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CHAPITRE V

LA SCIENCE ET L'ART DANS L'INDUSTRIE

SOMMAIRE.

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Rétablissement de la sécurité et du crédit (397). La Société d'encouragement pour l'industrie nationale (398).—Activité du premier consul (399). – Luxe de la cour (402). — Les expositions et la reprise des affaires (403). Exposé de la situation de l'Empire en 1806 (409). Union de la science et de l'industrie pour le perfectionnement des moyens de production par la chimie (410). — La mécanique dans l'industrie textile (413).- Classification des industries (424). Métallurgie et industries préparatoires mécaniques (425).— Les industries préparatoires chimiques (428). L'agriculture et l'alimentation (430). Les industries textiles (431).— Laine (431).- Coton (434). — Chanvre et lin (438).— Soie (440). — Industries diverses (445). L'art et les artistes (447). Rapports de l'art et de l'industrie (456).

Rétablissement de la sécurité et du crédit. La sécurité est la première condition du progrès industriel; elle est en quelque sorte l'air vital que respire le travail. Le Consulat n'eût-il pas procuré à la société française d'autre avantage que de lui rendre cette sécurité durant une suite d'années, les ateliers se seraient rouverts, des manufactures auraient été fondées, des capitaux, accrus par l'activité de la production, auraient coulé avec la confiance vers les entreprises, et la liberté aurait d'elle-même porté de bons fruits.

Mais les efforts d'un gouvernement guidé par le désir et par l'intelligence du bien peuvent ajouter au bienfait de la sécurité. Ces efforts ne firent pas défaut à l'industrie; durant plusieurs années, ils en secondèrent les progrès jusqu'au jour où, sous l'inspiration d'une politique belliqueuse, ils en contrarièrent le développement naturel, au grand dommage de la richesse nationale et de la fortune de Napoléon.

Le Directoire s'était tratné jusqu'au dernier jour de banqueroute en banqueroute; le discrédit de l'État avait fait fuir l'argent et avait lourdement pesé sur le crédit commercial. Les assignats avaient démoralisé le commerce. Dès les premiers mois du nouveau gouver

1. VITAL ROUX, dans son rapport sur les jurandes et maîtrises, dit (p. 62) que pendant la Révolution les produits des manufactures étaient dégénérés et que la faute en était aux assignats, parce que trompés sur le payement, les fabricants trompaient sur la qualité. Son témoignage sur ce point n'est pas isolé. Il ajoutait : « Depuis qu'une monnaie plus indépendante a réglé les échanges, tous les rapports se sont rétablis; le vendeur a été jaloux de contenter l'acheteur. L'intérêt du manufacturier est meilleur guide que les statuts. »

nement la régularité introduite dans le service de la trésorerie, le payement des rentes en argent, la création de la Banque de France firent monter la rente, rappelèrent le numéraire et abaissèrent bientôt à 7 et à 6 p. 100 par an le taux de l'escompte pour les bonnes maisons à Paris. «... Cette France, disait un contemporain, est si riche, elle est si industrieuse, qu'à peine l'orage a cessé de gronder, toutes les traces de ses malheurs ont disparu, ses ateliers ont été repeuplés: il s'en est formé de nouveaux ; il s'en forme encore tous les jours, et si la guerre n'avait interrompu son commerce, sa prospérité n'aurait peut-être rien de comparable dans les temps les plus brillants de l'ancienne monarchie. » 2

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La Société d'encouragement pour l'industrie nationale.- Des hommes éminents, tels que Monge, Conté, Berthollet, Fourcroy, Chaptal, comprirent que la liberté se trouvant consacrée par le rétablissement de l'ordre, le moment était venu « d'exciter l'émulation, de répandre les lumières, de seconder les talents », et à l'instigation de Delessert et de Lasteyrie, ils fondèrent, dès 1801, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, ou plutôt ils renouvelèrent une société qui avait été formée sous le même nom en 1789. Ils se donnaient pour mission de recueillir partout les découvertes utiles aux arts et de les répandre, de propager l'instruction industrielle, de provoquer et diriger des expériences, de secourir les artistes malheureux et d'encourager les découvertes en distribuant des récompenses, d'aider à la création d'institutions semblables dans les villes manufacturières. Ils avaient réuni environ 300 souscripteurs dès le début, et le 9 brumaire an X, la société tint sa première réunion dans une des salles de l'Hôtel de Ville. Le baron de Gérando présidait, et plein de la confiance qui animait alors la majorité des hommes éclairés, il s'écriait : « Sous quels auspices plus heureux pouvait-elle naître ? Elles ont disparu, ces institutions anciennes qui enchaînaient l'industrie et flétrissaient les artistes; ils ont disparu aussi, ces préjugés révolutionnaires qui portèrent partout la destruction avec le désordre. Elles sont tombées à la voix d'un héros pacificateur, ces barrières qui séparaient le peuple français des autres peuples. Six mois ont suffi pour nous rendre l'amitié de cent nations et pour assu

