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2 milliards 300 millions, indépendamment de 411 millions directement acquittés par le Trésor.

Bergasse trouvait ce chiffre trop faible. On a peur, disait-il, d'avouer la vérité à la nation. Les offices de magistrature forment le premier article de la dette; on l'avait d'abord fixé à 360 millions, puis à 450; on le fixe maintenant à 800; on est encore au-dessous de la réalité ; car on n'a pas fait jusqu'ici le quart des liquidations de ce genre, et pourtant on a déjà dépensé 254 millions. Il faut au moins porter cet article à 1 milliard 116 millions. Par une série de rectifications du même genre, il arrivait à un total de 2 milliards 705 millions (non compris probablement les 411 millions). Mais si Montesquiou avait intérêt à amoindrir les difficultés, Bergasse, de son côté, devait être entraîné à de fréquentes exagérations.

La dette constituée perpétuelle, la dette viagère (comprise par Montesquiou dans la dette exigible) formaient la dette remboursable par annuités, dont le total montait environ à 2 milliards 1/2.

Il y avait encore un autre article qui devait se trouver en première ligne dans le compte de la dette exigible: c'étaient les assignals, dette privilégiée, jouissant d'une hypothèque spéciale et devant être remboursée à mesure que s'effectueraient les ventes. En retranchant des 1 milliard 116 millions en circulation les 523 millions employés à des remboursements, le total de la dette était donc de 2 milliards 893 millions d'après Montesquiou, de 3 milliards 298 millions d'après Bergasse: calculs approximatifs et même en partie fictifs.

L'hypothèque était-elle suffisante pour répondre d'une dette pareille? On pouvait en douter, et la possibilité seule du doute était un obstacle à la confiance. Il était bien difficile à une Assemblée d'évaluer tout à coup la valeur de biens-fonds disséminés dans toute la France et dont elle ne connaissait au juste ni l'étendue ni le revenu. Mais les diverses appréciations qui furent faites restent presque toutes au-dessous de 2 milliards 777 millions.

Bergasse ne donnait que 2 milliards 201 millions. C'était, il est vrai, un ennemi; mais on ne peut opposer le même reproche ni à Camus,qui en juillet avait parlé de 2 milliards 1/2, ni à Amelot et au comité d'aliénation. Amelot trouvait 2,440,939,525 livres ; le comité, 2,415,227,758 livres, et tous deux s'appuyaient sur la statistique officielle. Sur les 544 districts de France, 314 avaient déjà envoyé leurs comptes dont le dépouillement général donnait :

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Montesquiou faisait reposer ses calculs sur les mêmes données, qui étaient déjà un peu plus complètes à l'époque de son rapport: on possédait les états de 414 districts. Les biens vendus s'élevaient à plus de 735 millions, et par une hypothèse légitime, il portait la masse des biens vendus dans toute la France à 964,733,114 livres; il ne s'éloignait pas beaucoup sur ce point des évaluations précédentes. Pour les biens à vendre et les biens dont la vente était suspendue, il raisonnait ainsi : « Jusqu'à présent, le prix des ventes a dépassé de beaucoup le chiffre des estimations; les biens que le comité évaluait à 340 millions en ont produit 579; il en arrivera de même des biens que l'on estime aujourd'hui, et il n'y a aucune exagération à augmenter d'un cinquième le chiffre de ces estimations. » D'après ce raisonnement, il portait la valeur des biens à vendre à 1,359,990,024 livres, et celle des biens dont la vente était suspendue à 275,367,844 livres. Il ne s'apercevait pas ou ne voulait pas s'apercevoir que cette plus value des propriétés n'était due qu'à l'avilissement du papier-monnaie ; c'était spéculer sur la baisse des assignats pour soutenir les assignats. Non content de ce sophisme, il ramassait toutes les créances de l'État, les mauvaises comme les bonnes, et il atteignait un total de 3,500,090,982 livres, sur lesquels il y avait près de 1 milliard dont la rentrée était fort problématique.

De plus, comment les biens avaient-ils été achetés? Sur une vente d'environ 965 millions, la Caisse de l'extraordinaire n'avait reçu que 221 millions. C'est que le payement ne se faisait que par fractions, à diverses échéances. Beaucoup, spéculant sur la baisse rapide des assignats, qui perdaient déjà 21 p. 100, achetaient cher dans l'espérance qu'à l'époque de leurs payements ils pourraient se procurer à bon compte les assignats dont ils auraient besoin. L'État faisait un véritable métier de dupe : il allait échanger de bonnes terres contre une petite quantité de ce papier-monnaie qu'il serait en même temps forcé de donner à profusion pour les services publics. Peu à peu, le fonds disparaîtrait sans que la dette fût amortie.

