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et descendit l'escompte à 5, puis à 4: 2 la prospérité des affaires permettait alors cette générosité, mais le principe que l'empereur prétendait imposer était faux et pouvait exposer l'établissement à des dangers. Elle se plia moins facilement à l'extension de ses affaires hors de Paris. Autorisée par décret de mai 1808 à créer, avec l'approbation du Conseil d'État, des succursales sous le nom de comptoirs d'escomptes, elle n'en ouvrit que deux, un à Ronen, un à Lyon,3 elle annonça la création d'un troisième à Lille, mais elle ne l'avait pas encore installé à l'époque de la chute de l'Empire. Les régents, très circonspects, craignaient les aventures. Napoléon, préoccupé de la solidarité des villes manufacturières et commerçantes et convaincu des avantages de l'unité, était plus hardi et voulait, malgré eux, tenter dans le présent un type d'institution de crédit que plus tard cette même Banque devait être jalouse de réaliser, et dont elle a recueilli les profits.

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La France aurait pu s'en tenir au régime de l'année 1800. On conçoit un système admettant la concurrence des billets de banque et laissant chaque établissement maître d'en émettre sous condition du remboursement à vue; le commerce s'y serait plié, et à mesure que le retour de l'ordre aurait ranimé la prospérité, on aurait pu voir, comme avec le système de l'unité, s'abaisser le taux de l'escompte. Mais les billets provenant de sources diverses et inégalement riches, auraient inspiré moins de confiance; la circulation en eût été moins facile, et les accidents causés par des faillites particulières eussent été probablement plus fréquents. A cet égard, sans prétendre que le même système convienne à tous les pays, il nous semble qu'il y a eu avantage pour la France à remettre le monopole à un seul établissement. Napoléon ne portait pas une atteinte à toute l'industrie de la banque et de l'escompte, laquelle restait accessible à tous; car une seule des nombreuses formes du crédit, celle du billet ayant la double qualité de payable au porteur et à vue, était réservée. Or, sous cette

1. 14 novembre 1806.

2. 5 août 1807. Voir Corresp. de Napoléon, 31 juillet 1807. Le même jour, il ordonnait de rédiger le projet de loi sur l'intérêt légal. Le 29 novembre 1806, Napoléon avait écrit de Posen à Cretet, gouverneur de la Banque, pour le féliciter d'avoir autorisé les villes de commerce à tirer sur la Banque. « Quant aux réductions d'escompte, écrivait-il, je pense que c'est très convenable et je ne puis les voir qu'avec satisfaction. Vous savez que nous voulons rétablir l'intérêt légal à 5 p. 100. » L'empereur prétendait régler la Bourse comme le crédit. En 1807, la rente 5 p. 100 était montée jusqu'à 90 francs; les affaires d'Espagne la firent descendre et elle menaçait de tomber au-dessous de 80 francs. Napoléon donna à un banquier l'ordre de tout acheter au-dessous de ce cours et à la Banque de France et à la Caisse d'amortissement de fournir l'argent. Mollien dit qu'on dépensa beaucoup de millions à cette opération. MOLLIEN, Mém. d'un ministre du Trésor, t. II, p. 346.

3. Décret du 24 juin 1808.

4. Décret du 29 mai 1810.

forme. le papier a pour objet de remplacer les espèces; il fait fonction de monnaie; et comme il n'a pas de valeur intrinsèque, l'État, sans violer la liberté, peut au nom de l'intérêt général en régler l'émission, comme il fait des monnaies de billon ou de cuivre.

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Mais la pensée de fixer l'intérêt commercial sans tenir compte des conditions du marché était une erreur empruntée aux traditions de l'ancien régime. Napoléon y tenait. L'escompte à bon marché est une chose désirable; il n'en voulait pas savoir davantage et il croyait que sa volonté suffisait pour que le désirable devint le réel. Il rendit en conséquence la loi du 3 septembre 1807 par laquelle il arrêta que «<l'intérêt conventionnel ne pourra excéder, en matière civile 5 p. 100, ni en matière de commerce 6 100. » p. 2 Le commerce des capitaux fut de nouveau serré dans les liens où l'avait emprisonné la défiance du moyen âge à l'égard de la fortune mobilière. Ce sont des idées d'un autre temps qui s'imposaient à une société fondée sur le travail libre.

Les tabacs et les postes. - La réglementation ne porta pas seulement sur les carrières libérales, sur les plaisirs publics et le commerce des capitaux; elle s'étendit aussi, pour divers motifs, sur des industries manufacturières.

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Nous avons dit que l'industrie du tabac avait été confisquée au profit du Trésor. Dans l'intérêt de la sûreté publique, le Directoire avait décidé que la poudre ne pourrait être fabriquée que dans les manufactures de l'État: mesure sage que l'Empire confirma. L'Empire décida que l'industrie privée ne pourrait livrer d'armes à feu qui n'eussent été éprouvées, ni fabriquer d'armes semblables à celles qui sortaient des ateliers de l'État, sans avoir obtenu une autorisation spéciale; la seconde mesure était légitime, la première était plus discutable.

