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subsistances y a été détestable et la population a souffert plus qu'ailleurs de privations. On était rationné pour le pain, la viande, le charbon et on en a manqué presque constamment pendant la Terreur et plus encore après la Terreur, lorsque le despotisme politique eut cessé de faire contrepoids au despotisme économique du maximum, des réquisitions et des distributions officielles; le mal a duré tant que l'assignat est resté la monnaie légale. La récolte de 1794 ne fut pas bonne, ce qui aggrava la situation. Les mesures prises pour nourrir la population l'aggravèrent peut-être davantage 1.

Pour échapper à la tyrannie du comité des subsistances pendant la Terreur, des bouchers étaient allés s'établir dans les communes voisines; un arrêté du 9 thermidor leur enjoignit de rentrer. Les campagnardes apportaient des pommes de terre qu'elles allaient vendre dans les maisons particulières jusqu'à 3 francs le boisseau, bien au-dessus du tarif du maximum: on saisit ces pommes de terre (6 fructidor an II); on fit aussi des saisies sur d'autres marchandes qui vendaient. le beurre 40 sous la livre. Le même jour on arrêta à la barrière une hottée de pain, achetée à Paris probablement au prix du maximum, qu'on aurait revendue plus cher à la campagne. Autour de Paris on vendait en effet beaucoup de pain.

Quelque fastidieuse que soit une longue série de citations qui se répètent, nous ne croyons pouvoir mieux donner l'idée de la situation de Paris qu'en reproduisant une suite d'extraits des rapports journaliers de la police relatifs aux subsistances. La masse de la population vivait des distributions de pain,de viande, de bois et de charbon faites gratuitement ou à des prix très réduits, aux dépens de la ville et au moyen des approvisionnements qu'elle formait par réquisition ou autrement. Pour participer à ces distributions, la foule, surtout une foule de femmes, passait sa journée à la queue, attendant son tour. Comme le boulanger attendait de son côté que l'administration lui procurât la farine et le bois, il n'était pas rare qu'il fût approvisionné tardivement, et quand il l'était, il s'efforçait de détourner une partie de sa provision pour vendre à des amis ou à des clients disposés à payer plus que le tarif; comme le client ordinaire n'avait pas le choix de son fournisseur, la fourniture, pain ou viande, pouvait impunément lui être faite de qualité inférieure.

1. Paris, en 1795, dépensa par jour 12,000 livres pour vendre de la farine à bas prix à la Halle et 75,000 livres pour indemniser les boulangers.

2. Les extraits suivants sont tirés de Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, par M. AULARD, t. I et II. Ce recueil (en quatre volumes) est composé principalement de rapports de police. Comparez ces rapports avec les extraits d'autres rapports insérés dans Paris en 1794 et 1795. Histoire de la rue, du club et de la famine, par DAUBAN, et avec les Tableaux de la Révolution française, par A. SCHMIDT, t. II.

Il est à remarquer que les Halles, où les denrées n'étaient pas aussi directement administrées que le pain et la viande chez les boulangers et les bouchers, étaient d'ordinaire un peu moins mal approvisionnées. Il est à remarquer aussi que quand le maximum eut été aboli, la situation, sans être bonne car les prix devenaient de plus en plus exorbitants semble avoir été moins tendue les inspecteurs de police parlent un peu moins des vivres, et la foule qui fait queue se montre plus résignée, ou un peu moins tumultueuse. Ce qui n'empêche pas qu'au 12 germinal (1er avril 1795) et au 1er prairial (20 mai) c'est au cri: « Dụ pain et la Constitution de 1793! » que l'émeute envahit la Convention.

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Voici les extraits :

26 thermidor an II (13 août 1794). << Plus de 1,200 personnes attendaient hier l'arrivée du charbon; mais leur attente a été vaine parce que la rivière n'est pas marchande. »

6 fructidor an II (23 août 1794). - Des femmes de campagne ont été surprises vendant leur beurre jusqu'à 40 sols la livre. »

3 vendémiaire an III (24 septembre 1794).— « L'aristocratie marchande lève la tête avec audace. Il semble que l'indifférence affectée sur l'inexécution de la loi du maximum prépare son triomphe. Nous ne cessons de répéter que les murmures sur les subsistances de toute espèce augmentent toujours et alarment à l'approche de l'hiver. Les inspecteurs chargés de surveiller les marchés et tous les marchands de comestibles se plaignent de l'infraction aux lois du maximum et des dangers qu'ils courent infructueusement à faire exécuter cette loi bienfaisante.

