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LIVRE II

LE CONSULAT ET L'EMPIRE

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CHAPITRE PREMIER

ORGANISATION ADMINISTRATIVE

Réta

Action adminis

SOMMAIRE. Etat des esprits (319). La Constitution de l'an VIII (319). Administration départementale (320). Mesures de réconciliation (321). blissement du crédit (322). Voies de communication (322). trative et politique de Bonaparte (323). Les codes (325). boissons (326). L'impôt du sel (326). Le monopole des tabacs (327). Caractère des institutions du Consulat et de l'Empire (329).

L'impôt des

État des esprits. La Révolution avait posé les fondements de la société nouvelle; il était réservé au Consulat et à l'Empire d'élever l'édifice des institutions administratives et économiques, en rectifiant sur certains points, mais en altérant sur d'autres le plan des premiers architectes, et en commettant surtout une faute qui a pesé sur les générations suivantes, celle de supprimer la liberté politique, générale et locale, sous prétexte de rétablir l'ordre.

Après dix années de tempêtes révolutionnaires, la France, inquiète et fatiguée, cherchait un port: monarchie ou république, peu importait au fond alors à la masse de la nation, pourvu que les conquêtes civiles de la Révolution lui fussent garanties et qu'elle trouvât un pouvoir capable de maîtriser les factions. Aussi la révolution du 18 brumaire, une fois accomplie, eut-elle l'assentiment de la bourgeoisie. Siéyès, qui s'était flatté de doter enfin la France de la Constitution qu'il avait depuis longtemps élaborée, comprit que le jeune général auquel il s'était associé n'était pas de caractère à céder le premier rôle. « A présent, messieurs, dit-il en sortant de la première réunion, nous avons un maître il sait tout, il fait tout et il peut tout. » Et il dut se résigner à voir transformer en une sorte de monarchie cette Constitution qu'il avait rêvée tout oligarchique '.

La Constitution de l'an VIII.- Autant les Constitutions antérieures avaient usé et abusé du système électif, autant la Constitution de

1. Le premier consul eut seul le droit de nommer les ministres, les officiers, les fonctionnaires et les juges, de promulguer les lois, et de décider souverainement dans toutes les affaires de l'État, quelle que fût d'ailleurs l'opinion de ses deux collègues.

l'an VIII s'appliqua à le restreindre. Le silence allait se faire sur la place publique et à la tribune, pendant que dans le cabinet du premier consul et dans le sein du Conseil d'Etat, des hommes de tous les partis, des serviteurs de l'ancienne royauté et des enfants de la Révolution, unis sous la volonté du maître 2, essayaient de concilier le passé et le présent et de fondre ensemble, et de couler dans un moule composite les institutions de la France, les principes de liberté et d'égalité civile proclamés par la Constituante avec les traditions épurées de l'administration royale. « Citoyens, disaient les consuls de la République aux Français en présentant à leurs votes la nouvelle Constitution, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie 3. » Le premier acte, en effet, de cette longue histoire, toujours inachevée, était fini; mais la consécration des libertés civiles allait coûter à la France le sacrifice momentané de sa liberté politique.

Administration départementale. L'administration fut remaniée et fortement armée, à l'image du pouvoir central à laquelle elle fut rattachée par une étroite subordination. Les gouvernements précédents, à l'exception du Comité de salut public, avaient ressenti la difficulté de faire exécuter leurs ordres par des autorités électives et souvent hostiles. Le consul ne voulut pas être exposé à se heurter contre de pareils obstacles. Partout il mit des agents relevant directement du pou

1. Les citoyens ne durent plus être convoqués que pour former une première fois et pour réviser ensuite, s'il y avait lieu, tous les trois ans, les listes de notabilité sur lesquelles les autorités supérieures choisissaient les fonctionnaires de tout rang, jusqu'aux députés et aux sénateurs.

