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du continent par le blocus continental. Mais la Suisse, pays allié, contrariant ses desseins par une concurrence à bon marché, il se fâcha et fit défense au prince Eugène de recevoir en Italie les tissus suisses. 1

L'impression au rouleau, qui semble avoir pris ses premiers développements dans la manufacture de Jouy, était déjà en usage sous l'Empire à Wesserling, à Mulhouse, et facilitait la fabrication des toiles peintes.

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Néanmoins, Napoléon comprenait que le coton serait toujours une industrie précaire tant que les Anglais domineraient sur l'Océan ; tout en lui accordant des encouragements, il aurait voulu pouvoir lui créer une concurrence, et élever le lin à la hauteur de ses procédés. Il avait proposé un prix de 1 million « à l'inventeur, de quelque nation qu'il pût être, de la meilleure machine propre à filer le lin ». Le concours resta ouvert pendant trois ans ; mais le prix ne fut pas décerné," quoique à cette époque Philippe de Girard eût déjà en grande partie résolu le problème. C'était un ancien professeur à l'école centrale de Marseille, doué du génie de l'invention. Il avait, dès 1810, pris un brevet qu'il compléta par des additions successives, et bientôt il créa, rue de Vendôme à Paris, avec l'aide de plusieurs associés, une manufacture de deux à trois mille broches dans laquelle, dit Chaptal qui la vint visiter, « il filait à volonté depuis le plus gros numéro jusqu'au

1. THIERS, liv. XXXVIII.

2. C'est en 1803, que fut employée dans la fabrique de Jouy, la première machine à imprimer les indiennes avec des rouleaux de cuivre gravés. L'invention venait d'Angleterre; mais c'est à Paris, par Lefèvre, que les rouleaux avaient été gravés. Ce genre d'impression a été employé en Alsace depuis 1805. Histoire documentaire de l'industrie de la ville de Mulhouse, p. 308.

3. Voir sur la question controversée de cette invention, Machines et outils appropriés aux arts textiles par le général PoNCELET, p. 161 (Expos. de 1851).

4. Le coton en effet était très cher et de prix très variable; grand obstacle au progrès de la consommation. Le Pernambuco en 1806 valait à Paris 6 fr. 80 à 7 fr. 30 le kilo (Arch. nationales, Fi 533); en 1807 il est coté 8 fr. 10 et 15 fr. le kilo le coton Louisiane 5 fr. 40 et 10 fr. 20; le coton Surate 7 fr. Aussi, dans l'Eure, le coton filé nos 20 à 26 valait-il 18 fr. 60 à 21 fr. 10 le kilo; le tissu blanc 9 fr. 60 le mètre (Arch. nationales, F12 12502).

5. Décret du 7 mai 1810 et arrêté du 9 novembre 1810, Pour gagner le prix, il fallait présenter une machine pouvant filer des fils de chaîne et de trame pour mousseline et présentant une économie des huit dixièmes sur le prix du fil à la main. Un arrêté du comte de Montalivet du 11 novembre 1810 fixa au 13 mai 1813 le terme du

concours.

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6. CHAPTAL, de l'Industrie française, II, p. 23. Voir aussi Machines et outils appropriés aux arts textiles, par le général PoNCELET, 2o section, chap. I. Tout ce qui est relatif à cette question y est très clairement élucidé. Voir le Moniteur de 1810, p. 1276.

7. Il avait inventé différents systèmes de lampes, entre autres une lampe hydrotatique et une lampe à piston.

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fil de dentelles ». Cette variété même, dans une fabrique naissante et armée d'un mécanisme encore grossier, nuisit au succès. Girard, plus inventeur qu'industriel, alla fonder une autre fabrique, rue de Charonne. Mais les malheurs de la guerre ruinèrent les deux établissements. L'inventeur, un moment incarcéré pour dette, alla encore sans succès tenter la fortune à Vienne, pendant qu'un Anglais qui s'était frauduleusement procuré les modèles de la fabrique de la rue de Charonne, prenait un brevet à Londres. Vingt ans après, vers 1834, la filature du lin, perfectionnée en Angleterre, s'introduisit dans notre pays comme une importation étrangère. La France a l'honneur d'avoir fait la découverte et a eu longtemps le regret d'avoir méconnu l'inventeur. 2

C'était alors un spectacle nouveau que de voir des savants comme Conté, Fourcroy, Berthollet, Vauquelin, Christian, Molard descendre des spéculations du cabinet dans le détail des ateliers, et faire servir directement leurs études au progrès de la manufacture. Des liens se formaient ainsi entre deux classes d'hommes jusque-là étrangers les uns aux autres. Les industriels s'éclairaient : le rapporteur de l'Exposition de 1806 citait déjà avec éloge une fabrique de couleurs «< dirigée par des connaissances chimiques étendues ». Les savants, à leur tour, devaient gagner à ce contact journalier de la pratique qui allait servir d'épreuve à leurs théories, et multiplier autour d'eux les expériences d'où jaillissent souvent à l'improviste des conceptions neuves.

