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méraire, au lieu de dix-huit groschen, nous n'en déboursons en réalité que dix; soit dix groschen de moins qu'en Allemagne, où il serait difficile d'avoir deux chevaux à ce prix. Il est fâcheux que les petits assignats soient très rares dans l'intérieur de la France et qu'il faille payer si cher pour s'en procurer. Nous avons fait un mauvais calcul en n'en prenant pas davantage à Lyon; le change des gros assignals contre les moindres n'y dépasse pas cinq du cent, tandis qu'ici le change d'un assignat de cent cinquante livres contre des assignats de cinq livres vient de nous coûter huit du cent1. »

Un orateur, Dorizy, avait dit que le rôle de la Législative était de faire en France les finances, comme la Constituante avait fait la Cons. titution. La Législative ne justifia guère cette prétention. Sans initiative en matière de finances, elle suivit les errements de l'Assemblée précédente. Comme elle, elle s'aveugla sur le danger; elle ne voulut ni renier, ni même discuter une institution créée dans l'intérêt de la Révolution, et par suite de cet entraînement fatal qui est souvent la conséquence et comme le châtiment d'une première faute, elle laissa la situation financière plus compromise qu'elle ne l'avait reçue. Rien n'avait été perçu sur les contributions de 1792.

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Débuts de la Convention. La Convention n'avait pas le choix des moyens. L'administration était désorganisée, l'industrie paralysée, les impôts ne rentraient pas, les caisses étaient vides, et les Prussiens campaient à Valmy. Ce n'était pas au moment où les nobles désertaient en foule la France, où le peuple s'enrôlait, où la population des villes n'était occupée qu'à forger des armes et à faire de la charpie, où le souvenir hideux des journées de septembre planait encore sur Paris, qu'on pouvait discuter des théories financières et prétendre se régler sur les lois naturelles du crédit. Il fallait vivre, et l'argent manquait : on eut recours aux assignats.

Comme la Législative, la Convention avait une pleine confiance dans la monnaie révolutionnaire, et il semblait que la nation, passant des émeutes et de l'anarchie de la Législative à l'espérance d'avoir bientôt un gouvernement régulier, fût prête à s'associer à cette confiance. L'assignat se relevait un peu; pendant les derniers mois de l'année, il ne perdait plus que 30 p. 100. Mais comme la Législative, la Convention dut détourner les assignats de leur premier emploi et les multiplier en les appliquant aux besoins journaliers de l'administration.

1. La France en 1792, décrite par un voyageur allemand (Lettres intimes sur la France, de J.-F. REICHARDT), Berlin, 1892-1893; article de la Revue pédagogique, n° 7, juillet 1892.

La Caisse de l'extraordinaire avait dû fournir, dans le courant du mois de septembre, un supplément de 145 millions. Au 10 octobre, il ne restait plus, sur les créations autorisées, que 111 millions, dont 28 seulement pouvaient être mis en circulation sans nouveau vote de l'Assemblée.

Cambon, fils d'un négociant de Montpellier, s'était déjà occupé spécialement des finances sous la Législative; il devint à la Convention la principale autorité financière et se fit l'avocat des assignats dans lesquels il avait foi et dont il croyait, comme bien d'autres, le succès né cessaire pour le triomphe de la Révolution. Le 24 octobre 1792, un décret rendu sur sa proposition porta le chiffre de la circulation à 2 milliards 400 millions, ordonna la création de 400 millions d'assignats de 10 et de 25 livres, destinés à être immédiatement employés, el la fabrication de 100 millions d'assignats de 10 et de 15 sous qui devaient rester sous clef. C'était la première émission de la Convention ce ne fut pas la dernière.

Une seule voix s'éleva pour protester au nom de la raison contre la conduite dans laquelle les Conventionnels s'engageaient avec une aveugle confiance. Quelques jours après le vote du 24 octobre, Jacob Dupont déplorait la confusion de la dette exigible avec les dépenses journalières et montrait le péril. «Quand je vois, disait-il, que depuis 1789 on n'a cessé de prendre sur les capitaux et qu'en créant 400 millions d'assignals on a reconnu encore la nécessité de prendre sur ces capitaux pour frayer aux dépenses fixes, et quand je calcule l'effet terrible que pourrait avoir dans un temps donné une pareille conduite, effet tel que la République, après avoir consommé ses capitaux, ses ressources, se trouverait avec un déficit égal ou plus considérable que celui qui a provoqué la Révolution de 1789... quand enfin je pressens, à la marche peu assurée de la Convention nationale sur les objets de cette importance, qu'elle se propose de vivre au jour le jour, de prendre sur les capitaux pour les dépenses fixes et annuelles, j'éprouve un sentiment pénible que je voudrais pouvoir communiquer à tous les citoyens français. »>

Cambon répliqua, mais avec plus de colère que de force. Il prétendit que loin de s'aggraver, la situation s'améliorait, puisque les dépenses du mois seraient de 60 millions au-dessous de celles du mois précédent, et que la balance ne tarderait pas à se rétablir: c'étaient toujours les mêmes illusions. Mais qu'opposer aux craintes si fondées de Jacob Dupont? Un seul argument, celui de la nécessité: il fallait administrer le pays, sauver la patrie, et il était impossible de suffire à cette tâche avec les revenus ordinaires. C'est ce que disait Cambon, au milieu de raisons spécieuses et de déclamations virulentes; c'est ce que sentait la Convention.

