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contre-révolution entre les ennemis du dehors et ceux de l'intérieur, même entre les agioteurs qui résistent à toutes les lois ou trouvent les moyens de les éluder, minent sourdement la fortune publique par l'épuisement des richesses particulières et portent sans pudeur à des prix excessifs et presque insultants tous les objets dont le peuple a besoin, afin qu'il ne puisse les acheter et qu'ainsi il maudisse une révolution où il ne peut plus vivre par son travail1... »

La Convention voulut mettre un terme au désordre qu'occasionnait la diversité des billets de confiance et unifier la monnaie républicaine sous forme d'assignats. Elle donna aux administrateurs des départements l'ordre de briser les planches, de faire le relevé de ces billets et de les échanger contre de petits assignats; elle promit (décrets du 8 octobre et du 8 novembre 1792) de fournir des assignats de 5 livres aux municipalités qui en demanderaient avec pièces à l'appui et déclara que tout billet de confiance cesserait d'avoir cours au 1er janvier 1793. Ce fut une grosse opération de trésorerie 2, qui, prorogée plusieurs fois, se prolongea jusque vers la fin de l'année 1793 *.

Le département du Pas-de-Calais demandait 1 million; la Trésorerie ne put lui expédier en janvier 1793 que 60,000 livres en petits assignats, la provision étant presque épuisée. Le Havre demandait 1,248,000 livres en billets de 50 à 5 livres; il en eut 800,000. Lyon en obtint 500,000; ses deux caisses, la Caisse patriotique et l'Association de la chapellerie, avaient émis en mandats plus de 7 millions 1/2; ces caisses étaient solides et on était sans crainte sur le remboursement, mais l'embarras n'était pas moins grand dans la vie journalière ".

A Rouen,il restait en circulation, le 18 janvier 1793, 614,198 livres de bons de la Caisse patriotique d'Yvetot. Les administrateurs déclaraient qu'il était impossible de les en retirer si la Convention n'envoyait 100,000 ou même 200,000 livres d'assignats en petites coupures.« Il faut, disaientils, multiplier les assignats dans les cantons qui emploient beaucoup d'ouvriers. » La trésorerie en offrit 100,000. La Caisse patriotique de Rouen, plus importante, qui avait alors en circulation plus de 6 millions et demi de bons émis contre des effets de commerce ou des dépôts d'assignats 5, et qui pour liquider réclamait au moins 3 millions d'assignats de 5 livres ; la trésorerie en mit 500,000 à sa disposition.

1. Archives nationales, F12 798.

2. Des pièces relatives à cette opération se trouvent aux Arch. nationales, F12 7982. 3. Particulièrement par la loi du 19 novembre 1792 qui prorogeait jusqu'au 1er juillet 1793 tous les billets de confiance au-dessous de 10 livres.

4. Le 9 septembre 1793, les administrateurs du Pas-de-Calais demandèrent à la Convention que le terme de la franchise postale accordé à cet effet fùt prorogé jusqu'au 1er octobre. Arch. nationales, F12 7982.

5. A Bordeaux il y avait 16,391,000 livres de billets de confiance en circulation, mais balancés par un actif équivalent.

5. 6,604,121 livres le 24 décembre 1792.- Archives nationales, F12, 7982.

L'unification de la monnaie de papier était une amélioration. Lyon, Rouen et d'autres villes sans doute avaient émis un papier garanti par des valeurs correspondantes: l'opération du change était loyale. Mais que s'était-il passé ailleurs ? Les pièces justificatives qui se trouvent aux Archives nationales sont des relevés sommaires, et non des comptes de banque justifiant un dépôt préalable, et il est vraisemblable qu'une grande partie des assignats délivrés par la Convention ont remplacé des papiers qui n'avaient pas de contre-valeur.