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1. Dès 1806, pendant sa campagne de Pologne, il écrivait au gouverneur : « Vous savez que nous voulons rétablir l'intérêt légal à 5 p. 100. » Lettre de Posen, 29 novembre 1806. Corresp. dc Napoléon, t. XIII.

2. Article 1er de la loi du 3-13 septembre 1807.

3. Loi du 13 fructidor an V (30 août 1797). L'administration de la guerre avait seule la fabrication, conservant pour les besoins du service public la poudre de guerre et livrant aux consommateurs la poudre de chasse et la poudre de mine par l'intermédiaire de l'administration des contributions indirectes. L'empire con. serva ce monopole productif.

4. Décret du 23 pluviôse an XIII (12 février 1805). Ce décret, implicitement confirmé par l'article 231 de la loi du 28 avril 1816, a force de loi.

5. L'État fabriquait ou faisait fabriquer par des entrepreneurs ses armes de guerre dans les manufactures impériales; jusque-là rien de plus légitime. Il prescrivit (décret du 30 septembre 1805) qu'aucune arme de modèle et de calibre de guerre, quelles que fussent sa nature et sa destination, ne pourrait être fabriquée hors de ses manufactures ou sans l'autorisation préalable du ministre. Par un décre du 14 décembre 1810, il déclara que les armes pouvaient être saisies cemme

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Les maîtres de poste étaient déjà établis en vertu d'une commission du gouvernement. L'Empire fit peser le poids de leur privilège sur tous les entrepreneurs de voitures publiques, lesquels furent obligés de se servir des chevaux de la poste ou de payer une indemnité de vingt-cinq centimes par poste et par cheval attelé 2; il atteignit même ceux qui, pour échapper à la loi, prenaient des chemins de traverse. Il fallut des règlements minutieux pour fixer la nature des voyages à petites journées, des voitures suspendues. La loi et les tribunaux furent obligés de lutter de subtilité avec les entrepreneurs, qui imaginaient mille ruses pour se dérober à l'impôt. On ne maintint les droits du monopole qu'en gênant à la fois l'industriel et le public. Les entreprises de messageries avaient d'ailleurs plus d'une chaîne soumises à la loi sur le poids et le chargement et à l'autorisation préalable, elles étaient doublement compromises par les restrictions du monopole et par la surveillance de la police.

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Malgré les arrêtés pris par le Directoire pour interdire aux voituriers le transport des lettres qui était réservé à l'administration des postes, la défense était mal observée. Le Consulat renouvela les << défenses faites par les anciens règlements à toute personne étrangère au service des postes de s'immiscer dans le transport des lettres, paquets, journaux, feuilles périodiques ou autres » du poids d'un kilogramme et au-dessous, sous peine de saisie et d'amende 7. Il se fit mieux obéir.

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Loi du 21 avril 1810 sur les carrières et les mines. - L'exploitation des mines soulève des questions très délicates en matière de propriété ; la Constituante les avait inparfaitement résolues et la réunion à la France de la Belgique, riche en mines, avait fail apparaître les défauts de la législation. L'Empire hésita plusieurs années. Après avoir déclaré dans le Code civil que la propriété du sol impliquait « la

appartenant à l'État, si leur calibre n'était pas au moins à deux millimètres audessus ou au-dessous du calibre de guerre. Il ordonna en même temps que toutes les armes à feu destinées au commerce fussent essayées, et il institua à cet effet, dans les villes renfermant des ateliers d'armurerie, un éprouveur commissionné par le maire et un syndicat de six armuriers chargés d'assister aux épreuves.

1. Voir les lois des 23 et 24 juillet 1793 et du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797).

2. Loi du 15-25 ventôse an XIII (6-16 mars 1805) et décret du 20 mai 1805. 3. Décret du 6 juillet 1806.

4. Loi du 29 floréal an X et du 7 ventôse an XII (20 mai 1802 et 27 février 1804). 5. Décret du 28 août 1808.

6. Arrêtés du 2 nivôse an VI (22 décembre 1797), du 7 fructidor an VI (24 août 1798), du 26 ventòse an VII (16 mars 1799).

7. Arrêté du 27 prairial an IX (16 juin 1801) et décret du 2 messidor an XIII (21 juin 1806).

8. Loi du 28 juillet 1791.

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propriété du dessus et du dessous », 1 il recula devant l'application et rédigea laborieusement une loi spéciale sur la matière. 2