Du système financier de la Constituante. L'Assemblée constituante avait entrepris une œuvre financière gigantesque, mais nécessaire : refondre tout le système des impositions de la France, afin de le mettre en harmonie avec la refonte générale du système social. Elle y avait travaillé avec conscience et persévérance, malgré la diversité de ses occupations et les incidents qui les troublèrent; on doit ajouter: avec un sincère désir de constituer un régime d'égalité. Mais elle était très inexpérimentée, et son comité des finances, dont les membres n'avaient pas non plus pour la plupart la pratique du gouvernement, eut le tort de prétendre tout régler par lui-même sans s'éclairer des conseils de l'administration et particulièrement de Necker. Aussi, quelque loua

bles qu'aient été ses intentions, le système des contributions qu'elle a créé est-il très critiquable; il n'a jamais été appliqué tel qu'elle l'avait conçu. Dès que l'impôt foncier dut être payé non en assignats, mais en espèces métalliques, il fut trouvé écrasant et il dut être réduit; dès que la fabrique de papier-monnaie eut été fermée, il fallut avouer l'insuffisance de la contribution directe et établir des impôts indirects.

L'Assemblée constituante s'était trouvée en face de grandes difficultés; il lui était impossible de ne pas les accroître encore et d'éviter une crise financière. Mais elle eût pu ne pas se laisser entraîner aussi loin par la persuasion qu'elle allait supprimer ces difficultés en créant les assignats. Sa tâche n'eût pas été moins pénible, mais les assemblées qui lui succédèrent n'eussent peut-être pas été exposées aux mêmes illusions et la circulation à d'aussi grands dangers.

La Constituante se sépara à la fin de septembre 1791.A cette époque s'étaient déjà produits quelques-uns des mauvais effets du papiermonnaie la disparition du numéraire, la dépréciation du papier, l'agiotage sous diverses formes, le renchérissement des denrées, la banqueroute partielle de beaucoup de débiteurs, l'excès des émissions, le payement des impôts en assignats'. Tous avaient été signalés à l'avance par l'opposition, qui avait invoqué à l'appui de ses raisonnements l'exemple du Système de Law et celui de l'Amérique. Le parti révolutionnaire avait repoussé comme une injure cette assimilation, et rejeté, avec Mirabeau, jusqu'au nom de papier-monnaie.

Sur quoi fondait-il donc cette distinction? Sur ce que le papiermonnaie ne représentait que le crédit, tandis que l'assignat représentait une valeur réelle, la terre, et que par conséquent, l'un n'était rien par lui-même, tandis que l'autre était la première de toutes les richesses. C'était une erreur. C'est sur cette erreur que reposait la théorie des assignats, et c'est grâce à ce spécieux argument qu'elle avait triomphé. Les faits ont réduit l'argument à sa véritable valeur.

L'assignat était un véritable papier-monnaie; il en portait les deux caractères distinctifs : il n'avait pas pour mesure et pour limite la confiance publique, comme le simple papier de crédit, puisqu'il avait cours forcé; en second lieu, il n'était pas remboursable à terme fixe, en espèces sonnantes.

En vain la Constituante se faisait illusion à cet égard en donnant la

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1. MALLET DU PAN, qui était, il est vrai, un adversaire de la Révolution, portait dans le Mercure de France le jugement suivant sur l'œuvre financière de la Constituante: «< Elle laisse nos finances dans l'abîme, la dette publique considérablement accrue, le déficit annuel augmenté de moitié suivant les calculs les plus favorables; les impositions arriérées, suspendues, frappées dans leur source par la hardiesse d'un système absolument nouveau, dont la conséquence immédiate a été d'habituer les peuples à se croire libérés de taxes. » Jugement qui contient des griefs fondés, mais qui est injuste parce qu'il ne vise que le mal.

terre, le premier de tous les biens, disait-elle, pour hypothèque à son papier. La terre n'est pas, en pareil cas, l'équivalent des métaux précieux ; elle n'est pas mobile, elle n'est pas un instrument des échanges. Qu'importait à celui qui avait à payer le soir ses ouvriers ou à acheter son diner que ses assignats eussent la terre pour hypothèque ? L'assignat, disait-on, finissait par tomber aux mains d'un homme qui voulait acheter une terre, et par là, il devait se soutenir à sa valeur nominale. Mais il y tombait de chute en chute après une série de dépréciations: le capitaliste pouvait attendre et attendait. Pour donner aux assignats le caractère particulier qu'on se proposait, il eût fallu dire à combien de pieds carrés correspondait un assignat de 100 livres. Encore n'eût-on. pas prévenu la dépréciation, dès qu'on ajoutait à cette condition le cours forcé. Les métaux précieux ne peuvent être remplacés avec avantage que par un papier que chacun sache pouvoir convertir en monnaie métallique dès qu'il le veut.

