en France, à la diminution du commerce d'exportation et aux achats considérables de blés faits au dehors... à l'émigration d'un nombre infini de Français... à la diminution du nombre des voyageurs étrangers. » En conséquence, les citoyens étaient invités à porter leur vaisselle et bijoux aux hôtels des monnaies; le roi et la reine donnaient l'exemple; deux jours après (22 septembre), l'Assemblée avait envoyé son président supplier le roi de ne pas faire le sacrifice de sa vaisselle. Mais, le 29 septembre, elle

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1. La frappe eut lieu dans dix-sept hôtels des monnaies. Un décret du 26 janvier 1792 ajouta cinq autres hôtels. Voir le rapport de REBOUL, député de l'Hérault, 15 mars 1792. Le 5 février 1792, TARBÉ, ministre des contributions, présenta à l'Assemblée législative un rapport sur la frappe des monnaies dans les dix-sept hôtels pendant l'année 1791. Cette frappe avait été de 41,071,520 livres, savoir:

Or..
Argent.

Cuivre

3.499.670 livres. 33.422.440 livres.

4.149.410 livres.

Paris, à lui seul, avait frappé plus de 2 millions de monnaie de cuivre.

2. Le décret de l'Assemblée nationale autorisant l'établissement dans la ville de Paris d'une caisse d'échange est du 18 juillet 1791.

avait donné l'ordre de porter aux monnaies toute l'argenterie des églises, chapelles, confréries, qui n'était pas nécessaire au culte, ordre qu'elle renouvela par décret du 3 mars 1791; le 6 octobre 1789, elle autorisait les particuliers à payer en métaux précieux leur contribution patriotique.

Le 8 mai 1790, la question monétaire fut portée à la tribune; l'Assemblée décida de renvoyer à l'Académie des sciences la question du titre et du poids des monnaies. En novembre 1790, elle entendait la lecture par Cussy de plusieurs rapports de son comité par lesquels on proposait le rapport de 14 1/9 à 1, au lieu de 15 1/2, entre les deux métaux, l'adoption de l'argent pour unique étalon et la suppression du seigneuriage. Mirabeau acceptait les deux dernières propositions; Talleyrand pensait que le moment n'était pas opportun pour la fixation d'un nouveau système monétaire.

L'échange des petits assignals et de la monnaie de billon. La première conséquence que l'on avait à redouter de l'émission des petits assignats était le trop grand empressement du public à se saisir de ces billets destinés à tenir lieu de toute la menue monnaie. On agiolait sur les assignats de 50 livres; on agiota encore plus sur ceux de 5 livres. On s'en plaignit à l'Assemblée; on vint dénoncer les agents des finances qui se livraient, disait-on, à d'infâmes trafics et vendaient les petits assignats. Il y avait en effet des coupables ; mais le mal était dû moins à quelques fraudes particulières qu'au système financier qui stimulait la cupidité. Les assignats de 2,000 livres, naguère dédaignés, étaient recherchés par la spéculation, qui commençait à abandonner ceux de 50 livres. Les petits assignats obtenaient sur tous les autres une prime assez forte. Au mois de septembre 1791 (le 20), l'Assemblée, voulant au moins mettre les chefs d'atelier à l'abri de cet agiotage et faciliter la paye des ouvriers, autorisa les commissaires de la Trésorerie à ouvrir un bureau où les manufacturiers pourraient échanger leurs gros assignats contre des assignats de 5 livres. Les manufacturiers s'empressèrent d'en envoyer chercher non seulement pour payer leurs ouvriers, mais pour en distribuer à leurs amis ou en vendre; l'agiotage se déplaça, mais ne disparut pas. Les abords du bureau furent encombrés, et virent se renouveler les tristes scènes qui, depuis un mois, se passaient chaque jour devant le bureau d'échange des sous.

Il avait fallu, pour ce dernier échange, prendre des précautions plus sévères encore que pour celui des petits assignats; car on n'avait décrété que 15 millions de sous, et on n'avait encore fabriqué qu'une très pelite partie de cette somme; en les livrant sans condition au premier

1. Un décret du 26 août 1791 (loi du 29 août) ordonna de porter aussi aux hôtels des monnaies les vases et ustensiles de bronze des églises supprimées.

venu, on aurait craint l'accaparement. On avait donné l'ordre (décret et loi du 18 juillet 1791) de ne les échanger qu'avec beaucoup de réserve,et seulement contre les assignats de 5 livres, à raison d'un billet par jour pour chaque personne et jusqu'à concurrence de 100 livres pour les chefs d'atelier : c'était encore exciter l'agiotage.

A Paris, où les besoins étaient le plus pressants, le bureau avait été installé, rue du Temple, no 13, dès le 22 juillet, quatre jours après le décret qui l'autorisait. Il était ouvert de huit heures du matin à deux heures de l'après-midi pour le public, de cinq heures à huit heures du soir pour les chefs d'atelier. Ces derniers pouvaient, munis de leur patente et d'un certificat de leur section, se présenter à un autre bureau de la rue Vieille-du-Temple, se faire délivrer chaque semaine un mandat qui variait, selon l'importance de leur établissement, de 5 livres à 100 livres, et échanger ensuite, le soir, cette somme en assignals contre de la monnaie de billon. Le public du matin était moins favorisé : chaque personne ne pouvait échanger, par jour, qu'un seul assignat de 5 livres.

