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principe, laissé aux communes la faculté d'établir des foires et des marchés1. Ils craignirent bientôt que cette faculté ne donnât lieu à quelque machination du commerce, et ils défendirent d'abord de vendre des grains et farines ailleurs que dans les marchés publics 2, puis d'ouvrir de nouveaux marchés jusqu'à ce qu'il en eût été ordonné autrement. A plusieurs reprises ils enjoignirent aux municipalités de veiller à l'approvisionnement et de contraindre les fermiers à se rendre au marché. De telles mesures auraient suffi pour causer la disette et l'expliquer devant l'histoire.

Par le décret contre les accapareurs la Convention portait une atteinte plus grave encore à la propriété, car elle pénétrait jusque dans le domicile des citoyens, fouillait leur magasin pour y compter leurs marchandises et en disposer, au mépris du droit naturel et dans l'intérêt prétendu de la chose publique; ceux qui possédaient des marchandises dénommées étaient tenus de les déclarer sous huit jours. La municipalité devait envoyer sur les lieux ses commissaires contrôler l'exactitude de la déclaration, et ne laisser aux négociants que le choix ou de vendre leur approvisionnement « à petits lots, à tout venant, trois jours au plus tard après la déclaration », ou de donner copie des factures à la municipalité, qui faisait aussitôt vendre par ses agents, « au prix courant », qu'il y eût gain ou perte, et remettait ensuite le produit au propriétaire, déduction faite des frais. Les huit jours expirés, le décret punissait de mort non seulement ceux qui n'auraient pas fait la déclaration ou qui en auraient fait une fausse, mais les particuliers qui auraient prêté leur nom et les fonctionnaires qui auraient favorisé la fraude.

Les marchands en gros et en détail étaient tenus, sous peine d'être considérés comme accapareurs, de mettre à la porte de leur magasin une pancarte indiquant la nature et la quantité de leurs marchandises; les fabricants devaient justifier de l'emploi de leurs matières premières; les fournisseurs de la République étaient assujettis à une surveillance rigoureuse. Comme si le petit peuple n'eût pas été déjà trop porté au soupçon et à la malveillance, la délation était encouragée: le dénonciateur recevait pour récompense le tiers des marchandises confisquées. Les jugements rendus en cette matière étaient sans appel, contrairement aux principes de la législation nouvelle.

1. Décret des 14-15 août 1793.

2. Décret du 11 septembre 1793.

3. Décret du 9 octobre 1793.

4. Décret du 9 octobre et des 15-16 novembre 1793.

5. Ces marchandises sont: pain, viande, grains, farines, fruits, beurre, vinaigre, cidre, eau-de-vie, charbon, suif, bois, huile, soude, savon, sel, viandes et poissons secs, fumés ou marinés, miel, sucre, chanvre, papier, laines ouvrées ou non ouvrées, cuir, fer, acier, cuivre, draps, toiles, et généralement toutes étoffes, ainsi que les matières premières qui servent à leur fabrication, les soieries exceptées.

La Convention voulait terrifier ceux qu'elle considérait comme des coupables et sauver la société menacée d'une disette presque générale par le défaut de transactions. Jamais on ne vit plus clairement l'événement confondre l'impuissance en cette matière de la doctrine du salut public. On prétendait faire circuler les marchandises: elles disparurent; abaisser les prix : ils s'élevèrent à des taux presque fabuleux, sous la double influence de la rareté de l'offre et de l'avilissement de la monnaie; soulager le peuple: pendant six années, il souffrit de la faim; détruire la race des accapareurs : en l'absence de tout commerce régulier, l'agiotage devint presque le seul mode d'affaires et le chemin de la fortune.

