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et créa en quelque sorte celle des acides muriatique (acide chlorhydrique) et sulfurique, les trois principaux agents chimiques de l'industrie. Elle avait, en face de la guerre et sous l'aiguillon de la nécessité, repris avec quelque succès la préparation de la soude artificielle, imaginé celle du sel ammoniac, et, grâce à Thénard,' celle du blanc de céruse; elle épurait l'alun, elle préparait le sulfate de fer et le sulfate de magnésie pour remplacer ces produits importés jadis d'Espagne, de Sicile, d'Egypte et d'Angleterre; elle produisait des couleurs qui contribuaient au progrès du papier peint. L'industrie des chromates naissait à la suite de la découverte du chrome par Vauquelin. Les crayons de plombagine, inventés en 1795 par Conté3 pour remplacer la mine de plomb dont l'importation était arrêtée, fournissaient au dessin des tons nouveaux que les artistes appréciaient. Seguin était parvenu, à l'aide d'une analyse méthodique, à abréger les procédés de la tannerie qui alors pouvait à peine suffire à la fourniture des armées. Le vinaigre de bois était fabriqué par Mollerat, à la suite des recherches de Vauquelin et de Fourcroy; l'alcool était distillé par Edouard Adam avec une perfection dont les anciennes méthodes étaient bien éloignées. La gélatine, extraite des os par Darcet, fournissait une colle de qualité supérieure. L'huile, épurée à l'aide de l'acide sulfurique, rendait possible l'emploi des lampes brillantes, mais délicates, de Carcel. Le blanchiment au chlore, par la méthode bertholléenne ", selon l'expression du temps, allait permettre au manufacturier de ne plus laisser des mois entiers ses toiles exposées

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pellier, chargé par la Convention du raffinage du salpêtre, ministre sous le Consulat, a perfectionné la fabrication de l'alun, l'application du rouge d'Andrinople, etc. Chaptal avait déjà créé, avant la Révolution, à Montpellier, une grande fabrique de produits chimiques.

1. THÉNARD (1777-1857), découvrit le bleu de cobalt (1799); puis, avec GayLussac, il isola le bore, définit les éthers; sous la Restauration, il découvrit l'acier oxygène et il exerça une grande influence par son professorat.

2. VAUQUELIN (1750-1829), qui a fait l'analyse d'un grand nombre de minéraux, a extrait le chrome (1798) du plomb rouge de Sibérie.

3. C'est surtout en Egypte que Conté (1785-1805), auteur des crayons formés de graphite et d'argile, a déployé son génie inventif.

4. Entre autres, Isabey. En 1806, les crayons CONTÉ étaient exposés par Humblot, gendre de l'inventeur qui exploitait le procédé.

5. SEGUIN (1765-1785) a le premier isolé la morphine (1803).

6. A la même époque, Quinquet et Girard inventaient leurs lampes fondées sur les lois de l'hydrostatique; Bordier, successeur d'Argand, améliorait les réflecteurs. 7. Un nommé Gimel, défenseur officieux près la cour de justice du département du Puy-de-Dôme, voulant fonder un atelier de charité de filature de coton, demanda au ministre Chaptal quel est le meilleur traité de teinture. Chaptal lui signala Berthollet, Eléments de l'art de la teinture avec une description de blanchiment par l'acide muriatique oxygéné. Arch. nationales, F12 95112.

Voici d'ailleurs comment s'exprime CHAPTAL dans Industrie française (t. II,

sur le pré; le même procédé était appliqué par Chaptal aux chiffons destinés à la fabrication du papier. Le charbon animal était utilisé pour épurer et blanchir.

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La teinture faisait de notables progrès: de routinière elle devenait scientifique, grâce à la chimie. On s'était ingénié à remplacer les bois et les drogues exotiques que leur cherté rendait presque inabordables. On revenait au pastel et à la garance qu'on avait, après la découverte des Indes, peu à peu abandonnés pour l'indigo et la cochenille, et une préparation plus habile en tirait de meilleurs produits. On faisait dans plusieurs fabriques du minium de qualité assez bonne, et en 1806, on espérait être bientôt affranchi pour cet objet du tribut payé à la Hollande et à l'Angleterre. 2 Le bleu de Prusse était inventé. Un décret du 3 juillet 1810 promit un prix de 25,000 fr. à l'inventeur d'un procédé sûr et facile pour teindre avec cette substance la laine et la soie. Le succès ne fut pas complet; toutefois un professeur de chimie de Lyon, Raymond, reçut une récompense de 8,000 francs pour les échantillons de soie teinte en bleu qu'il présenta au concours, et le bleu Raymond devint d'un usage général. On essaya de tout, même du camphre artificiel, pour échapper à la dépendance de l'étranger; l'industrie, à l'exemple de la politique, s'était armée en guerre depuis la Convention.

