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le tout valant 81 millions. Les Flandres et les départements de la région rhénale s'ajoutaient sous l'Empire à la production indigène, et l'importation d'Espagne procurait de la laine fine. Chaptal, qui, par l'étendue de ses connaissances et par la situation qu'il avait occupée ou qu'il occupait dans l'administration et dans l'industrie, est la meilleure autorité qu'on puisse invoquer en matière de statistique agricole à cette époque, estime que la matière première employée avait une valeur de 93 millions et que le produit pouvait avoir, bénéfice du fabricant compris, une valeur de 238 millions. La façon doublait donc, et au delà, la valeur des lainages. Cet accroissement de valeur consistait pour les trois quarts environ en salaires; l'outillage n'était pas assez important encore pour que l'intérêt et l'amortissement du capital formassent une forte fraction du coût de production. *

Nous avons vu comment la mécanique s'était introduite dans l'industrie lainière. C'est Chaptal qui, pendant son ministère, protégea Douglas, l'installa dans l'île des Cygnes, poussa Ternaux et Décrétot à employer les machines, machines à ouvrer la laine, machines à carder, machines à filer la laine cardée, machines à lainer les draps. Chaptal a cité d'autres fabricants, Dobo, Richard, Charlieu, Morainville, qui ont apporté des perfectionnements à l'outillage; il disait (en 1818) qu'on « compte déjà en France plus de trois cents équipages complets de mécaniques et une quantité prodigieuse de machines détachées, soit pour la filature, soit pour le lainage, soit pour le tissage ». Il signalait l'emploi de la navette volante, « qui économise la main-d'œuvre d'un homme dans la fabrication des tissus larges et formera époque dans les annales du progrès des arts », le dégraissage des draps par l'urine et la potasse, qui ne laisse pas, comme la terre argileuse, d`impuretés dans le tissu.

Sedan et Louviers tenaient la tête de cette industrie, par la beauté de leurs draps fins et de leurs casimirs. En 1812, Sedan comptait 1,550

1. CHAPTAL, de l'Industrie française, t. I, p. 179. Chaptal donne la production par département de la laine mérinos, métisse et indigène, sans dire à quelle année elle se rapporte: peut-être à l'année 1810 ou 1812. Après le lavage et le dégraissage 6 kilogrammes de laine en suint donnaient en moyenne 1 kilogramme de laine fine et 1 kilogramme de laine ordinaire.

2. Dont 216 pour la consommation française dans les 86 départements et 21 pour l'excédent de l'exportation sur l'importation.

3. Prenant comme exemple le drap fin de Louviers, Chaptal calcule que par aune il coûte 12 fr. 60 en main-d'œuvre, 1 fr. 60 en matières accessoires (huiles, savons, chauffage, etc.), 2 fr. 50 en dépenses générales (outils, loyer, impositions, etc.).

4. Cette industrie, comme presque toutes les autres, avait souffert pendant la période révolutionnaire. Aussi le préfet DIEUDONNÉ, dans sa Statistique du département du Nord (1804) fait savoir que le nombre de pièces de sayettes (étoffe de laine peignée) fabriquées dans le département avait été de 58,708 en 1789 et de 11,328 seulement en l'an IX.

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métiers, 18,090 ouvriers, et livrait 37,297 pièces; Louviers, 3,980 métiers, mais comme ses fabriques produisaient des draps de grande largeur, le nombre des pièces n'était que de 3,680 en 1812. Abbeville, les Andelys, etc., travaillaient dans le même genre. Ternaux, Décrétot, Poupart de Neuflize étaient les fabricants les plus renommés. Elbeuf (775 métiers, 7,852 ouvriers, 21,480 pièces) et Darnétal (775 métiers, 1,852 ouvriers, 6,680 pièces), dont l'industrie avait fait de rapides progrès depuis la suppression des communautés d'arts et métiers, produisaient des étoffes de fantaisie valant de 10 à 35 francs l'aune; Grandin se distinguait dans ce genre. Aumale et le département de l'Oise étaient aussi des centres de draperie; Vire tissait de gros draps. Reims, qui occupait près de 20,000 personnes, excellait dans les mérinos fins pour châles, gilets et robes; ses métiers, au nombre de 6,265, en 1812, produisaient 926,864 pièces. Paris rivalisait avec Reims par la beauté de ses tissus. Dans le centre de la France, on citait surtout Orléans, Romorantin, Châteauroux. Dans le Midi, Carcassonne (290 métiers, 9,000 ouvriers, 12,000 pièces) et tout le département de l'Aude (Montolieu, Cenne-Monestiès, Limoux, Chala bre), qui approvisionnaient avant 1789 les marchés du Levant, avaient su trouver un placement en France pour leurs draps de qualité moyenne fabriqués avec les laines du Languedoc et les laines fines des Corbières.