La Convention s'efforçait, comme les assemblées précédentes, de procurer au marché un peu de monnaie métallique. Pendant qu'elle prescrivait, le 8 avril 1793, de stipuler exclusivement en assignats le prix de tous les achats, marchés et conventions à faire pour le service de la République, puis, le 11 avril 1, que «< aucuns achats, ventes, traités, conventions ou transactions entre particuliers ne pourront désormais contenir d'obligations autrement qu'en assignats, sous peine de six ans de fers »,elle admettait cependant qu'on employât les espèces métalliques, pourvu que ce fût au pair avec les assignats. Elle cherchait à activer la remise aux hôtels des monnaies des matières d'or et d'argent et des bijoux appartenant aux maisons royales, aux églises, aux particuliers, prescrite par la loi du 31 août 17922; les Monnaies devaient les convertir le plus tôt possible en espèces qu'elle verseraient à la Trésorerie nationale. Un an après (24 août 1793 et 12 septembre 1793), elle ordonnait la fabrication de petite monnaie, pièces de 5 décimes, puis pièces de 10, de 5 centimes et de 1 centime3. Le 23 brumaire an II (12 décembre 1793), elle faisait la chasse aux métaux précieux,déclarant que tout l'or et l'argent caché qui serait découvert serait confisqué, et elle promettait un vingtième au dénonciateur. Elle constituait. le système monétaire décimal, et pour mieux exercer la surveillance du gouvernement, elle décidait qu'il n'y aurait plus qu'un atelier monétaire, celui de Paris".

1. Le décret du 11 avril portait (art. 1er) que le numéraire de la République en or et en argent n'était pas marchandise. Une loi du 6 floréal an III (25 avril 1795) rapporta ce décret; mais, trois semaines après (2 prairial an III-21 mai 1795), cette loi était à son tour abrogée.

2. Décret du 28 septembre 1792.

3. « Chaque pièce, dit le décret, aura pour empreinte la Nation assise faisant jaillir de son sein l'eau de la régénération. » Cette fabrication fut contremandée par les lois du 3 brumaire an V (25 octobre 1796) et du 29 pluviôse an VII (17 février 1799) qui ordonnèrent de fabriquer des pièces pesant le double.

4. 26 pluviose an II. — C'est par décret du 8 octobre 1793 que la Convention ordonna que la monnaie d'or et d'argent serait au titre de 9/10, que le titre et le poids seraient indiqués conformément au système décimal et que l'unité monétaire serait le centième du gramme. La loi du 15 août 1795 a fait du franc, pièce d'argent de 5 grammes à 9/10 de fin, l'unité monétaire.

Des rapports présentés par le ministre des contributions publiques à la Conven. tion, il résulte que du 1er janvier 1793 au 30 mars 1794 il a été fabriqué pour 5,028,825

L'emprunt forcé. - Tout en dépensant des milliards, la Convention sentait bien qu'elle n'était pas riche. Les contributions n'étaient pas payées : l'arriéré montait déjà à 500 millions. Les assignats se dépréciaient, et quelque confiance que les patriotes eussent dans la validité du gage, quelque colère qu'ils fissent éclater contre les agioteurs. contre l'Angleterre qui avait défendu par un bill la circulation des assignats, contre tous les ennemis de la France, qui, ne pouvant la vaincre, cherchaient à la ruiner et lui faisaient une guerre de finances, ils ne pouvaient se dissimuler que le louis de 24 livres se vendait sur la place 61 livres en assignats et que tous les commerçants avaient doublé le prix de leurs marchandises. Il fallait bien, contrairement à ce qu'avaient soutenu les partisans des petits assignats, avouer qu'on avait surchargé la circulation et qu'il fallait en retirer promptement une partie pour relever la valeur du reste. Divers mémoires avaient. déjà été publiés à ce sujet ; la question fut posée aussi à la Convention dont le langage commençait à changer sur cette matière, et trois mesures furent successivement adoptées dans le but d'arrêter le discrédit.

