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Levant, sur les savons, sur les fils, sur les draps. Le 22 décembre 1812, il fut décrété que toutes les manufactures de tissus de l'empire pourraient obtenir l'autorisation de mettre à leurs draps une lisière particulière.

On peut être séduit de prime abord par la pensée de rendre la marque obligatoire et de forcer ainsi chacun à porter la responsabilité de son œuvre, sans apercevoir les intérêts légitimes que l'on froisse, et les impossibilités contre lesquelles on viendra échouer. Mais il faut songer que si un Etat impose cette obligation, c'est pour garantir la qualité du produit, que par conséquent il est entraîné à régler le détail de la fabrication, à vexer les uns au profit des autres, à porter des peines révoltantes parce qu'elles atteignent des faits innocents par eux-mêmes, que la loi a érigés en délits. Ainsi les bijoutiers ne purent employer que de l'or contenant au moins les trois quarts de métal fin, et pourtant la mode, souvent plus forte que les lois, les sollicitait à faire des alliages connus sous le nom d'or blanc, d'or vert, qui n'étaient pas compatibles avec le titre légal. On fixa pour les draps du Levant le nombre des fils de la chaîne, les couleurs des lisières, et on institua des jurés, des vérificateurs, des plombs particuliers.

La ville de Louviers demanda qu'on remit en vigueur un arrêt de 1782 qui lui conférait le privilège exclusif de mettre aux draps de sa fabrique une lisière jaune et bleue. Elle l'obtint; bientôt toutes les villes possédant des fabriques de draps furent autorisées à adopter une lisière particulière et à la rendre obligatoire pour tous leurs fabricants. Ce privilège aurait empêché tout manufacturier de faire concurrence aux types d'une autre ville, de sortir des genres pour lesquels sa marque était connue; on serait revenu ainsi aux mauvais errements du temps passé. Mais l'exécution de ces règlements fut arrêtée par deux avis du Conseil d'État, et la liberté triompha sur ce point.

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En revanche, elle eut à subir le décret que nous venons de citer sur la guimperie et le velours, imposant une marque particulière aux

1. Décret du 21 septembre 1807.

2. Décret du 1er avril 1811. Décret du 22 décembre 1812, relatif à la marque de Marseille.

3. Décret du 14 décembre 1810.

4. Décret du 25 juillet 1810, relatif à la marque de Louviers.- Décret du 22 décembre 1812 relatif aux fabriques de draps de France.

5. Le ministre avait préparé un projet de décret pour les draps du Levant. Ce projet portait : « Napoléon empereur, Vu le mémoire présenté par les chambres de commerce de Marseille, de Carcassonne, de Montpellier; Vu les arrêts des 22 octobre 1697, 20 novembre 1708, 15 janvier 1732, Avons décrété: Art. 1er. Les draps destinés pour le Levant pourront être marqués d'une estampille qui en garantira la bonne qualité... » Le projet fut envoyé à l'empereur qui était alors à Tilsitt. L'empereur y fit des critiques (22 juin 1807) et ne signa pas. Il y eut d'autres projets et le décret ne fut signé que le 21 septembre 1807.

6. Avis du 30 avril 1809 et du 22 décembre 1812.

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étoffes contenant des soieries fausses ou mi-fines; l'amende, en cas de récidive, montait à 3,000 francs; les étoffes étaient brûlées ou coupées, et les morceaux vendus au profit des hospices. Il ne manquait plus, comme l'avait fait Colbert, que de les attacher au carcan. 1 Hatons-nous cependant d'ajouter que Colbert gênait la libre fabrication et que l'Empire ne punissait que la tromperie relative à la nature de l'objet vendu; la différence était grande.

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Le Code de commerce. Bonnes ou mauvaises, ces institutions et ces lois étaient loin d'embrasser toute l'économie industrielle. Ce n'étaient encore que des pierres isolées. L'édifice restait à construire. On en avait esquissé le plan dès le début du Consulat et on avait songé à promulguer un Code de commerce en même temps qu'un Code civil. Le projet avait été rédigé,3 présenté aux consuls par le ministre, imprimé et envoyé aux tribunaux et aux conseils de commerce. Il était resté plusieurs années comme enseveli dans l'oubli et il y serait peutêtre demeuré si le grand nombre des faillites et l'impunité de la fraude qui irritaient Napoléon ne l'eussent déterminé à reprendre ce travail. Le Conseil d'État en fut saisi de nouveau au mois de novembre 1806. 5 De ses délibérations sortit le Code de commerce, qui, arrêté et promulgué le 15 et le 24 septembre de l'année suivante, devint exécutoire à partir du 1er janvier 1808. 6

1. L'article 413 du Code pénal punit de 200 francs d'amende ceux qui violeraient les règlements d'administration relatifs aux produits français destinés à l'exportation.

