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voulait dire, par allusion aux maîtrises, que l'action d'employer son activité au travail industriel ne pouvait être imposée); mais elle frappe les capitaux mobiliers employés au commerce qui, étant protégés par la société, ne doivent pas être exempts des charges publiques. >>

Il créa l'impôt des portes et fenêtres et dut chercher un supplément aux revenus ordinaires dans les taxes de guerre 2, dans les emprunts sur la classe aisée 3, et dans les subventions extraordinaires'.

L'impôt direct, qui pesait presque tout entier sur la terre, ne pouvait pas suffire aux dépenses d'une grande nation et les surcharges indisposaient les contribuables sans enrichir beaucoup le Trésor. L'Assemblée constituante, sous l'influence de la doctrine physiocratique, avait fait table rase des impôts indirects et fait peser sur l'agriculture la plus forte portion des impôts directs. Ce ne fut qu'avec peine et timidement que le Directoire se décida à recourir à des impôts indirects sur la consommation.

La loi du 6 novembre 1796 (16 brumaire an V), relative aux dépenses de l'an V, porta que, pour assurer le recouvrement d'une somme égale au montant des dépenses fixes, il serait établi des impositions indirectes « jusqu'à concurrence du déficit que laisseront les produits réunis des contributions foncière, personnelle et somptuaire, de la perception des droits du timbre, de l'enregistrement, des douanes et des patentes ».

Un impôt sur la production du sel, présenté par le ministre Ramel, échoua au Conseil des Anciens devant le souvenir de la gabelle. Mais l'impôt du timbre, qui avait fini par ne pas couvrir le prix du papier, fut remanié, étendu, régularisé par la loi du 13 brumaire an VII (3 novembre 1798) et rapporta plus de 15 millions à partir de l'an VII. Dans la même période les droits sur l'enregistrement furent remaniés (loi du 22 frimaire an VII); la régie des messageries nationales, qui était constamment en perte, ayant été supprimée et la liberté de circulation rendue complète, un impôt sur le transport des voyageurs fut créé (le dixième du prix des places pour les services réguliers); la loterie fut rétablie ; les cartes à jouer furent soumises à un droit de timbre ; comme le tabac ne procurait au Trésor qu'une recette insignifiante par le droit de douane, la question de l'établissement d'un monopole fut posée, mais elle fut rejetée, et la loi du 22 brumaire an VII (12 novembre 1798) créa une taxe sur la fabrication, laquelle, mal perçue,

1. Loi du 4 frimaire an VII (24 novembre 1798).

2. Loi du 6 prairial an VII (25 mai 1799).

3. Emprunt de 100 millions. Loi du 10 messidor an VII (28 juin 1799).

4. Loi du 27 brumaire an VIII (18 novembre 1799).

5. Loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797). Arrêté du 17 vendémiaire an VI.

6. Loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797). Arrêtés du 3 pluviôse et du 19 floréal an VI (22 janvier et 8 mai 1798).

ne rapporta pas plus que le droit de douane; d'ailleurs la culture. la fabrication et le commerce restaient libres'. Le poinçonnage des matières d'or et d'argent, qui n'avait pas été supprimé en droit, fut rétabli en fait par la loi du 19 brumaire an VI (9 novembre 1797) et l'État perçut un droit dont on estimait alors le produit annuel à 500,000 francs. En 1797, les communes purent à leur tour, en cas d'insuffisance des centimes additionnels, pourvoir à leurs dépenses « par des contributions indirectes et locales, dont l'établissement et la perception ne pourraient être autorisés que par le Corps législatif3».