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« Le temps n'est pas bien éloigné, disait en 1818 Chaptal, où le fabricant se méfiait des conseils du savant, et cette méfiance n'était que trop fondée; dans l'état d'imperfection où était alors la chimie, elle ne pouvait se rendre compte de presque aucun phénomène ; et les appli

1. Dans son ouvrage sur l'Industrie française publié en 1818, CHAPTAL s'exprime ainsi (t. II, p. 23): « Pour appliquer la mécanique à la fabrication du lin, il fallait commencer par dissoudre le gluten qui lie les brins qui forment un filament; et je ne connais que M. Ph. Girard qui s'en soit utilement occupé. Cette opération préliminaire est indispensable pour la filature fine, et elle est avantageuse pour la grossière. Un établissement fondé sur ce principe avait été formé à Paris, sous la direction de M. Girard; mais le gouvernement d'Autriche a enlevé cet habile artiste à la France, et il vient d'établir cette industrie en Allemagne, près de Vienne, Les produits qu'il avait obtenus chez nous jouissaient déjà d'un grand crédit dans nos fabriques; il filait, à volonté, depuis le plus gros numéro jusqu'au fil de dentelles. »

Chaptal ajoute qu'avant Girard, Lafontaine avait établi à la Flèche une filature de lin et de chanvre par mécanique, mais qu'il s'était borné à produire le fil nécessaire aux toiles de Laval.

2. La filature mécanique du lin préoccupait l'empereur; car, pendant les Cent jours, on voit le président du concours pour le prix de 1 million convoquer, sur l'invitation du gouvernement, le jury: il y avait alors trois concurrents, dont un était américain. Arch. nationales, F12 638.

3. Moniteur de 1806, p. 1512.

cations d'une fausse doctrine faisaient dévier l'entrepreneur, au lieu de le diriger vers le but. Mais, du moment que la chimie est devenue une science positive, surtout lorsqu'on a vu des chimistes à la tête des plus grandes entreprises, et prospérer divers genres d'industrie entre leurs mains, le mur de séparation est tombé, la porte des ateliers leur a été ouverte, on a invoqué leurs lumières; la science et la pratique se sont éclairées réciproquement et l'on a marché à grands pas vers la perfection. »1

Classification des industries. - Dans un des derniers chapitres de l'Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789 nous avons dressé un tableau de la répartition géographique des industries à la fin du régime de la réglementation. Après dix années d'agitation révolutionnaire, le travail avait repris, pendant le Consulat et l'Empire, son cours normal, à l'exception de quelques déviations causées par la guerre et le blocus continental, et l'industrie était rentrée dans ses cadres réguliers. Elle s'y était développée de nouveau, dépassant sur certains points le chiffre que la production avait atteint sous le règne de Louis XVI, restant encore en deçà, sur un grand nombre de points. Il est intéressant de constater l'état dans lequel elle se trouvait et de dresser en quelque sorte un nouvel inventaire au commencement de l'ère de la liberté.

Nous le faisons beaucoup moins détaillé sous le rapport des noms de lieu qui n'avaient pas beaucoup changé ; nous indiquons seulement les centres les plus importants et certaines modifications qui se sont produites dans la répartition géographique. Nous ajoutons l'estimation de la valeur des principales industries en combinant les données de l'ouvrage de Chaptal sur l'industrie française et les statistiques de l'administration qui sont déposées aux Archives nationales. L'estimation de la quantité et de la valeur des produits manque assurément de précision; l'administration n'était pas alors suffisamment armée pour opérer mieux, et, quand l'empereur demandait une statistique, il

1. De l'Industrie française, t. II, p. 38. CHAPTAL, dans un autre passage (t. II, p. 112), s'exprime ainsi :

« La crainte et la méfiance séparaient des hommes qui tous dirigent leurs études vers le même but; aujourd'hui les rapports les plus intimes existent entre eux; le manufacturier consulte le savant, il lui soumet les difficultés qu'il rencontre, il adopte ses avis avec une entière confiance, et ils marchent de concert vers la perfection des arts; il serait difficile de fixer la limite où doit s'arrêter l'industrie, tant qu'elle sera dirigée par ce bel accord entre les lumières et l'expérience.

«En parcourant les nombreuses opérations des arts, j'eusse pu prouver qu'il n'en existe peut-être pas une seule qui n'ait reçu, de la chimie ou de la mécanique, quelque amélioration; mais j'ai voulu me borner à ce qui m'a paru le plus important et surtout à ce qui est l'effet immédiat de l'application de ces sciences. >>

2. De l'Industrie française, 2 vol. in-8, publiés en 1818 et composés presque exclusivement avec des matériaux datant de l'Empire.

n'avait guère la patience d'attendre qu'on en rassemblât normalement les éléments. Il convient de considérer les chiffres que nous en tirons moins comme des valeurs absolues que comme des indications sur l'importance relative des branches de l'industrie française.