Aussi n'hésita-t-elle pas devant cette impérieuse nécessité. Les assi

gnats étaient, depuis un décret du 15 décembre 1790, enfermés dans une armoire fermant à trois clefs, celle de l'administrateur de la Caisse de l'extraordinaire, celle du trésorier de la Caisse, et celle des Archives nationales qui ne devait être remise qu'entre les mains d'un commissaire du Corps législatif. Chaque mois, quand une fois l'excédent des dépenses sur les recettes avait été fixé par la Trésorerie, on prévenait la Convention, et avec son autorisation, on tirait de l'armoire la somme nécessaire. Quand il fallait faire une nouvelle émission, on préparait d'avance le papier, les presses, et on procédait au tirage dès que la Convention avait donné l'autorisation. La fabrication devint depuis 1793 une affaire considérable; il fallut embaucher quatre cents ouvriers de plus, et on faisait travailler si dur des hommes insuffisamment nourris pendant le maximum, qu'on tenait « à l'ouvrage depuis six heures du matin jusqu'à huit heures du soir », qu'ils se mirent en grève en messidor an III, et que les comités furent obligés pour les ramener à l'atelier de leur allouer d'urgence une livre de pain par jour et par tête '.

Chaque mois la Convention décréta une nouvelle fabrication : 600 millions d'assignats de 400 livres le 21 novembre, 300 millions d'assignats de 50 livres le 14 décembre; si bien qu'à la fin de janvier 1793, la somme des assignats créés depuis 1790 monta à 3 milliards 100,000,040 livres, et que déduction faite de ceux qui étaient rentrés et brûlés, il y avait encore 2,387,460,040 livres dans la circulation et 30,550,000 livres à fabriquer. Ces émissions avaient été votées en séance publique. Quand il fallut ensuite les réitérer trop souvent, on évita la publicité et les deux comités de finances et de salut public décidèrent seuls en secret.

Louis XVI venait de mourir sur l'échafaud. A l'extérieur, la France voyait tous ses voisins, ligués contre elle, menacer ses frontières ; il fallait leur faire face aux Pyrénées, dans les Alpes, sur le Rhin, sur la Meuse, défendre les côtes contre les flottes de l'Angleterre, conserver les conquêtes, maintenir dans l'obéissance les provinces chancelantes. A l'intérieur, la Convention, dominée par la Montagne, allait se couvrir de sang. Spectacle terrible qu'on ne peut considérer de loin sans éprouver un double sentiment de dégoût pour tant d'horreurs, et d'admiration pour l'énergie qui a triomphé de tant de dangers! D'argent, il était plus que jamais impossible de s'en procurer. Les trois contributions directes avaient à peine produit 5 millions en 1792; elles devaient produire moins en 1793, et le peu que donnaient les contribuables, ils le donnaient en papier. Les assignats n'auraient pas existé alors, qu'il eût fallu les inventer.

La Convention ne délibéra donc pas, et elle accepta le papier-mon

1. M. STOURM, les Finances de l'ancien régime et de la Révolution, t. II, p. 307.

naie avec une intrépidité de confiance qui peut faire supposer que la plupart de ses membres ne voyaient pas même l'abîme que Jacob Dupont leur avait montré. Cambon qui dirigeait les finances, entretenait ses collègues dans l'erreur où il était lui-même révolutionnaire convaincu et intègre, mais esprit à vue courte qui puisait sa force dans son dévouement à la Révolution, et qui croyait, comme beaucoup d'autres, le salut de la République attaché à la vente des biens confisqués au clergé et à la noblesse.

