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La Convention n'avait jamais eu de budget. Faypoult essaya d'en dresser un; il n'y réussit pas. « Le total des dépenses, écrivait il le 1er pluviose an IV, dans un rapport au Directoire, on n'a pas encore pu se le procurer. Il n'a pas été non plus possible de connaître les sommes que devaient fournir les recettes de l'année; il n'y a d'appréciable que le produit de la fabrication des assignats. »

Une commission fut instituée dès les premières séances, et le 22 brumaire, Eschasseriaux lut son rapport, dans lequel il reconnaissait les difficultés des circonstances et les fautes du gouvernement. «< La Révolution, disait-il, en assurant l'indépendance et en ouvrant une carrière de gloire au peuple français, a ouvert aussi une source de dépenses publiques. » Puis, parlant des comités dont les rouages compliqués « ne firent qu'accroître la dépense », et des fournisseurs dans l'avidité desquels «<le Trésor national semblait s'engloutir », il ajoutait « Durant ce temps, aucun principe, aucunes règles déterminées ne dégageaient les finances de l'État ; les émissions des assignats venaient réparer tous les désordres et combler toutes les dépenses; le ministère de la guerre devint un gouffre... Au milieu de cette anarchie ruineuse, la crainte d'avilir un signe qu'on était forcé, pour satisfaire aux dépenses, d'émettre fréquemment et en abondance, la crainte de détruire le crédit et d'alarmer le peuple, firent jeter quelque voile sur les émissions ordonnées par décrets. Quand il s'agit d'assurer le succès d'une révolution, la politique n'a rien à reprocher à l'administration qui dépense. C'est en vain que depuis ces temps plusieurs projets présentés à la tribune ont tenté de ramener l'ordre ; aucun changement salutaire dans les finances et dans la situation du peuple n'a pu s'opérer encore; sa subsistance est devenue, malgré tant d'efforts, plus rare et plus difficile ; l'harmonie s'est tout à fait rompue >>>

Néanmoins Eschasseriaux ne désespérait pas des finances. Si la circulation s'élevait à 18 milliards, la nation possédait 7 milliards de biens, valeur métallique, et il suffisait d'un milliard pour rembourser tout le papier. En conséquence, il proposait de fixer à 30 milliards au plus la circulation des assignats, de briser le 15 nivôse les matrices et poinçons, de n'accepter les assignats qu'au cours du marché, officiellement constaté, de créer des cédules représentant la valeur de telle terre déterminée et faisant fonction non de monnaie, mais de billets à ordre, et de mettre un milliard de ces cédules à la disposition du Directoire.

Le Conseil des Anciens repoussa ces propositions, précisément parce que les cédules ne remplaçaient pas la monnaie et qu'il regardait comme une grave imprudence de limiter les ressources du pouvoir exécutif à une somme qui suffirait à peine jusqu'en nivôse, en admettant que la baisse ne fit pas de nouveaux progrès. Les Anciens avaient

raison le louis qui valait alors un peu moins de 4,000 francs en assignats, en valut 7,200 en ventòse.

Comme contre-projet, Laffon-Ladebat proposait, d'après les offres de quelques banquiers, l'établissement d'une banque libre qui recevrait 1 milliard 200 millions de biens nationaux, moitié comme hypothèque des avances qu'elle ferait au gouvernement, moitié comme prix des assignats qu'elle échangerait à bureau ouvert contre ses propres billets; le reste des assignats serait retiré par la vente immédiate des 2 milliards 800 millions de biens disponibles. Mais ce projet échoua devant les objections des Cinq-Cents, et les banquiers retirèrent leurs offres.

