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partie des débardeurs de la berge de la Râpée réclamant une augmentation de salaire obligèrent leurs camarades à cesser le travail comme eux; les inspecteurs du port requirent le commissaire de police, qui obligea tous les débardeurs à finir leur journée 1.

Les ouvriers des papeteries étaient, comme par le passé, turbulents et faisaient probablement plus encore qu'auparavant la loi à leurs patrons. Contre eux le Directoire n'hésita pas à prendre une mesure de rigueur. L'arrêté du 16 fructidor an VI (2 septembre 1796), vu les prescriptions de l'ancien régime sur cette matière (règlement de 1739, etc.), et considérant « que les ouvriers papeliers continuent d'observer entre eux des usages contraires à l'ordre public, de chômer aux fêtes de coteries ou de confréries, de s'imposer mutuellement des amendes, de provoquer la cessation absolue des travaux des ateliers, d'en interdire l'entrée à plusieurs d'entre eux, d'exiger des sommes exorbitantes des propriétaires », interdit toute coalition de papetiers sous peine de 500 livres d'amende et même de 1,000 livres s'il y avait eu menace, assimile au vol les amendes que les ouvriers décrétaient contre leurs camarades, punit ce délit de deux ans de prison, et classe dans la catégorie des actes séditieux les attroupements d'ouvriers troublant le libre exercice de l'industrie .

Les ouvriers papetiers étaient restés affiliés au compagnonnage dont le Directoire se défiait, comme paraît s'en être défiée la Convention qui avait infligé six mois de prison à quiconque introduirait dans

1. Paris pendant la réaction thermidorienne, par M. AULARD, t. I, p.330. A la fin de l'année suivante, les débardeurs se plaignaient de ne pouvoir vivre avec leur salaire de 300 livres en assignats, tant les prix avaient haussé. Ib., 23 décembre 1795. 2. Dans les Archives du Pas-de-Calais (série M), se trouve une lettre du commissaire du département adressée en l'an VI à ses collègues des cantons d'Esqueries et d'Arques, dans laquelle il rappelle l'arrêté du 16 fructidor an VI, et dit que le ministre de la police générale a appelé son attention sur « une espèce de coalition entre les ouvriers employés dans les manufactures, particulièrement dans celles de papeterie, tendant à rétablir, contre le vœu de la loi, un régime indépendant pour cette classe de citoyens et coercitif envers ceux d'entre eux qui refusent de se soumettre aux volontés des meneurs de l'association. Elle a ses chefs et ses correspondants dans les communes où des ateliers sont établis, elle convoque et tient des assemblées, distribue des lettres de créance, frappe d'interdiction telle ou telle fabrique, et fait défense aux ouvriers d'y travailler, sous peine d'être bannis de toutes les autres. Les manufacturiers eux-mêmes ne sont point à l'abri de la funeste influence de cette association; leurs fabriques tombent anéanties au gré de ces capricieuses décisions, ou ne peuvent éviter l'interdiction qu'en payant une amende excessive. Ces désordres sont fomentés sans doute et entretenus par l'Angleterre..... Vous aurez l'œil sans cesse ouvert sur les lieux de rassemblement des ouvriers, sur l'esprit qui s'y manifeste et le but qu'on s'y propose; vous tâcherez surtout de saisir leurs correspondances, afin de connaître les principaux agents de la coterie... » Les commissaires de canton répondirent que depuis un an la coalition n'existait plus, qu'antérieurement les patrons avaient été contraints de renvoyer un grand nombre d'ouvriers,

les ateliers de fabrication des assignats « des compagnons étrangers ou voyageurs connus sous le nom de pays1».