La prohibition n'empêcha pas que de 1793 à 1796, la vente des marchandises anglaises s'élevât à la somme de 40 millions. La loi contre les accapareurs n'empêcha pas la plupart des fermiers de cacher leurs récoltes et de vendre clandestinement à des prix beaucoup plus élevés que ceux du marché. Ce qu'elle empêcha surtout, c'est que le commerce, déjà traqué sur mer par les croisières anglaises, eût au moins sur le territoire national la faculté de s'approvisionner librement et le moyen de combattre la cherté des denrées coloniales, en rendant les arrivages plus faciles ou la distribution plus égale. Devant tant d'obstacles, quand les ennemis et les législateurs de la France semblaient conspirer à l'envi la ruine du commerce, on peut se demander comment il se trouvait des hommes assez osés pour y risquer leur fortune et leur vie. Le seul motif qui poussât encore les plus détermi nés était la grandeur des bénéfices croissant avec le danger. Le décret par lequel la Convention prétendait imposer le bon marché allait donc. directement contre le but de ses auteurs.

La loi du maximum général du 29 septembre 1793. La loi générale du maximum (8 vendémiaire an II-29 septembre 1793) est le dernier trait du tableau. Nous avons dit que la disette sévissait à Paris moins à cause de la mauvaise récolte qu'à cause des mauvaises mesures du gouvernement: assignats dépréciés et cependant imposés obligatoirement pour leur valeur nominale, réquisitions, longue attente à la queue devant la boutique des boulangers, etc. Le peuple réclamait : « Du pain! » Il était venu le 9 septembre à la Convention, sous la conduite du maire Pache, qui conduisait la députation et qui avait exprimé ses doléances : « Le défaut d'approvisionnement vient de ce que ces lois sur les subsistances ne sont pas exécutées; il vient de l'égoïsme et de la malveillance des riches détenteurs de grains, et ce mal est commun à toutes les grandes villes. »

C'est dans ces circonstances que furent votés le décret du 11 septembre, puis celui du 29,sur un rapport présenté par Coupé (de l'Oise) au nom de la commission des subsistances, laquelle, parait-il, avait hésité devant l'énormité de la mesure. En effet, le rapporteur s'exprimait ainsi :

« Je me hâte de venir présenter à la Convention nationale le résultat des discussions de votre commission sur le maximum à fixer pour les différentes marchandises de première nécessité, excepté le bois et le charbon que vous avez taxés hier par un décret particulier. Cette loi est attendue avec la plus grande impatience; et la malveillance, la cupidité, combinant leurs opérations détestables avec celles de nos ennemis du dehors, ne nous permettent pas de la différer. Nous en avons senti toutes les difficultés et l'étendue; elle a paru effrayer même certains de nos collègues. Nous ne sommes restés qu'un petit nombre, soutenus moins par la confiance de nos forces que par notre bonne volonté.

<< Dans les temps ordinaires, le prix des choses se compose et se forme mutuellement de l'intérêt réciproque des vendeurs et des acheteurs; cette balance est infaillible. Il est inutile même au meilleur des gouvernements de s'en mêler; quelque éclairé, quelque bien intentionné qu'il soit, il ne rencontre jamais aussi juste, et il court toujours risque de l'allérer en y portant la main.

<< Mais lorsqu'une conspiration générale de malveillance, de perfidie, de fureurs dont il n'y a point d'exemple, se réunit pour rompre cet équilibre naturel, pour nous affamer, nous dépouiller, le salut du peuple devient la règle suprême, la société a le droit de résister à cette guerre du commerce et des tyrans, de rétablir et d'assurer d'une main ferme la balance qui doit exister au milieu de nos productions et de nos besoins. >>

Dans la loi étaient inscrites trente-neuf espèces de marchandises 1, lesquelles devaient être vendues au prix courant de 1790 augmenté d'un tiers; les salaires devaient être portés au double des prix de 1790 2. Le

1. Ces trente-neuf espèces de marchandises étaient la viande fraîche, la viande salée et le lard, le beurre, l'huile douce, le bétail, le poisson salé, le vin, l'eau-devie le vinaigre, le cidre, la bière, le bois à brûler, le charbon de bois, le charbon de terre, la chandelle, l'huile à brûler, le sel, la soude, le savon, la potasse, le sucre, le miel, le papier blanc, les cuirs, les fers, la fonte, le plomb, l'acier, le cuivre, le chanvre, le lin, les laines, les étoffes, les toiles, les matières premières servant aux fabriques, les sabots, les souliers, le colza, la rabette et le tabac.