Il fallait pourtant sortir de la difficulté. « Nous ne parlons aujourd'hui que de l'état des finances, dit le Directoire dans son premier message aux Cinq-Cents (le 16 frimaire an IV), parce que nous ne pouvons plus différer, parce que tous les ressorts se brisent dans nos mains, parce que la plus effroyable catastrophe menace d'engloutir la République entière, si un remède aussi actif que puissant ne fait changer en un moment, pour ainsi dire, la face des affaires. Nous nous sommes demandé s'il est un moyen d'éviter cette catastrophe terrible, cette fatale dissolution; nous croyons qu'il existe encore; nous croyons que dans peu de jours, peut-être, il n'existera plus. »> Ce moyen était un emprunt forcé, expédient révolutionnaire qui jetait. dès les premiers pas le Directoire dans les voies de la violence.

Les Conseils votèrent l'emprunt. Il était fixé à 600 millions, payables en numéraire métallique, ou en grains au cours de 1790, ou en assignats au centième de leur valeur nominale, 100 livres en assignals étant reçus pour une livre (loi du 18 mars 1796). Il ne portait que sur le quart le plus imposé des citoyens de chaque département, el variait, selon les fortunes, de cinquante à six mille livres par tête. Il devait être perçu par tiers, en nivôse et en pluviôse; aucun intérêt n'y était attaché, et l'État ne remboursait le capital qu'en exemplant les prêteurs de la contribution directe, jusqu'à concurrence de la somme prêtée. La taxe de guerre établie par la Convention en son dernier jour était supprimée.

Les rentrées ne se firent pas comme l'avait espéré le Directoire. Le 30 ventôse, elles n'étaient encore que de 3 millions 1/2 en valeurs métalliques et de 8 milliards en assignals, soit, au total, 11 millions. Cinq mois après, en thermidor, elles s'élevaient à 173 millions, dont 131 en assignats, représentés par 13 milliards, valeur nominale. La mesure n'avait pas été inefficace; elle n'était cependant pas suffisante. pour détourner la catastrophe imminente.

Cependant les assignals étaient condamnés. Le Directoire aux abois. en avait multiplié le nombre sans consulter les assemblées : 4 milliards le 26 brumaire, 3 milliards le 6 nivòse, 4 milliards le 26 nivôse; 35 milliards 1/2 en tout, émis par décision des comités de la Convention et

du Directoire. Le 1er nivôse (22 décembre 1795), le Conseil des CinqCents décida que la fabrication des assignats serait portée le plus tôt possible à 40 milliards, y compris tous ceux qui à cette date se trouvaient dans la circulation, et qu'aussitôt après les planches et poinçons seraient publiquement brisés en présence de cinq commissaires nommés par l'Assemblée, et que tous les assignats seraient brûlés à mesure qu'ils rentreraient. Cette fois les Anciens approuvèrent, et la loi du 23 décembre 1795 reçut son exécution.

Le 9 pluviose, Ramel vint annoncer qu'on imprimait sans relâche les derniers << assortiments », que bientôt le travail de la commission serait terminé et que les planches pourraient être brisées. Or, les << derniers assortiments », du 22 décembre 1795 au 19 février 1796, formèrent un total de 12 milliards. « Cet heureux moment approche, disait-il. Ce sera un jour mémorable, il doit l'être pour tous les républicains; i annonce le retour de l'ordre dans les finances. » L'orateur rappelait que désormais la somme des assignats serait exaclement connue et publiée, qu'elle irait toujours en décroissant, que déjà elle était descendue, depuis le 2 nivôse, au-dessous du chiffre de 40 milliards, que le gouvernement n'aurait plus à sa disposition une fabrique de papier-monnaie, et qu'il fallait en conséquence que l'économie la plus sévère présidât à toutes les dépenses.