L'empereur intervint dans la discussion au Conseil d'État et le fit avec la netteté ordinaire de son esprit et la décision de son jugement, affirmant le principe de la propriété et montrant qu'il y avait là une espèce spéciale de propriété à constituer. « La propriété est inviolable, Napoléon lui-même, avec ses nombreuses armées, ne pourrait s'emparer d'un champ, car violer le droit de propriété dans un seul, c'est le violer dans tous ! ... Il faut, ajoutait-il, que les mines cessent d'être des propriétés précaires, incertaines, non définies, changeant de main au gré d'une législation équivoque, d'une administration abusive, d'une police arbitraire, de l'inquiétude habituelle des possesseurs. Il faut en faire des propriétés auxquelles toutes les définitions du Code Napoléon puissent s'appliquer. Il faut que ces masses de richesses placées sous de nombreuses fractions de la superficie du territoire, au lieu de rester divisées comme cette superficie même, deviennent par l'initiative du gouvernement et en vertu d'un acte solennel, un ensemble dont l'étendue sera réglée, qui soit distincte du sol, qui soit en quelque sorte une création particulière. Dans cette création, le droit du propriétaire de la surface ne doit pas être méconnu ni oublié; il faut en outre qu'il soit consacré pour être payé, réglé pour être acquitté, afin que la propriété que l'acte du gouvernement désigne, définit, limite et crée en vertu de la loi, soit d'autant plus invariable, plus sacrée qu'elle aura plus strictement satisfait à tous les droits. >>

La loi du 21 avril 1810 n'admit le principe de la propriété du dessus et du dessous que pour les carrières; mais elle soumit à de nombreuses servitudes les propriétaires de terrains renfermant des pyrites ou des minerais de fer d'alluvion; elle les obligea à exploiter « en quantité suffisante pour fournir, autant que faire se pourra, aux usines établies dans le voisinage », et prévoyant dans cette vente forcée le cas où l'acheteuret le vendeur ne s'entendraient pas, elle déclara que des experts fixeraient le prix auquel le minerai devait être livré ; elle autorisa même les préfets à substituer, dans l'exploitation de la minière, un ou plusieurs maîtres de forge au propriétaire qui aurait cessé de travailler pendant un mois ou qui ne fournirait qu'une trop faible quantité de minerai. 3

Quant aux mines proprement dites, il les considéra comme des propriétés d'un ordre particulier, entièrement distinctes du fonds de terre, et sur ce point, il paraît avoir fait sagement. La découverte d'une mine fut donc la création d'une propriété nouvelle que

1. Code Napoléon, art. 552.

2. Le projet, rédigé par Fourcroy, subit quatorze rédactions avant d'être adopté. 3. Loi du 21 avril 1810, titre VII.

l'État se réserva le droit de concéder à titre perpétuel; il fut libre de faire la concession à qui il jugeait le plus capable d'exploiter, sans que le propriétaire du fonds ni l'inventeur pussent réclamer autre chose qu'une indemnité. Cette indemnité fut fixée par l'acte de concession, et le propriétaire de la surface fut de plus assujetti à toutes les servitudes nécessaires pour l'exploitation, sous la condition toutefois d'une autre indemnité préalable. Le concessionnaire, de son côté, fut soumis à une redevance annuelle et à la surveillance permanente d'un corps spécial d'ingénieurs. 1

Pour une extension que ne légitimait plus la nature particulière de la propriété, la réglementation s'étendit des mines aux hauts-fourneaux qui emploient le minerai et dont les propriétaires furent autorisés, dans certains cas, à exploiter d'autorité les minières d'autrui. Ils ne purent, comme sous l'ancien régime, être établis qu'après enquête, avis de plusieurs administrations et autorisation du Conseil d'État. Les forges, et en général les usines destinées à mettre en œuvre le fer ou le cuivre, subirent les mêmes conditions. 2

Quelques difficultés s'étant manifestées relativement à l'application de la loi du 21 avril 1810 et à la police des ouvriers, le gouvernement rendit le décret du 3 janvier 1813 pour régler la matière. Ce décret dans l'ensemble était sagement conçu. Les propriétaires de mines furent tenus d'avertir l'autorité locale quand « la sûreté des exploitations ou celle des ouvriers pourra être compromise par quelque cause que ce soit », et en cas d'accident. L'ingénieur dut faire régulièrement la visite des mines, prendre de lui-même les mesures urgentes, en référer pour les autres à ses chefs qui devaient entendre le propriétaire, et même, s'il y avait divergence de vues, soumettre le cas à des experts; la décision dernière appartenait au ministre, sauf recours au Conseil d'État. Il fut défendu à un propriétaire d'abandonner complètement une exploitation sans y être autorisé. Il lui fut prescrit d'avoir des médicaments et des moyens de secours en proportion du nombre des ouvriers, et même un chirurgien si ce nombre était considérable. « Les dépenses qu'exigeront les secours donnés aux blessés, noyés ou asphyxiés et la réparation des travaux seront à la charge des exploitants. >> Tout ouvrier employé dans les mines à un titre quelconque dut être pourvu du livret en règle et inscrit sur un registre spécial de la commune, et à la mine sur un registre de contrôle journalier que les ingénieurs devaient viser lors de leur tournée; défense était faite de laisser descendre et travailler dans les mines et minières des enfants audessous de dix ans ; défense d'admettre dans les travaux des ouvriers ivres ou malades; défense de prendre comme maîtres mineurs des

1. Loi du 21 avril 1810, tit. III, IV et V.

2. Ibid., art. 73, 74 et 75.

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