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au Panthéon sous la Convention. «... Dans chaque État, disait-il, qui n'a pas la gloire pour mobile, si du désir de faire fortune on ôte le désir d'établir sa réputation, adieu la bonne foi. Bientôt toute profession, tout trafic dégénère en intrigue et en friponnerie... Comme il ne sera plus question de faire d'excellents ouvrages pour établir sa réputation, mais de séduire par l'apparence, les ouvrages seront courus et fouet tés. Décrié dans un quartier, l'ouvrier ira dans un autre... A l'égard des arts utiles et de première nécessité, l'artisan doit être assujetti à faire preuve de capacité, parce que personne ne pouvant se passer de leurs productions, bonnes ou mauvaises, l'ordre de la société exige que le législateur prenne des mesures pour prévenir la fraude, la dépravation des mœurs et les malheurs qui en sont la suite 1. »

Le décret, voté le 16 février, puis augmenté quinze jours après de quelques articles additionnels, et sanctionné par le roi, devint la loi du 2-17 mars 1791 qui renfermait deux objets distincts: la suppression des corps de métiers et l'établissement d'un impôt.

La suppression entraînait un remboursement, puisque les titulaires avaient payé, et souvent cher, leur privilège. Turgot n'en avait pas tenu compte. La Constituante, mieux guidée par le sentiment de la justice, le comprit et régla le mode de liquidation. Le remboursement ✔ des maîtrises des seuls offices de barbiers était estimé à 22 millions; celui des autres offices à 15 ou 16 millions. Dans les communautés, les syndics furent invités à dresser un état des maîtres et de la finance par eux payée; cette finance devait être restituée, déduction faite. d'un trentième pour chaque année de jouissance antérieure au 4 août 1789. Les syndics durent aussi rendre compte de leur gestion aux municipalités, dresser l'inventaire des propriétés mobilières et immobilières des communautés et verser les fonds au district dans la caisse de l'extraordinaire qui était chargé de liquider le passif au nom de l'État. Toutes les marchandises saisies durent être restituées à leur légitime propriétaire et les procès commencés pour infraction aux statuts ou empiétements sur les privilèges furent annulés.

Le même principe fut appliqué à tous les privilèges d'industrie et

1. MARAT proposait un plan qui consistait à :

« 1° Assujettir les élèves à un apprentissage rigoureux de six à sept ans ;

« 2o Mettre un prix honnête au travail des ouvriers, de manière à ce qu'aucun d'eux ne put tomber dans l'indigence que par sa faute ;

« 3o Les exciter à une bonne conduite, en donnant, au bout de trois ans, les moyens de s'établir pour leur compte à tous ceux qui se seraient distingués par leur habileté leur sagesse, avec la simple réserve que celui qui ne prendrait pas femme, serait tenu, au bout de dix ans, de remettre à la caisse publique les avances qu'elle lui aurait faites. >> - Tiré de l'Ami du Peuple, no xCI, Hist. parlem., t. X, p. 108. 2. Décret du 20 avril 1791.

3. Décret du 28 mars 1791.

4. Décret du 17 septembre 1791.

de commerce. Ainsi furent supprimés les jurés priseurs 2, les agents de change 3, la Caisse de Sceaux et de Poissy *,les agents privilégiés des halles et marchés, le droit exclusif des maîtres de poste. La liberté de cultiver, de fabriquer et de débiter le tabac fut décrétée 6. La Constituante, en faisant table rase de tout le régime corporatif ou administratif de l'industrie, ne s'inquiétait pas de séparer le bon grain de l'ivraie; elle supprima les chambres de commerce.

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Deux exceptions cependant furent faites à la règle commune: pour les pharmaciens qui ne purent exercer sans avoir été reçus suivant les règles de la profession, parce que, dit le rapporteur, «< la surveillance de la loi doit commencer où cesse celle des citoyens », et pour les orfèvres, qui ne furent astreints à aucune restriction de maîtrise, mais qui restèrent soumis à la surveillance de la police pour le titre des matières d'or et d'argent'. Une troisième restriction fut ajoutée, relative aux hauts fourneaux,qui ne purent être établis qu'avec l'autorisation du Corps législatif ". L'Assemblée, croyant ces mesures indispensables à la sûreté publique, faisait plier le principe de la liberté industrielle devant une considération supérieure. Plus d'expérience lui aurait peut-être enseigné à se fier davantage à la liberté ; l'Angleterre, qui n'avait pas ces restrictions, n'avait pas cependant à se plaindre que les malades fussent empoisonnés ou que le fer lui manquât. Enfin les lois municipales du 14-22 décembre 1789 et du 16-24 août 1790 donnèrent aux maires le droit de fixer le prix du pain et de la viande.

La Constitution, abolissant « irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits », résumait en ces termes, dans son préambule, la première partie de la loi du 2-17 mars 1791 : Il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et mé- |

1. Décret du 3 avril 1790 qui supprime tous les privilèges exclusifs du commerce. 2. Décret du 21 juillet 1790.

3. Décret du 21 avril-8 mai 1791. Voir le rapport du 14 avril 1791. Les charges d'agents de change ont été rétablies sous le Consulat (Décrets du 28 ventôse an IX et du 17 prairial an X).

