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la vente des étoffes, ne comprenait pas moins de 80,000 personnes. Saint-Etienne et Saint-Chamond, qui avaient adopté le métier à la zurichoise, tissaient des rubans dont la fabrication, répandue dans tout le département, n'occupait pas moins de 8,210 métiers et de 15,453 ouvriers en 1812. Dans la Haute-Loire, Saint-Didier (550 métiers et 1,200 personnes) était une succursale de Saint-Etienne. Avignon et Nîmes (4,910 métiers et 13,695 ouvriers) étaient des centres actifs, fabriquant des taffetas, des gazes, des étoffes mélangées de soie et de coton qui avaient repris faveur depuis le Consulat. Tours (300 métiers et 960 ouvriers) ne faisait plus guère que des étoffes d'ameublement. Paris, au contraire, développait sa fabrication d'étoffes de luxe. 2

A cette époque les fabriques de Crefeld et d'une partie de l'Italie du nord étaient comprises dans les statistiques françaises.

Chaptal classe à part la passementerie, « industrie plus parfaite et plus répandue en France que dans aucun autre pays », dont Paris était la principale fabrique et à laquelle il croit pouvoir attribuer une valeur de 7 millions. Il ne fait pas une place spéciale à la bonneterie, qui bien que moins importante que sous l'ancien régime, florissait encore dans la Seine-Inférieure, le Calvados, l'Eure, la Seine, ni à la dentelle," qui, abandonnée pendant la Révolution, était redevenue à la mode et

1. On comptait déjà 1,200 métiers à la zurichoise à Saint-Etienne en l'an XII. Avec ce métier, l'ouvrier faisait trente pièces de rubans dans le temps employé auparavant pour en faire une. Le Conseil de commerce de Saint-Etienne et les industries locales, par J. GRAS, p. 54.

2. Voici, extraits du document des Archives nationales déjà cité (F12 628), les renseignements, très incomplets d'ailleurs, qu'on trouve sur la répartition de l'industrie de la soie :

Gard. Fabriques de soieries à Nîmes.

Loire. Rubans à Saint-Etienne et à Saint-Chamond, la fabrique la plus importante de l'Europe, quoique bien diminuée depuis la Révolution. La mode a changé; au lieu de 15 à 17 millions dont la moitié était exportée, on fait 4 millions 1/2 dont 1 million est exporté ; le nombre des ouvriers, qui était de 40,000, est tombé de même. La fabrication se fait sur des métiers importés de Suisse depuis quarante-cinq ans. « L'usage de ces métiers que les ouvriers redoutaient est au contraire ce qui a fait prendre un grand essor à la manufacture et l'a portée au point de splendeur où elle était il y a vingt ans. >>

3. Voici d'après le même document (F12 628) les principaux départements où l'industrie de la bonneterie était exercée :

Eure. 1,150 métiers, surtout à Evreux.

Eure-et-Loir. Bonneterie de laine à l'aiguille et bonnets tunisiens en Beauce. Gard. Bonneterie de soie à Suippes, déchue à cause des droits prohibitifs en Espagne; cependant 1,500 métiers à Nîmes, au Vigan, à Anduze, à Alais, etc.

Loire. Bonneterie a diminué; cependant 500 métiers et 2,000 personnes. Bonnets au métier, industrie tombée de 1,600 métiers (en 1760) à 100 (en 1806). Bonnets tunisiens occupant 3,800 femmes et 400 ouvriers, produisant 25,000 douzaines. Seine-et-Marne. Bonneterie dans les villages.

Seine-Inférieure. 281 établissements, 1,517 ouvriers, 41.200 douzaines de bas valant 1,883,000 francs. Le préfet Beugnot donnait en 1805 un renseignement très différent :

occupait beaucoup de bras en Normandie (Orne et Calvados), dans l'Auvergne et le Velay (Haute-Loire, Loire, Puy-de-Dôme), dans les environs de Paris, dans le Nord et le Pas-de-Calais.

Il n'était pas rare que plusieurs industries textiles fussent pratiquées dans le même département, mais il y en avait d'ordinaire une qui

4,000 métiers et 150,000 douzaines valant 6,750,000 francs.

Deux-Sèvres. Bonneterie de Saint-Maixent.
Haute-Saône. Bonneterie commune.

Seine. 1,603 ouvriers.

Somme. Montdidier, Péronne.

Calvados. 1,750 métiers (dont 1,000 à Caen).