Qu'était devenu le salaire ? Les tarifs du maximum ne nous éclairent pas parce qu'ils enregistrent les salaires réels ou supposés de 1790 avec une augmentation factice d'un tiers qui ne répondait pas à l'état de la circulation. Ils ont augmenté certainement; d'Ivernois, qui n'était pas d'humeur à embellir la situation, l'affirme ; il précise même pour la campagne en disant que les domestiques de ferme exigeaient en 1798 quatre cinquièmes de plus que leur salaire de 1785, ce qui semble exagéré pour une année où l'on ne comptait plus par assignats. Mais la campagne n'a pas souffert comme la ville, et, au milieu des énormes variations de prix de la période des assignats, comment du salaire nominal tirer une évaluation du salaire réel? Ce qui est établi théoriquement à ce sujet par divers exemples de l'histoire économique, c'est: 1° que, dans les cas où la production industrielle. reste longtemps contractée par défaut de consommation, le capital circulant qui alimente le salariat, se renouvelant moins vite, ne peut pas payer autant de salaires et qu'il en résulte à la fois chômage pour les uns et réduction du prix réel de la journée pour d'autres ; 2° que lorsqu'une hausse de tous les prix se produit par la dépréciation de la monnaie, les denrées alimentaires sont au nombre des marchandises qui montent le plus, qu'au contraire le travail salarié est au nombre de celles qui s'élèvent lentement et qu'il en résulte d'ordinaire une rupture d'équilibre préjudiciable aux ouvriers 3.

Toutefois, comme les armées avaient enrôlé, de gré ou de force, une partie de la jeunesse, il ne serait pas étonnant que la rareté des bras eût amené dans certains cas une réelle augmentation du salaire industriel.

L'instruction. - Quelques mots sur les résultats qu'avaient produits les institutions pédagogiques de la Convention.

Parmi les créations de la Convention relatives à l'enseignement, le

1. Procès-verbaux de la Convention nationale, 1793, t. XIII, p. 129, cité par M. LEON SAINT-MARTIN, le Compagnonnage, p. 76.

2. Dans un rapport en date du 14 juin 1797, GILBERT DESMOLIÈRES Signale aussi le renchérissement de la main-d'œuvre. FRANCIS D'IVERNOIs dit (p. 288) que les menuisiers de Paris adressèrent une pétition au Corps législatif pour se plaindre que leurs ouvriers exigeassent de trop fortes journées, mais que l'Assemblée, hostile à tout tarif, passa à l'ordre du jour.

3. Exemples: à la mine de Hardinghen (Pas-de-Calais), les ouvriers se plaignaient de ne gagner que 24 sous par jour (il y avait cependant des journées à 30 et à 36 sous); ils disaient que, tout ayant renchéri, ils ne pouvaient plus vivre et ils faisaient grève. Arch. du Pas-de-Calais, an II. Dans le même département, les moissonneurs du district de Boulogne refusaient de travailler, parce que leur salaire était devenu insuffisant, leurs outils leur coûtant beaucoup plus cher la faucille, par exemple, qui avait coûté 30 sous valait en assignats 4 fr. 50 et 5 francs (Ibid.).

Conservatoire des arts et métiers est celle qui intéressait le plus directement l'industrie. Vaucanson, qui avait réuni dans l'hôtel de Mortagne, rue de Charonne, une collection de machines, instruments et outils destinés à l'instruction de la classe ouvrière, laissa par testament à sa mort (1783) cette collection au gouvernement. Vandermonde fut nommé conservateur et le roi acheta l'hôtel. Sous la Convention, une commission temporaire des arts dont Berthollet, Monge, Conté, Vandermonde, Molard firent partie, puis Grégoire et Charles, fut chargée de désigner dans le mobilier national les objets qui pou vaient être utiles aux lettres, aux sciences et aux arts. L'idée vint de réunir ces objets à la collection de Vaucanson, et sur le rapport de Grégoire, la convention vota (19 vendémiaire an III, 10 octobre 1790) la création du conservatoire des arts et métiers, qui devait, sous l'inspection de la Commission d'agriculture et des arts, devenir un dépôt de machines, modèles, outils, dessins, descriptions et livres de tous les genres d'arts et métiers, et où trois démonstrateurs et un dessinateur, ayant titre de membres du Conservatoire, devaient expliquer la construction et l'emploi des modèles exposés. Sous le Directoire, les bâtiments de l'ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs furent affectés à ce musée, qui n'y fut installé qu'au mois d'avril 1799; Molard y ouvrit dès 1796 une petite école de dessin appliqué aux arts1.