2. Commission de sept membres nommée le 3 avril 1801. Le Code fut présenté aux consuls le 18 frimaire an X (5 déc. 1801). Dans une session extraordinaire du conseil général du commerce (18 germinal an X), le ministre annonça deux projets : le Code de commerce et le règlement pour la police des manufactures. Ils ont été, ditil, transmis à toutes les places de commerce et ils seront bientôt soumis au Corps législatif. «Alors les transactions commerciales reposeront sur un fondement assuré ; la propriété des chefs d'entreprises sera garantie; les droits de l'ouvrier seront connus et respectés. » Le ministre ajoute que c'est pour éclairer le gouvernement que le conseil général a été créé ; que des conseils seront créés dans chaque préfecture et dans les grandes villes; il fait connaître les questions à traiter: régime des douanes, facilités à donner dans les ports, transit, « problèmes de la liberté du commerce que plusieurs siècles d'expériences n'ont pas résolus ». Les sessions de ce conseil n'ont pas eu de suite. Le registre des délibérations s'arrête au 10 messidor an X. Arch. nationales, F12 191.

3. Voir Corresp. de Napoléon, t. VII, p. 442, 5 décembre 1801.

4. La commission chargée de rédiger le projet revisa son travail, et en 1803, publia la Revision du projet du Code de commerce.

5. Napoléon vint prendre lui-même part à la discussion en 1807, à son retour de Pologne.

6. Le livre I, du titre I au titre VII, fut décrété le 10 septembre 1807, et promulgué le 20, et le titre VIII (sur les effets de commerce) fut décrété le 11, et promulgué le 21. Le livre II fut décrété le 15 septembre, et promulgué le 25. Le livre III fut décrété le 12, et promulgué le 22. Le livre IV fut décrété le 14, et promulgué

Du fond de la Pologne, Napoléon, traçant l'exposé de la situation de l'Empire, l'annonçait en ces termes : « Un Code se prépare pour le commerce, un Code mûri par des discussions approfondies; il a pour objet de remettre en vigueur tout ce que l'expérience a pu faire reconnaître d'utile dans les ordonnances anciennes en les appropriant au temps présent; protégeant la bonne foi des transactions, réprimant par des lois sévères le scandale toujours croissant des faillites; il achèvera de consolider le crédit et relèvera une des professions les plus utiles et les plus honorables de l'État; il lui rendra cette antique loyauté qui doit être toujours son premier caractère. » 1

On avait en effet beaucoup puisé dans les anciennes coutumes et principalement dans l'ordonnance de commerce de 1673 et dans l'ordonnance de marine de 1681, deux remarquables monuments de l'administration de Colbert. 2 Mais les relations commerciales s'étaient étendues depuis le temps où régnait Louis XIV et les habitudes s'étaient modifiées. Le Conseil d'Etat n'y prit pas assez garde. Sur quelques points, son œuvre resta au-dessous des besoins, et à mesure que s'est développée l'activité industrielle, on a été amené à y regretter des lacunes ou des formes étroites. C'est ainsi qu'on reproduisit presque textuellement les règles de la lettre de change, telles que les avait tracées, avec une grande précision d'ailleurs, l'ordonnance de 1673 et qu'on y ajouta même, comme l'avait fait la jurisprudence du xvir siècle, la condition de la remise d'une place sur une autre. Le Tribunat voulait au moins supprimer cette dernière restriction; 3 le Conseil d'État la maintint. En matière de sociétés, on s'attacha à la tradition du passé : l'ordonnance ne reconnaissait que deux espèces, la société générale et la société en commandite. Le Conseil d'État voulait de son côté s'en tenir à la société en nom collectif et à la société anonyme; ce ne fut pas sans difficulté qu'entre ces deux espèces il fit une place distincte pour la société en commandite; il entoura la société

1. Voir Corresp. de Napoléon, t. XV, p. 657.

2. Ainsi, dans le premier livre, sur 189 articles, j'en ai relevé 56 presque textuellement empruntés à l'ordonnance de 1673 et à l'ordonnance de 1681; le second livre est en grande partie extrait de l'ordonnance de 1681. Chaptal, dans son rapport sur le projet du Code de commerce, disait : « Dans leur ensemble,la plupart des dispositions que ce projet renferme ont été extraites de l'édit de 1673 et de l'ordonnance de 1681; on a même conservé l'expression littérale de ces lois lorsqu'on a reconnu qu'elle était précise et non surannée. »>