Paris, privé de son octroi depuis la loi du 19-25 février 1791, ne pouvait pas suffire à ses dépenses et ses hospices étaient dans la détresse ; le Trésor national devait venir chaque année à son secours en lui faisant des avances que la ville était incapable de rembourser. La loi du 27 vendémiaire an VII (18 octobre 1798, complétée le 9 frimaire an VIII), l'autorisa à percevoir un droit local de 5 fr. 50 par hectolitre de vin, de 16 fr. 50 par hectolitre d'alcool, etc. Les lois des 11 frimaire an VII (1er décembre 1798), plus tard celle du 5 nivôse an VIII (25 décembre 1799) étendirent le rétablissement de l'octroi à d'autres villes, Bordeaux, Cambrai, Reims, Amiens, Brest, Limoges, Toulouse, Le Havre, etc. Toutefois, le Directoire ne fit qu'un usage très restreint de ce genre de ressources qui était en désaccord avec la théorie des physiocrates.

Hospices, hôpitaux et monts-de-piété. - Les plans de bienfaisance nationale n'avaient pas empêché la désorganisation des hospices. De ce côté encore, il était urgent de remédier à l'insuffisance de leurs ressources. Diverses lois furent rendues pour régler le payement de leurs dettes arriérées et pour leur assurer un revenu. On leur remit ceux de leurs biens qui n'avaient pas été vendus; ceux qui avaient été aliénés durent leur être restitués sur le fonds des domaines nationaux. On attribua aux hospices le produit des amendes et saisies prononcées pour établissement de loteries clandestines, la moitié des sommes à recouvrer sur les contributions arriérées, les recettes de l'octroi de Paris, celles du bureau de poids public 3. La subvention

1. Loi du 22 brumaire an VII (12 novembre 1798). La taxe fut de 4 décimes par kilogramme sur le tabac en poudre et en carotte, de 2 décimes et 4 centimes sur le tabac à fumer et le tabac en rôle.

2. Loi du 19 brumaire an VI (9 novembre 1797) et arrêté du 15 prairial an VI (3 juin 1798). Le produit brut fut de 102,903 francs en l'an VI, de 564,199 francs, en l'an VII, de 403,000 francs en l'an VIII.

3. Article 51 de la loi du 11 frimaire an VII (9 nov. 1797).

4. Lois du 29 pluviôse an V (17 février 1797), du 30 nivòse an V (19 janvier 1797), du 6 vendémiaire an VIII (27 septembre 1799).

5. Loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796).
6. Loi du 9 germinal an VI (29 mars 1798).
7. Loi du 27 vendémiaire an VII (18 octobre 1798).
8. Loi du 27 brumaire an VII (17 novembre 1798).

nécessaire pour compléter le revenu des hospices fut classée parmi les dépenses obligatoires du canton . La nomination des commissaires. chargés de la surveillance fut soumise à l'approbation du gouvernement; les adjudications de fournitures durent être publiques; le travail fut introduit dans les hospices, et le produit réparti entre l'hospice pour les deux tiers et l'indigent pour un tiers 2.

Les hospices et hôpitaux ne renfermaient pas tous les malheureux qui avaient besoin d'assistance. Avant la Révolution, les monastères, les églises et de nombreux bureaux dirigés par des laïques faisaient de larges aumônes; il fallait les remplacer, non dans leurs abus, mais dans les services qu'ils rendaient à l'indigence. On organisa les bureaux de bienfaisance, composés de cinq membres et chargés de surveiller les travaux ordonnés dans les temps de crise par les administrations municipales et de répartir les secours à domicile. Il pouvait y avoir un ou plusieurs bureaux dans chaque municipalité de canton; il y en eut 48 à Paris. Il leur fallait un budget on leur alloua le dixième du prix des places dans les spectacles. Remaniée plusieurs fois, cette taxe, qui n'a d'autre rapport que celui d'une antithèse avec l'objet auquel elle s'applique, a subsisté.