1. A Orléans, l'intérêt avait été de 12 p. 100 sous le Directoire; depuis 1806 il fut de 9 à 11 p. 100. Arch. du Loiret, note communiquée par M. BLOCH, archi

viste du département.

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2. Rapport de VITAL ROUX, p. 59.

3. Les noms des principaux fondateurs étaient Chaptal, qui fut pendant toute cette période le président de la Société, Lasteyrie, Delessert, Berthollet, Conté, de Gérando, Fourcroy, Regnault de Saint-Jean-d'Angely, F. de Neufchâteau, Frochot, Guyton de Morveau, Monge, Costaz, Montgolfier, Parmentier, Perregaux, Récamier, Ternaux, Vilmorin, Molard, Perrier, Vauquelin, Prony, etc.

4. Il existait depuis 1756 une société du même genre en Angleterre: Society of arts

rer la paix de l'univers.... » La France complait en profiter pour tourner toute son activité vers les arts pacifiques. Malgré le renouvellement de la guerre, qui ne tarda pas à assombrir cet horizon, la Société poursuivit son œuvre ; elle proposa des prix, et elle eut la satisfaction d'en décerner un grand nombre à d'utiles inventions qu'elle avait ellemême provoquées. 2 Pendant toute la durée de l'Empire et après l'Empire auquel elle a survécu, elle a rendu à l'industrie des services. signalés.

Activité du premier consul. Le premier consul, qui voulait être présent partout, avait pris pour son compte cent actions de la Société et cherchait à communiquer à tous son infatigable ardeur. Tantôt seul, tantôt accompagné de ses collègues, il parcourait les ateliers, questionnait les fabricants, ou donnait au ministre de l'intérieur l'ordre de continuer ces visites quand les affaires de l'État le retenaient ailleurs. Il écoutait les réclamations, il ouvrait lui-même, au nom de l'État, des concours industriels ou dotait certains établissements. Il

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1. Voir le Moniteur de l'an X, p. 992.

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2. Dès la première année, la société mit au concours six questions, pour lesquelles elle offrit des prix de 600 à 3,000 francs: fabrications de filets de pêche, du blanc de plomb, du bleu de Prusse, des vases de métal recouverts d'un émail économique, des vis à bois, repiquage ou transplantation des grains d'automne au printemps. Parmi les prix les plus importants qu'elle proposa et les principales récompenses qu'elle accorda dans les vingt années suivantes, nous citerons: la purification des fers cassant à froid (4.000 fr.), la fabrication du fer-blanc (3,000 fr.), les ouvrages en fer fondu (3,000 fr.), le métier à fabriquer les étoffes façonnées et brochées (3,000 fr.), la fabrication des fils de fer et d'acier pour faire les aiguilles à coudre et les cardes à coton et à laine (6,000 fr.), la fabrication de l'acier fondu (4,000 fr.), les fours à chaux (3,000 fr.), les machines à feu (6,000 fr.), l'acier fondu (4,000 fr.), les machines à peigner la laine (3,000 fr.), les ouvrages de petite dimension en fonte de fer (3,000 fr.). Parmi les inventions qu'elle a provoquées par des questions mises au concours ou qu'elle a encouragées par des récompenses, on peut citer les machines à fabriquer les filets de pêche, le perfectionnement de la fabrication du bleu de Prusse, le procédé pour juger instantanément de la qualité du verre, les machines à filer et à carder la laine, la carbonisation du bois, diverses applications économiques de chauffage, la fabrication des poteries, de la fonte du fer, du vernis, des cuirs imperméables, les lampes de sûreté, les procédés de clichage, les lampes à courant d'air, les serrures de sûreté, la simplification du métier à bas, la fabrication des vis à bois, du fer-blanc, de l'acier fondu, la construction des fours à chaux. Voir les rapports de CoSTAZ, entre autres celui de 1808. Moniteur de l'année 1808, p. 1010. Voir aussi les Bulletins publiés par la Société.

