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Ce Bureau de consultation, qui fut établi d'abord au ministère de l'intérieur et dont Silvestre fut le premier président, subsista jusqu'à l'an V, date à laquelle ses fonctions furent attribuées à l'Institut. De 1791 à 1793, il a accordé un certain nombre de récompenses nationales 1.

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Suppression des obstacles à la circulation intérieure. — La cinquième question était celle du commerce. Elle se présentait sous deux aspects: circulation intérieure et relations avec l'étranger.

La circulation avait été gênée par les péages et par les prérogatives féodales, par les droits de traite, par les privilèges provinciaux, les octrois des villes, les arrêts des intendants qui prohibaient ici ou là la sortie des denrées dans leur juridiction, par la diversité des lois générales qui admettaient des ports francs (institution utile d'ailleurs à certains égards), des provinces d'étranger effectif et des provinces réputées étrangères,à côté de celles qui s'étaient unies sous le tarif de 1664; ces obstacles arrêtaient ou ralentissaient le commerce, et faisaient dévier une partie du courant vers les marchés étrangers. Le transit était coûteux ou même impossible. La suppression de la féodalité et des provinces faisait tomber du même coup la plupart de ces barrières et procurait à la France, entre autres avantages, ou du moins devait lui procurer lorsque le calme serait rétabli, la facilité des échanges intérieurs et l'unité commerciale 2.

Il y eut quelques protestations. L'Alsace regrettait ses franchises; Bayonne, qui était un port franc, se plaignit de perdre des immunités séculaires, mais dut se résigner à rentrer dans la ligne des douanes nationales. Les seigneurs perdirent, avec leur puissance, tous les droits qu'ils percevaient dans les halles, foires ou marchés : c'était de la féodalité dominante. La police en fut désormais confiée aux corps municipaux ; mais les bâtiments continuèrent à appartenir à leurs propriétaires, sauf le droit pour les communes de les acquérir ou de les louer. Les foires franches furent maintenues, parce qu'elles étaient, dit le décret, plutôt une faveur pour le commerce du royaume qu'un privilège particulier à une ville. Les droits sur les huiles et savons, sur les cuirs, sur les fers, sur les amidons furent réduits

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1. Une partie des archives de ce bureau se trouvent au Conservatoire des Arts et Métiers.

2. Rapport du comité de commerce et d'agriculture sur la suppression des droits de traite à l'intérieur du royaume, le reculement des douanes aux frontières et l'établissement d'un tarif uniforme.

3. Voir le rapport du 30 novembre 1790.

4. Décret du 15-28 mars 1790, tit. II, art. 17, 18.

5. Décret du 16-24 août 1790.

6. Décret du 15-28 mars 1790, titre II, art. 17, 18. 7. Décret du 27 juin-27 juillet 1790.

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d'abord, abolis bientôt. Les octrois même furent supprimés à partir du 1er mai 1791 importante réforme sur laquelle il est regrettable qu'on soit revenu plus tard.

L'Assemblée voulait déblayer entièrement le champ du travail. Conformément à la théorie des physiocrates, elle se proposait, comme nous l'avons dit, de demander le principal impôt au revenu net de la terre, comme seule productrice de la richesse, et d'affranchir toutes les transactions. Ordre fut donné aux municipalités et aux directoires de district de maintenir dans sa plénitude la libre circulation des marchandises et le libre débat du prix entre l'acheteur et le vendeur, qu'on considérait avec raison comme une des conditions de la propriété. «L'Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, déclare attentatoire à la liberté publique et à l'autorité des décrets, et comme telles, annule toutes les délibérations qui, de quelque manière que ce puisse être, ont été prises pour obliger les laboureurs à fournir des blés à un prix inférieur au prix courant et pour interdire la libre circulation des grains dans le royaume. » Quelques municipalités désobéirent et laissèrent le peuple affamé se porter à des excès condamnables. L'Assemblée sévit avec résolution ", bien décidée à sauvegarder le principe. Le décret du 16-24 août 1790 (titre XI) confia à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux, entre autres matières, « l'inspection sur la fidélité du débit des denrées qui se vendent au poids, à l'aune ou à la mesure et sur la salubrité des comestibles exposés en vente publique »; celui du 19-22 juillet 1791 fixa leurs attributions relativement au commerce des denrées : « Art. 30. La taxe des subsistances ne pourra, provisoirement, avoir lieu dans aucune ville ou commune du royaume que sur le pain et la viande de boucherie, sans qu'il soit permis en aucun cas de l'étendre sur le vin, sur le blé, sur les autres grains ni autres espèces de denrées. >>

Le blé et l'émeute. — Il s'en faut de beaucoup que l'Assemblée ait réussi toujours. Avant la Révolution de 1789 il y avait eu souvent des émotions populaires et des désordres au sujet des subsistances; il y en eut bien plus souvent encore pendant la Révolution. Le peuple avait souffert plusieurs années de la disette: il était ignorant sur les matières économiques, d'une défiance prompte à s'alarmer et d'une irritabilité qui s'exaspérait facilement jusqu'à la violence. Les magistrats municipaux, hommes nouveaux, mal soutenus par une garde nationale inexpérimentée, n'étaient pas toujours en état de faire respecter la loi.

