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il le croyait enfoui; il comptait que l'emprunt forcé verserait dans ses caisses une assez grande quantité de numéraire, et même qu'en floréal il pourrait disposer de 216 millions. Dans cette confiance, il avait émis au commencement de nivôse, pour 30 millions de rescriptions, remboursables en valeur métallique à trois mois de date. Mais à l'échéance, en germinal, l'emprunt n'avait guère produit en métaux que le dixième des sommes à rembourser; les rescriptions continuèrent à circuler, perdant plus de 50 p. 100, et finirent par se confondre avec un autre papier que le gouvernement venait alors de créer 1.

C'était le mandat territorial. On avait décidé qu'un milliard de biens, valeur métallique, serait mis en vente pour retirer les assignats (17 ventôse) et que 890 millions de biens seraient laissés à la disposition du Directoire pour être employés aux dépenses de la guerre (2 et 3 nivôse). Mais le Directoire ne pouvait pas se servir de ces immeubles pour payer ses fournisseurs. Il demanda une autre forme de crédit, et le 20 ventòse, sur le rapport de Defermont, le Conseil des Cinq-Cents décida que les 1,800 millions seraient mis à la fois en vente, et que le Directoire ferait fabriquer, pour le service de la Trésorerie, des mandats jusqu'à concurrence de 600 millions. Tout porteur de mandat pouvait se présenter à l'administration du département dans lequel il voulait acquérir un immeuble, et sur l'estimation faite en valeur métallique par deux experts, l'un nommé par le département et l'autre par l'acheteur, le contrat de vente lui était immédiatement délivré, pourvu qu'il payât en mandats la moitié comptant et qu'il s'engageât à donner le reste dans le courant du mois.

Il y eut de graves objections. On dit, non sans raison, qu'on créait un assignal avec privilège et qu'on enlevait les meilleures hypothèques à l'ancienne monnaie. «Mettre en concurrence avec l'assignat un nouveau papier-monnaie, est-ce relever le crédit de l'assignat? » demandait Bentabole. Mais malgré l'expérience de six années, les arguments spécieux qui avaient triomphé dans la Constituante triomphèrent encore dans le Conseil des Cinq-Cents. On prétendit que le mandat ne pouvait pas perdre, parce qu'il pouvait se changer immédiatement contre un immeuble. « Nous avons cloué le mandat à la terre », disait un représentant. « C'est une banque de domaines nationaux », disait un autre, et le décret passa En réalité, sous un autre nom, c'était toujours un assignat.

Cette loi n'était que le prélude d'une autre loi plus importante. Dès que les mandats eurent été acceptés par les Conseils, le Directoire

1. On commença à délivrer des rescriptions le 1er nivôse an IV (23 décembre 1795). Le 12 pluviôse (1er février 1796), ces restrictions furent cotées pour la première fois à la Bourse: la rescription de 100 livres fut cotée 65 livres; le 30 ventôse (20 mars) elles étaient tombées à 45 livres. Deux jours auparavant (28 ventôse an IV, date de la création des mandats), le Directoire avait décidé que les rescriptions seraient reçues dorénavant comme des mandats territoriaux.

insista pour que la création fût portée de 600 millions à 2 milliards 400 millions, divisés en coupons de 1 livre à 500 livres (loi du 28 ventòse an IV). Les Conseils volèrent et ordonnèrent qu'en attendant la fabrication, on émît sur le champ des promesses de mandats, transmissibles par endossement. En même temps, la loi interdisait la vente des monnaies d'or et d'argent. Le 29 ventôse, la Trésorerie fut autorisée à émettre des mandats 1.

Les mandats devaient servir à l'échange des assignats au-dessus de 100 livres, à raison de 30 francs en assignats pour 1 franc en mandat ', et devenir l'unique papier de la République. Ils servaient à acheter les domaines de l'État sur le pied de vingt-deux fois le revenu des terres et de dix-huit fois le revenu des maisons. Les nouveaux contrats devaient être payés au pair en argent ou en mandats. Les anciens contrats passés sous le régime des assignats étaient également payables en argent ou en mandats, mais d'après une échelle de proportion qui fut dressée à cet effet: au pair pour les contrats antérieurs au mois de juillet 1792; à raison de 95 p. 100 pour ceux du second semestre de 1792, et toujours en décroissant jusqu'en nivôse an IV (1er janvier 1796 où le taux n'était plus que de 2 p. 100.

La nouvelle monnaie fut annoncée au peuple par une proclamation du Directoire :

« Votre sort, ô Français, est entièrement dans vos mains; que la loi sur les mandats territoriaux soit fidèlement observée, et la France sort de sa révolution heureuse et triomphante; que cette loi soit méprisée, et un profond abîme se creuse sous nos pas.

