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charges que la disette des revenus accumule sur la Caisse de l'extraordinaire. Les assignats qu'elle renferme sont l'espoir de la France el ont assuré le succès de la Révolution; c'est une raison de plus d'en être économes. » Cependant le décret du 28 février 1791 lui imposa l'obligation de combler les insuffisances qui pourraient se produire au cours de l'exercice dans le budget de 1791. En même temps on multipliait le nombre des remboursements auxquels elle devait pourvoir en décrétant de nouvelles suppressions, offices de perruquiers, maîtrises des arts et métiers, etc. Il est vrai qu'elle fut autorisée par le décret du 22 mars 1791 à dépasser le chiffre de 400 millions fixé par le décret du 14 mars 1790 pour la vente aux municipalités, vu, disait le rapport, que celles-ci avaient déjà vendu pour 310 millions de biens et avaient encore des demandes pour 260 millions 1. De nouvelles facilités avaient été offertes aux acquéreurs, afin « d'accélérer la vente » (décret du 24 février 1791).

Au moment où l'on discutait sur l'émission de petits assignats, Camus avait déclaré que sur les 1,200 millions décrétés par l'Assemblée, il ne restait plus dans les caisses de l'État ou sous les presses que 189.127,000 livres, sur lesquelles on aurait à payer prochainement pour plus de 100 millions de certificats de liquidation déjà délivrés. Un mois après, le 19 juin 1791, il présenta un rapport complet sur l'emploi des assignats. La fabrication s'était élevée au chiffre de 1,201,656,468 livres. On avait employé pour liquidations, remboursements, dépenses courantes, 1,150,181,761 livres 19 sous 4 deniers. L'excédent était de 51,474,696 livres 8 deniers; mais il y avait encore dans la circulation une somme de 51,566,200 livres en billets de la Caisse qu'il fallait rembourser. Que restait-il donc pour l'avenir? Rien. Et pourtant on était bien loin d'avoir terminé les liquidations et assuré le payement journalier des services publics. Le recouvrement des contributions se faisait toujours mal et les débiteurs du Trésor ne payaient plus qu'en assignats, profitant ainsi de la dépréciation. Le premier mois pendant lequel siégea la Législative, la recette ne fut que de 28,328,146 livres; le budget avait estimé la dépense à 48,558,333 livres. Il fallut que la Caisse de l'extraordinaire, d'une part, suppléât à un déficit de 19,730,137 livres, et, de l'autre, fournit, pour les dépenses extraordinaires, 21,720,643 livres; il en fut à peu près de même les mois suivants.

Pour affirmer que la situation n'était pas alarmante, Camus n'avait à offrir que des espérances: la vente des biens nationaux, dont la valeur était portée par les uns à 2 milliards 440 millions, par les autres à

1. Un peu auparavant, le 16 février 1791, un décret avait ordonné de comprendre parmi les biens à vendre les immeubles affectés à l'acquit de fondations de messes et autres services établis dans les églises.

2 milliards 415 millions; c'était le fonds destiné à faire triompher la Révolution. En conséquence, Camus proposa la fabrication de 400 millions d'assignats.

La proposition fut acceptée; l'Assemblée vota même 600 millions en billets de 500 à 50 livres, et le décret fut sanctionné par le roi le 28 juin. I autorisait l'émission immédiate de 160 millions seulement. Les 440 autres millions devaient servir de réserve et n'être mis à la disposition de la Trésorerie que sur un nouveau décret de l'Assemblée.

Il fallut rendre ce décret; car les millions avaient été bientôt dépensés, et dans une des dernières séances, les commissaires des assignats demandèrent l'autorisation d'émettre encore 100 millions de la dernière création, si les besoins du service l'exigeaient, avant la réunion de la nouvelle législature.

La droite s'émut, prétendit que des émissions avaient été faites sans consentement, et réclama un compte sévère des recettes et des dépenses. La question financière raviva encore une fois les passions et donna lieu à une de ces altercations violentes qui avaient tant de fois troublé l'Assemblée. Cernon-Pinteville demandait que les commissaires fussent autorisés, le cas échéant, à émettre 100 millions d'assignats avant la réunion de la prochaine Assemblée.

« L'autorisation que demande M. de Cernon, dit Folleville, est devenue une mesure illusoire, puisqu'on a fait plusieurs émissions d'assignats sans consulter l'Assemblée. »

M. Camus. Je nie le fait. Vous avez décrété qu'il serait fabriqué pour 300 millions d'assignats de 50, 60, 70 livres, etc.; comme cette fabrication allait trop lentement pour satisfaire les besoins, qui étaient très instants, nous avons cru pouvoir employer 30 millions que vous avez destinés à rembourser les promesses d'assignats, sauf à les retirer lorsque la fabrication des assignats de 50 et 60 livres aurait été plus avancée. Voilà ce que nous avons fait, et nous n'avons point fait d'émission sans consulter l'Assemblée.