Le gouvernement directorial n'oublia pas l'instruction publique. Sans faire de nouvelles lois, il travailla à appliquer celle du 3 brumaire an IV 2, avec mollesse d'abord, avec plus d'insistance et dans un sens jacobin après le coup d'État de fructidor. A presque toutes les sessions, les Conseils s'en sont occupés: pendant la seconde législature, par les rapports de Lakanal sur l'impression des livres élémentaires et de Roger Martin sur l'organisation des écoles primaires et centrales; pendant la troisième, par celui de Roger Martin sur le même sujet; pendant la quatrième, par les rapports de Bonnaires, de Heurtault-Lamerville, de Dulaure, par le rapport général de Roger Martin, par celui de Luminais relativement à la surveillance à exercer sur

1. Voir Notice historique sur l'ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs et sur le Conservatoire national des arts et métiers, anonyme (par E. LEVASSEUR). On avait d'abord songé à installer le Conservatoire au Garde-meuble. Le Directoire proposa (16 septembre 1796) de faire exécuter le décret de la Convention. Les CinqCents reculèrent d'abord devant la dépense: puis, à la suite d'un vote favorable des Anciens, et d'un rapport de Grégoire, ils revinrent sur leur premier vote, et la loi du 22 prairial an VI (10 juin 1798) attribua le prieuré de Saint-Martin-desChamps au Conservatoire, qui, jusqu'au Consulat, fut administré par les trois démonstrateurs et le dessinateur. Il paraît que l'enseignement par démonstration n'a jamais été donné d'une manière régulière.

2. Nous rappelons que dans son avant-dernière séance, la Convention avait voté la loi du 3 brumaire an IV, qui n'assurait aux instituteurs, outre la rétribution mensuelle payée par les parents, que le logement.

les chefs d'établissements d'instruction publics ou privés, par le message du Directoire (3 brumaire an VII) sur l'état au vrai de l'instruction publique, par le projet sur les écoles primaires de nivôse an VII ; pendant la cinquième, par le rapport de Dulaure sur la surveillance des établissements d'instruction publique; pendant la huitième, par le rapport de Jacquemont et les propositions de Fourcroy et de Chassiron. Le Directoire crut bon de réduire les écoles centrales à une par département 2, et jugeant que des cours libres étaient insuffisants pour former l'adolescence, il leur donna une organisation plus solide; il autorisa les départements à créer des internats.

Malgré ces efforts, les rapports des préfets en l'an IX, les procèsverbaux des premières sessions des conseils généraux, les mémoires des inspecteurs dans les divisions militaires rendent,pour presque tous les départements, témoignage de l'insuffisance, et très souvent même de la décadence de l'enseignement. Voici, par exemple, comment s'exprime le préfet de l'Eure: « Dans le cours des années II et III, la profession d'instituteur parut offrir beaucoup d'avantages; il y en eut presque autant que de communes; mais le Trésor public ayant bientôt cessé de payer les salaires promis, les écoles furent de nouveau abandonnées. »>

Les écoles à Paris étaient bien insuffisantes. Il aurait dû y venir plus de 20,000 élèves; elles n'en avaient que onze à douze cents à la fin de l'an V3.

Le Directoire stimulait le zèle des municipalités pour créer des écoles afin de disputer les enfants aux écoles libres où les attirait l'enseignement religieux.