2. Voici la manière dont le tableau a été dressé dans la commune de Réau (Seine-et-Marne). Il n'a pas été assurément dressé partout de la même manière; néanmoins c'est un exemple; il est extrait du registre des délibérations de la

commune.

Le 1er du 2 mois de la 2e année de la République le maire et les officiers municipaux convoquent les habitants pour l'exécution de la loi du 29 septembre dernier et de la délibération du district de Melun, qui consiste à fixer la véritable valeur des travaux en 1790. Ils demandent aux habitants de déclarer la valeur des salaires, gages, mains-d'oeuvre. La majeure partie des citoyens valets de charrue ont déclaré gagner alors 108 livres et une pinte de vin par jour; les batteurs de blé ont déclaré gagner 1 livre par setier de blé, 13 sous par setier d'avoine, 15 sous par setier d'orge, 1 livre par setier de seigle, 1 livre pour le bottelage de cent bottes de foin; la majorité des journaliers a déclaré gagner 1 livre 4 sous, des bourreliers 1 livre,

désir d'accroître le bien-être du peuple faisait oublier à la Convention que la valeur de beaucoup de marchandises se compose surtout de salaires, et qu'elle rompait l'équilibre; ou plutôt la Convention ne s'était pas arrêtée à cette objection: elle déclarait même vouloir avantager le salarié1.

Le maximum était établi pour un an. La défense d'exporter toute matière première était le complément de la mesure.

Le principe étant voté, la Convention chargea (décret du 11 brumaire an II-31 octobre 1793) la commission des subsistances de dresser les tableaux du maximum qui devaient comprendre pour chaque marchandise le prix de 1790 au lieu de production, plus le prix de transport jusqu'au lieu de consommation, et en outre 5 p. 100 pour le bénéfice du marchand en détail. La Convention se consolait facilement du trouble qu'elle allait occasionner au commerce, en faisant espérer une indemnité à ceux qui seraient ruinés, mais aussi en menaçant du traitement des suspects ceux qui renonceraient aux affaires 2.

La commission se mit à l'œuvre et apporta la matière de trois volumes, qui reçurent la consécration de l'Assemblée (décret du 6 ventôse an II-24 février 1794), furent imprimés et envoyés à l'agent

des charrons 1 livre, des maçons en plâtre 2 livres, la majorité de leurs manœuvres 1 livre 4 sous, des servantes de ferme 90 livres par an, des femmes de journée 10 sous.- La plupart de ces salaires paraissent supérieurs à ceux qu'indiquent les documents sous le règne de Louis XVI.

1. En effet, à plusieurs reprises, la commission déclare qu'elle n'ignore pas la disproportion qui existe entre l'augmentation donnée aux ouvriers et l'augmentation accordée aux marchandises (voir, entre autres, Arch. nationales, F12 183, fol.30). « Nous avons, écrit-elle, pesé dans une juste balance les intérêts de l'ouvrier, nous avons calculé la somme de ses besoins et de ses dépenses, surtout d'après la valeur des comestibles qui servent le plus à son usage. Nous avons lieu d'espérer un heureux succès de nos travaux, puisqu'ils ont été dirigés par les intentions les plus pures et l'examen le plus réfléchi. » - Cependant, en Vaucluse et dans les Bouchesdu-Rhône, le représentant Maigret interprétait brutalement à l'égard des ouvriers la loi du maximum. Il avait fait dresser la liste des propriétaires et celle des journaliers, et décidé que quand un propriétaire aurait besoin de journaliers, il devrait faire sa demande à la municipalité qui désignerait les ouvriers selon l'ordre du tableau. Il infligeait le pilori et deux ans de fers à tout ouvrier qui ne se serait pas fait inscrire ou qui demanderait un prix supérieur au maximum; même peine, plus 300 livres d amende, au propriétaire qui payerait le prix (TAINE, Origines de la France contemp., t. VIII, p. 275).