« Les mandats territoriaux ont un premier avantage que n'avaient point les assignats et dont le défaut a causé la chute de ceux-ci. Cet avantage est la faculté attribuée au mandat de pouvoir être réalisé à tout instant, sans concurrence, sans entraves, sans enchères, par l'appréhension immédiate et incontestable du domaine national sur lequel le porteur aura fixé son choix, dans toute l'étendue de la République. C'est une banque territoriale dont le fonds est notoire, dont les billets sont échangeables à bureau ouvert, et dont la garantie est fortifiée par l'autorité de la loi qui leur donne cours forcé de monnaie. »

Ni la facilité prétendue de l'échange, ni le cours forcé, ni les menaces proférées contre les agioteurs ne purent soutenir le mandat. L'illusion de ceux qui croyaient au remède fut de très courte durée, et l'expérience prouva une seconde fois aux législateurs qu'un papier qui n'a pas d'autre gage qu'un immeuble n'est pas une monnaie. Dès que les

1. Voir dans Cent ans de numismatique française (p. 130 et 136) des spécimens de promesses de mandat, depuis 2 jusqu'à 500 francs.

2. L'échange des assignats au-dessus de 100 livres, prescrit par la loi du 28 ventôse an IV, fut ordonné par le Conseil des Cinq-Cents le 3 prairial, par le Conseil des Anciens le 4. L'échange se fit à bureau ouvert du 16 au 25 prairial.

promesses de mandat circulèrent, elles furent tout d'abord cotées, en février 1796, à 35 francs le billet de 100 francs el tombèrent avec plus de rapidité encore que les assignats; si bien que trois mois après leur émission, elles ne valaient plus que 7 francs 10 sous en juin 1796, et que 2 livres 18 sous en août 1.

Sans doute, l'agiotage était une des causes du discrédit, mais il n'en était pas le mobile premier. Les agioteurs profitent des fautes d'un gouvernement, ils ne les font pas. Le Directoire avait apprécié le mandat à trente fois la valeur de l'assignat; la Bourse n'était pas coupable, puisqu'elle le cotait à un prix plus élevé. Le Directoire avait changé deux fois en une semaine le mode d'aliénation des domaines; la Bourse n'avait donc pas tort de ne pas prodiguer sa confiance. Enfin le mandat n'était pas une valeur réelle et ne représentait pas une valeur transportable. Son émission n'était soutenue que par la mise en vente d'une énorme quantité d'immeubles qui ne pouvaient naturellement trouver tout à coup des acheteurs qu'en se livrant à de très bas prix. C'est ce qui eut lieu. Les soumissions furent assez nombreuses, parce que le mandat étant descendu à 10 francs un mois et demi après

1. C'est en 1796 qu'ANTOINE BAILLEUL publia sa brochure intitulée Tableau complet de la valeur des assignats, des rescriptions et des mandats, qui donne mois par mois ou jour par jour la valeur du louis d'or en assignats, la valeur des assignats, rescriptions, mandats en espèces, le change, etc. A peu près vers la même époque fut publiée une plaquette intitulée Tableau complet de la valeur des assignats. Deux ans plus tard, en exécution de la loi du 5 messidor an V (23 juin 1798), << relative aux transactions passées entre particuliers pendant la dépréciation du papier-monnaie », le Directoire fit dresser le tableau par département de la valeur du papier-monnaie depuis son origine et plaça en tête un tableau de la moyenne générale. Les tableaux départementaux diffèrent entre eux ce qui n'a rien d'étonnant. (Voir la note de la page 231.) Le tableau général diffère des deux documents précédents ce qui provient peut-être de ce que les deux premiers expriment la cote de Paris. Voici la comparaison de la valeur du mandat dans les trois documents.

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Le premier document s'arrête avec les jours complémentaires de l'an IV; le cours le plus bas est 2 livres 8 sous, le 10 fructidor. Le second document s'arrête aussi à la fin de l'an IV. Exemple d'un département: dans le Calvados, le mandat de 100 livres valait 25 livres le 1er germinal an IV, et 4 livres 10 sous le 7 thermidor, dernière cote.

son émission, les spéculateurs calculaient qu'avec 2,200 francs en argent, ils se procuraient un revenu de 1,000 livres en biens-fonds. C'était une duperie semblable à celle dont la Convention avait été victime et qui ne profita pas plus au crédit public.

Le gouvernement résista quelque temps. « Ceux qui achètent maintenant des mandats à bas prix, disait un représentant, savent bien ce qu'ils font tant pis pour les imbéciles qui s'y laissent prendre. » Il voulut soutenir le mandat en supprimant les assignats, auxquels on imputait le mauvais succès de la nouvelle monnaie. On proposa, en conséquence, de les rembourser en valeurs métalliques à 1 p. 100, puis de retirer ceux de 2,000 et de 10,000 livres, puis de les admettre en payement des biens nationaux. Enfin, le 4 prairial, fut adopté le décret qui ordonnait l'échange immédiat de tous les assignats au-dessus de 100 livres. Des bureaux furent ouverts, des délais fixés, et l'opération fut terminée le même mois à Paris, à la fin de messidor dans les départements. Les gros assignats cessèrent d'ètre cotés et de circuler dès le commencement de juin 1796 (prairial an IV).