1. D'après l'Annuaire de l'Orne, année 1810, on faisait deux espèces de points d'Alençon, le réseau, qui était léger, et la bride, qui était plus solide. Avant 1806 le travail de la dentelle, surtout à Alençon et à Argentan, occupait plus de 2,000 ouvrières gagnant 0 fr. 75 à 1 fr. 50 et même 2 fr. par jour; mais depuis 1806, l'industrie dentellière étant languissante, il y avait à peine 1,200 ouvrières occupées, et l'Annuaire de 1812 (p. 153) n'estime la valeur du produit qu'à 175,000 francs, ce qui suppose un salaire très faible.

2. D'après le document F12 628 des Archives nationales :

Calvados. Dentelle de soie a occupé jusqu'à 60,000 personnes importante encore quoique bien réduite.

Loire. 1,200 femmes pour la dentelle dans le canton de Saint-Bonnet.

Haute-Loire. Blonde et dentelle de soie, occupant 3,000 personnes et produisant 2,500,000 francs; est déchue aujourd'hui.

Pas-de-Calais. 19,000 ouvrières, produit 720,000 francs.

Orne. A Alençon et Argentan, la production était encore de 1,200,000 francs en 1802; tombée à 600 ouvriers.

Puy-de-Dome. Dentelle importante.

Cette statistique omet, entre autres centres de production, le Nord (Bergues, Bailleul, Lille, Valenciennes).

3. Nous citons comme exemple de la répartition du travail dans les industries textiles le département de l'Eure, où le classement des archives postérieures à la Révolution facilite les recherches. Dans le premier semestre de 1817 (date postérieure à l'Empire, où l'industrie du coton avait plutôt diminué qu'augmenté, n'étant plus couverte par le blocus continental et ne l'étant pas encore complètement par le protectionnisme de la Restauration), le département comptait: dans l'industrie cotonnière qui produisait surtout des piqués et des nankins, 7,660 mull-jennies et métiers continus, 810 métiers à tisser, 1,640 métiers de bonneterie, 5,460 artisans ou ouvriers (1,200 fileurs, 810 tisserands, 1,640 bonnetiers, 170 imprimeurs, 1,720 autres ouvriers); dans l'industrie linière, 2,150 métiers, 11,880 artisans et ouvriers (7,980 filant au rouet, 2,140 employés au tissage,1,760 employés autrement); on avait consommé dans le semestre 38,000 kilos de coton et fait des pièces de toile pour une valeur de 39,600 francs et 500,000 pièces de rubans d'une valeur totale de 200,000 fr.; dans l'industrie lainière, 12 filatures, 518 métiers fabriquant surtout du drap, 7,228 ouvriers (un autre état donne 7,669 ouvriers dont 4,236 pour les draps fins); la consommation avait été de 116,000 kilos de laine et les tissus produits dans le semestre avaient une valeur de 2 millions de francs (valeur,très inférieure à la moyenne; car un autre état donne 4,200,000 francs pour les draps fins seulement pendant une année). La draperie était la plus importante industrie textile du département. (Il s'en faut de beaucoup que l'ensemble des industries textiles dans le département de l'Eure produise autant au commencement du xxe siècle qu'il produisait alors.)

donnait à ce département sa caractéristique. En général, le développement d'une industrie textile était dû principalement à la possibilité de se procurer facilement la matière première sur place : la laine dans les régions de pâturages à moutons, le chanvre et le lin dans le nord-ouest et le nord de la France, la soie dans le bassin du Rhône, le coton à proximité des ports de Rouen et du Havre dans des régions où existait dejà une nombreuse population habile au tissage.

D'après la statistique conservée aux Archives nationales, la valeur totale des produits de l'industrie textile, y compris 22 millions pour les tissus mélangés, se serait élevée à près de 500 millions.1