2. « ART. 4.- La Convention nationale, voulant venir au secours de la partie peu fortunée du peuple, décrète qu'il sera accordé une indemnité aux citoyens marchands ou fabricants qui, par l'effet de la loi du maximum, justifieront avoir perdu leur entière fortune ou seront réduits à une fortune au-dessous de 10,000 livres du capital. » — « ART. 8. Les fabricants et les marchands en gros qui depuis la loi du maximum auraient cessé ou cesseraient leur fabrication, seraient traités comme personnes suspectes. D

3. Tableau général du maximum de la République française, décrété par la

national de chaque district. L'agent devait renvoyer dans le délai de dix jours les tableaux, divisés en colonnes, contenant les renseignements demandés.

Ce fut une opération laborieuse. On se plaignit dans maint district. que les prix du maximum ne fussent pas en rapport avec les prix réels, que des fabricants qui avaient acheté leurs matières au prix de 1792 fussent obligés de les livrer au prix de 1790 augmenté seulement d'un tiers', que des commandes de l'État restassent en souffrance parce que les marchands ne pouvaient pas trouver la marchandise au prix du maximum 2.

Le premier contient

Convention nationale le 6 ventôse an II. Paris, l'an II, 3 vol. les aliments, boissons, épiceries et drogueries; le second, les laines et draperies, les chanvres et cordages, les fils et rubans, les toiles, les cotons et cotonnades, la bonneterie, la soierie; le troisième, les cuirs, peaux et poils, les fers, la quincaillerie, les bois et le charbon.

1. Le coton en laize valut en assignats 45 à 50 livres, tandis que le maximum fixait de 7 à 8 livres la livre de coton filé.

Voici un exemple de la manière dont la commission tranchait la difficulté. En thermidor an II, elle écrit à l'agent du district de Breteuil :

« Tu dis que les fabricants de tricot ne peuvent, au prix où ils achètent leur matière, vendre au maximum.

<<< Sans doute ceux qui ont vendu les matières premières et en général ceux qui vendent au-dessus du prix du maximum sont punissables puisqu'ils contreviennent à la loi. Mais sont-ils moins coupables, ces hommes secondant la cupidité des vendeurs qui achètent au prix défendu ? Si au lieu d encourager ces infractions perfides, on poursuivait sans relâche ceux qui les commettent, si au lieu de partager leur crime, on les dénonçait avec intrépidité, les abus, loin de se propager, seraient bientôt anéantis par les autorités constituées. Songe que la loi du maximum est la sauvegarde du peuple contre la malveillance et le sordide intérêt. » Arch. nationales, F12 183, fol. 31.

2. Par exemple, des fabricants de bas de Bédarieux, qui avaient accepté une fourniture pour le gouvernement, écrivent qu'ils sont incapables de l'exécuter parce que le maximum est de 36 livres la douzaine dans leur district, et qu'en calculant avec le prix même du maximum les éléments de la fabrication reviennent à 44 livres ; que ce prix est d'ailleurs celui du maximum du district de Saint-Pons et que les petits fabricants vont en conséquence porter leurs produits à Saint-Pons et non à Bédarieux. A Orléans, un bourrelier qui a une fourniture du même genre écrit qu'il ne peut rien se procurer au prix du maximum (15 ventôse an III). Arch. nationales, F12 1545 B. – Il y a aux Archives nationales un grand nombre de dossiers remplis de pièces relatives à la fixation du maximum et contenant beaucoup de tarifs de district, imprimés ou manuscrits.-M. BIOLLAY en a fait un judicieux usage dans son volume sur les Prix en 1790. Voir particulièrement F12 15442, 45443, 154392, 154496, 183. Voici, comme exemple, le titre d'un de ces tableaux :

Tableau particulier du maximum des denrées et marchandises qui sont ordinairement employées dans l'étendue du district de Bourg, chef-lieu du département de l'Ain, divisé en quatre parties, qui comprennent : la première les aliments, la seconde les épiceries et drogueries, la troisième les vêtements, la quatrième les métaux et combustibles, dressé d'après les bases données par la Convention nationale dans son décret du 6 ventôse de l'an II de la République et en conformité de l'instruction de la commission des subsistances et approvisionnements, par l'agent national du district.1 vol. in-4 de 235 pages. Les tableaux comprennent, conformément aux instructions, cinq colonnes. Arch. nationales, F12 15442.

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