Il faisait en même temps l'oraison funèbre des assignats et il n'envisageait pas sans quelque crainte le moment où l'État serait privé de leur secours. « Les assignats, disait-il, ont fait la Révolution; ils ont amené la destruction des ordres et des privilèges; ils ont renversé le trône et fondé la République ; ils ont armé et équipé ces colonnes formidables qui ont porté l'étendard tricolore au delà des Alpes et des Pyrénées, qui l'ont déployé près des sources du Rhin et sur les rives de ses trois embouchures; ils nous ont valu notre liberté.... Les assignats vous ont fait conquérir les biens dont vous allez jouir; ils sont encore votre principale ressource: craignez de ne le reconnaître que lorsqu'il ne sera plus temps. Ils sont votre ouvrage, leur accroissement est le résultat des immenses sacrifices qu'il a fallu faire; ces sacrifices doivent avoir quelque prix auprès de vous '. »

Le 30 pluviôse an IV (18 février 1796), à neuf heures du matin, en présence d'une foule nombreuse, tous les instruments qui avaient servi à la fabrication des assignats furent apportés sur la place Vendôme, les poinçons et les planches furent brisés, les rames de papier non employées furent brûlées avec 1 milliard 167 millions d'assignats. C'était le dernier jour d'un système monétaire qui, pendant six ans,

1. Le 16 floréal an VI (6 mai 1798) le Conseil des Cinq-Cents prit une résolution pour démonétiser les assignats de 1.000 et 2.000 livres; mais le 18, le Conseil des Anciens repoussa cette motion.

avait tout à la fois soutenu et ruiné l'État et dont la foule voyait avec joie l'abolition, comme la fin de ses misères.

Quelques jours après, Camus apprenait à l'Assemblée que le total de toutes les créations d'assignats, depuis le mois d'avril 1790, était de 45 milliards 481 millions, que plus de 6 milliards avaient été annulés et brûlés, et qu'il restait encore une somme de 39.286.762.780 francs'.

« C'est une erreur », s'écria un des députés. Il y avait tant d'obscurité sur cette matière que les législateurs qui s'en occupaient le plus n'étaient pas eux-mêmes d'accord sur le chiffre des émissions. Tout calculé, en comptant les assignats remis en circulation (mais non les assignats émis en échange d'autres assignats), il paraît, d'après Ramel, que la Trésorerie avait payé en réalité une somme totale d'un peu plus de 40 milliards en assignats dans un espace de cinq ans et demi environ. D'après Ramel, la circulation ne semble pas avoir jamais dépassé 37 milliards 148 millions, et elle n'excédait peut-être pas de beaucoup 32 milliards en février 1796 *.

On s'était forgé l'espérance de soutenir quelque peu ces milliards en cessant toute fabrication. Le change du louis, qui était monté à 7,300 francs en février 1796, descendit en effet à 5,800 en mars, après l'exécution de la place Vendôme; mais l'agiotage le fit remonter à

1. Les divers assignats en circulation avaient une valeur nominale dont l'échelle s'étendait de 10 sous jusqu'à 10,000 livres. Les assignats de 10 sous dataient du 4 janvier 1792, ceux de 10,000 livres du 7 janvier 1795 (18 nivôse an III). Les assignats étaient imprimés en caractères typographiques ; les instructions indiquent ce procédé afin d'aider à les reconnaître des faux assignats qui étaient presque tous imprimés en taille-douce. Il y avait certains assignats, par exemple des assignats de 5 livres de 1793, qui portaient seulement l'indication de leur valeur: Assignats de cinq livres, une signature et le numéro de la série avec une légende dans la bordure. Mais la plupart des assignats de la République portaient, à la suite de l'indication de la somme, les mots : Hypothéqué sur les domaines nationaux. Beaucoup de bibliothèques publiques possèdent des collections d'assignats. Les principaux types ont été reproduits dans l'ouvrage de DEVAYMIN, Cent ans de numismatique française, t. I, p. 176 et suiv.

2. RAMEL (Les Finances de la République en l'an IX, p. 18) établit ainsi le compte des assignats :

Constituante.

Législative.

Convention, par décrets

Convention et Directoire, par arrêtés sans publicité.

Il restait en caisse à la fin . .