Aussi la valeur de l'assignat, comme celle de tout papier-monnaie, se proportionnait-elle au crédit, et ce crédit s'usait à mesure qu'on en émettait une quantité plus considérable. Le change contre l'argent, valeur réelle et présente, mesurait non plus le degré de confiance, mais le degré de méfiance du public. De 5 p. 100, la perte des assignats s'éleva à 16, à 18 et même un moment à 21 en moins de quinze mois'. Dès qu'il y eut un papier-monnaie, tout débiteur eut intérêt à s'en servir surtout vis-à-vis de l'État qui ne pouvait s'empêcher de l'accepter pour sa valeur nominale. Aussi l'État ne reçut-il plus d'argent, et il eut plus à payer: effet ordinaire du papier-monnaie, qui a souvent pour origine la détresse du Trésor, pour première conséquence une détresse plus grande encore, et pour perspective la banqueroute.

L'Assemblée a-t-elle eu conscience de tous ces maux? Non; elle n'a pas osé envisager les conséquences de la mesure, parce qu'elle s'y sentait poussée par une nécessité révolutionnaire. Ce fut son tort. Les illusions sont toujours dangereuses en matière de politique et de finances. Il eût mieux valu mesurer la grandeur du mal. Puisqu'on avait eu l'imprudence de supprimer les impôts indirects avant d'en avoir trouvé l'équivalent, puisque ni les contributions ni les emprunts ne pou vaient remplir le Trésor vide, et qu'il était pourtant nécessaire de fournir aux dépenses de chaque jour, il fallait se servir des assignats pour ces dépenses, et faire vivre ainsi l'État jusqu'au jour où renaîtrait l'ordre.

1. Voici quel a été le cours du louis d'or pendant la Constituante. En billets de la Caisse d'escompte, on le payait 24 livres 7 sous à la fin d'avril 1789; à la fin de mars 1790, 25 livres 5 sous. En assignats, on le payait 25 livres 10 sous en avril 1790, 29 livres 15 sous à la fin d'août et 29 livres 10 sous à la fin de septembre 1791. Un rapport officiel du 8 nivôse an V porte, en septembre 1791, 82 livres en espèces pour 1,000 livres en assignats.

Mais il ne fallait pas compliquer la question par des remboursements intempestifs; il fallait savoir que moins on emploie de papier-monnaie, moins les effets en sont à redouter. Puisqu'on disposait des biens du clergé, il fallait offrir aux créanciers de l'État ou des terres sous forme de quittances de finances, ainsi que le proposait Dupont de Nemours, ou la rente de leur capital hypothéquée sur le revenu de ces mêmes terres. Avec un pareil système, la somme des émissions eût été réduite, la dépréciation eût été moindre, et la Constituante, en se retirant, n'eût laissé à ses successeurs ni une situation financière aussi gravement compromise, ni surtout cette fausse idée que sa monnaie de papier était aussi réelle que la monnaie d'argent, qu'on pouvait la répandre comme une richesse vivifiante, et qu'en douter, c'était douter de la Révolution même. La Révolution n'eût certes pas été compromise pour n'être pas liée au sort des assignats, et la Constituante n'aurait pas à porter la responsabilité des erreurs qui, sur sa foi, ont été acceptées comme des principes par les assemblées suivantes et qui ont aggravé les excès et les maux ordinaires du papier-monnaie. « Le système des assignats n'est pas de nous, disait plus tard Cambon à la Convention; il est de l'Assemblée constituante; nous avons dû le maintenir. »

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Les assignals sous la Législative. La Constituante avait épuisé la discussion théorique au sujet des assignats; la Législative n'essaya pas de la renouveler. Elle accepta le nouveau système financier comme un héritage inséparable de la Révolution, et sans se demander si ces théories étaient justes ou fausses, si l'avenir n'était pas compromis par la quantité de papier qui encombrait déjà la circulation, elle ne songea qu'à profiter des ressources faciles que lui fournissait la planche aux assignats pour satisfaire aux besoins du moment. Elle aurait cru manquer de patriotisme si elle avait mis en doute un seul instant la solidité d'une monnaie que la Révolution avait créée et qui avait pour hypothèque les biens confisqués au clergé. Elle préféra une aveugle confiance à un prudent examen, laissant à son aînée la responsabilité d'une institution dont elle croyait n'avoir à recueillir que les bénéfices.

Il y avait à peine un mois que la nouvelle Assemblée était réunie, que déjà le Trésor était vide. Au 1er novembre, la caisse ne renfermait que 2,525,000 livres : ce n'était pas de quoi suffire aux besoins de la journée. La Législative s'empressa de voter (1er novembre 1791) l'émission de 100 millions d'assignats de 5 livres destinés à l'échange des gros assignats. On n'en mit d'abord que 10 à la disposition des caisses de l'État; quelques jours après, il fallut porter cette somme à 25, et bientôt avoir recours à une émission plus considérable. Cambon vint

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