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L'agiotage est poussé à son comble; les gros marchands courent, s'agitent, se tourmentent, font des voyages pour accaparer toute espèce de marchandises. »

L'esprit public est toujours

8 vendémiaire an III (29 septembre 1794). le même, alarmé pour les subsistances, surtout à l'approche de l'hiver... Le peuple se lasse d'aller jour et nuit aux portes de tous les marchands de subsistances, et souvent infructueusement... »

11 vendémiaire an III (2 octobre 1794). « II y avait au moins 1,800 personnes au poste Bernard pour avoir du charbon. Grand tumulte toute la journée. Les barrières ont été forcées malgré la force armée. »

13 vendémiaire an III (4 octobre 1794). «La foule était si grande hier au port au charbon, place aux Veaux, que deux jeunes citoyennes ont été relevées presque étouffées et sans connaissance... L'on demandait hier, à la Halle, la libre circulation des comestibles, plus de maximum, liberté entière: que c'était le seul moyen de diminuer les denrées. »

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15 vendémiaire an III (6 octobre 1794). « Les rassemblements ne discontinuent pas dans les ports au charbon. Hier, à celui de l'Ecole, la force armée a été tellement repoussée que deux piques ont été cassées. »

22 vendémiaire an III (13 octobre 1794). «On se plaint généralement de la mauvaise qualité du pain, qui, dit-on, rend malade un grand nombre de citoyens... On prétend que l'on laisse gåter les farines qui se trouvent en pierre dans les magasins. >>

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24 vendémiaire an III (15 octobre 1794). Toujours même abondance dans les marchés ; personne ne s'en plaint, excepté du prix. Quoi qu'il en soit, chacun peut apprécier les bienfaits d'une révolution comme la nôtre pour en connaitre les suites et chacun sait payer sans murmurer un chou de 10 ou 20 sols... Le port au charbon de la place aux Veaux est celui qui jusqu'à présent s'est présenté comme le plus merveilleux ; il ne cesse de l'être. Cette nuit encore, comme les autres, il pouvait y avoir cinq à six cents personnes en attente à l'ouverture du port... Les femmes qui y passent la nuit... »

7 brumaire an III (28 octobre 1794). « Il n'est rien arrivé ce matin au carreau de la Halle en beurre ni œufs... La plus grande tranquillité règne dans Paris. Les marchés n'ont été nullement troublés. Au port au charbon de la Tournelle, cependant, la foule était si grande que la force armée n'a pu contenir les mécontents; malgré ce tumulte, il s'y est délivré 960 voies de charbon.

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Cependant le froid commence à se faire sentir. »

10 brumaire an III (31 octobre 1794). -« Au port au charbon de la Tournelle, il y avait, avant l'ouverture de la distribution, plus de trois cents personnes, qui ont été dissipées par la force armée, et à quatre heures et demie, une rumeur assez vive s'étant élevée, l'on a été contraint de faire cesser la vente... Malgré la surveillance dans les chantiers, les marchands de bois ne cessent de mal corder et de glisser du méchant bois blanc dans leur membrure. << On se plaint beaucoup de la disette du bois,qui devient tous les jours plus effrayante à mesure que nous approchons de l'hiver; on attribue cette disette aux persécutions. >>

12 brumaire an III (2 novembre 1794). - « Ni les inspecteurs ni la force armée ne peuvent empêcher les rassemblements de nuit au port au charbon de la Tournelle. Il nous faut du charbon.

« L'on observe qu'il existe dans les queues trois ou quatre cents mauvais sujets, commissionnaires de charbon, lesquels occasionnent tous les troubles pour éloigner les bons citoyens qui en ont besoin..... A la place aux Veaux, le désordre était si grand qu'il a été impossible de distribuer les numéros, malgré les 64 hommes de la force armée. »

13 brumaire an III (3 novembre 1794).