Il avait été employé en échange d'autres assignats.
La somme totale des assignats qui étaient successivement
rentrés était de. . . .

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35.603.000.000

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2.601.000.000

1.051.000.000

12.748.000.000

Mais on avait remis en circulation sur les assignats entrés au payement de l'impôt environ..

3.000.000.000

D'où l'on peut estimer qu'il restait en circulation en nombre rond en 1796 . . .

32.100.000.000

1

6,425 en avril et il atteignit à Paris 12,250 et 15,000 en prairial an IV (mai 1796) et même, le 18 prairial (5 juin 1796), la Bourse accusa 17,350 (19,000 même suivant un rapport de police du 4 juin) : c'est le taux extrême. Cent livres en assignats ne valaient plus alors, d'après une dernière cote de la Bourse, que 3 sous 7 deniers, ou même, d'après Ramel, que 3 sous 6 deniers, soit environ 550 livres en assignats pour 1 livre en espèces ou 13,200 livres pour un louis d'or. Il n'en pouvait pas être autrement d'une monnaie que l'on proscrivait de tout côté, que l'État n'admettait plus qu'au cours, qu'il ne reçut même plus en payement de la contribution foncière de l'an IV et dont chacun attendait de jour en jour la suppression définitive.

Les mandats territoriaux. Le Directoire n'avait plus, au 10 ventôse, que 4 ou 5 milliards en caisse. Il était menacé de suspendre ses payements. Il avait cherché à faire sortir l'or et l'argent des coffres où

1. La loi du 5 messidor an V (23 juin 1797) donne un taux de l'assignat un peu moins bas en ventôse an IV, 0.29 en espèces contre 100 en assignats.

2. Voir Tableau complet de la valeur des assignats...par A. BAILLEUL.Cet auteur enregistre un abaissement de prix dans les jours qui suivent le 18 prairial; il ne donne plus de cote à partir du 3 messidor an IV (21 juin 1796). D'autre part, en vertu de la loi du 5 messidor an V (23 juin 1798), relative aux transactions passées entre particuliers pendant la durée de la dépréciation du papier-monnaie, « un tarif de la valeur des assignats depuis leur origine a été dressé par département et précédé d'un tableau donnant une moyenne générale ; ce tableau général ne concorde pas avec celui de Bailleul, parce qu'il donne une estimation moyenne destinée à devenir un taux officiel. Chaque département a d'ailleurs sa cote spéciale (Voir Collection générale des tableaux de dépréciation du papier-monnaie publiés dans chaque département en exécution de la loi du 5 messidor an V. Edition de 1825). Le Tableau comparatif du papier-monnaie avec le numéraire métallique dressé par l'administration du Calvados, portant la date du 24 thermidor an IV, donne des estimations qui diffèrent des deux premiers documents et diffèrent même des valeurs officielles qui se trouvent dans les tableaux de dépréciation pour ce département. Voici la comparaison de ces évaluations :

PREMIER DOCUMENT COURS DU LOUIS D'OR EN ASSIGNATS

2o DOCUMENT

3o DOCUMENT Pour 100 livres en assignats Pour 100 1.en assignats

Août à décembre 1789.... 241 75 à 251 15 Août et sept.1789.981 1er janv. à décembre 1790. 24 17

à

26 2

Janvier 1790..

96

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1791

91

971 58

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38

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1er janv. au 31 août 1793.. 43 15
1er vend. à 30 fruct. an II. 83
1er vend. à nivôse an III. 83
16 mars 1795 (26 ventôse an III)..
29 mai 1795 (10 prairial an III).
30 juillet 1795 (12 messidor an III)
31 avril 1795 (12 fructidor an III)
21 sept. 1795 (5o jour compl.an III
30 oct. 1795 (9 brumaire an IV)...
5 juin 1796 (18 prairial an IV)..... 17.350
21 juin 1796 (3 messidor an IV).. 8.250

à

76

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à 77

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