Page images
PDF
EPUB

res qui avaient signalé les plus mauvais jours de la Convention. Aussi, comme sous la Convention, Paris souffrit de la disette, bien que le déficit paraisse avoir été beaucoup moindre que ne le supposait le conseil des subsistances. Les fausses mesures en ce genre ont pour dernière conséquence l'aggravation du mal qu'elles prétendaient guérir. 1

1. Voir dans une note précédente (p.339), la manière dont CHAPTAL, apprécie cette politique économique.

CHAPITRE III

LIBERTÉ ET RÉGLEMENTATION

[ocr errors]

Regrets au sujet des anciennes corporations (343).
l'égard de la liberté du travail (347).
rales (348).

-

Politique de Bonaparte à Réglementation des professions libéL'enseignement universitaire et les diplômes (350). — L'imprimerie et la librairie (352). Les théâtres et les débits de boissons (353). Le billet de banque et la Banque de France (354). Les tabacs et les postes (363). Loi du 21 avril 1810 sur les mines et carrières (364). - Décret du 15 octobre 1810 sur les établissements insalubres (367). — Monnaies, poids et mesures (368). part de la réglementation dans la législation impériale (369).

[ocr errors]

- La

Regrets au sujet des anciennes corporations. La liberté est une des idées à la conception desquelles le commun des hommes s'élève difficilement. On salue le nom; on connaît peu la chose et on n'est guère disposé à la pratiquer, surtout au profit d'autrui. La foule, quand elle est ignorante et grossière, supporte avec chagrin les obligations que la loi lui impose; pour elle, être libre, c'est avoir secoué sa chaine. Elle veut qu'on lui ôte ses entraves, mais elle ne comprend pas bien qu'elle puisse rencontrer des obstacles à son propre développement dans le développement de la liberté d'autrui. Elle est portée à s'irriter qu'un rival jouisse de droits qui la gênent; elle se plaint, comme si elle était victime d'une injustice, et le remède qu'elle invoque est presque toujours le privilège. Ainsi le veut l'égoïsme humain.

Au commencement du xix siècle, bien des gens regrettaient les communautés d'arts et de métiers, les monopoles, les habitudes du temps passé. Les uns avaient plus perdu que gagné à la Révolution; d'autres auraient vu avec plaisir se fermer derrière eux la barrière qu'ils avaient franchie sans peine et appelaient de leurs vœux des restrictions qui les eussent abrités contre de nouveaux concurrents. '

1. Voir les comptes rendus de la session des conseils généraux de l'an IX; par exemple, celui du conseil général du département de l'Eure, qui ne voyait (p. 238) le terme des désordres et des banqueroutes que dans le rétablissement des corporations d'arts et métiers. Vital Roux, dans son rapport à la chambre de commerce (p. 126), rapporte le fait suivant : « Un charron vantait beaucoup les avantages du rétablissement des jurandes; on lui fit observer qu'il faudrait payer la maîtrise comme autrefois. Cela est vrai, répondit le charron, il faudra payer cette maîtrise; mais cela n'y fait rien je puis acheter ce droit sans me gêner, et je connais

Entre les statuts corporatifs impliquant plus ou moins un monopole, et les règlements de police destinés à protéger les personnes et les propriétés, il y a une différence radicale. Des règlements de ce genre, il en subsistait encore qui dataient de l'ancien régime. Ainsi, la loi du 22 juillet 1791 maintenait les lettres patentes du 12 octobre 1650 et l'ordonnance du 4 novembre 1778, relatives aux serruriers: défense d'ouvrir un coffre-fort ou un cabinet autrement que sur l'ordre et en présence du maître ou de la maîtresse, sous peine de 100 francs d'amende; défense de forger une clé sans avoir la serrure; défense de faire une clé sur empreinte; défense aux compagnons de faire des clés hors de la boutique de leur patron.

Le premier consul, qui rétablissait plusieurs institutions de l'ancien régime et qui refaisait les corporations de bouchers et de boulangers, éveilla les espérances de ceux qui regrettaient le monopole. Il fut, disait-il lui-même, «< assailli d'écrits confidentiels de toute espèce, dans lesquels chacun proposait la restauration d'une partie de l'ancien régime ». 1

En matière industrielle de nombreuses pétitions réclamèrent le rétablissement des corps de métiers, invoquant la nécessité de mettre un frein à la concurrence, d'empêcher les faillites causées par l'incapacité ou la mauvaise foi, de surveiller et de prévenir la fraude, d'assurer la bonne qualité des produits.