3. « Ce mode, disait le Tribunat, est devenu une vaine forme. Au fond, on ne voit aucun motif solide dans la nécessité de la remise de place en place. La lettre de change est de sa nature une subrogation de la part d'un particulier en faveur d'un autre, au droit qu'il a ou qu'il aura de faire remettre une somme de la part d'un tiers, de suite ou à une époque convenue. Ce contrat exige-t-il, pour sa perfection, cette forme illusoire de remise de place en place? » Le Conseil d'État rejeta l'amendement, en donnant pour raison que la lettre de change n'aurait plus été que le simple mandat.- Voir LOCRÉ, Commentaire du Code de commerce, p. 12. 4. Aux deux espèces mentionnées dans l'ordonnance de 1673, les rédacteurs du

anonyme de précautions contre la fraude, le plus souvent légitimes, toujours sévères et quelquefois minutieuses, et il rejeta à la fin du titre l'association en participation qu'il considérait, avec raison, comme une forme accidentelle et secondaire. Pour les assurances, il copia l'ordonnance de 1681, et par conséquent les assurances maritimes furent réglées, mais il ne fut question ni des assurances contre l'incendie, qui avaient déjà une certaine importance en France, ni des assurances sur la vie dont on ne trouvait alors d'exemples qu'en Angleterre.

La timidité du Conseil d'État à admettre des formes nouvelles provenait surtout du désir de ne laisser aucune prise à la mauvaise foi et aux spéculations ténébreuses; il ne faut pas trop l'en blâmer, il faut même le louer d'avoir consacré celles des formes anciennes dont une longue expérience avait montré la solidité. Mais on peut lui adresser le reproche de n'avoir pas tracé un cadre assez large. Au lieu d'un Code de commerce, c'était un Code de l'industrie et du commerce qu'il aurait dû rédiger. Car entre les deux la distinction est parfois impossible et souvent inutile à marquer. L'une et l'autre créent entre les hommes des rapports d'une nature particulière qui doivent être déterminés par des lois spéciales; il eût été bon que ces lois, et en particulier celle du 22 germinal an XI, y fussent réunies en un même corps, de façon à ce que tout homme fabriquant et trafiquant connût facilement ses droits et ses devoirs, comme chaque citoyen apprend les siens dans le Code civil, qui, d'ailleurs, ayant explicitement défini les droits et les obligations de la propriété foncière et mobilière, était beaucoup trop bref sur le contrat de travail. Dans le Code d'industrie et de commerce auraient pu figurer, sous le titre de propriété industrielle, les brevets d'invention et les marques de fabrique; à côté des tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes, les rapports des patrons et des ouvriers, en même temps que « l'engagement et les loyers des matelots et gens de l'équipage ».

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Le Code traita seulement dans ses quatre livres du commerce en général, du commerce maritime, des faillites et banqueroutes et de la juridiction commerciale, autrement dit régla, non sans méthode, comment les entreprises sont formées et jugées. Sur quelques points mêmes de ces sujets, l'édifice resta imparfait.

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projet avaient ajouté la société par actions et la société en participation; la section les réduisit à trois, en disant que la participation n'étant qu'un fait passager ne donnait pas lieu à une société ; le Conseil d'État ne voulait que la société en nom collectif et la société anonyme; mais on lui prouva que la société en commandite différait essentiellement de la société anonyme.

1. Livre II, titre V.

2. Le livre Ier du Code de commerce, du Commerce en général, comprend huit titres: 1o des commerçants; 2° des livres de commerce; 3o des sociétés; 4° des séparations de biens; 5o des bourses de commerce, agents de change et courtiers; 6o du gage et des commissionnaires; 7o des achats et ventes; 8o de la lettre de change, du billet à ordre et de la prescription,

La législation industrielle de l'Empire n'a donc été ni complète, ni exempte de défauts. Il n'est pas étonnant qu'il en ait été ainsi dans les circonstances où le gouvernement l'établissait, avec la diversité des opinions admises au Conseil et avec le désir de fixer l'incertitude sur des questions relatives à la liberté du travail que l'expérience n'avait pas encore suffisamment éclairées. Dans la perspective de l'histoire, on aperçoit souvent entre la conduite et les principes d'un gouvernement des incohérences que les contemporains, dominés par la passion ou par l'intérêt du moment, ne soupçonnent pas. Néanmoins cette législation, prise dans son ensemble, marqua un progrès dans les destinées du travail; la création des chambres consultatives des arts et manufactures, l'institution des conseils de prud'hommes, la reconnaissance de la propriété des marques et des dessins de fabrique, la publication d'un Code de commerce étaient en elles-mêmes des mesures appropriées aux besoins : le temps aiderait à en reconnaître et à en corriger les imperfections. Elles organisaient en quelque sorte la liberté du travail, qu'il est beau de proclamer, mais qu'il n'est pas facile d'entourer de solides garanties. La Révolution avait eu le premier de ces mérites; l'Empire, malgré certains écarts, eut le second.

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