1. Décret du 23-26 septembre 1789.

2. Décret du 22-24 mars 1790.

3. Décret du 19-25 février 1791.

4. Déclaration du 29 avril-2 mai 1790.

Voir aussi la loi du 21 septembre 1790,

5. Par exemple, contre la municipalité de Soissons.

Dans le Mâconnais et le Beaujolais, soixante-douze châteaux.dit-on, furent brûlés, des fermes pillées, des églises incendiées par des bandes de brigands et par des paysans affamés; à Cluny et ailleurs, la garde nationale dut les repousser par les armes. Dès le milieu de l'année 1789, des bandes de vagabonds effrayaient les cultivateurs en Brie, en Normandie, en Provence. Au commencement de l'année 1790, il y eut des soulèvements dans le Maine, en Bretagne, dans le Quercy et le Périgord, en Lorraine 1.

A Paris, on était, avant et plus encore après le 14 juillet 1789, sous la crainte continuelle d'un soulèvement; on avait mis des sentinelles à la porte des boulangers; la foule avait pendu à la lanterne un boulanger accusé d'avoir caché des pains.

A Reims, à Caen, à Orléans, à Lyon, à Nancy, à Marseille il y avait eu des mouvements populaires. A Laon, « le peuple a juré de mourir plutôt que de laisser enlever ses subsistances ». A Etampes, où la municipalité d'Angers envoyait un administrateur de son Hôtel-Dieu pour acheter 250 sacs de farine, la commission ne put être exécutée; même, pendant plusieurs jours, le délégué n'osa avouer le motif de sa venue; seulement « il se rend incognito et de nuit chez les différents fariniers de la ville. Ils s'offriraient bien à remplir la fourniture... mais ils craignent pour leur vie, ils n'osent pas même sortir de chez eux ». Mêmes violences dans le cercle de départements plus lointains qui enveloppe ce premier cercle. A Aubigny, dans le Cher, les voitures de grain sont arrêtées, les administrateurs de district menacés, deux têtes sont mises à prix ; une partie de la garde nationale est avec les mutins.A Chaumont, dans la Haute-Marne, c'était toute la garde nationale qui se mutinait; un convoi de plus de 300 sacs était retenu, l'hôtel de ville forcé; l'insurrection dura quatre jours, le directeur du département dut prendre la fuite. A Montreuil-sur-Mer, dans le Pasde-Calais, les deux chefs de l'émeute, un chaudronnier et un maréchal ferrant, celui-ci le sabre en main, répondent aux sommations de la municipalité « que pas un grain ne sortira, qu'à présent ils sont les maitres 2».

La récolte de 1790 n'avait cependant pas été mauvaise et celle de 1791 fut bonne. Mais de pareils désordres produisirent l'effet qu'on

1. BUCHEZ, Hist. parlem., t. I, p. 326, 427 ; t. III, p. 315, etc.

2. Voir TAINE, les Origines de la France contemporaine, La Révolution, t. I, p. 341. Toute la section II du chapitre de la Constitution appliquée est consacrée au récit de désordres de ce genre. Ils ont été nombreux. Taine les a relevés avec soin aux Archives nationales et le tableau qu'en a présenté l'éminent écrivain est vrai Ce sont des épisodes caractéristiques d'une situation; toutefois ce ne sont que des épisodes, et c'est trop que de les donner comme le spectacle qu'offrait uniformément alors toute la France. Quand, en fouillant les archives de la police, on ne trouve que des récits de crimes il ne faut pas en conclure qu'un pays est peuplé exclusivement de criminels,

doit toujours en attendre ils effrayèrent les vendeurs et firent déserter les marchés; sur celui d'Etampes où l'on apportait quelquefois quinze à seize cents sacs de blé, il n'en parut plus que soixante après l'émeute1.

Le tarif des douanes de mars 1791 liberté du commerce. Les relations commerciales de la France avec l'étranger étaient régies par les tarifs de 1664, de 1667, de 1671, de 1699 et par plusieurs ordonnances sur des articles particuliers; avec la Grande-Bretagne, elles l'étaient par le traité de 1786. Un projet libéral de tarif général, élaboré en 1787, n'avait pas été mis à exécution et la diversité de provinces des cinq grosses fermes, de provinces réputées étrangères et de provinces d'étranger effectif subsistait. Les avis sur l'influence du traité de commerce différaient suivant les régions. Quelques cahiers approuvaient, d'autres en plus grand nombre, blâmaient et demandaient la revision ou la dénonciation. Paris même était malveillant.