3. Parmi les manufactures qui furent visitées, on peut citer la fabrique de lampes à courant d'air de Lange, la filature de lin de Fournier, la briqueterie de Stainville, la porcelainerie de Greder, la fabrique de limes de Raoul, la menuiserie de Foubert, etc., etc.

4. Un des premiers prix fut proposé pour le perfectionnement des machines à carder la laine. Arrêté du 22 messidor an IX. Voir le Moniteur de l'an X, p. 1374. 5. Autorisation donnée à la manufacture des bonnets de Tunis, à Orléans, de s'appeler Manufacture nationale. Subvention de 6,000 livres par mois à la manufac

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invitait les préfets à envoyer des ouvriers d'élite apprendre, dans un tissage-modèle établi à Passy, le maniement de la navette volante. 1 Il se rendait à Saint-Quentin pour vider le différend qui partageait depuis longtemps les ingénieurs relativement au tracé du canal, et il faisait commencer les travaux, aux applaudissements du commerce; il écoutait en même temps les voeux des manufacturiers et essayait de diriger la mode dans leur intérêt. Il séjournait quelque temps à Lyon et il voyait avec joie la manufacture de soieries se relever. « Le bien-être de la République est sensible depuis deux ans, écrivait-il à ses collègues. Lyon, pendant les années VIII et IX, a vu accroître sa population de plus de vingt mille âmes, et tous les manufacturiers que j'ai vus de Saint-Étienne, d'Annonay, etc., m'ont dit que leurs fabriques sont en grande activité. Toutes les têtes me paraissent pleines d'activité, non de celle qui désorganise un empire, mais de celle qui les crée et qui produit leur prospérité et leur richesse. »

Il continua pendant tout son règne à avoir la même sollicitude pour l'industrie et il la manifesta à maintes reprises quand les opérations multiples de sa politique lui en laissèrent le loisir. Du fond de la

ture de Sèvres, qui ne faisait plus guère que de la porcelaine ordinaire afin d'avoir un plus grand débit. « Si la manufacture de Sèvres cesse de faire du très beau... la France perdra... » Voir Moniteur de l'an X, p. 761 et 1472.

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1. On en envoya de l'Hérault, de la Lozère, de l'Aude, du Tarn, du Gard, de l'Aveyron. Ils devaient être entretenus sur le produit de centimes additionnels portés au budget départemental (Moniteur de l'an X, p. 393). Plus tard, on ouvrit au Conservatoire des arts et métiers une école gratuite pour la filature du coton (Moniteur de l'an X, p. 1239).

2. Voir Corresp. de Napoléon, t. VII, p. 14.

3. Saint-Quentin, qui faisait 100,000 pièces de mulquinerie (étoffes fines de lin) en 1780, n'en faisait plus que 50,000 en l'an X (PEUCHET, Stat.élém, de la France, p. 396), « L'on désirerait bien ici que nos dames missent le linon à la mode, sans donner aux mousselines cette préférence absolue.» D'ailleurs « n'y a-t-il pas assez longtemps que les linons sont en disgrâce »? Lettre aux consuls, Corresp.de Napoléon, 10 février 1801. La mode n'obéit pas au premier consul; mais Saint-Quentin obéit à la mode et quelques années après, Hasville avait monté 8,000 métiers pour fabriquer de la mousseline et trouvait une fortune nouvelle dans ce genre de travail.