L'industrie ayant pour objet de procurer à la consommation les produits dont les hommes font usage pour la satisfaction de leurs besoins, il est logique de conformer la classification des industries à l'ordre de graduation de ces besoins, alimentation, vêtement, logement, transport, besoins de luxe et besoins moraux et intellectuels. II y a nombre d'industries qui travaillent non pour la satisfaction directe des besoins de l'homme, mais pour fournir aux industries de consommation personnelle leurs matières et leurs moyens de production: on peut les nommer << industries préparatoires » ; elles se divisent en industries mécaniques et industries chimiques. Une telle classification ne saurait être rigoureusement délimitée; elle est néanmoins fondée sur la nature des choses. Chaptal disait déjà en 1818 : « On range les arts en deux classes, arts chimiques et arts mécaniques » ; mais il ne distinguait pas les industries préparatoires des industries de consommation personnelle.

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Métallurgie et industries préparatoires mécaniques. L'industrie minière et l'industrie métallurgique avaient repris à peu près l'activité qu'elles avaient eue avant 1789. Des rapports officiels de 1807 portent le nombre des houillères en exploitation l'un à 452, l'autre à 495,produisant 5 millions de tonnes, d'une valeur moyenne de 10 francs la tonne; le plus grand nombre était, il est vrai, situé en Belgique ; 3 il y avait 36 usines pour le plomb produisant une valeur de 4 millions 1/2, situées dans l'Aveyron, le Gard, l'Isère, etc., 11 pour le cuivre, 24 pour le sulfate de fer, etc.

La statistique du ministère des travaux publics accuse une production de 99,000 tonnes de fonte en 1812 sur l'ancien territoire de la France. L'administration relevait 1,199 usines à fer, ayant en feu un millier de hauts fourneaux qui produisaient chacun en moyenne 4,500 quin

1. Voir la classification des industries dans le Précis d'économie politique, par E. LEVASSEUR, p. 74 (édition de 1891) et dans la France et ses colonies, par E. LEVASSEUR, t. II, p. 169.

2. Op. cit., t. II, p. 3.

3. Sur le territoire de l'ancienne France, la statistique signalait 13 houillères dans la Loire, 9 dans l'Hérault, 6 dans le Nord, 6 dans l'Isère, 5 dans l'Allier, 5 dans Maine-et-Loire. La Statistique de l'industrie minérale donne, pour l'année 1802, 844,000 tonnes de houille dans l'ancienne France, pour l'année 1812, 836,000 tonnes (maximum) et 675.000 seulement en 1789. La production avait fléchi pendant la Révolution. Ainsi, dans le département du Nord (mines d'Anzin, etc.) la production, avait été de 250,000 tonnes en 1789 et de 220,000 en l'an IX. Statistique du département du Nord, par DIEUDONNÉ, préfet, 1804.

taux de fonte pendant les dix mois de travail de l'année; la valeur totale, à raison de 90 francs le quintal, est estimée dans ce document à 90 millions de francs. Elle ajoutait que le nombre des établissements était en réalité plus considérable; mais elle comprenait tout l'Empire français. Chaptal ne compte que 230 fourneaux et 86 forges à la catalane, 861 feux d'affinerie sur l'ancien territoire de la France. La Nièvre, la Haute-Saône, la Dordogne, la Haute-Marne, la Côted'Or, l'Orne figuraient sur l'ancien territoire français parmi les départements qui produisaient le plus. "

Un autre document signale aussi les Ardennes dont le fer était en grande partie employé par la clouterie de Charleville, l'Isère et le Mont-Blanc dont les produits étaient recherchés dans toute la France, les départements de l'Est dont Paris était le débouché ordinaire. 3

Il est dit dans ce mémoire que naguère on produisait 100 millions de kilogrammes de fer dans l'ancienne France et 50 millions dans les départements réunis, qu'aujourd'hui on en produit à peine en tout 120 millions.

Les essais de statistique de l'industrie du fer étaient alors très imparfaits et peu concordants. Un état de la fin de l'Empire donne les chiffres suivants au-dessous desquels nous plaçons, comme terme de comparaison, ceux de Chaptal :

1. Il dit qu'en 1789 il y avait 202 hauts fourneaux et 76 forges catalanes. Op. cit., t. II, p. 152. Le préfet DIEUDONNÉ nous apprend (Statistique du départ. du Nord, 3 vol., 1804) que pendant la Révolution les 14 forges de l'arrondissement d'Avesnes avaient été très actives; elles travaillaient au charbon de bois.

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En 1812, les forges du département de l'Orne occupaient 2,050 ouvriers, Annuaire de l'Orne, 1812, p. 153. Il y en avait dans l'arrondissement d'Alençon, 3 dans celui d'Argenton, 4 dans celui de Domfront, 4 dans celui de Mortagne (Annuaire de 1811). 3. Mémoire sur les forges de l'Empire en 1812, Arch. nationales, F12 95077. 4. Arch, nationales, F12 566.- · Dans l'état qui se trouve aux Archives nationales, il est dit que le fer valait 56 francs le quintal métrique, la fonte moulée 40 francs, l'acier 100 francs en 1811. CHAPTAL, de son côté, donne 64 francs comme prix moyen de la fonte en gueuse et 83 francs comme prix de la fonte moulée.

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