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Les sociétés populaires qui étaient en correspondance avec le comité des subsistances, se plaignaient souvent de l'inexécution de la loi : à Sedan, à Nantes, à Paimbœuf, à Saint-Dizier, à Pont-Audemer, à Valenciennes, etc. Le comité les engagea à surveiller par des agents secrets, à dénoncer les délinquants, à réquisitionner les cultivateurs qui avaient déserté les marchés. La commission des subsistances stimulait le zèle des agents nationaux. A celui de Sedan elle écrivait (fructidor an II): « Nous t'invitons au nom du bien public à nous dénoncer les districts dans lesquels les agents nationaux n'ont pas le courage de maintenir l'exécution des lois; il faut que toutes les parties de la République marchent d'un pas égal... La commission usera de tous les pouvoirs qui lui sont confiés pour dénoncer et faire punir les fonctionnaires qui... » A un autre : « Il faut espérer que les malveillants qui veulent détourner le peuple rentreront dans la poussière. Méfiezvous des agitateurs 1. »>

Les cultivateurs en effet évitaient, autant que possible, les marchés. Quand ils pouvaient échapper à la surveillance, ils gardaient leur blé à la ferme, afin de le vendre contre du numéraire, tandis qu'à la ville ils auraient été obligés de le livrer contre des assignats au prix du maximum 3.

Voici un exemple de la résistance qu'opposaient certains cultivateurs. Brugnon, fermier à Vauciennes, est requis par l'administration du district de porter 40 boisseaux de blé au marché du 11 août à Epernay (c'était avant la loi générale sur le maximum). Sur son refus,. l'administration fait d'autorité battre 40 boisseaux de blé dans sa grange. Mais Brugnon engage des femmes de Damery, village voisin, à venir prendre le grain au prix de 3 livres 10 sous (le maximum était de 4 liv. 13 s. 7 d.); ce prix étant relativement très bas, le blé est

1. Fructidor an II. « Nous invitons la société populaire, lorsqu'elle connaîtra des infracteurs, à les dénoncer nominativement et même les autorités constituées. >> Arch. nationales, F12 184, fol. 6. — « Tu demandes qu'on autorise les sociétés populaires à nommer des agents secrets pour surveiller... nous applaudissons. >> Saint-Dizier, Ibid., fol. 81.- De même à Douai (F12 183, fol. 1); à Langeais (Ibid., fol. 9). Voir aussi fol. 87, 97, 156, etc. Le 3 frimaire an III, les administrateurs du district de Châlons, chargés par la commission du commerce de faire des achats pour l'État, s'excusent en disant qu'aucune des marchandises maximées n'avait paru à la foire. Ibid., fol. 1544 B.- Le laboureur ne veut rien vendre contre des assignats, écrit le 18 thermidor an III, le maire de Paimbœuf. Ibid., F12 7982. 2. Arch. nationales, F12 184, fol. 2 et 11.

3. Floréal an III.- Dans une requête d'un propriétaire de Valenciennes qui ne peut obtenir de grains de ses fermiers, on lit que ce cultivateur, qui a du numéraire, achète des assignats à gros bénéfice, et paye aux citadins ses dettes en assignats, disant qu'il n'a pas de grain pour payer en nature, et pendant le même temps, vend le sac (160 livres) 48 à 72 livres en numéraire et 300 à 500 livres en assignats. Arch. nationales, F12 6612.

enlevé, et rien ne reste pour le marché du 11. L'administration envoie alors deux gendarmes chez Brugnon, qui répond qu'il est maître de son blé et que l'administration est libre de prendre celui qu'on laisse pourrir dans la maison des ci-devant religieuses, transformée en magasin pour l'armée. L'administration répond par la confiscation de tous les grains de Brugnon, qu'on n'a pas à ménager, dit-on, parce qu'il est fermier d'un émigré. Le conseil du département casse, il est vrai, la sentence; mais la société républicaine d'Epernay se prononce contre le fermier et saisit la Convention de l'affaire (29 août 1793) 1.

Autre trait. L'agent de la commission du commerce et approvisionnement de la République et de la navigation de l'intérieur venait d'inspecter le canal de Givors et de mettre en réquisition le chanvre de Vienne afin de fournir des cordes pour l'exploitation des mines de Rive-de-Gier. Il interroge l'agent national sur l'application de la loi du maximum dans son district, << en disant, écrit-il dans son rapport, que j'étais instruit, indirectement à la vérité, que cette loi était oubliée dans plusieurs cantons; il m'a répondu franchement que le maximum dans le district, était absolument nul ». « Cette réponse ne m'a pas fait plaisir », ajoute le commissaire dans sa lettre à la Convention (4 vendémiaire an III).

Un tel système obligeait l'État à intervenir maintes fois dans les affaires privées. En voici deux exemples, entre des milliers de cas du même genre. A Romorantin, les fabricants de draps font savoir qu'on ne leur apporte pas de laine et qu'ils sont sur le point de cesser tout travail au détriment de leurs ouvriers et des commandes de l'État. Le conseil du département du Cher arrête aussitôt que les districts dresseront dans le plus bref délai la liste des possesseurs de laine et que réquisition en sera faite 2.