Néanmoins le mandat continuait à baisser. Il fallut bien se rendre à l'évidence. La conversion des assignats en mandats avait mal réussi ; on n'avait pas plus de confiance dans un papier que dans l'autre. Le Directoire comprit qu'en continuant à recevoir ses mandats au pair, il tombait dans le gouffre où s'étaient englouties les finances de la Convention. Il décida, en messidor, que les contributions seraient évaluées en blé, à raison de 10 livres pesant pour chaque franc porté au rôle, et que chaque livre serait payée, cette année, 16 sous en mandats. Ce premier pas vers la démonétisation était une banqueroute manifeste, après les assurances qu'avait données solennellement le Directoire trois mois auparavant.

Une fois engagé dans cette voie, il fut vite entraîné aux dernières conséquences. Quatre mois après, le 13 frimaire an V (3 décembre 1796), il décida que les caisses de l'État ne recevraient les mandats qu'au cours, et que ce cours serait officiellement publié tous les cinq jours. Bientôt, le 9 pluviòse, les poinçons et matrices qui avaient servi à la fabrication des promesses de mandats furent remis au Directoire pour être brisés et détruits. Sept jours (après, la loi du 16 pluviôse an V (4 février 1797) consomma le sacrifice. « Considérant, disait le préambule, que la faible valeur des mandats qui restent dans la circulation les rend inutiles aux transactions des citoyens, que cependant-ils favorisent des spéculations nuisibles et prolongent une complication dangereuse dans la comptabilité... » — « Il est temps de nous débarrasser de ces broussailles de papier-monnaie qui embarrassent encore le terrain sur lequel nous marchons », dit le rapporteur au Conseil des Anciens. Quelques voix isolées protestèrent contre une « résolution qui violait la foi publique ». Imbus des principes du jacobinisme, députés et

directeurs ne reculaient pas devant des mesures révolutionnaires quand ils les croyaient commandées par le salut public. La loi du 16 pluviôse an V (4 février 1797) portait que les mandats et les assignats au-dessous de 100 livres n'auraient plus cours forcé entre particuliers, et que l'État ne les recevrait désormais qu'en payement des contributions arriérées, au cours de l'époque: le mandat de 100 livres valait alors. 20 sous 1.

Le cours du Directoire cessa le 2 mars 1797; le cours libre, le 28 avril ; depuis ce temps, il ne fut fait à la Bourse aucune affaire en mandats ni en assignats. Le 1er avril, la Trésorerie se fit remettre tous les papiersmonnaie existant dans les caisses publiques, et le 21 mai, fut rendu un décret annulant les 21 milliards d'assignats qui étaient encore dans la circulation.

L'approvisionnement de Paris sous le Directoire.

Le changement

de gouvernement n'avait pas amélioré la situation de Paris relativement aux subsistances. La queue continuait devant la porte des boulangers, des bouchers et sur les ports au charbon et au bois, et si la foule se montrait moins violente, elle n'était pas moins affamée et elle n'était pas mieux servie. Elle le fut même plus mal à mesure que les assignats se dépréciant, les marchandises renchérissaient. Les boulangers devaient recevoir tous les jours une provision de farine correspondant au nombre de bouches qu'ils avaient à nourrir; ils délivraient par tête sur carte et à un prix très inférieur à celui du marché la quantité fixée par arrêté du Directoire. Mais souvent ils ne la délivraient que dans l'après-midi parce que leur provision leur était parvenue trop tard ou parce qu'ils manquaient de bois; parfois ils ne donnaient qu'un pain de mauvaise qualité, soit que les fournitures eussent été défectueuses, soit qu'ils ne se gênassent pas avec une clientèle obligatoire. D'ailleurs, la plupart détournaient une partie et sans doute la meilleure de la farine pour un commerce clandestin, destiné aux amis ou aux clients qui payaient cher. Les paysans qui apportaient des denrées cherchaient, comme sous la Convention, à remporter du pain, les uns parce qu'on en manquait réellement dans la campagne, les autres parce que l'ayant acheté à un prix réduit à Paris, ils le revendaient cher dans leur village. Les Parisiens murmuraient, la police faisait des saisies; mais les pains continuèrent à sortir par-dessus le mur d'enceinte quand les barrières étaient gardées.

Les Parisiens avaient été rationnés à une demi-livre de pain. Le Directoire leur avait fait espérer une augmentation; ils l'attendirent longtemps, et ce n'est qu'après la disparition du papier-monnaie et la sup

(1) Un rapport de police du 25 avril 1797 dit que le mandat de 100 livres valait 28 à 25 sous. Les rapports suivants ne font plus mention des mandats; l'agiotage se porte dès lors sur les titres de rente.

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