Le 1er février, il exposa la situation financière. D'une part, les dépenses étaient grandes, les impôts ne rentraient pas ; le déficit était considérable, il fallait le combler avec les assignats; mais, d'autre part, on n'avait créé que 3 milliards d'assignats, et le gage sur lequel ils étaient hypothéqués dépassait probablement, d'après lui, 8 milliards. L'actif s'était accru beaucoup plus rapidement que le passif, et Cambon réclamait impérieusement la confiance. « Tous ceux qui sont de bonne foi, disait-il, tous ceux qui veulent lire dans les comptes doivent voir que les assignats sont d'une solidité que rien ne peut altérer, excepté la contre-révolution ou le retour des anciens pontifes qui veulent s'approprier toute la fortune publique..... Il faut avoir recours à cette terre en friche qu'on nous a conservée et créer de nouveaux assignats. Nous, ne nous dissimulons pas, citoyens, que sans cette ressource nous serions esclaves. Il faut avoir recours à nos assignats et toujours à nos assignats. >>

Il n'atteignait ce chiffre de 8 milliards qu'en ajoutant aux biens du clergé ceux de la liste civile, ceux des émigrés, ceux des pays réunis et beaucoup de rentrées douteuses ou éloignées. Cambon allait jusqu'à faire entrer en compte les indemnités que payeraient à la paix les peuples auxquels les succès des armées françaises auraient procuré la liberté et l'égalité. C'était une confiance que tous les porteurs d'assignats ne partageaient pas.

Cambon n'étalait aux yeux de l'Assemblée les richesses de l'État que pour l'engager à en user largement. Il proposa de mettre immédiatement en vente les biens des émigrés, de créer 800 millions d'assignats et de porter la circulation à 3 milliards 100 millions. Ces ressources devaient servir non seulement aux dépenses extraordinaires, mais au remboursement des dettes inférieures à 10,000 livres. « La postérité, s'écriaitil avec enthousiasme, la postérité ne sera pas peu étonnée de voir un peuple luttant contre les efforts du despotisme, combattant tous les rois ligués, étant obligé de faire des dépenses énormes pour affermir son indépendance, s'occuper, dans ses moments de calamité, du remboursement d'une dette contractée par le despotisme, en acquittant 72 millions par an, en payant exactement les rentes des capitaux empruntés et une quantité énorme de pensions à des personnes à qui la Révolution a fait perdre leur état. Avec une telle conduite, il n'y a que

le financier, il n'y a que les agioteurs qui puissent avoir le moindre doute sur la loyauté française. »

L'Assemblée vota (1er février 1793); mais les brillantes promesses de l'orateur ne se réalisèrent pas. Les millions disparurent sans que les remboursements se fissent et sans que les dangers fussent écartés. Il fallut avoir encore recours à la planche aux assignats. Le 7 mai 1793, Cambon présenta de nouveaux calculs par lesquels il prouvait que l'actif dépassait le passif de 4 milliards et proposait la fabrication de 1 milliard 200 millions. L'Assemblée vota encore, et approuva l'émission immédiate de 498,200,000 livres. L'émission des 701,800,000 livres restant fut autorisée par décrets du 23 mai et du 6 juin'. Les presses fonctionnèrent aussitôt,et, moins de quatre mois après, il ne restait plus que 484 millions dans les ateliers de fabrication ou dans les caisses de l'État. En une année, la Convention avait créé 3 milliards 300 millions de papiermonnaie, dépensé 2 milliards 927 millions et augmenté de 1 milliard 245 millions la circulation des assignats sommes énormes qui prouvaient combien sont coûteux les expédients financiers et avec quelle rapidité marche vers la ruine un État qui paye avec une telle monnaie. La Convention faisait pour sauver la France ce que le régent avait fait avec les billets de la banque de Law pour enrichir ses favoris. Il ne faut pas confondre la corruption raffinée des favoris du duc d'Orléans avec le patriotisme exalté des conventionnels; néanmoins les deux époques offrent ce point de ressemblance, qui est d'autant plus instructifque les exemples sont plus divers: c'est qu'on est toujours prodigue quand on dispose d'une fortune fictive qu'on croit illimitée.

L'échange des billets de confiance. - La foi dans les assignats devenait un des articles de la foi républicaine : il est toujours imprudent de lier le patriotisme à un expédient d'ordre économique. La ville de Metz fit le serment de ne connaître qu'un seul prix en achetant ou en vendant, le même avec l'assignat qu'avec le numéraire ; le département de la Meurthe prit un arrêté dans le même sens ; le département des Landes, tout en dédaignant le serment, prit des mesures pour prévenir les infractions à la loi du 11 août 1792 qui infligeait six ans de fers à quiconque vendait du numéraire. Les considérants de son arrêté sont caractéristiques:

<< Considérant que les plus grands ennemis du peuple sont ceux qui l'égarent sur la confiance qu'il doit avoir dans le papier-monnaie, puisque l'hypothèque de l'assignat est immense;

« Considérant qu'il existe un calcul profond de malveillance et de

1. Ces 1.200 millions se composaient (décret du 6 juin 1793) de 600 millions en billets de 400 livres, 200 millions en billets de 40 livres, 223,200,000 livres en billets de 10 livres, 75 millions en billets de 2 livres 10 sous, 75 millions en billets de 1 livre 5 sous, 40 millions en billets de 15 sous, 36,800,000 livres en billets de 10 sous.

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