1. 488 millions. La statistique industrielle était alors très imparfaite et les chif fres qu'elle fournit ne doivent être considérés que comme des évaluations approximatives. Cependant le gouvernement, désireux d'être renseigné avec précision, com prenait l'importance de la statistique. « La statistique est le budget des choses, a dit plus tard Napoléon. » Pendant son ministère, CHAPTAL, désireux, comme il le dit (Mes souvenirs sur Napoléon, p. 101), « de connaître enfin les richesses de la France et d'avoir une statistique générale de ses produits », organisa un bureau spécial, et envoya aux préfets un modèle d'états à remplir. Vingt-cinq à trente préfets, ajoute-t-il, répondirent,et six ou sept mémoires furent imprimés. Dans un autre passage (p. 354), Chaptal dit que Bonaparte fatiguait ses ministres par une correspondance journalière. « Il demandait des états qui, pour être exacts, auraient exigé un travail de plusieurs semaines et il les demandait sur l'heure... Si on se bornait à lui présenter des aperçus on excitait son mécontentement. Il valait mieux mentir avec audace que de retarder pour pouvoir offrir la vérité... C'est sur des bases aussi hasardées qu'on a établi plusieurs fois l'état des fabriques, celui de l'agriculture, etc., et c'est d'après cela qu'on donna à la France pour quelques milliards de commerce et d'industrie dans les temps les plus calamiteux. »

On trouve dans les Archives nationales des dossiers remplis de bulletins imprimés que sous le Consulat et l'Empire, le ministère envoyait aux administrations pour répondre à des questions sur les fabriques, sur les ouvriers, etc. En 1810,le ministre de l'intérieur voulut qu'on dressât une statistique générale; mais il donna trop peu de temps pour qu'elle fût bien faite. « Ce travail, écrit le directeur de la statistique,devait être fourni en trois jours, et une telle rapidité d'exécution n'a pu permettre de profiter que très partiellement des immenses renseignements de toute espèce qui sont déposés dans le bureau de statistique. » C'est la direction de la statistique qui s'adresse ainsi au ministre des manufactures et du commerce. Celui-ci écrit au ministre de l'intérieur qu'on n'a pu donner que des produits en masse, des quantités approximatives, des résultats généraux. « Votre Excellence a pu être intérieurement pénétrée de son insuffisance » ; et il ajoutait qu'il avait d'avance préparé des tableaux et une circulaire aux préfets pour dresser la statistique de l'an 1811. « S. M. l'empereur, disait-il dans cette circulaire, m'a chargé de mettre tous les ans sous ses yeux le tableau général de la situation de son empire. Déjà la statistique industrielle et manufacturière de 1810 a été présentée à Sa Majesté par le ministre de l'intérieur. Il reste aujourd'hui à faire celle de 1811... » Arch. nationales, F12 1558.

En 1810, à propos de la statistique industrielle, le duc de Bassano écrivat au ministre de l'intérieur que les tableaux concernant cette statistique n'existaient pas dans ses bureaux; qu'il avait extrait des portefeuilles de Sa Majesté les renseigne ments qu'il communiquait, et il demandait qu'on les lui renvoyât promptement. Arch, nationales, F12 628.

La teinturerie, qui se rattache aux industries textiles, figurait en outre dans cette statistique pour 10 millions 1/2. Elle s'était enrichie par les travaux des chimistes de couleurs nouvelles et de procédés ingénieux pour l'application des couleurs. C'est ainsi que le bleu Raymond s'était appliqué à la soierie, et que dans les cotonnades le rouge d'Andrinople avait pris plus d'éclat.

Les chiffres concernant la production que nous avons cru utile de placer sous les yeux des lecteurs ne sont que des évaluations plus ou moins vagues fournies par les administrations centrales ou départementales. Ils sont peut-être moins près de la réalité que ceux que Chaptal n'a acceptés qu'après examen critique; néanmoins ils donnent une certaine idée de l'importance relative des industries. Une statistique exacte de la valeur de la production eût été d'autant plus difficile à établir alors que le tissage se faisait surtout dans les campagnes, particulièrement celui de la toile de ménage dont le chanvre, récolté dans le jardin, était filé en famille et dont une partie seulement paraissait sur le marché.

Industries diverses. La chapellerie, qui exportait beaucoup avant 1789 (surtout Lyon et Marseille), avait perdu le marché étranger, mais le marché intérieur était devenu plus important parce que l'aisance des campagnes accroissait la consommation. Paris, Lyon, Strasbourg étaient les principaux centres de fabrication et de vente. Chaptal porte le nombre des chapelleries à 1,159, occupant 17,000 ouvriers et produisant une valeur de 19 millions 1/2, et même, après la dernière façon du détaillant, de 27 millions 1/2.3

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La verrerie était une des industries qui avaient profité de la science. Sur l'ancien territoire français, Chaptal comptait 185 établissements produisant une valeur de 20 millions 1/2. Le cristal était fabriqué dans la verrerie de Saint-Louis depuis 1787, dans la verrerie de Vonèche (près de Givet) fondée en 1800 par Dartigues, et au Creusot par Fougerais avec du minium importé d'Angleterre ; la France pouvait fournir à l'astronomie le flint-glass qu'elle demandait auparavant aux Anglais.