4. Décret du 13 mai 1791.

5. Les « Plumets », porteurs de charbon de Paris, avaient formé par-devant notaire une association le 26 septembre-2 octobre 1790. Ils prétendaient avoir droit à 3 sous pour accompagner le charbon que les particuliers faisaient transporter chez eux sur leurs propres voitures; ils réclamaient maintenant seulement 2 sous et ils portèrent l'affaire devant le tribunal du 4o arrondissement qui les débouta de leur demande. Voir la Justice en France pendant la Révolution, par M. SELIGMAN. 6. Décret du 20-27 mars 1791.

7. Décret du 27 septembre-7 octobre 1791. En même temps qu'on supprimait les chambres de commerce, on créait le bureau central de l'administration du commerce; mais l'un ne remplaçait pas les autres.

8. Décret du 14-17 avril 1791.

9. Rapport de Dallarde du 13 février 1791.

10. Décret du 31 mars-3 avril 1791.

11. Loi du 12-28 juillet 1791.

tiers. » Les voies du travail industriel étaient désormais libres comme les voies du travail agricole. La source de la plupart des procès d'artisans n'existait plus. Les jugements en matière de salaires étaient attribués aux juges de paix et la subordination nécessaire dans l'intérieur de l'atelier était sanctionnée par une aggravation de la peine pour les coups et blessures, quand ils étaient portés par un apprenti, un compagnon ou un domestique à son maître 1.

Malheureusement la juste indemnité promise par la liquidation se perdit dans le gouffre des finances. On avait évalué le remboursement des charges de barbiers et, venons-nous de dire, des autres offices à près de 40 millions. Le remboursement des maîtrises, évalué d'abord par La Rochefoucauld, à l'époque du décret, à 80 millions, ne figura sur les comptes approximatifs de la dette publique que pour une somme de 40 millions. Ces 40 millions ne représentaient guère que les deux tiers du prix des maîtrises, puisque la loi ne tenait pas compte des droits de la communauté. Ils ne purent être payés qu'en assignats, seule monnaie que l'État eût dans ses coffres; encore le remboursement traîna-t-il en longueur. Deux fois, on donna l'ordre de payer immédiatement les indemnités dues aux citoyens qui s'enrôlaient, sans suivre l'ordre d'enregistrement; les autres durent attendre. A la fin de 1793, l'opération n'était pas encore terminée. Au mois de septembre de cette année, 100 livres en assignats valaient à peine 30 livres en argent, et les artisans perdaient plus des deux tiers dans cette liquidation désastreuse. Beaucoup étaient pauvres. Ne pouvant attendre l'époque du remboursement, ils vendaient à vil prix leur titre de maîtrise ou leur certificat de liquidation. Quelques décrets mirent des obstacles à ces ventes. On s'en plaignit. « Ce n'est pas aux acquéreurs de maîtrises seuls, disait une pétition, que ces mauvaises difficultés causent le plus grand préjudice; elles diminuent la concurrence des acheteurs, ce qui produit les plus funestes effets contre les malheureux ouvriers que la nécessité force à vendre leurs droits, et le nombre en est grand . »

1. Loi du 19-22 juillet, titre II, art. 14.

2. Rapport de MONTESQUIOU, 6 février 1791.

BERGASSE LAZEROULES l'évaluait dans

une brochure à 55 millions. Réplique de M. B. à M. de M.

3. Décret du 26-30 septembre 1791. Décret du 16 septembre 1792.

4. La liquidation se prolongea longtemps. Nous avons trouvé dans les Archives du département de la Vienne (E 73), le procès-verbal de la remise à la préfecture des livres et pièces de la ci-devant communauté des tailleurs de Poitiers qui est daté du 21 floréal an IX.

5. Voir les décrets des 26-28 mars 1791, 18 juin, 24 juin, 2 août, 30 septembre.Voir, au sujet du décret du 24 juin, la pétition du sieur Boufflers (Collection Rondonneau, 2o partie, 333, aux Archives nationales). C'est peut-être cette pétition qui motiva le décret du 30 septembre, autorisant le directeur de la liquidation à continuer, sous sa responsabilité, les indemnités dues à raison des maîtrises et jurandes.

La patente. La patente n'était pas substituée aux maîtrises; car elle n'était pas un privilège, ni un certificat de capacité, mais une contribution. Pour y être soumis, il suffisait d'exercer une industrie, et réciproquement, nul ne pouvait exercer d'industrie sans l'acquitter. Tout industriel, fabricant ou marchand, devait faire chaque année, dans le courant de décembre, sa déclaration à la municipalité, acquitter immédiatement le quart du droit, et payer ensuite les trois autres quarts dans le cours de l'année. Le receveur du district expédiait en échange du premier versement une patente que le contribuable était tenu de produire à toute réquisition et principalement dans les actes officiels de la vie civile ou politique. Qui négligeait de s'en munir, était passible d'une amende égale à quatre fois la valeur du droit. Les cultivateurs, les fonctionnaires, les apprentis et ouvriers en étaient exempts 1.