«Toutes les denrées sont à

un prix si haut qu'il est impossible à l'homme infortuné d'en approcher.

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<«< Les charbonniers se plaisent au emporte une voie de bois. »>

25 brumaire an III (15 novembre 1794). « Au port de la Tournelle, le public a forcé la garde; le rassemblement y était si grand que l'on a relevé de la foule plusieurs femmes qui se sont trouvées mal. » 16 brumaire an III (6 décembre 1794). trouble, à la faveur duquel chacun d'eux 1er nivôse an III (21 décembre 1794). « A l'ile Louviers, vers les deux heures après-midi, le public a forcé la garde et le désordre a été au plus haut degré. Les charretiers causent beaucoup de disputes; ils exigent des prix exorbitants, et lorsqu'ils ont fait le prix avec un citoyen, ils le quittent pour un autre qui leur offre quelque chose de plus... Au port au plâtre une partie des ouvriers débardeurs voulait empêcher d'autres de travailler pour obtenir une augmentation. »

4 nivóse an III (24 décembre 1794). On se plaint que l'indigent est dénué de tout; on dit que si les subsistances n'arrivent pas dans peu, la

guerre civile se déclarera... » Saisie de pain : « Ce pain sortait de chez un boulanger de la rue Bellechasse qui en délivre au moins 80 livies par jour sans carte des mesures sont prises pour réprimer cet abus. » — (C L'officier de paix, voulant maintenir l'ordre place de la Révolution pour délivrer les numéros à 300 personnes, a requis le commandant de la réserve de la Convention de lui donner 30 hommes; mais, à moitié chemin, les volontaires l'ont abandonné, disant que ce service ne les regardait pas. Sans 8 hommes de garde,j'aurais succombé parmi la foule qui m'entourait; je me suis refugié au corps de garde. »

8 nivóse an III (28 décembre 1794). — « Le monopole et l'escroquerie s'exercent sur le peu de bois restant. »

9 nivôse an III (29 décembre 1794). - Prix incalculable des charretiers, qui prennent jusqu'à 25 livres pour conduire une voie... En exigeant jusqu'à 20 sols pour une voie d'eau les porteurs d'eau augmentent le mécontentement... Les ouvriers et les citoyens qui ont des places modiques ne peuvent plus atteindre aux besoins de la vie... Les habitants des campagnes qui apportent à Paris des denrées veulent, en retour, emporter du pain; mais la force armée observe la consigne; le pain qui passe est jeté par-dessus les murs du côté de l'eau.

« Hier, veille de décade, les Halles ont été assez bien fournies; les répartitions se sont faites avec calme, mais à de très hauts prix. »

10 nivôse an III (30 décembre 1794). -«7 personnes traversant hier les glaces de la Seine, près Longchamps, ont été englouties avec le pain qu'elles apportaient à leurs familles ; dans ces cantons, des malheureux passent quelquefois des jours sans pain. »

11 nivôse an III (31 décembre 1794). - «Une paire de sabots qui coûtait 12 sous, coûte 3 livres 10 sous. Une voie de bois, 70 livres. »

Le maximum, battu en brèche à la Convention, fut supprimé le 3 janvier 1795. Déjà deux jours auparavant (12 nivòse-1er janvier 1792) un mécontent, s'indignant que la voie de bois revint, avec le transport, à 84 livres, disait : «Tant qu'on ne mettra point un frein à la liberté, nous serons toujours malheureux, vu que depuis la suppression du maximum les marchands vendent leurs marchandises ce qu'ils veulent. » Le 3 janvier: « Les marchands, augmentant chaque jour à diverses reprises le prix de leurs denrées, semblent avoir déterminé le discrédit total des assignats.

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Le maximum n'était plus; mais les assignats restant, le désordre économique persistait.