M. de Folleville. Puisque ces 30 millions étaient destinés à rembourser les promesses d'assignats, M. Camus, en les portant en circulation sans rembourser les promesses, a fait un double emploi et a jeté dans la circulation 30 millions de plus qu'il ne devait y avoir. Il serait nécessaire de répandre un peu de lumière sur toutes ces opérations; la nation a sans doute le droit de connaître l'emploi qu'on a fait des assignats.

M. de Cernon. On en rendra compte.

M. de Folleville. Je ne sais si l'on a l'intention de nous rendre un compte in globo; quant à moi, j'avoue qu'il ne me conviendrait pas. Il nous faut dire exactement l'état où nous laissons les assignats de 2,000 livres ; à quel numéro en est leur émission; il faut de pareilles

explications sur les autres espèces d'assignats. (Les tribunes applaudissent.)

M. Regnault (de Saint-Jean-d'Angély). On sait d'où viennent ces déclamations; on connaît les auteurs de ces placards que l'on affiche à tous les coins de rues; ce sont les derniers efforts des ennemis de la Constitution. Je demande que l'Assemblée leur témoigne le mépris qu'ils méritent, en passant à l'ordre du jour.

M. Lavie. S'il y a des comptes à rendre, ils sont dans le livre Rouge; c'est là que l'on verra les dilapidations auxquelles nous avons mis un terme, que l'on trouvera les aristocrates que nous avons empêchés de piller les finances; voilà tout le compte que nous avons à rendre. Je demande qu'on passe à l'ordre du jour.

L'Assemblée

Compte rendu de Montesquiou (9 septembre 1791). avait décidé le 21 août qu'un état général des recettes, des dépenses, de la dette et des recouvrements à faire lui serait soumis avant le 15 septembre. Il le fut, en apparence du moins, mais pas avec le détail et la précision que réclamait Folleville; on n'aurait pas eu les éléments nécessaires et on aurait craint de les produire devant le public. Montesquiou lut, au nom du comité des finances, un long et intéressant rapport divisé en trois parties, dans lequel il montrait successivement l'état des finances avant la réunion des États généraux, l'œuvre accomplie par la Constituante, et l'avenir financier qu'elle léguait à la Législative. Membre du comité des finances depuis le commencement de la Révolution, partisan des assignats et promoteur des principales mesures qui avaient été adoptées, il avait à défendre sa propre cause en exposant la situation financière.

Il le fit avec habileté (9 septembre 1791) et fut applaudi par la majorité. L'abbé Maury, qui traita le rapport de roman rempli de faussetés et d'impostures, se fit huer. Montesquiou commença par montrer le désordre et l'impuissance de la monarchie absolue; puis il rappela la suppression de tous les abus par la Constituante, l'abolition des dimes et des impôts iniques, la diminution de l'impôt foncier, réduit de 550 à 300 millions; enfin, la grande mesure du remboursement général de la dette exigible et des offices. Pour de telles réformes, il fallait une ressource extraordinaire; les biens nationaux l'ont fournie d'une manière légitime; et quoique les rentrées des contributions aient éprouvé, depuis le 1er mai 1789, un déficit de 359 millions, aucun service n'a été interrompu. La dépense énorme faite du 1er mai 1789 au 1er juillet 1791, qui s'élève à 1,719,540,332 livres, a été couverte par une recette de 1,756,210,252 livres. Les revenus ordinaires figurent à peine pour 470 millions dans cette somme (dont une notable partie avait été perçue en assignats); le reste a été fourni par les billets de la Caisse d'escompte et les assignats.

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Voici le compte des assignats, tel qu'il a été arrêté au 1er août :

Assignats décrétés (17 avril, 29 septembre 1790, 19 juin 1791). plus les coupons d'intérêts des premiers assignats.

sur quoi on a employé déjà

Reste.

Mais on a encore à échanger, en billets de la Caisse d'escompte et en promesses d'assignats.

Il reste donc en réalité à employer.

1.800.000.000 livres,

1.656.468 livres,

1.801.656.468 livres,

1.283.273.333 livres.

518.383.135 livres.

40.138.700 livres. 478.244.435 livres.

Sur les.

employées, il était rentré dans la Caisse de l'extraordinaire, au 1er août.

sur lesquelles 215 millions avaient été brûlés.

Il reste donc dans la circulation . .

1.283.273,333 livres.

221.233.831 livres,

1.062.034.502 livres.

dont il faudrait encore déduire ce qu'ont pu recevoir les caisses de district.

