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les académies (8 août 1793), et dans l'Institut national qu'elle avait créé (décrets du 5 fructidor an III et du 3 brumaire an IV, loi du 15 germinal an IV), elle n'avait donné qu'une place restreinte aux beaux-arts confondus dans la troisième classe de l'Institut avec la littérature. Le décret de réorganisation de l'Institut (3 pluviôse an XI, 3 janvier 1803) institua une classe des beaux-arts composée de 28 membres répartis en quatre sections (peinture, sculpture, architecture, gravure). La majorité des membres des anciennes académies resta en dehors de la nouvelle organisation.

David avait présenté au premier consul Fontaine et Percier, deux jeunes architectes pénétrés comme lui de l'amour de l'antiquité. Fontaine était surtout l'homme du monde et le bâtisseur, Percier l'artiste de cabinet et le professeur savant : ils ont uni leurs destinées et leurs noms sont pour ainsi dire inséparables. Ils ont été élus membres de l'Institut la même année (1811), à quelques jours de distance. Ils ont eu la singulière fortune de rester, sous trois régimes divers, des architectes très influents, travaillant ensemble sous le Consulat et l'Empire comme architectes du Palais des consuls, puis du Louvre, dirigeant le conseil des bâtiments civils, restaurant les châteaux de la Malmaison, de Compiègne, de Fontainebleau et les Tuileries, continuant le Louvre qu'ils enrichirent d'un escalier monumental, élevant l'Arc de triomphe du Carrousel et le monument de Desaix; puis, après l'Empire, Percier se consacrant presque exclusivement à l'enseignement et formant au culte de l'antique un grand nombre d'élèves, Fontaine qui avait été nommé en 1814 premier architecte de l'empereur demeurant dans la vie active. Tous deux apportèrent dans l'ornementation les principes de sobriété des lignes et d'imitation de l'antique que David professait en peinture, Percier plus classique, Fontaine un peu plus éclectique. Une des œuvres les plus remarquables des deux amis est l'Arc de triomphe du Carrousel, réminiscence des arcs romains dont l'originalité principale consiste dans le costume moderne des personnages. 2

Rondelet (1734-1829), chargé de l'achèvement du Panthéon, auteur du Traité de l'art de bâtir, Brongniart (1739-1813), architecte de la Bourse et du lycée Condorcet, fidèle imitateur de l'antique quoiqu'il ait usé parfois dans la décoration d'éléments empruntés au XVIIIe siècle, Gondouin (1737-1818), constructeur de l'Ecole de médecine, et en collaboration avec Le Père, de la colonne Vendôme, 3 Père le 1. Percier, né en 1764, mort en 1838; Fontaine, né en 1762, mort en 1853. 2. Nous croyons utile de donner les noms des principaux artistes, en y ajoutant quelques mots sur le caractère de leur œuvre, pour bien faire comprendre l'influence que l'art a exercée sur le goût public et, par suite, sur certains travaux industriels. 3. Percier avait, en 1792, quand il était alors à Rome, envoyé les dessins de la colonne Trajane. La colonne de la place Vendôme a été faite sur le modèle de cette colonne.

jeune (1739-1822), amoureux de l'antique tout en ayant l'esprit libéral, et Père neveu (1770-1843), Chalgrin (1738-1811), favorisé comme Père de nombreuses commandes du gouvernement, auteur de SaintPhilippe-du-Roule et du plan de l'Arc de triomphe de l'Etoile, 1 étaient attachés plus étroitement encore peut-être que Percier et Fontaine aux théories classiques de l'antiquité.

Raymond (1742-1811), Baltard (1764-1846), Bellanger (1744-1818), Ledoux (1736-1806), constructeur très critiqué des massives et bizarres barrières de Paris, manifestaient plus d'indépendance. Mais quoique la jeune génération commençât à secouer le joug du classicisme gréco-romain, l'ensemble des édifices publics construits durant la période napoléonienne porte le cachet de cette école dont l'influence a été alors considérable sur les arts industriels.

La peinture a été plus variée que l'architecture. L'école classique s'y partageait en deux camps.

David régnait dans le premier, professant en oracle le dogme de l'idéalisme fondé sur l'étude de l'antique et la supériorité du dessin sur le coloris. De son atelier, très fréquenté, sortirent des centaines d'élèves dont quelques-uns s'émancipèrent grâce à leur originalité propre, mais dont la majorité resta asservie à une forme conventionnelle. Ils exagérèrent ses défauts, sans posséder son talent, quoiqu'ils ne fussent pas eux-mêmes sans mérite: Debret (1768-1848), Gautherot (1769-1825), Mme Benoist (1768-1826), Mme Mongez (1775-1835), Bouchet (1770...), Abel de Pujol (1785-1861).