La première fut l'emprunt forcé. On venait de parler d'une taxe de guerre c'était le 10 mai 1793. Cambon, qui avait un autre plan, monte à la tribune, « Et moi aussi, dit-il, je veux un impôt de guerre; je veux aussi qu'il porte sur tous les citoyens sans distinction de patriotes. ni d'aristocrates. Mais il existe dans la République des hommes qui sont ses plus cruels ennemis, qui, lorsque les satellites des tyrans arrivent sur notre territoire, sont respectés par eux dans leurs propriétés, occupent leurs places, tandis que les patriotes sont vexés. Le département de l'Hérault, témoin de ces abus, voyant une foule de citoyens quitter leur commerce et leurs propriétés pour aller défendre la patrie, a dit : Il est bien malheureux que ces citoyens payent autant que ceux qui fomentent les désordres et qui sont les causes de la guerre. Il a établi un emprunt forcé. Il a dit à tel individu : Tu es riche, tu as une opinion qui nous occasionne des dépenses; je veux respecter tes propriétés, mais je veux t'enchaîner malgré toi à la Révolution; je veux que tu prêtes ta fortune à la République, et quand la liberté sera établie, la République te rendra tes capitaux. Je voudrais donc qu'imitant le département de l'Hérault, la Convention ouvrit un emprunt civique d'un milliard qui serait rempli par les égoïstes et les indifférents. Les assignats nous font une guerre désastreuse : eh bien, cet emprunt civique d'un milliard fera rentrer les assignats et attachera tous ces citoyens à la République, en délivrant aux souscrip

livres 17 sous d'espèces de cuivre et de métal de cloche.― Cent ans de numismatique française, par DEWAMIN, t. II, p.147. — Un an après cette constatation (28 germinal an III-17 avril 1795), la Convention ordonnait la fabrication de 150 millions de monnaie de cuivre avec le métal des cloches: c'était après la suppression du maximum.

teurs de cet emprunt une reconnaissance qui serait admissible à l'acquisition des biens des émigrés. »

Des applaudissements plusieurs fois répétés accueillent cette proposition: «< Aux voix le principe! »

(

En vain Lanjuinais cherche à opposer quelques objections à cette singulière théorie de l'emprunt: « Cambon, dit-il, a fait une motion très patriotique, très sage et très juste et que j'appuie de toutes mes forces. Seulement je ferai observer à Cambon qu'il ne faut point dire : Les riches, les aristocrates payeront, les sans-culottes ne payeront point; car il y a des sans-culottes plus riches que les riches. » Des murmures l'interrompent. La Montagne ne veut pas entendre parler de justice l'emprunt est pour elle une arme de guerre. « Établir un emprunt forcé sur les riches, dit Thuriot, c'est remporter une grande

victoire. >>

Les Girondins essayent inutilement de protester; ils sont débordés par la violence de leurs adversaires. Dans les tribunes, les hommes et surtout les femmes mêlent leurs vociférations aux tumultes de l'Assemblée. « Je demande que vous leviez la séance, s'écrie Larivière, pour constater le défaut de liberté. » On murmure. Marat monte à la tribune, l'insulte à la bouche. « Que signifie, demande-t-il aux Girondins, cette terreur panique à l'aspect de quelques mouvements d'improbation excités par des femmes ? L'expérience aurait dû en guérir la Convention. Depuis deux ans on entend vos lamentations, et vous n'avez pas encore une égratignure à montrer à vos commettants. L'opposition à l'emprunt forcé vient de ce qu'on n'a pas excepté les membres de l'Assemblée. »>

On ne pouvait être plus injuste et plus provocateur. « Aux voix donc l'emprunt forcé », s'écria-t-on, et après une légère discussion, on rend le vote suivant : « La Convention nationale décrète qu'il y aura un emprunt forcé d'un milliard sur les citoyens riches; les reconnaissances seront admises en payement des biens des émigrés. Le comité des finances présentera incessamment le mode d'exécution. >>

C'est ainsi que fut votée cette loi singulière qui semble être d'un autre siècle et d'un autre monde si on la détache des événements au milieu desquels elle s'est produite. La Convention allait porter bien d'autres décrets non moins étonnants. Il semblait que cette nation, .mise hors la loi par les autres nations de l'Europe, se fût placée ellemême en dehors des lois ordinaires des sociétés par la grandeur de son héroïsme et de ses folies.