1. Voir la Réimpression du Moniteur, t. XXVI, p. 255, t. XXIX, p. 67, 83, 586, 599, 608, 636.

2. Reimpression du Moniteur, t. XXVI, p. 324.

3. « Il est établi, dans chacun des douze arrondissements de Paris et des seize cantons ruraux, deux écoles primaires, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles. Elles ont toutes été ouvertes à Paris pendant l'an V, à l'exception de celle des garçons du VII arrondissement. Celles de Franciade, de Charenton, de Pantin et de Châtillon n'ont point été mises en activité, les instituteurs successivement nommés ayant refusé ou donné leur démission après quelques jours d'exercice. Les instituteurs les plus favorisés ont eu jusqu'à cinquante élèves, beaucoup n'en ont eu que seize plusieurs n'ont pu atteindre ce nombre; de sorte que les 56 écoles primaires du département de la Seine n'ont reçu, dans le cours de l'an V, que 1,000 à 1,200 élèves des deux sexes, tandis que, à raison de la population, on aurait dû compter sur plus de 20,000. Cette désertion affligeante vient de l'insouciance des parents. Nous tâcherons de les éclairer sur leurs intérêts et sur leurs devoirs. Elle vient aussi de la préférence donnée par certaines personnes aux écoles particulières, uniquement parce que celles-ci sont moins surveillées. Nous ne leur laisserons pas longtemps ce motif de préférence. Les deux écoles centrales établies à Paris pendant l'an V ont eu environ chacune 300 élèves. » — M. AULARD, Paris pendant la réaction thermidorienne, t. IV, p. 348, 1er ventôse an VI.

4. Rapport du commissaire exécutif près le département de la Seine (prairial

Dans le Lot-et-Garonne, le Cher, le Maine-et-Loire, « l'instruction des campagnes est nulle », les instituteurs sont ignorants; on ne paye pas leur salaire. Cinquante-sept départements demandent le rétablissement de l'enseignement primaire; dix-sept réclament des écoles de filles.

Dans un compte-rendu adressé en floréal an VII au ministre de l'intérieur par les commissaires du Directoire exécutif près les administrations centrales des départements, on lit : « A l'égard des écoles primaires, leur état n'a pas changé; elles sont en général désertes dans les lieux où il en existe; car beaucoup de cantons en manquent absolument 1. >>

Dans la 8 division militaire, c'est-à-dire dans le sud-est de la France, un général inspecteur affirme qu'il n'y a pas la dixième partie de la population qui sache lire et que ce sont, comme avant 1789, les curés et les religieuses qui tiennent des écoles, que dans les écoles centrales il n'y a guère que les cours de sciences qui soient suivis. Dans la 14 division (Manche, Calvados et Loire), il n'y avait pas la moitié des écoles publiques primaires prescrites par la loi du 3 brumaire an IV ; les instituteurs étaient accusés, peut-être avec passion, d'ivrognerie, d'immoralité, d'ignorance; les écoles privées avaient la clientèle des gens riches; « les enfants des citoyens peu fortunés, ceux des habitants des campagnes restent sans aucune ou presque aucune source d'instruction». L'inspecteur de cette division, qui était Fourcroy, paraît au contraire satisfait des écoles centrales, mais il remarque aussi que ce sont surtout les sciences qu'on y cultive. Dans la 19e division militaire (Rhône, Loire, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Cantal), les écoles primaires n'ont jamais été pleinement organisées, dit l'inspecteur, et les écoles centrales ne le sont pas encore complètement. Dans la

an VI). « Des rapports ont été faits contre des instituteurs fanatiques. L'administration centrale, sur mon réquisitoire, a prononcé la clôture de leurs écoles et pensionnats... La République ne reconnaît aucun culte; ainsi il n'en doit être enseigné aucun dans les écoles de la République. Mais les municipalités ne peuvent pas avoir le même droit sur les écoles particulières et tous les gens à préjugés retirent leurs enfants des écoles primaires pour les envoyer dans les écoles où ils pourront apprendre « la religion de leurs pères ». Il me semble que si les autorités inférieures ne peuvent pousser plus loin la défense, le Directoire peut venir à leur secours. Il peut défendre dans toutes les écoles, pensionnats, maisons d'éducation, l'usage des livres d'aucune religion. Les parents enseigneront chez eux, s'ils le jugent à propos, leur culte à leurs enfants. Sans cette mesure qui me paraît indispensable, les prêtres s'empareront de nos enfants sous l'habit d'instituteur, et la génération présente, pervertie, corrompue dès le berceau, détruira la République, » Ibidem, p. 734.

1. Voir au sujet du peu de succès des écoles publiques à cette époque : l'Ecole sous la Révolution française, par VICTOR PIERRE ; l'Instruction publique et la Révolution, par ALBERT DURUY; Histoire de l'enseignement libre dans l'ordre primaire en France, par M. DES CILLEULS; l'Enseignement primaire catholique, Histoire, Législation, par FONTAINE DE RESBECQ.

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