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1. Quelque imparfaites que soient ces statistiques, elles permettent du moins au lecteur d'en savoir autant qu'en savaient les contemporains les mieux informés. 2. Le document des Archives nationales ne donne que 12 millions.

3. Chaptal donne 20 francs comme prix d'un chapeau de soie au détail.

4. Le cristal, 2 millions 1/2 ; le verre blanc et la gobeletterie, 8 millions; le verre noir, 10 millions. Dès 1787, Beaufort, directeur de la verrerie de Saint-Louis, avait pu présenter à l'Académie des sciences des imitations du flint-glass anglais.- Voir le Verre, son histoire, sa fabrication, par PELIGOT,

5. La fabrique de Vonèche datait de 1802. Dartigues, après 1815, transporta son établissement à Baccarat. Les premiers essais de fabrication du cristal avaient été faits à Saint-Louis en 1784.

Grâce à Brongniart, directeur de la manufacture de Sèvres, la porcelaine avait fait, sous le rapport de la fabrication, des progrès sensibles. Certains procédés et l'emploi des fours économiques Dihl et Guerhard avaient perfectionné la peinture sur porcelaine. De nouvelles fabriques étaient rétablies: on en comptait 60, dont 22 à Paris; la plupart ne faisaient que de la porcelaine blanche.' La porcelaine opaque dont l'Angleterre avait eu longtemps le monopole commençait à se substituer à la faïence. La poterie grossière était, sous l'empire comme sous l'ancienne monarchie, fabriquée dans un grand nombre de localités.

Le meuble occupait à Paris dix à vingt mille ouvriers et la valeur annuelle de la production était d'une douzaine de millions.« Les meubles riches que l'on fabrique à Paris, dit Chaptal, sont recherchés dans toute l'Europe à cause de l'élégance des formes, de la beauté des ornements, de la solidité de la construction. » Il ajoutait que cette fabrication, qui n'était presque pas connue dans les départements avant la Révolution, s'était établie dans les principales villes et que la production totale des meubles riches s'élevait probablement à 16 millions. Quant à la production des meubles grossiers faits avec des bois indigènes, elle était, comme par le passé, très répandue.'

La manufacture des glaces de Paris et celle de Saint-Gobain, «< connue de toute l'Europe et sans rivale », n'avaient rien perdu.*

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L'horlogerie, que le rapporteur de l'Exposition de 1807 disait être « portée au plus haut point de perfection et la plus parfaite de l'Europe », avait comme principaux représentants Bréguet, Janvier, Pons, Lepaute, Robin, Robert Besançon. Japy fabriquait en grand à Beaucourt des blancs de montre. D'autres fabriques s'étaient établies et le prix s'était abaissé on pouvait avoir une montre d'argent pour 12 francs, une pendule pour 50 à 60 francs. Aussi l'usage des montres et des pendules s'était-il répandu et l'ornementation des pendules avait stimulé l'industrie du bronze. Chaptal évaluait à 9,000 le nombre des ouvriers que l'horlogerie occupait à Paris, et les produits à 20 millions.

1. Chaptal estimait à 5 millions la valeur de la porcelaine.

2. Dans le Nord où cette industrie était importante, Lille et Valenciennes fabriquaient de la porcelaine; Bailleul, Ferrière-la-Petite, Lille, Maubeuge, de la faïence. DIEUDONNÉ, Statistique du dép. du Nord.

3. CHAPTAL, op. cit., t. II, p. 199. La statistique officielle de 1810 évalue seulement à 18 millions la production annuelle de l'ébénisterie et de la tabletterie.

4. La manufacture de Tourlaville, qui, sous l'ancien régime, était une dépendance de la manufacture de Saint-Gobain avait été fermée.

5. CHAPTAL cite (t. II, p. 333) comme perfectionnements introduits par Bréguet le parachute, le tourbillon, l'échappement naturel et l'échappement double.

6. CHAPTAL (op. cit., t. II, p. 163) dit qu'avant 1789 on fabriquait par an 200,000 montres en France et qu'on en fabriquait 300,000 à la fin de l'Empire; on fabriquait, dit-il aussi, 5,000 pendules par an.

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