Dans l'Hérault, le Comité de salut public mit plusieurs fois des fonds à la disposition de l'administration départementale; celle-ci réquisitionnait chez le cultivateur ou le fabricant, de gré ou de force, l'eaude-vie, le vin et le verdet (vert de gris), payait les marchandises au cours du jour, puis les expédiait à Gênes ou ailleurs pour acheter en retour des grains 3.

Le maximum et les réquisitions n'étaient pas appliqués partout avec la même rigueur. Dans certaines villes, comme Brest, Toulon, l'application conduisit à une sorte de communisme dictatorial. I en fut autrement au Mans, qui peut être cité comme un exemple

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60,000 livres et met à sa disposition

3. Par exemple, un arrêté de 1793 autorise l'administration à exporter 12.000 muids de vin de la récolte jusqu'à concurrence de pour cet usage 15.000 livres en numéraire. niqué par M. TEISSIER, paléographe.

Arch, du dép. de l'Hérault, commu

des villes où régna un calme relatif: le représentant délégué par la Convention avait l'esprit tolérant. « Rien ne manquait au Mans, dit Besnard, un contemporain, soit sous le rapport de la bonne chère, soit sous celui des réunions agréables... Tandis que Paris et la France entière manquaient de pain et gémissaient sous le régime de la Terreur, on pouvait se livrer au Mans en toute sécurité aux plaisirs de la société; mais les chouans continuaient de rôder autour de la ville et d'y répandre de vives alarmes 1. » Il est vrai que Besnard n'a vu que la surface de la société dans laquelle il vivait. Car les assignats produisirent au Mans, comme ailleurs, de fâcheux effets; ainsi les réquisitions de blé n'ayant pas réussi, avaient fait « le désespoir des campagnes »; 24 millions envoyés en billets de 10.000 francs pour payer des approvisionnements de l'État avaient accumulé sur la place de gros assignats qu'on ne trouvait pas à changer,et les fabricants avertissaient la Convention qu'ils allaient fermer leurs ateliers si elle ne venait pas à leur aide en leur procurant de la monnaie 2.

La dépréciation n'était pas moindre dans cette région que dans le reste de la France: un arrêté du département de Maine-et-Loire fixe l'assignat de 100 livres à 99 livres 15 sous du 1er janvier au 31 mai 1791 et à 12 sous en ventôse an IV (mars 1796). Là aussi elle fournit, comme ailleurs, matière à des spéculations et à des trafics peu honorables 3. Limoges accusait ce «< régime désastreux » d'avoir ruiné le commerce du bétail. La ville manufacturière d'Elbeuf commença à respirer après « la suppression de la loi du maximum et la levée des réquisitions forcées qui ont apporté quelque adoucissement à la position critique de ses habitants; mais la source de nos maux n'est pas tarie. L'extrême rareté des subsistances, le renchérissement excessif et journalier de toutes les denrées, le discrédit des assignats, l'incertitude des événements, tout contribue à jeter le commerce dans un état convulsif qui ne lui est pas naturel et nous met dans l'impossibilité de peindre sa position, puisqu'elle n'est pas vingt-quatre heures la

même >>.

A Caen, les étrangers, payés de leurs importations en assignats, s'empressaient de les changer contre du numéraire qu'ils exportaient ;

1. Mémoires d'un nonagénaire, édités par CÉLESTIN PORT, t. II, p. 83-87.

2. Un Angevin écrit à cette époque : « Il est incroyable combien de personnes ou familles qui jouissent d'une grande considération dans notre ville, qui devaient de l'argent, même des contrats pour des sommes considérables, ont profité du papier pour rembourser les sommes qu'ils devaient en argent; ce qui était autorisé par la loi, mais aussi ce qui a occasionné des dérangements notoires dans les fortunes. » Mém. d'un nonagénaire, t. II, p. 95.

3. Arch, nationales, F12 177, nos 177 et 182.

4, Arch. nationales, F12, no 32.

5. Arch. nationales, F12 177. no 23.

6. Arch nationales, F12 177, no 33.

à Cette, les Génois apportaient des vivres qu'ils se faisaient payer en or ou en bijoux ; ou quand ils acceptaient des assignats, c'était pour les employer immédiatement en achat de marchandises qu'ils rempor

taient 1.