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16 nivóse an III (3 janvier 1795). — « Plusieurs femmes se lamentaient de ne pouvoir se procurer à moins de 50 sous une malheureuse falourde, qui valait autrefois 11 sous... A la gare les marchands font retirer leurs bois sans bons de section. Plusieurs citoyens ont pris des bùches pour frapper un marchand qui vendait son bois trop cher et servait des charretiers avant le public. » 17 nivose an III (6 janvier 1795). << Chez plusieurs boulangers le pain ne se trouve pas cuit le matin, faute de bois... Le peuple dit que celui qui paye la voie de bois 200 livres est certain de s'en procurer; que, ne pouvant donner cette somme, il se voyait contraint d'acheter 2 livres 10 sous une falourde qui ne contient que trois morceaux. »

<«< Partout on voit faire le commerce d'argent; surtout les brocanteurs se

permettent de peser l'or et l'argent à la vue de tout le monde. Les marchands ne craignent pas de demander si c'est avec de l'or, de l'argent ou du papier que vous prétendez payer... La viande se vendait 30 à 40 sous la livre, le beurre, 4 livres...

« On murmure contre les bouchers (9 janvier 1795) qui cachent pour leurs amis les plus beaux morceaux de viande, tandis que le malheureux a beaucoup de réjouissance, et contre les commissaires civils qui ferment les yeux sur ces abus. Les citoyens des sections des Gravilliers, de la Réunion et autres n'ont obtenu qu'une demi-livre de chandelle pour quarante jours; ceux qui ne peuvent payer 3 livres une livre d'huile et 5 ou 6 livres une livre de chandelle ne peuvent gagner leur vie dans ce moment où les jours sont courts. >>

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« On a arrêté plusieurs citoyennes de campagne qui avaient du pain sous leurs jupons (20 janvier 1795).

« Il y avait au port Louviers au moins 2,000 personnes pour avoir les 4 bûches pour 15 sous que le citoyen Sadras est chargé de distribuer. » (24 janvier 1795.) Pillage du bois par la foule.

1er pluviose an III (20 janvier 1795). -«Le porc frais vaut 55 sous la livre, la viande de boucherie 35 à 40 sous. >>

4 pluriose an III (23 janvier 1793).

«Rue Tiquetonne, un marchand vend une corde de bois 370 à 400 livres, une grosse bûche jusqu'à 14 livres, une falourde 3 livres 10 sous. A la Halle, le beurre est à 3 livres 10 sous. >>>

6 pluviose an III (25 janvier 1795). raison de 4 bûches par personne. »

« A l'ile Louviers, la vente se fait à

7 plurióse an III (26 janvier 1795). --- «Un inspecteur de la section des QuinzeVingts déclare qu'il est impossible d'inspecter la sortie du pain de Paris, parce que les boulangers, dès qu'on a le dos tourné, vendent le pain aux habitants de la campagne. »

17 pluvióse an III (5 février 1795).— « A la Chapelle, on se plaint de n'avoir pas de pain ou de le payer 40 sous la livre à ceux qui le passent aux barrières de Paris. >>

23 plurióse an III (11 février 1793).

«On a arrêté beaucoup de pain à la barrière de Versailles... Plusieurs bouchers de la Cité manquent de viande tous les jours. »>

25 pluviose an III (13 février 1795). boulangers font des pains en forme de

« Le public murmure de ce que les couronne dont la farine est meilleure que celle du pain ordinaire. On a arrêté beaucoup de ces couronnes à la barrière de la section de la République... Le bruit que la viande va être portée de 35 à 36 sous la livre occasionne des murmures. »

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1 rentôse an III (19 février 1795). Un inspecteur dit que beaucoup de citoyens, habitants des communes voisines, louent des petites chambres à Paris pour se procurer une carte de pain,et dès qu'ils l'ont obtenue, ils se croient autorisés à passer du pain par les barrières comme habitants de Paris, et de cette qualité beaucoup de fonctionnaires les laissent passer. »

7 germinal an III (27 mars 1795). — « Les inspecteurs annoncent que dès minuit les rassemblements étaient plus nombreux que jamais; les esprits y étaient très échauffés de ce que l'on ne donne pas la quantité de pain que la loi accorde à chaque citoyen et de la mauvaise qualité de cette denrée. Mal

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