« Nous avons observé, disait un contemporain, avec toute l'attention dont nous sommes capable, ce qu'on a dit et ce qu'on a écrit depuis quelques années sur les corporations et les règlements pour les manufactures; nous croyons qu'on peut distribuer en trois classes les partisans de ce système : les personnes qui en espèrent des places; celles qui en attendent des privilèges, et celles qui, sans trop avoir examiné leur utilité, ne désirent leur rétablissement que parce qu'il y en avait autrefois. >> 2

deux ou trois charrons dans mon quartier qui n'auront pas les moyens de payer cette maîtrise; il faudra qu'ils quittent, et alors j'aurai plus d'ouvrage. Mais si vous aviez été obligé d'acheter une maîtrise lorsque vous avez commencé votre établissement et que vous ne l'eussiez pu, auriez-vous trouvé les jurandes si utiles? Le charron ne sut que répondre. »

1. «... Il n'y a rien en effet qu'il ne peut aujourd'hui, surtout s'il voulait réagir contre la Révolution, détruire ce qu'elle a fait, rétablir ce qu'elle a détruit. On le lui demande de toutes parts. Il est assailli d'écrits confidentiels de toute espèce, dans lesquels chacun propose la restauration d'une partie de l'ancien régime. Il faut bien se garder de céder à une telle impulsion... » (Paroles de Bonaparte au Conseil d'État à propos des bourses dans les lycées. — Thiers, Hist. du Consulat et de l'Empire, liv. XIV.) Les Archives nationales possèdent plusieurs de ces écrits, entre autres (F12, 502) un mémoire d'un nommé Du Fougerais, qui propose plusieurs moyens pour développer l'industrie, et spécialement la création de cinq inspecteurs comme du temps de Colbert. Le département de la Lozère demandait aussi des inspecteurs (Ibid., F12, 502).

2. Rapport sur les jurandes el maîtrises, par Vital Roux, p. 117.

Dans un de ses premiers rapports aux ministres, le préfet du Rhône se faisait l'écho des plaintes des principaux fabricants et regrettait. le règlement de 1744, qui déterminant d'une manière invariable les procédés du tissage et la qualité des matières, autorisait à accepter sur les marchés étrangers les ballots de soieries sans même que les acheteurs prissent la peine de les ouvrir. Si le préfet de Lyon eût mieux connu le passé, il aurait peut-être quelque peu rabattu de sa confiance; mais alors il concluait en faveur de la réglementation. « Quelque respect que l'on doive porter à la liberté de l'industrie et des manufactures, il conviendra néanmoins de revenir à des principes conservateurs de l'art... Les meilleurs esprits dans Lyon sont d'accord sur ce point. » 1 En Bretagne, le maire de Vitré se plaignit, en fructidor an X, que les tanneurs se servissent de miel au lieu d'huile de dégras, ce qui donnait des peaux de mauvaise qualité. Le conseil général du commerce et de l'agriculture reconnut l'infériorité du procédé, mais déconseilla toute réglementation, confiant dans la concurrence qui ferait bientôt rejeter la marchandise défectueuse. « Il faudrait, pour remédier à cet abus, prendre des mesures générales pour toute la France et revenir au système des règlements de fabrique, qu'on a considéré avec raison comme plutôt nuisible qu'avantageux aux manufactures. » 2

Dans une autre circonstance, le conseil de commerce de la Seine, consulté par le ministre, se prononçait, comme le préfet du Rhône et le maire de Vitré, pour les mesures restrictives. Les courtiers avaient demandé qu'on autorisât les ventes à l'encan. Le conseil donna un avis défavorable, invoquant comme principal argument « le tort qui en résulterait pour les marchands en gros, les magasiniers, les demigros et même les forts débitants de Paris ». 3 L'autorisation ne fut pas

accordée.