Le Mont-de-Piété, créé à Paris en 1777, avait succombé, et à sa place s'étaient élevées des agences de prêt. « Sous le gouvernement directorial, dit Merlin, des agences furent ouvertes dans toutes les rues de Paris sous les diverses dénominations de Caisse auxiliaire, Lombard-Lussan, Lombard-Feydeau, Lombard-Serilly, Lombard-Augustin, etc., et toutes ces maisons en eurent bientôt enfanté un nombre si effrayant, que dans certains quartiers (dans les quartiers du Palais Royal, par convenance avec les maisons de jeu, les filles publiques et les escrocs), les lanternes qui les annoncent suffiraient pour éclairer la voie publique et, par ce moyen, épargner au département la moitié des frais d'illumination. » Si l'argent, longtemps proscrit, reparaissait peu à peu, il faisait payer ses services d'autant plus cher qu'il avait été plus maltraité. La liberté du taux de l'intérêt avait été proclamée de nouveau. Les Lombards empruntaient à 4 et 6 p. 100 par mois et prêtaient à leur tour à 12 et à 20. Le Directoire s'émut et l'administration du département de la Seine rétablit le Montde-Piété .

On continuait néanmoins à se plaindre des exigences et des fraudes

1. Loi du 11 frimaire an VII (1er décembre 1798). 2. Loi du 16 messidor an VII (4 juillet 1799).

3. Loi du 7 frimaire an V (27 novembre 1796).

4. Cité par M. A. BLAIZE, des Monts-de-Piété et des banques de prêt sur gages, t. I, p. 178.

5. Loi du 5 thermidor an IV (23 juillet 1796).

6. 17 ventôse an V (5 mars 1797).

des prêteurs; un arrêté soumit leurs maisons à la surveillance de la police, mais sans parvenir à modérer le taux des prêts. En l'an VIII, le Bureau des améliorations dénonçait encore comme usuriers «< ceux qui, après avoir exigé pour sûreté de leur prêt une valeur supérieure au prêt même, se font payer et perçoivent, sans avoir couru ni pouvoir courir jamais aucun risque, 50, 60, 72 et 96 p. 100 1 ».

Appauvrissement de l'industrie. L'industrie, comme le gouvernement, se débattait avec peine au milieu des difficultés de la politique et de la circulation monétaire 2. Le luxe de la jeunesse ne suffisait pas à rendre la vie à tous les ateliers. Le capital de la France avait été amoindri, et on ne travaillait pas encore à le reconstituer.

A l'extérieur, les débouchés maritimes étaient fermés et les marchés du continent, toujours hostiles à la Révolution, offraient peu de ressources. Le Directoire crut devoir redoubler de rigueur pour proscrire le commerce britannique. Par la loi du 10 brumaire an V (31 octobre 1796) il prohiba l'importation et la vente de toute marchandise anglaise sous peine de confiscation, d'amende et de prison, rétablit l'obligation du certificat de provenance et dressa une liste de mar chandises, qui, quelle que fût leur origine, seraient réputées provenir de fabrique anglaise, et partant proscrites. Le sucre raffiné y figurait; comme on ne pouvait pas se passer entièrement de sucre, la contrebande eut beau jeu, si bien que le gouvernement se décida à remplacer la prohibition par un droit de 40 francs les 100 kilos 3.

<«< Les vaisseaux anglais, lit-on dans un rapport, qui bloquent la rade de Quiberon ne laissent presque passer aucun navire marchand. A Brest, la pénurie d'approvisionnements se fait sentir à cause de la grande quantité de ceux qui lui sont destinés et qui sont retenus près de Nantes dans la Vilaine et le Morbihan (quatre à cinq cents chargés de farines et de grains, depuis plusieurs mois, qui s'avarient). Il n'est pas possible de les transporter par terre à cause des routes dépavées. Même blocus sur la Méditerranée; en l'an VII,un négociant qui avait à Marseille 100 balles de coton filé expédiées de Syrie en retour d'une fourniture de drap, demande à les faire transporter par terre à Barcelone, « la voie de mer étant absolument impraticable à cause de la croisière des Anglais et des Barbaresques* ».