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La mécanique dans l'industrie textile. Si la mécanique avait eu de moins éclatants succès, c'est qu'elle ne s'était pas encore associée la vapeur qui devait lui communiquer la vie et en faire bientôt la souveraine de la grande industrie. La machine à vapeur était connue, mais elle n'avait pour ainsi dire pas encore pénétré dans les manufactures. Quand on introduisait des machines, il fallait des bras

p. 102) « Dans son ouvrage sur la teinture, M. Berthollet en avait ramené toutes les opérations aux principes de la chimie; et dès lors, les procédés qui jusque-là ne pouvaient être considérés que comme des recettes qu'on n'osait ni changer, ni varier, ont pu être soumis à des lois fixes et acquérir des perfectionnements auxquels le hasard ou la routine eût conduit difficilement. »

1. Le perfectionnement de la teinture en garance est dû aux frères Gonin. 2. Moniteur de 1806, p. 1511.

3. Il paraît qu'il avait obtenu un résultat meilleur que celui que donnait l'indigo; mais il n'avait pas réussi pour la laine. Deux autres concurrents avaient envoyé aussi des échantillons de soie teinte en bleu. Arch. nationales, F12 95108. Voir aussi CHAPTAL, de l'Industrie française, t. II, p. 103. L'Alsace revendique le mérite de l'invention. On lit en effet dans l'Histoire documentaire de l'industrie de la ville de Mulhouse (p. 308), que Jean-Michel Haussmann, le premier fabricant d'Alsace qui ait eu des connaissances chimiques, trouva de belles couleurs d'application au moyen des sels d'étain, et forma le bleu de Prusse de toutes pièces sur le tissu, au moyen de l'oxyde de fer et du prussiate de potasse.

4. En 1810, il n'existait encore qu'une machine à haute pression et une quinzaine au plus de machines à basse pression, employées pour élever l'eau, etc. Le premier

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d'hommes ou des manèges pour les faire mouvoir de là leur emploi très limité. Cependant, un Anglais, que Chaptal était parvenu à fixer en France et qui avait établi son usine dans l'île des Cygnes, à proximité de Paris, Douglas, avait exposé une série de machines à travailler la laine, carde brisoir, carde finissoir, métiers de trente à soixante broches, etc., et le rapporteur rappelait qu'en l'espace de deux ans, Douglas en avait déjà vendu 340 à des drapiers français.

emploi d'un moteur à vapeur pour filature, à Mulhouse, date de 1812; c'était une machine de 10 chevaux installée dans la fabrique Dollfus-Mieg et Cie.

A propos de machines, nous ne devons pas passer entièrement sous silence le bateau à vapeur dont les premiers essais avaient été faits sous le règne de Louis XVI et dont la construction pratique date de l'Empire.

Après Denis Papin qui avait fait marcher sur la Fulda un bateau à roue actionnée par la vapeur (1707), le marquis de Jouffroy avait réussi par deux fois à remonter la Saône, avec des pyroscaphes (1776 et 1782); l'Académie de Lyon avait loué l'invention; mais l'expérience, faute d'argent, n'avait pas pu être renouvelée sur la Seine à Paris et Jouffroy avait été oublié. Pendant que d'autres inventeurs s'ingéniaient en Angleterre et en Amérique à appliquer la vapeur à la navigation, l'Américain Fulton, qui avait assisté à l'expérience de Jouffroy sur la Saône fit manœuvrer avec succès, en avril 1803, un bateau à aubes qui remonta la Seine avec une vitesse de 6 kilomètres à l'heure. Il paraît que Bonaparte et son entourage se montrèrent alors assez froids. Cependant un peu plus tard, l'empereur, étant au camp de Boulogne, comprit l'importance du projet qui, écrivait-il alors, « peut changer la face du monde », et il ordonna à son ministre d'en saisir l'Institut. « Une grande vérité, une vérité physique, palpable, est devant mes yeux... Aussitôt le rapport fait, il vous sera transmis et vous me l'enverrez, Tâchez que cela ne soit pas l'affaire de plus de huit jours; car je suis impatient... » Mais le rapport ne fut pas fait et Fulton porta son génie en Amérique où, en 1807 il remonta et descendit l'Hutson sur le Clermont, le premier bateau à vapeur construit dans des conditions pratiques. D'après M. Paul Foulon, Fulton aurait inventé et proposé auparavant (1801) au gouvernement un bateau sous-marin.