Parmi les gens de métier qui réclamèrent le bénéfice d'une corporation, les marchands de vin de Paris se distinguèrent et rédigèrent même, en 1804, un projet détaillé de statuts. Ils se proposaient «< d'opérer la restauration du commerce, d'obtenir la cessation des abus, de faire cesser le désordre dans lequel il est tombé, d'empêcher qu'une quantité excessive d'hommes et de femmes non avoués par le commerce, sous le titre usurpé de courtiers, marchands ou commission

1. Moniteur de l'an X, p. 673. Dans la session des conseils généraux de l'an IX, 14 départements déclarèrent que les fabriques avaient besoin d'être surveillées par des inspecteurs. Plus tard, en 1808, la ville de Lyon demanda au gouvernement qu'on défendît aux ouvriers d'émigrer, comme sous l'ancien régime. Le gouvernement répondit qu'il surveillait cette émigration, mais qu'il devait se montrer circonspect en cette matière (Arch. nationales, F12, 95140).

2. Arch. nationales, F12, 95134.

[ocr errors]

3. Moniteur de l'an XII, p. 428. Le conseil n'approuva la vente à l'encan que dans les marchés et dans les ports, parce qu'elle existait déjà. Pauvre raison!

naires, n'abusent de l'inexpérience des acquéreurs et de la bonne foi de ceux qui leur confient des marchandises pour en faire la vente, dont souvent ils emportent les fonds ». Leurs remèdes, comme leurs griefs, étaient du genre de ceux que l'ancien régime avait invoqués souvent : création d'un comité de six membres électifs pour régir la communauté ; visites ordinaires et extraordinaires dont le marchand payerait les frais; descentes dans les caves «< tant des marchands de vin que de tous autres particuliers vendant des vins » ; procès-verbaux et amendes ; établissement d'une jurande du prix de 1,000 francs, nécessité pour l'obtenir de faire un noviciat de quatre ans comme commis, d'être âgé de vingt-cinq ans, d'avoir un certificat de bonne vie et mœurs délivré par la commission; défense de cumuler avec un autre métier; défense aux anciens garçons de s'établir trop près de leur maître ; défense à tout marchand de vin d'avoir plus de deux boutiques pour la vente; enfin <«< défense expresse à toute personne sans qualité de s'immiscer dans le commerce des vins, sous quelque prétexte que ce puisse être ». L'esprit de monopole, qui avait inspiré le projet, perçait dans chaque article. De nombreuses précautions, presque toutes gênantes ou superflues, étaient stipulées contre la fraude; mais il était évident que le point capital pour les auteurs du projet était de réduire la concurrence. Sur les 3,500 marchands de vin de Paris, 300 seulement avaient signé ce projet; ceux-là complaient évidemment devenir maîtres et recueillir les bénéfices de la mesure par la suppression de petits débits qui leur disputaient les acheteurs.

La chambre de commerce fut saisie du projet. Plus sage que le conseil auquel elle avait succédé, elle le désapprouva et supplia même l'empereur «< d'écarter pour toujours des projets aussi peu dignes de son attention et de ses vues bienfaisantes pour le commerce ».

C'est à cette occasion que Vital Roux fit à la chambre de commerce un rapport sur les jurandes et maîtrises. Il concluait en ces termes : <«< Les statuts ne tendent qu'à exclure de Paris le commerce de vin en transit et à dégoûter tous les expéditeurs; sous ce point de vue, ils sont aussi contraires à l'intérêt du commerce que peu avantageux pour ceux qu'on a l'air de vouloir favoriser. Nous n'y voyons que des moyens de persécution, des dépenses et des frais inutiles; nous n'y voyons aucune garantie ni pour le public ni pour les marchands. Ce n'est, à notre sens, qu'une suite de règles minutieuses, inexécutables et sans but. Ainsi, loin de vous proposer de l'appuyer, nous croyons qu'il est du devoir de tout négociant, ami du commerce et attaché au gouvernement, d'en faire reconnaître l'inutilité et les dangers, et de supplier S. M. l'empereur d'écarter pour toujours des projets aussi peu dignes de son attention et de ses vues bienfaisantes pour le com

merce. »>>

Un des ministres du Consulat et un des hommes les plus compétents

« PreviousContinue »