Montpellier et surtout Lodève, fabrique très importante, avaient la spécialité des draps de troupe. Au nord de Lodève, les moutons des Causses fournissaient en abondance la laine commune avec laquelle les paysans du Tarn, de l'Aveyron, de la Lozère tissaient pendant l'hiver des cadis, tricots et serges; ces étoffes grossières, que des marchands venaient acheter dans les villages, étaient d'un grand débit. 5

1. CHAPTAL, op. cit., t. II, p. 121.

2. La fabrique de Châteauroux, fondée en 1740, ruinée par les assignats, avait été relevée par Teisserenc qui fournissait la garde impériale, Arch. nationales, F12, 95160. On peut citer aussi Montargis où Alexandre Périer avait établi une belle manufacture; il possédait dans l'Eure un grand troupeau de mérinos. Arch. nationales, F12 506.

3. CHAPTAL (t. II, p. 123) donne pour Montolieu, 135 métiers, 257 ouvriers, 1,830 pièces; pour Cenne-Monestiès, 95 métiers, 162 ouvriers, 1,202 pièces; pour Limoux, 250 métiers, 6,200 ouvriers, 10,834 pièces; pour Chalabre, 50 métiers, 600 ouvriers, 2,166 pièces.

4. Les fabricants de Lodève demandèrent à maintes reprises de participer à la fourniture pour l'habillement des troupes. En l'an IX ils exposaient leur misère et l'émigration de leurs ouvriers; le gouvernement leur fit souvent des commandes. Arch. nationales, F1 95160. On trouve dans le même dossier des demandes de commande provenant d'autres régions, Albi, la Somme, etc.

5. D'après des notes communiquées en 1810 par le duc de Bassano (Maret), chef du cabinet de l'empereur, au ministre de l'intérieur, voici les départements dans

La qualité des tissus, qui avait en général beaucoup baissé pendant la période des assignats, s'était relevée; mais en 1806, le rapporteur de l'Exposition se plaignait que les prix eussent notablement augmenté depuis la Révolution.

Coton. Le blocus continental rendait très difficile l'approvisionnement en coton. Il n'en venait presque pas d'Amérique; la fabrique française était alimentée principalement par le coton du Levant qui est gros et court et qui prenait presque toujours la voie très coûteuse de terre, par Vienne et le Rhin, plus tard par Trieste un peu par le coton de Naples et de Madrid qui était plus fin.' Aussi payait-on le coton très cher. Cependant l'industrie, stimulée par la possession

lesquels l'industrie de la laine était le plus pratiquée. Le (duc de Bassano prévient son collègue que la statistique qu'il fournit est incomplète, que beaucoup de fabricants n'ont pas répondu, qu'on n'a pas les mêmes moyens d'information qu'au temps où il y avait des inspecteurs.)

Ardennes. 34,000 ouvriers.

Aude. Draps dans l'arrondissement de Carcassonne, 950,000 mètres avant la Révolution, 540,000 en 1801, dont 378,000 pour le Levant.

Aveyron. Cadis (la consommation en a beaucoup diminué depuis la suppression des moines).

Calvados. Frocs de Lisieux, industrie qui date de 1500 et occupe environ 6,000 personnes; ce tissu est employé pour la troupe; le département fait aussi des molletons et des flanelles; gros draps de Vire, etc. (Voir les échantillons, F12 240.) Corrèze. Gros draps de pays.

Gard. Cadis fabriqués à Sommières.

Haute-Garonne. Fabrication de lainages malgré la ruine des fabriques de la Terrasse et Hauterive.

Hérault. « Lodève est en quelque sorte un seul et vaste atelier »; 20.000 ouvriers dans un rayon de 10 lieues. En outre, Clermont, Bédarieux, Saint-Pons.

Indre. Lainages à Châteauroux, à Issoudun.

Loir-et-Cher. Manufacture de draps tombée; cependant la laine occupe cinq à six mille fileuses et 4,000 ouvriers.

Marne. 3,000 métiers pour draps, 238 fabricants et 30,000 ouvriers. Couvertures, 1,200 ouvriers et 40,000 couvertures. Avec les rebuts on fait des étoffes grossières pour paysans.

Nord. Filature et peignage à Tourcoing, etc.; tissage des draps, tricots à Tourcoing, Roubaix, Lannoy; camelots à Lille.

Oise. Industrie importante, répandue en divers lieux.

Bas-Rhin. 30 fabriques de draps pour la troupe (Bischwiller, etc.).
Haut-Rhin. Lainages à Sainte-Marie-aux-Mines, 1,000 ouvriers.

Seine-Inférieure. 189 établissements, 28,280 ouvriers: Rouen, Darnétal, Aumale, Elbeuf, etc. A Elbeuf il y a 68 fabricants établis dans la ville avec 4,700 personnes qui font 11.900 pièces de 36 à 40 mètres, et en outre, plus de 60 fabricants sans atelier fixe.

Deux-Sèvres. 267 fabriques de lainages, tiretaine, etc.

Somme. Lainages très variés; draps d'Abbeville, casimirs d'Amiens, velours d'Utrecht, calmoucks, tiretaine.

Sarthe. Etamines, 100 métiers, 1,500 personnes.