Il ne faut pas oublier non plus que c'est sous le Consulat qu'un Amiénois, Dallery, inventa (1803) l'application de l'hélice à la propulsion des navires, invention que devaient refaire trente ans plus tard le Français Sauvage et l'Anglais Smith.

1. L'établissement de Douglas avait coûté environ 144,000 francs. Douglas avait reçu une subvention de l'Etat de 20,000 francs. En floréal an XII, il demandait, en outre un prêt de 52,000 francs, l'usage d'une maison faisant partie du domaine national et une indemnité annuelle pour enseigner à des ouvriers à se servir de ses machines. Le rapport des bureaux remis au ministre conclut à accorder un local, un prêt de 20,000 francs et une indemnité annuelle de 5,000 francs à payer sur preuve d'une dépense égale faite dans des voyages ayant pour but l'emploi des machines. Arch. nationales, F 502. Voici comment s'exprime à cet égard CHAPTAL (Mes Souvenirs sur Napoléon, p. 99): « Je traitai avec M. Douglas, l'un des meilleurs mécaniciens en ce genre; je le fixai à Paris, en mettant à sa disposition le vaste bâtiment de la pompe à feu du Gros-Caillou, et je nommai une commission composée des meilleurs fabricants français, tels que MM. Decretot et Ternaux, pour suivre les opérations et juger des résultats. En moins d'un an, il y eut plus de cinquante équipages complets de machines introduits dans nos fabriques. »>

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2. Dans le bassin de la Garonne, la première filature de laine à la mécanique paraît avoir été établie à Villebourbon en 1806.

Il avait même des imitateurs; à l'exposition, l'un montrait une machine à tondre dont les forces' étaient mues par une manivelle ; l'autre, une machine à lainer dont la rotation était continue. Dixneuf fabricants en somme s'étaient présentés au concours de mécanique appliquée à la filature et au tissage 2. Ces efforts étaient. significatifs. Ici, c'était un métier qu'on mettait en jeu en tournant simplement une roue; là, un banc à broches qu'une femme et un enfant suffisaient à conduire; ailleurs, une machine à lainer qui avec deux ouvriers, faisait le même travail que vingt ouvriers dans l'ancien système. Mais les patrons et les ouvriers n'étaient pas encore façonnés à ce mode de travail. Les machines elles-mêmes, étant imparfaites, se détraquaient facilement, et toujours mues par des manœuvres ou par des chevaux, elles étaient plutôt des outils compliqués que de véritables machines automatiques; la mécanique n'avait pas sous le premier Empire des avantages assez évidents pour s'imposer comme une nécessité.

Dans un rapport que les membres du Conservatoire des arts et métiers furent chargés par le ministre de rédiger au sujet d'une demande de subvention faite par le préfet de l'Yonne pour l'établissement d'une filature de laine, on voit qu'il y avait, outre la fabrique de Douglas, des ateliers de construction de machines à filer la laine à Vervins, à Orléans (Pajou et Martin), à Sedan (Ternaux), à Marly (Milne). Les frères Périer avaient établi à Chaillot une importante fabrique de machines; John Collier était l'émule de Douglas; Albert Calla, Salneuve, fabriquaient aussi des machines de divers genres.