L'exécution ne se fit pas attendre. Le 22 juin, on décida que l'impôt ne porterait que sur les hommes mariés ayant au moins 10.000 livres de revenu, ou sur les célibataires ayant 6,000 livres. On ne voulait frapper que les riches; mais les riches avaient fui ou se tenaient cachés, et il fut prouvé que l'emprunt ne rapporterait pas plus de 200 millions. La

loi du 3 septembre descendit jusqu'aux revenus de 1,000 livres et modifia les bases de la perception, qui fut du dixième pour les moindres fortunes et qui s'éleva à la moitié pour les fortunes égales ou supérieures à 9,000 livres. Ramel, rapporteur de la loi, prétendait que cet emprunt pouvait sans danger s'adresser aux petits rentiers, parce qu'il ne faisait tort à personne et qu'il était même tout profit pour ceux dont on prenait l'argent. « Si tous les Français, disait-il, venaient ce soir déposer à la Trésorerie nationale la moitié des assignats qui leur appartiennent réellement, ils se trouveraient demain aussi riches qu'ils l'étaient ce matin. » Il croyait avancer un paradoxe; il faisait un sophisme. Il fallait que l'Assemblée eût bien peu d'expérience en pareille matière pour croire avec lui que la valeur des assignats pût se relever exactement dans la même mesure que diminuerait leur quantité, et que chacun possédât une somme d'assignats proportionnelle à son revenu. L'emprunt était une injustice, et une injustice d'autant plus grande qu'il ne portait pas d'intérêt et qu'il n'était remboursable qu'en biens nationaux. En d'autres termes, la Convention contraignait tous ceux qui avaient un revenu au-dessus de 1,000 livres à devenir acquéreurs de domaines. Elle avouait, il est vrai, ce but et pensait avoir trouvé une ingénieuse combinaison pour enlever à la circulation un milliard d'assignats et pour intéresser du même coup les riches à la Révolution en les rendant propriétaires d'immeubles confisqués. Afin de presser les rentrées, elle déclara que l'emprunt se convertirait en impôt et ne donnerait droit à aucun intérêt ni à aucun remboursement pour ceux qui ne se seraient pas acquittés à la fin de l'année; mais elle supposait que bien peu se mettraient dans ce cas, et qu'au commencement de l'année 1794 elle aurait par ce moyen supprimé le tiers des assignats.

Démonétisation des assignats royaux. Quand la République eut été proclamée, on décida (10 octobre 1792) que l'effigie du roi serait supprimée sur les nouveaux assignats. Il y eut ainsi deux espèces d'assignals dans le public. L'agiotage profita de cette différence et du peu de confiance qu'inspirait la Révolution aux gens de finance pour faire gagner une prime de 8 à 10 p. 100 aux assignats royaux que recherchaient de préférence les royalistes. La Convention était trop ombrageuse pour ne pas s'alarmer de cette préférence et pour ne pas y voir l'indice d'une conspiration. Le 7 juin, elle décréta en principe le remplacement de tous les assignats créés jusque-là par les trois Assemblées. Mais comme on tardait à opérer cette grande transformation et que les assignals royaux prenaient chaque jour plus d'avantage sur les assignats républicains, Chabot vint dénoncer la manoeuvre des agioteurs et demander qu'au-dessus de 50 livres les assignats à face royale ne fussent plus reçus, sinon en payement des biens nationaux.

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