1. Mais on n avait que 3 à 4 millions de livres de ce coton.

presque exclusive du marché continental sur lequel les tissus anglais ne se frayaient l'accès que par contrebande, prit pendant cette période un large essor. La filature était la fabrication dont la mécanique s'était le plus complètement emparée : nous venons d'en parler, Pouchet de Rouen, Calla de Paris, Lafontaine, Albert, Welther sont les inventeurs que Chaptal cite comme ayant perfectionné les mulljennies et les métiers continus.2

En 1818, Chaptal dit qu'il y avait en France 220 filatures mécaniques, dont 60 étaient considérables. Le nombre des broches était, d'après lui, en 1812, de 133,448 dans la Seine, de 111,572 dans le Nord, de 98,231 dans la Seine-Inférieure, de 83,976 dans le Rhône, de 66,116 dans la Somme, de 61,340 dans l'Aisne, de 56,782 en Seine-et-Oise, de 54,404 dans l'Aube; le Haut-Rhin et le Pas-de-Calais venaient ensuite avec 47,908 et 40,920 broches; en tout 1,028,642 broches dans 45 départements. Mais ses chiffres ne concordent nullement avec ceux d'un tableau dressé par la direction de la statistique pour le mois de mai 1808, et quoique plusieurs parmi ces derniers paraissent peu vraisemblables, la comparaison confirme les doutes que nous avons sur la valeur générale des renseignements statistiques du temps.3

Chaptal estimait en 1806 la production de fil à 66 millions de francs ;4 elle augmenta dans les années suivantes; par un calcul problématique, il la porte pour l'an 1812 à 13 millions 1/2 de kilogrammes.5

D'après Chaptal, trois départements, la Seine-Inférieure, l'Aisne et la Somme, possédaient plus de 10,000 métiers ; le nombre serait six et sept fois plus considérable d'après un document administratif qui se trouve aux Archives nationales ; c'est évidemment que les deux relevés ont été faits sur une base différente, et il est probable que l'un et l'autre ne donnent que très imparfaitement l'état des choses. Rouen, Lille avec Rou

1. CHAPTAL, op. cit., t. II, p. 8.

2. Le préfet DIEUDONNÉ, dans sa Statistique du département du Nord (1804) fait connaître le progrès déjà accompli par la mécanique pendant la Révolution. Il dit qu'à Lille et à Douai, il y avait, en 1789, 263 mécaniques et 848 rouets, et en l'an IX, 2,680 mécaniques et 634 rouets. On faisait surtout du fil pour le tissage des nankins; le prix en avait à peu près doublé.

3. La direction de la statistique a dressé un « Etat comparatif des filatures et fabriques de tissus de coton en mai et en juin 1808 dans quelques départements ». Le document est incomplet; néanmoins il n'est pas inutile de reproduire comme

4. A cette époque, on ne filait pas en France au-dessus du no 60. Tarare faisait venir son fil d'Angleterre.

5. CHAPTAL, op. cit., t. II, p. 15.

6. Seine-Inférieure, 10,887; Aisne, 10,740; Nord, 10,129. A la suite viennent le Rhône, 7,865; la Somme, 5,166; l'Hérault, 3,800; le Haut-Rhin, 3,643, etc.- Voir pour la comparaison la note précédente. Voir aussi sur la valeur des statistiques industrielles de l'Empire la note de la page 433.

2. Calicots, basins.

3. Basins, calicots.

baix et Tourcoing, Paris et environs, Amiens, Yvetot, Saint-Quentin, Tarare, Bar-sur-Ornain, Vire, Strasbourg, Alençon, Evreux, Le Havre étaient les centres principaux de l'industrie cotonnière, pratiquée soit dans des fabriques par des ouvriers et ouvrières embrigadés, soit dans les chaumières par des paysans cultivateurs. Tarare était renommé pour ses mousselines, Saint-Quentin pour ses percales et ses basins 1.

terme de comparaison l'état en mai des arrondissements qui avaient plus de 10 établissements ou plus de 10,000 broches (Arch. nationales, F12 1558):

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1. Ce sont des calicots, draps de coton, piquets, futaines, siamoises, basins.

4. Nankins, calicots.

5. Nankins, siamoises, toiles de coton, rouenneries, percales, basins.

1. D'après les notes fournies en 1810 par le duc de Bassano au ministre de l'intérieur (Arch. nationales, F12 628), voici les départements dans lesquels l'industrie du coton était la plus pratiqué :

Aisne. 10 à 12 filatures, 3,908 métiers à tisser, 6,012 ouvriers. Un autre document, F12 333, donne 6 filatures dont la plus petite, celle de Guise, avait 1,000 broches, la plus forte, à Saint-Quentin, 25,000; 75,000 personnes employées en tout. Aube. En 1801, 1,480 métiers et 32,100 pièces.

Bouches-du-Rhône. « Le droit prohibitif sur le coton étranger a donné un tel essor à la filature au petit rouet qui ne faisait que languir depuis bien des années, que cette industrie occupait déjà en 1806 plus de 6,000 individus, enfants, infirmes, vieil

NOMBRE

de métiers à tisser.

NOMBRE

d'ouvriers au tissage.

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