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Le gouvernement faisait des efforts pour répandre l'usage de la mécanique. Le 24 décembre 1807, le ministre écrivait aux préfets: « Le nouveau système des mécaniques propres à la fabrication des draps a été depuis cinq ans introduit en France par le gouvernement... Il procure une économie considérable de la main-d'œuvre. Il est établi à Louviers, à Sedan, en Belgique, quelque peu dans l'Isère, l'Ardèche et la Drôme, etc. « Le travail d'un homme par le métier à tisser est égal à celui de deux par les métiers ordinaires, et les draps sont supérieurs. » Pour laine, la machine fait avec un ouvrier et un garçon le travail de vingt personnes; le lainage est plus soyeux et l'économie est de 20 p. 100. Le ministre accompagnait sa circulaire

1. Espèces de cisailles avec lesquelles on tondait le drap.

2. Parmi les mécaniciens récompensés figurent Leblanc, de Reims, pour la machine à tondre (il en avait déjà vendu 86); Mazeline, de Louviers, pour une machine à lainer; Pouchet, de Rouen, pour un filoir continu; Albert, de Paris, pour une série de machines à filer; Calla, de Paris, idem; Scrive, de Lille, pour des cardes. Dix-sept récompenses furent accordées pour des machines à filer le coton. Quelques métiers mécaniques à tisser, entre autres celui de Boards, de Rouen, figurèrent aussi à l'Exposition de 1806.

3. Arch. nationales, F12 95052.

d'un prospectus de la fabrique de Douglas: « J'ai fait inviter les fabricants du département à adopter pour leurs fabriques les machines de M. Douglas, répond le préfet du Tarn (les autres préfets ont dû répondre à peu près de même); j'ai dit que Votre Excellence pourrait faire les avances pour trois ans sans intérêt. »

En 1807, Ternaux, concourant pour un des prix proposés par le gouvernement, faisait savoir qu'à Lamecourt, près de Sedan, il avait établi une filature de laine « mue par des moyens mécaniques et hydrauliques perfectionnés »; qu'il avait «< huit assortiments de carderies et mull-jennies », et qu'il employait 120 personnes, « lesquelles suppléent à 750 travaillant par les moyens ordinaires ». 2

La mécanique était entrée plus tôt dans l'industrie du coton que dans celle de la laine. Elle était venue d'Angleterre où elle avait transformé la fabrication dans la seconde moitié du xvIe siècle et s'était introduite dans les filatures de la France sous forme de mulljennies et de métiers continus, dès le temps de Louis XVI. Sous le Consulat et l'Empire, les constructeurs qui fabriquaient des machines pour la laine en faisaient aussi pour le coton. '

La plus féconde invention de ce temps, en matière de tissage, celle de Jacquart, se heurta longtemps contre des difficultés de la routine Elle constituait pourtant une amélioration considérable qui allait ouvrir un champ illimité aux fabrications de luxe. Jusque-là, on tissait les façonnés avec le métier à la tire, petite tire ou grande tire, suivant la

1. Le prospectus portait que l'assortiment de machines pour ouvrer, mélanger et filer 100 à 120 livres de laine par jour coûtait 20,064 francs, à savoir: Une machine à ouvrer la laine (faisant l'ouvrage de 40 personnes). Une machine à mélanger les couleurs

Une machine à filer

Objets divers . .

Total.

720 fr. 720 6.800 D

3.714 >>

20.064 fr,

Dix-neuf personnes, dont moitié étaient des enfants, suffisaient pour faire mar cher cette mécanique.

La machine à lainer coûtait 4,160 francs.

Le brevet d'importation de Douglas datait de vendémiaire an XI. Comme Douglas avait eu des procès à ce sujet avec Ternaux et avec des fabricants de Louviers, l'empereur acheta le brevet pour 100,000 francs le 24 avril 1808. - Arch. nationales,

FI 527.

2. Arch. nationales, F12 618.

3. En Alsace, la première filature fut celle de Wesserling, créée en 1802 par Gros et Roman; il s'en fonda ensuite à Bollwiller (1804-1806). à Willer (1805), Massevaux (1810), etc. Entre autres constructeurs de machines pour le coton, on peut citer Calla. Conté, membre du Conservatoire des arts et métiers, recommandait le mécanicien Lhomond qui avait introduit dans l'atelier de charité de Bar-surAube des machines verticales à filer le coton; ces machines lui paraissaient préférables à celles de Milne. Arch. nationales, F12 95054. Voir CHAPTAL, de l'Industrie française, t. II, p. 8.

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