A Clermont, on se plaignait, comme au Mans, de l'immoralité dont les variations du papier-monnaie et la contrainte du maximum étaient cause. Les mœurs ont beaucoup souffert; la mauvaise foi, l'intrigue, la soif dévorante des richesses se sont emparés d'un si grand nombre d'hommes,que le tribunal de commerce est surchargé d'affaires inconnues jusqu'à l'époque du maximum

>>

Suppression du maximum. Un pareil système économique, quel· que imparfaitement qu'il fût exécuté, ne pouvait se maintenir que par la terreur. Quand Robespierre fut tombé et que les ressorts commencèrent à se détendre, la machine de compression cessa à peu près de fonctionner; la Convention seule persistait. Cependant les réclamations se produisaient même dans cette Assemblée. On y`soutenait non plus l'efficacité du maximum, mais la difficulté d'une suppression immédiate. «< En donnant au commerce trop de liberté, disait Villers, ce serait rendre aux agioteurs leurs espérances; le moment heureux n'est pas encore venu. » Un mois après la mort des triumvirs, la Convention décidait que le maximum serait maintenu jusqu'au 1er vendémiaire an IV (22 septembre 1795). Il ne le fut pas. Deux mois à peine s'étaient écoulés que Lindet demandait, puisqu'on ne pouvait pas supprimer le maximum, que du moins, dans l'intérêt de l'agriculture, on le fixât d'une manière plus équitable. On adopta le prix de 1790, augmenté des deux tiers (décret du 19 brumaire an III-9 nov. 1794).

C'était encore un remède dérisoire. L'assignat, que la crainte de l'échafaud ne maintenait plus au-dessus de sa valeur commerciale, était lourdement retombé et tombait chaque jour avec une rapidité effrayante. En septembre 1794, il perdait de nouveau environ 73 pour 100; en novembre, à l'époque où fut rendu le décret, il perdait 78 ; en décembre, il perdit 80, et en mars 1795, 85.

Le maximum devenait de plus en plus impraticable. Le 2 nivôse an III (22 décembre 1794) Giraud recommença l'attaque. Lecomte voulait qu'on exceptât du moins de la concurrence les céréales et les fourrages. Plusieurs orateurs protestèrent contre cette réserve. «< Le laboureur, disait Bourdon, est ruiné par le maximum. Le laisserat-on ? >> — « Qui a tué le commerce, anéanti l'agriculture? Le maxi», disait Bréard, et l'Assemblée décréta, sur le rapport du comité de commerce et d'approvisionnement, le 4 nivôse (24 dé

1. Arch. nationales, F12 177, no 24.

2. Arch. nationales, F12 77, n° 49. A Clermont, le prix d'un boeuf était monté de 600 à 18,000 livres.

cembre 1794), que « toutes les lois portant fixation d'un maximum cesseraient d'avoir leur effet à partir de ce jour ».

Toutefois deux décrets complémentaires (24 nivôse et 8 ventôse) maintinrent les marchés faits avant le décret du 4 nivôse. Cinq jours après, la Convention adopta et fit afficher une adresse au peuple pour justifier l'abrogation:

<«< Français, la raison, l'égalité, l'intérêt de la République réprouvaient depuis longtemps la loi du maximum. La Convention nationale l'a révoquée; et plus les motifs qui ont dicté ce décret salutaire seront connus, plus elle aura droit à votre confiance. En prenant cette mesure, elle ne se méprend point sur les circonstances difficiles dont elle est environnée; elle prévoit que la mauvaise foi s'efforcera de persuader à la crédulité que tous les maux causés par le maximum luimême sont l'effet de sa suppression; mais vos fidèles représentants ont oublié ces dangers et n'ont vu que l'utilité publique.

<< Les esprits les moins éclairés savent aujourd'hui que la loi du maximum anéantissait de jour en jour le commerce et l'agriculture: plus cette loi était sévère, plus elle devenait impraticable. L'oppression prenait en vain mille formes, elle rencontrait mille obstacles; on s'y dérobait sans cesse, ou elle n'arrachait que par des moyens violents et odieux des ressources précaires qu'elle devait bientôt tarir.

« C'est donc cette loi, devenue si désastreuse, qui nous a conduits à l'épuisement. Des considérations qui n'existent plus l'ont peut-être justifiée à sa naissance; mais une disette absolue en eût été la suite nécessaire si la Convention, en la rapportant, n'eût brisé les chaînes de l'industrie.

« C'est à l'industrie dégagée d'entraves, c'est au commerce régénéré à multiplier nos richesses et nos moyens d'échange. Les approvisionnements de la République sont confiés à la concurrence et à la liberté sur les bases du commerce et de l'agriculture...

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>>

Les subsistances à Paris. Après la Terreur, la capitale se trouvant sous les yeux de l'Assemblée, était une des villes où les décrets du maximum étaient appliqués avec le plus de rigueur et une de celles où le gouvernement avait le plus intérêt à ne pas irriter la colère du peuple par la famine. La Convention avança au département des sommes considérables pour acheter des subsistances 1. C'est précisément une des raisons pour lesquelles l'administration des

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1. TAINE, t. VIII, p. 211, cite à ce propos le passage suivant des Mémoires d'un avocat de Paris, réfugié près de Coucy : Il y eut en cette année 1795 une affreuse disette, L'intempérie du ciel n'en était pas seule la cause; il y en avait une autre dans l'impéritie et l'imprévoyance de ceux qui étaient chargés pour la République de emmagasinement des blés. Les greniers d'abondance, qu'on avait formés en mille endroits, devinrent en peu de temps des approvisionnements de disette. Les blės, rentrés mouillés, entassés, privés d'air et de soins, furent promptement germés et pourris. Le pain de l'homme ne put pas même faire la pâture des animaux... »

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