Aussi la foule était-elle toujours compacte aux abords du numéro 13. Avant six heures du matin la police ne permettait pas de stationner devant la porte. Mais dès six heures, on se rangeait en file; des commis distribuaient des numéros d'ordre, et chacun attendait ainsi, pressé comme on l'est à la porte d'un théâtre, que huit heures son

nassent.

La distribution commençait alors. Malheur à qui n'était pas à son rang quand son numéro était appelé: il n'était plus admis à recevoir sa monnaie qu'après tous les autres, si toutefois l'heure le permettait encore. L'échange se faisait lentement, à dessein: le directeur de la Monnaie ne fournissait à la caisse que 200,000 livres par semaine ; aussi y en avait-il beaucoup chaque jour qui, après avoir vainement attendu, étaient obligés de remettre au lendemain l'espoir de changer leur assignat. Ceux qui avaient absolument besoin de monnaie le vendaient, mais avec quelle perte! Celui qui avait eu la patience d'attendre six et sept heures faisait payer cher son temps et sa peine.

Dans cette cohue de la rue du Temple se pressaient des domestiques, des petits rentiers, des ouvriers, et surtout des femmes. Il y en avait qui passaient une moitié de la semaine à échanger en menue monnaie le gain de l'autre moitié. Quelques-uns faisaient de cette

1. Les espèces métalliques, or, argent ou cuivre, devenaient de plus en plus rares à mesure que le papier-monnaie prenait leur place. Cependant, dès le commencement de la Révolution, on avait provoqué les dons patriotiques qui consistaient pour la plus grande partie en apport de métaux précieux destinés à être convertis en monnaie. Voir la proclamation du roi du 15 novembre 1789 sur la manière de procéder à la recette des bijoux apportés en payement de la contribution patriotique; la loi du 19 octobre 1790, relative à la fonte des cloches des églises.

calamité une source de profits: tel ouvrier prenait le matin un numéro qu'il revendait ensuite; tel domestique, envoyé par son maître pour changer un assignat, agiotait avec sa monnaie, et rapportait l'assignat en déclarant qu'il était arrivé trop tard. De là bien des souffrances privées. La génération suivante d'ordinaire les oublie et l'histoire. dédaigne de les enregistrer; mais au moment où elles se produisent, elles ne sont pas moins pénibles que les grandes crises politiques pour ceux qui en sont les victimes. L'économie politique doit en recueillir le souvenir, parce qu'appliquée à chercher dans le passé les causes intimes de la prospérité et de la misère des nations, elle ne doit rester indifférente à aucune souffrance. On n'avait rien vu de semblable en France depuis le temps où la foule s'étouffait jour et nuit autour de l'hôtel Mazarin pour changer contre de l'argent un des billets avilis de la banque de Law 1. Les mêmes fautes ramènent les mêmes malheurs. Au mois d'août, des négociants de Paris vinrent demander que l'échange eût lieu non plus à un bureau unique, mais dans les quarante-huit sections. On n'avait pas encore assez de monnaie pour la répandre ainsi. Tarbé, ministre des contributions publiques, fit rejeter cette proposition, et l'Assemblée se contenta de rendre un décret (3 août) par lequel elle pressait la fabrication des sous en métal de cloche. On fixait la proportion de monnaie de cuivre que les hôtels devaient fournir aux départements de leur circonscription: c'est l'objet de la loi du 3-6 août 1791. Ce furent ses derniers actes législatifs sur cette question de la petite monnaie, qu'elle laissait à ses successeurs encombrée de difficultés.

Les bons de confiance tinrent encore pendant plus d'un an lieu de monnaie divisionnaire dans la plupart des villes de France.

Dernière émission de la Constituante (décret du 19 juin 1791). L'autre partie de la question financière n'offrait pas une situation meilleure. Malgré le chiffre énorme de l'émission des assignats, le Trésor allait de nouveau se trouver vide. La Caisse de l'extraordinaire, qui était chargée de l'opération, c'est-à-dire de l'émission des assignats, de l'aliénation des biens nationaux et de l'annulation des assignals rentrés, portait à la fois la charge de toutes les dépenses extraordinaires et celle du déficit des recettes ordinaires; on tirait sur elle pour les armements maritimes, pour les ateliers de charité, pour le payement de l'arriéré, pour les rentes et les pensions, etc. Au 1er janvier 1791, elle avait déjà fourni au Trésor 524 millions. Montesquiou lui demandait encore, au nom du comité des finances, 98 millions, demande qui contrastait singulièrement avec le principe de prudence qu'il posait dans le même rapport: « Il ne faut pas se dissimuler l'immensité des

1. Voir Recherches historiques sur le système de Law, par E. LEVASSEUR, 1 vol.,

1854.

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