Il y avait donc environ, en comprenant les billets de la Caisse d'escompte et les promesses d'assignats, 1 milliard 100 millions de papier en circulation. En admettant ces chiffres, la moitié peut-être des biens nationaux se trouvait consommée,et l'on était loin de l'avoir employée tout entière aux remboursements, selon la destination première. Elle avait servi en grande partie à faire vivre jour par jour l'État. Aussi, quand Montesquiou se félicitait d'avoir liquidé la dette publique au prix des biens nationaux, d'avoir exonéré le Trésor, d'avoir malgré d'immenses dépenses rétabli l'équilibre et de laisser à la Législative un avenir facile avec des contributions équitablement réparties et qui seraient acquittées sans murmure, il se faisait illusion cette fois, comme d'autres fois.

Suivant les membres de la droite, c'était plus qu'une illusion, c'était un mensonge. On contestait tous ses chiffres, et Bergasse, adversaire acharné des assignats, n'était pas d'accord même sur le chiffre de l'émission, qu'il portait, à tort vraisemblablement, à 1 milliard 491 millions. Une pareille incertitude cependant ne surprend pas à une époque de révolution où tout se faisait à la hate, où des administrateurs étaient soupçonnés, non sans quelque raison, de remettre frauduleusement en circulation des billets rentrés qu'ils auraient dû bàlonner; où, enfin, au milieu de la profusion de papiers circulant, il s'en glissait un grand nombre de faux qui rendaient impossible l'exactitude des comptes.

La droite avait à plusieurs reprises réclamé non un rapport général sans preuve, comme celui de Montesquiou, mais un compte détaillé de gestion; elle ne l'obtint pas. Seulement, à la dernière séance (30 septembre), Montesquiou fit savoir que l'inventaire du Trésor se soldait par 35,190,000 livres en caisse, dont 12 millions en assignats, et Camus donna un état de la Caisse de l'extraordinaire, qui avait dépensé,

outre les 1,200 millions des deux premières émissions, 254 millions sur la troisième émission, de sorte qu'il lui restait 346 millions disponibles. En entendant prononcer ce chiffre, l'Assemblée, oubliant que le ministre des finances avait avoué quelques jours auparavant que le Trésor n'avait touché au mois d'août que 13 millions sur 43, applaudit comme si elle léguait à ses successeurs un excédent de recettes. En réalité, l'année 1791 laissait un gros déficit, que les assignats avaient masqué, et non comblé.

La dette exigible et les biens nationaux. — On n'était pas plus d'accord sur les deux grandes questions qui étaient intimement liées aux assignats celle de la dette exigible et celle des biens nationaux. En principe, les assignats n'étaient qu'un intermédiaire entre ces deux termes. Payant la dette exigible et achetant les biens nationaux, ils avaient pour dernière conséquence et pour fonction principale de convertir la dette en biens-fonds et d'exonérer entièrement l'État par l'abandon qu'il faisait à ses créanciers de ses immeubles.

De quoi se composait la dette exigible? De la liquidation complète du passé. La Constituante avait accepté toutes les dettes et tous les engagements de la monarchie absolue; elle avait déclaré qu'elle ne permettrait plus ni les anticipations ni les suspensions de payements qui déshonoraient l'ancienne finance. Elle avait donc à rembourser immédiatement les avances des traitants, les effets en souffrance, les anticipations. Elle avait, de plus, à rembourser les offices de toute espèce qui, dans toutes les branches de l'administration et même de l'industrie, magistrature, armée, corps de métiers, pesaient sur la nation, sous forme de privilèges, de monopoles et d'impôts, et dont les rois avaient couvert la France, autant par système de gouvernement que par besoin d'argent; elle avait déclaré, et en cela elle avait eu raison, que ces offices seraient immédiatement supprimés; par suite, il était juste de rendre immédiatement aux titulaires le prix qu'ils avaient payé. Elle avait à rembourser une partie des droits féodaux et des dîmes; car si les dimes et droits féodaux étaient une injustice pour celui qui les subissait, ils constituaient le plus souvent une propriété dont on ne pouvait dépouiller sans indemnité celui qui l'avait acquise légitimement. Elle avait enfin à rembourser les dettes du clergé et celles des provinces. Cette multitude de remboursements portait la dette exigible à un chiffre très élevé. Au mois de janvier 1791, La Rochefoucauld divisait la dette en trois parties: 1o la dette constituée, dont l'intérêt annuel était de 65,913,973 livres, et qu'il ne fut jamais question alors de rembourser; 2o la dette immédiatement exigible, qu'il portait à 1,339,741,813 livres ; 3o la dette qui deviendrait successivement exigible à diverses échéances. Montesquiou, dans son compte rendu, confondait ces deux dernières parties sous le nom de dette exigible, qu'il évaluait à

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