« D'ailleurs, sire, peut-être Votre Majesté croira-t-elle devoir soumettre à l'examen des représentants de votre royaume cette importante et mémorable négociation qu'elle a contractée récemment avec une nation voisine et rivale. L'influence politique de cette négociation si inattendue, les révolutions qu'elle a occasionnées dans le commerce, les réclamations même qu'elle a excitées dans la plupart de vos provinces en ont fait, pour ainsi dire, une espèce de problème que Votre Majesté désirera peut-être elle-même de voir enfin résoudre 2. »

Le comité de commerce et d'agriculture était chargé d'étudier la question et de remplacer dans cette matière, comme dans les autres, la diversité par l'unité nationale3. Un fabricant de soieries, Goudard, député de Lyon et membre du comité, fut chargé du rapport « sur la suppression des droits de traite perçus dans l'intérieur du royaume, le reculement des douanes aux frontières ». Il présenta le 27 août 1790 ce rapport dans lequel il concluait naturellement à « l'établissement› d'un tarif uniforme ».

Les députés des provinces d'étranger effectif protestèrent, comme ils l'avaient fait sous Louis XVI. « Le despotisme lui-même avait respecté à diverses époques les privilèges de la Lorraine », s'écria le député Prugnon. « Plus de privilèges, plus de provinces! » lui répondit-on de plusieurs côtés. En effet, le décret du 31 octobre 1790 abolit les droits de traite à l'intérieur et reporta les douanes à la frontière.

1. L'Assemblée vota des décrets de répression; mais avant de se séparer, elle accorda une amnistie à toutes les personnes qui avaient été condamnées pour émeute (30 septembre 1791).

2. Les Elections et les cahiers de Paris en 1789, par CHASSIN, t. I.

3. Un projet de décret sur ce reculement des douanes aux frontières du royaume avait été voté le 27 août 1790. Le 23 avril 1791, un décret décida que les douanes seraient désormais en régie.

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Relativement au tarif, le rapport de Goudard était loin d'être inspiré par le même libéralisme. « Votre comité de commerce, disait-il, fixé les droits d'entrée en se guidant par le seul intérêt que nous avons d'attirer ou de repousser les productions étrangères. Dans un moment où nos produits manufacturés sont repoussés par presque toutes les nations, il est d'une sage politique de subvenir, autant que les circonstances peuvent nous le permettre, à notre propre consommation. » Ce n'était encore qu'une déclaration de principe.

Deux mois après (30 novembre 1790) fut lu le rapport accompagné du tarif qu'avait rédigé Goudard; il avait été préparé par trois membres du comité, qui étaient eux-mêmes industriels et appartenaient au parti protectionniste. « Votre comité, disait Goudard, a eu une grande question à examiner: celle de savoir si l'on devait prononcer la liberté indéfinie. L'intérêt des fabriques et celui des finances l'ont décidé pour une conservation de droits à l'entrée et à la sortie... La discussion que vous allez ouvrir est importante. Vous aurez à vous défendre vous-mêmes de cet enthousiasme qui pourrait vous conduire au delà de ce que vous devez. Songez que, si philosophiquement vous pouvez jeter les fondements de la législation de tous les peuples, commercialement vous avez avant tout à considérer l'intérêt national... Moi aussi, je viens vous demander la liberté ; elle est la devise du commerce et de toute industrie, mais elle est incomplète sans la protection et la sûreté... Je vous demande d'accorder au commerce la liberté d'exister. La protection et la sûreté que vous lui devez ne peuvent se trouver, dans le système actuel de l'Europe commerçante, que par une combinaison de droits à l'entrée et à la sortie qui attire tout ce qui doit favoriser l'industrie nationale et porte votre exportation au dernier terme possible... >> «Les droits, ajoutait-il, servent à la sûreté des spéculations, parce qu'ils garantissent les manufactures qu'il ne sera rien introduit qui puisse soutenir la concurrence avec les productions nationales, sans laisser à celle-ci tout l'avantage 2. » Le rapporteur ajoutait encore : « Mais quelque favorable à l'industrie nationale que doive être le tarif que nous vous proposons, c'est au patriotisme qu'il appartient de rendre à nos manufactures leur activité et leur splendeur. Une révolution va s'opérer dans les modes comme dans les mœurs. Les Français ont une patrie, les Françaises n'emprunteront plus de parure étrangère; celle qui leur plaira le plus sera celle qui, formée par l'industrie nationale, les associera à la prospérité de la nation et les rendra bienfaitrices de l'indigence qui a si longtemps gémi d'un goût aussi frivole qu'impolitique. L'habit français doit être fait par des mains françaises; on ne se pré

1. Goudard, fabricant de soieries à Lyon; de Fontenay, armateur et fabricant de tissus à Rouen; Roussillon, négociant à Toulouse,

2. Voir Etablissement du premier tarif général des douanes, 1787-1791, par le comte de Butenval (1876).

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