Sur quelle base déterminer le taux de chaque patente? La plus équitable paraissait être le bénéfice de l'industriel; un orateur l'avait même déclaré à la tribune ; mais l'Assemblée, d'accord avec son comité, repoussa cette proposition et adopta une taxe proportionnelle au loyer,] « car l'insulte que ferait à la liberté toute inquisition domestique doit faire rejeter tout autre moyen ». Le scrupule était peut-être, cette fois, exagéré. Il fallut six mois après établir des visiteurs des rôles pour vérifier les déclarations 3. Les législateurs français ont su, depuis ce temps, sans devenir des inquisiteurs du foyer, approcher davantage de la réalité des fortunes, tout en ne prenant pour bases de l'impôt que des signes matériels et apparents du revenu industriel; mais il est honorable pour la Constituante d'avoir craint jusqu'à l'ombre de l'arbitraire.

Ce fut donc d'après le loyer qu'on fixa la patente: deux sous pour livre jusqu'à 400 francs de loyer; deux sous et demi jusqu'à 800, trois sous au-dessus. Les aubergistes, traiteurs, marchands de vin, qui se trouvaient exonérés des droits sur les boissons, étaient taxés d'après un tarif plus élevé ; les boulangers, au contraire, ne payaient que la moitié de la patente (art. 13), et les marchands de poisson et de légumes en étaient exemptés, parce qu'on ne voulait créer aucun impôt qui fût de nature à élever le prix des subsistances. Les petits marchands des rues étaient également exempts, pourvu qu'ils n'eussent ni boutique ni échoppe (art. 8); les colporteurs et les marchands n'ayant pas de domicile fixe étaient imposés d'après leur véhicule 3. Enfin, les cultivateurs, sur qui pesait la contribution foncière, n'avaient

1. Loi du 2-11 mars 1791.

2. BOUCHOTTE, séance du 15 février 1791.

3. Loi du 9 octobre et instruction de novembre 1791.

4. 30 fr. au-dessous de 200 fr. de loyer; 3 sous 1/2 par livre au-dessus de 200 fr; 5 sous par livre au-dessus de 800.

5. 10 fr. à pied; 50 fr. avec un cheval; 80 fr. avec une voiture.

pas à compter avec l'impôt des patentes, à moins qu'ils ne voulussent, après la vendange, débiter leur vin au détail '.

Le principe de la progression était légitime, parce qu'un loyer double représente d'ordinaire, dans une même industrie tout au moins, un chiffre d'affaires plus que double, mais c'était tout à fait insuffisant. Il était délicat d'adopter des distinctions autres que celles qui avaient pour fondement le revenu probable de l'industrie: c'est ainsi qu'on glisse dans l'arbitraire. Un an après, l'Assemblée législative décidait que les maîtres d'hôtel et les marchands de bois ne payeraient que sur la moitié de leur loyer 2.

Malgré ces critiques, le principe était bon; la loi supprimait un grand obstacle qui gênait le développement de la richesse industrielle, et il établissait un impôt légitime qui est resté une des assises de notre système financier. Les contribuables comprennent rarement l'opportunité d'un impôt nouveau. Il y eut des mécontents, et l'Assemblée dut rédiger une adresse au peuple pour lui faire comprendre le bienfait de la réforme.

« Le droit des patentes correspond aux jurandes, aux maîtrises, aux vingtièmes d'industrie, à la portion de taille personnelle qu'on faisait payer aux artisans et aux marchands de plus qu'aux autres citoyens, et aux droits d'entrée des villes... Les patentes sont jointes à un grand avantage longtemps bien désiré, celui d'établir pour tout le monde la liberté de toute espèce d'industrie et de commerce, et de proportionner l'impôt qu'on se voit dans la nécessité d'y attacher à la durée du temps pendant lequel on s'y livre, comme à l'importance des capitaux qu'on y emploie et des profits qu'on en retire, qui se manifeste par l'étendue, la beauté et le prix du logement de l'entreprise et de l'entrepreneur. Anciennement, lorsqu'un homme voulait faire un métier dans une ville, il était obligé de débourser pour sa maîtrise une somme considérable qui lui aurait été très utile pour son commerce. Si, faute de cette somme retirée de son commerce ou pour toute autre cause, il ne réussissait pas, s'il était obligé de quitter le pays, ou bien s'il venait à mourir, le capital employé à sa maîtrise était perdu pour lui et ses enfants.

<«< Si, croyant trouver plus de ressources, espérant plus de succès dans un autre métier ou dans un autre commerce, il se déterminait à les embrasser; si, étendant ses combinaisons, il voulait en cumuler plusieurs, il fallait pour chacun d'eux payer une nouvelle maîtrise ; il ne pouvait exercer cette maîtrise que dans la ville où il était reçu ; s'il passait dans une autre ville, il lui fallait une maîtrise nouvelle... Aujourd'hui, il peut changer de séjour et de métier comme il lui plaît, il peut réunir autant de professions qu'il juge convenable. Au 1. Dans ce cas, ils payaient 3 fr. par mois.

2. Décret du 10 août 1792.

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