2. « Bonaparte conçut le projet de tout réunir, de tout amalgamer. Il mit dans le même corps, à côté l'un de l'autre, des hommes qui étaient en opposition de caractère et d'opinion depuis dix ans... Bonaparte avait mis Merlin et Muraire à la tête de la Cour de cassation; le premier avait fait proscrire et déporter le second au 18 fructidor. Eh bien, ces hommes, très étonnés de se trouver côte à côte dans la même assemblée, finirent par se réconcilier et plusieurs par se lier de l'amitié la plus étroite. Ils parlaient des événements passés comme des actes d'un vrai délire révolutionnaire... C'est ainsi que Bonaparte avait réuni les talents dans tous les genres et fondu tous les partis. L'histoire de la Révolution était alors pour nous à la même distance que celle des Grecs et des Romains. » — Mes souvenirs sur Napoléon, par le comte CHAPTAL, p. 231.

Devenu empereur et gâté par le pouvoir, Napoléon eut une tout autre manière de juger les hommes et de s'en servir. « Il faut avoir observé cette période de quatre ans pour bien juger des changements qui se sont opérés chez le premier consul. Jusque-là, il cherchait à s'entourer des esprits les plus forts dans chaque parti. Bientôt le choix de ses agents commença à lui paraître indifférent.Aussi appelait-il indistinctement dans son conseil et aux premières places de l'administration ceux que la faveur ou l'intrigue lui présentaient, se croyant assez fort pour gouverner et administrer lui-même. Il écartait même avec soin tous ceux dont le talent et le caractère l'importunaient. Il lui fallait des valets, et non des conseillers... » - - Ibid., p. 227.

3. Proclamation du 24 frimaire an VIII (15 décembre 1799).

voir exécutif : un préfet à la tête du département, un sous-préfet à la tête de l'arrondissement, un maire à la tête de la commune; il voulut que même les conseils qui votaient les budgets fussent nommés par lui. L'administration pouvait avoir des différends avec les particuliers; il créa pour cet objet des tribunaux spéciaux, dits conseils de préfecture, dont les conseillers furent nommés et purent être destitués par lui. Les administrateurs pouvaient, dans l'exercice même de leurs fonctions, se rendre coupables de délits ou de crimes; pour les faire plus respectables, il déclara qu'ils ne pourraient être poursuivis qu'en vertu d'une décision du Conseil d'État, et pour les détacher des intérêts dont ils devaient être les arbitres, il leur défendit de se livrer à aucune espèce de commerce. L'organisation de la justice avait été défectueuse pendant toute la période révolutionnaire; aux juges électifs, Bonaparte substitua sagement des juges inamovibles 3, et par la création des cours d'appel il donna une sanction plus haute aux arrêts rendus en seconde instance. Dans toutes les branches de l'administration le principe d'autorité se fortifia; le retour à l'ordre, qui en était l'heureuse conséquence, faisait alors oublier que ce principe peut avoir aussi ses excès.

Mesures de réconciliation. - Bonaparte s'appliqua à rétablir la confiance: il savait qu'elle est un fondement nécessaire à tout gouvernement. Il professa l'oubli du passé, afin d'amener la réconciliation des partis. Les déportés de fructidor furent rappelés ; les prêtres qui étaient encore détenus dans les prisons furent élargis; l'odieuse loi des otages fut rapportée; permission fut donnée de pratiquer le repos du dimanche et d'accomplir les cérémonies du culte catholique dans les églises; la fête de sinistre mémoire qui se célébrait le 21 janvier fut supprimée. Ces mesures, prises dès les premiers jours, prouvèrent, mieux que des proclamations, l'esprit du nouveau gouvernement et contribuèrent à pacifier les esprits. Elles étaient, en effet, les prémisses d'une politique de paix, qui bientôt, après le retrait de toutes les lois révolutionnaires, non seulement ramena en France, mais attira à la cour du premier consul un grand nombre d'émigrés. Les républicains, dans lesquels Bonaparte voyait ses adversaires les plus irréconciliables, furent seuls pour ainsi dire traités durement; on en déporta cent trente à la suite du complot de la machine infernale dont ils n'étaient pas les auteurs. Dans l'ordre religieux cette politique aboutit à la signature du Concordat (15 juillet 1801). La religion catholique fut officiellement

1. Constitution de l'an VIII, art. 75.

2. Corresp. de Napoléon, t. VI, p. 561.

3. Excepté les juges de paix qui restèrent électifs jusqu'en 1802, puis furent nommés par le premier consul sur la présentation de deux candidats par les électeurs.

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