Les «Primitifs », dont Broc (1780-1850), imitateur du Pérugin, est le plus connu, étaient des dissidents qui ont eu peu d'influence, quoiqu'on ait rattaché à leur doctrine deux pensionnaires de l'école de Rome destinés à devenir des peintres en renom, Ingres et Heim.

Deux artistes sont à citer à côté de l'école davidienne. Girodet-Trioson (1767-1824), qui se disait lui-même le pupille de David, est en réalité très personnel et flottant dans ses principes; le peintre du Sommeil d'Endymion, de la Sépulture d'Atala, de la Révolte du Caire et de la Scène du Déluge, composition invraisemblable que le jury de 1810 plaça cependant avant l'Enlèvement des Sabines, de David, mérite une place à part; la correction de son dessin et la froideur de son coloris le rapprochent de David, malgré les efforts qu'il a faits pour être pittoresque.

Guérin (1774-1833), élève de Regnault, s'en rapproche aussi. Son Marcus Sextus revenant de l'exil, exposé au Salon de 1799, était peint à la manière de David avec une nuance de sensibilité qui lui valut,

1. L'Arc de triomphe de l'Etoile, pour lequel Raymond avait donné un plan que des critiques d'art ont jugé supérieur, était déjà élevé de 5 m. 40 au-dessus du sol quand Chalgrin mourut.

surtout à cause des circonstances, un succès d'enthousiasme. Si le public et la critique firent ensuite sous l'Empire un accueil beaucoup plus réservé à son style rectiligne et dramatique à froid, son atelier fut très fréquenté; mais ses meilleurs élèves échappèrent par des voies diverses à la froideur monotone de sa manière.

Les maîtres du second camp classique étaient Vien (1785-1809), peintre et professeur estimable qui ne donna pas dans les excès du système idéaliste et qui fut salué chef d'école sans en avoir l'autorité, mais qui a au moins le mérite d'avoir été l'initiateur de David; Vincent (17461809), son élève, bon portraitiste, qui, modéré en théorie, condamnait l'idéalisation absolue et conseillait de prendre la nature pour principal modèle, dessinateur correct et fidèle, peintre un peu terne, honoré de toutes les distinctions et plus réellement chef d'école que son maître; Regnault (1754-1829), artiste d'un véritable mérite, ayant le dessin pur et la touche gracieuse, moins favorisé du gouvernement que David.mais très aimé de ses nombreux élèves et récompensé par leurs succès. Dans le même groupe peuvent être classés Lemonnier (1743-1824), Ménageot (1744-1816), Garnier (1759-1849), Meynier (1768-1832), qui traite avec grâce des sujets aimables, Mérimée (1765-1836), Mme Auzon (1775-1835), Bergeret (1782-1863), même Carle Vernet (1758-1836) à qui son dessin valut, malgré sa couleur, de grands succès, et Lethière (1760-1832), que rendit célèbre le Brutus condamnant ses fils. Ces peintres ont des qualités diverses, mais en général plus de grâce et de laisser-aller que les davidiens.

Gérard (1770-1831), auteur de la Psyché, mérite une place à part; il se rapproche de David par son dessin souvent idéaliste, mais il s'en éloigne par le toucher délicat et l'expression sincère de ses nombreux portraits. Dutertre (1753-1842), Augustin (1759-1832), Aubry (17671851) sont des miniaturistes qui ne manquaient pas de talent. Le plus célèbre en ce genre est Isabey (1767-1855) qui, quoique ayant reçu en dernier lieu les leçons de David, a un coloris frais qui est un des charmes de son œuvre et qui fut très choyé du public comme de la cour. Prudhon (1758-1823) est au-dessus de Girard par le sentiment et la grâce. C'était un enfant du peuple, un mélancolique dont l'existence a été longtemps besogneuse et qui, malgré son talent, a percé tardivement. Il avait fait sous le Directoire, des illustrations pour le « Daphnis et Chloé » de Didot. Grâce à l'amitié de Frochot il obtint un logement à la Sorbonne et peignit pour le Palais de justice une de ses plus belles toiles, La vengeance et la justice divines poursuivant le crime qu'il exposa en 1808 en même temps que l'Enlèvement de Psyché par les Zéphyrs. Ces tableaux lui valurent une grande renommée et de nombreuses commandes. C'était un indépendant qui fut admiré, mais ne fit pas école.