4. Lettre adressée de Lyon aux consuls, 16 janvier 1802, citée par THIERS (t. I, p. 699, éd. de 1851).

5. Les Archives nationales renferment un très grand nombre de pièces attestant cette sollicitude et celle de ses ministres qui recevaient de lui l'impulsion. Ce sont des inventeurs qui communiquent leurs découvertes et obtiennent parfois des subventions, des entrepreneurs qui fondent des établissements et qui demandent des subventions, des manufacturiers embarrassés qui postulent un secours, etc., etc. (Voir, entre autres dossiers, F12 95045, 95050 et suiv.). Parmi les solliciteurs on retrouve l'anglais Milne que nous avons vu s'établir en France sous Louis XVI à la Muette (en 1785). Il avait continué à travailler jusqu'en 1796. Après une interruption, il avait repris le travail en l'an IX dans l'hôtel Vaucanson où un local lui avait été accordé et il recevait une pension. Après sa mort, en l'an XII, la pension fut en

Prusse, pendant qu'il dirigeait ses opérations militaires, il faisait des commandes pour animer l'industrie. Il rétablit un nombre considérable de foires qui avaient été interrompues pendant la Révolution et dont le Directoire avait commencé à renouer la tradition. 2

partie continuée à ses fils qui paraissent avoir végété dans la pauvreté (F12 95046). Le dossier F12 507 contient « la liste imprimée des demandes faites en 1806 par les départements relatives aux besoins des fabriques et manufactures » Voici des exemples de ces demandes :

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L'Ain demande pour Bourg la concession d'un ancien monastère afin d'y installer les mécaniques données par le gouvernement et la filature de coton. - L'Allier demande l'établissement d'une manufacture de gros draps à Bourbon-l'Archambault, de grosse toile à Montluçon,de chapeaux à Moulins ; il supplie le gouvernement de faire connaître les fonds qu'il serait dans l'intention d'accorder sous forme d'encouragement à chacun de ces établissements. L'Aveyron dit que les abus qui se sont glissés dans la fabrication entraînent la chute des fabriques; il demande l'établissement de vérificateurs des étoffes et de règlements de fabrication. Le Finistère signale l'infidélité dans la fabrication des toiles, qui nuit à l'exportation de cette marchandise en Espagne; il voudrait voir établir la marque pour garantir les proportions et la qualité. · L'Hérault demande que les manufactures de Lodève et de Clermont continuent à fournir l'habillement des troupes et conseille l'introduction des mécaniques à filer le coton. L'Ille-et-Vilaine réclame l'établissement d'un bureau de marque des toiles dans chacun des chefs-lieux d'arrondissement et des règlements locaux de fabrication, ce moyen devant amener l'amélioration des manufactures. Le département des Landes réclame des encouragements pour quiconque parviendrait à fabriquer les meilleurs goudrons ; il conseille de les faire annuellement acheter par la marine et de continuer les expériences déjà faites sur le goudron de France comparé à ceux du Nord; il demande que le gouvernement lui facilite les moyens d'établir la filature de laine en lui accordant les fonds nécessaires pour l'achat des cardes et machines à filer inventées par M. Douglas. Loir-et-Cher demande que le gouver nement prenne dans les fabriques de Romorantin et de Saint-Aignan des draps blancs pour l'habillement des troupes. Lot-et-Garonne demande le rétablissement à Tonneins d'une corderie qui y existait sous l'ancien gouvernement. L'inactivité de la fabrique de toiles à voiles de Saint-Gouvion cause au département une perte annuelle de 600,000 francs; il faut encourager cette fabrique et employer ses produits. Le département recommande au gouvernement le fondateur de l'établissement d'Aiguillon. La Moselle pense qu'il eût été plus avantageux d'accorder une affectation de houille à la manufacture de faïencerie de Sarreguemines que de lui accorder cette affectation en bois. - L'Orne demande que le gouvernement exige l'affranchissement de la prohibition qu'éprouvent en Prusse et en Autriche les produits de la fabrique du point d'Alençon. La Somme prie le gouvernement d'accorder au sieur F. de Sauvet, fabricant à Abbeville, les encouragements qu'il a demandés pour soutenir sa fabrique de gilets, de duvet de cygne, de toiles de coton à poil et de couvertures de cheval.

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1. Ainsi, du camp d'Osterode, le 26 mars 1807, il écrit : « Nous avons décrété qu'il sera fait des commandes dans le cours de l'année... » 1,400,000 francs aux manufactures de Lyon, 50,000 francs aux manufactures de cristaux, 1,500,000 francs aux fabriques de serrurerie. De Tilsitt, le 9 juillet, il commande pour Compiègne et Versailles 1,206,924 francs de meubles, bronzes, porcelaines, tentures, dentelles (dont 300,000 francs pour robes et manteau de l'impératrice); les commandes sont faites à Paris, à Alençon, à Amiens, etc. Arch. nationales, F12 508.

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