1. BLAIZE, des Monts-de-Piété, t. I, p. 187.

2. Dans la plupart des départements, la production des manufactures était très réduite. Les procès-verbaux de la session des conseils généraux en l'an IX en fournissent un grand nombre de témoignages, nous en reproduisons plusieurs page 264 et suivantes.

3. Loi du 9 floréal an VII (28 avril 1799).

4. L'État de la France au 18 brumaire, par M. ROCQUAIN, p. 156.

5. Arch. nationales, F12 665.

A l'intérieur, la confiance manquait. « Le commerce languit par la rareté du numéraire et le taux excessif de l'intérêt. Il ne se fait pas de grandes entreprises, point de spéculations utiles », écrivait en l'an VI le commissaire du Directoire dans le département de la Seine au ministre de l'intérieur 1. L'escompte commercial était très élevé, quoique moins que le prêt sur gage. On n'admettait que des effets à échéance très courte et on leur prenait communément de 1 1/2 à 3 p. 100 par mois. Les Petites Affiches annonçaient des prêts à 4 p. 100 par mois sur gages. La meilleure maison de la capitale, la Caisse du commerce, qui n'acceptait que de bon papier garanti par trois signatures, demandait 3/4 p. 100, c'est-à-dire par an 9 pour 100 2.

De grandes villes n'étaient pas éclairées le soir . Des brigands, ↑ connus sous le nom de chauffeurs, pillaient les fermes de l'Ouest et répandaient l'effroi dans les campagnes, sans que le Directoire pût parvenir à débarrasser la France de ce hideux fléau. Les routes étaient infestées de voleurs et rendues impraticables par le défaut d'entretien ; les chemins vicinaux étaient presque abandonnés et la ruine des travaux d'art avait interrompu la circulation sur certains points. Tant les années détruisent vite le capital commun d'une société, quand il n'est pas maintenu et renouvelé par le travail incessant des générations qui se succèdent !

1. Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, t. IV, p. 736. 2. Après le 18 fructidor, il se forma une caisse d'escompte qui se hasarda à émettre quelques billets de banque. Mais les banquiers français étaient sans crédit à l'étranger, et, à l'intérieur, les capitalistes préféraient tirer de leurs fonds 30 à 50 p. 100 en achetant des domaines nationaux. » FR. D'IVERNOIS, Tableau historique et statistique des pertes que la Révolution et la guerre ont causées au peuple français, t. II, p. 254 à 256.

3. Ibid., t. II, p. 9.

4. « Détruire les chemins d'un empire, c'est couper les veines d'Hercule, et c'est presque en cet état qu'on a réduit la France. » Circulaire du Directoire du 16 décembre 1797, citée par FR. D'IVERNOIS, Tableau histor., p. 92. — C'est à la suite de cette circulaire, mais après le 18 fructidor, que fut créé le droit de passe (loi du 3 nivôse an VI, 23 décembre 1797). On établit 1,200 barrières ; mais le produit ne fut la première année que de 3,337,000 francs (RAMEL,66). Les canaux aussi étaient en ruine (FR.D'IverNOIS,148).-Voici comment s'exprimait plus tard le préfet dans le Mémoire statistique de l'Eure,rédigé au commencement du Consulat et publié en l'an XII (p. 17 et 20): . Depuis dix ans, les routes se sont dégradées ; le plus grand nombre même est devenu impraticable. » Il parlait de la France en général; car à cet égard le département de l'Eure faisait exception. Mais ses chemins vicinaux « sont pour la plupart dans un état total de ruine; ici, un chemin vicinal voisin d'une forêt est totalement dégradé par le transport des bois ; là, un autre chemin se trouve intercepté ou obstrué par une rivière ou un ruisseau auquel on a négligé de donner une direction convenable; plusieurs ponts qui font partie de ces chemins sont rompus ou près de l'être; enfin, partout le voyageur, principalement dans la saison de l'hiver, est obligé, pour n'être pas arrêté, de faire de longs circuits pour se rendre à sa destination, ou, ce qui est un inconvénient encore plus grand, de passer sur des terres ensemencées ».

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