Thévenin (1764-1838) et Lejeune (1775-1848) dans la peinture mili

taire; Momal (1754-1832) et Revoil (1776-1842), Swebach dit Fontaine. (1769-1823), peintre de genre spirituel mais froid: Boilly (1771-1845) dont les peintures, trop émaillées, étaient fêtées par la foule; Roehn (1780-1867), spirituel aussi, quoiqu'un peu sec; Mlle Lorimier, Fleury Richard (1777-1852), Valenciennes (1750-1819), qui a transporté le système idéaliste dans le paysage et a exercé sur ce genre une influence très notable; Bertin (1775-1842), son élève, qui s'asservit moins que lui à la convention et exerça presque autant d'influence; Tauny (17551830), paysagiste habile, mais ayant le coloris froid et sachant médiocrement représenter les animaux; Granet (1775-1849) qui renouvela, en le modifiant, le genre d'Hubert Robert; van Spaendonck (1746-1822), van Dael et Redouté (1789-1840), peintres de fleurs, trop vantés de leur temps, sont aussi à citer. 1

Aucun n'égala alors par le succès, on peut même dire par l'art de la grande composition, Gros (1775-1835) dont la renommée balança celle de David. Gros fut novateur d'instinct, en restant néanmoins par principe fidèle à son maître qui, tout en le louant, ne laissait pas d'être quelque peu jaloux d'un élève dont les toiles, admirées au Salon et dignes en effet de l'être, étaient une protestation contre son système. Il cherchait moins la régularité du dessin et de la perspective à laquelle il lui est arrivé parfois de manquer, qu'à faire une impression forte en composant une scène émouvante, un peu théâtrale peut-être, d'un chaud coloris qu'il cherchait à rendre dramatique en se souvenant de Rubens et de Véronèse. Le tableau des Pestiférés de Jaffa, sa première grande œuvre, lui valut un triomphe au Salon de 1804 ; la Bataille d'Eylau scène imposante d'une belle unité et d'une immense tristesse, bien éclairée et harmonieuse dans son unité, est celle qui caractérise le mieux la maturité de son talent.

Géricault (1791-1824), peintre malgré son père, passa par les ateliers de Carle Vernet et de Guérin, mais s'est fait en réalité lui-même par la lecture, par l'étude de l'homme et du cheval. Cet artiste, plein de fougue et supérieur à la plupart des peintres de son temps, n'avait que vingt et un an ans quand il parut au Salon de 1812 avec son Officier de chasseurs à cheval chargeant qui lui valut une médaille d'or. Le romantisme faisait avec lui son apparition sur la scène; nous le retrouverons sous la Restauration.

La sculpture devait être, par essence, plus portée encore que la peinture vers l'imitation de l'antique. Moitte (1747-1810), professeur à l'Ecole des beaux-arts et membre de l'Institut, était un maître entière

1. Cette énumération, quoique longue, n'est pas complète. Voir la liste et l'appréciation des artistes dans l'Art français sous la Révolution et l'Empire, par M.BENOIT, auquel nous avons beaucoup emprunté.

2. Le temps a assombri la couleur de ce tableau.

ment gagné à cette cause dont les œuvres maigres et roides montrent le défaut. Lemot (1771-1827) n'échappe pas à ce défaut, quoiqu'il ait l'art de draper ses personnages. Cartellier (1757-1831), dont La Pudeur obtint un succès éclatant au Salon de 1801 et qui fut toujours très estimé du public et du directeur des beaux-arts, est ultraidéaliste. Chaudet (1763-1840), qui fut honoré en 1810 du grand prix de sculpture héroïque, est aussi un ultra-idéaliste, qui cependant sait être parfois gracieux, mais qui a exagéré le fini de ses marbres. Bosio (17681846), gracieux et fin, avait trop de souci de l'antique et est resté froid. Plus naturels sont Houdon (1741-1828), professeur à l'Ecole des beauxarts (depuis 1803), qui sut observer la nature et la rendit avec vigueur, et Roland (1749-1816), dont les portraits expressifs sont traités d'une manière large et libre. A ces noms on peut ajouter ceux de Duret (17321816), de Stouf (1742-1826), de Dumont (1761-1844), de Giraud (17521830), de Lesueur (1759-1830).

Il est juste de ne pas omettre dans cette énumération ceux de quelques graveurs en médailles, quoique leur genre fût fortement entaché de la sécheresse pseudo-grec, Rambert-Dumarest (1750-1806), Galle (1763-...), Droz (1746-1823). Au-dessus d'eux se dresse le talent simple et original d'Auguste Dupré (1748-1833), mais l'œuvre de Dupré, dont la Révolution avait fait le graveur général des monnaies, n'appartient pas à la période de Bonaparte qui le révoqua en 1803.

Les prix décennaux institués par l'empereur pour l'année 1810 furent l'occasion d'une grande solennité de l'art, quoiqu'elle n'ait pas pleinement abouti. Le rapport de Cartellier fait connaître sinon le jugement unanime du public, du moins l'opinion prédominante dans le monde officiel des artistes. Cette opinion, bien qu'atténuée par le rapporteur, fut sévère jusqu'à l'injustice pour David, ' louangeuse pour Proudhon et Gros, favorable à Girodet et à Gérard en peinture; en sculpture, elle donna la palme à Chaudet et à Lemot, en architecture à Percier et à Fontaine, 3 en gravure à Bervic.

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Dans les siècles antérieurs,

Rapports de l'art et de l'industrie. c'était avec les artistes que les gens de métier se trouvaient en communication souvent intime, et c'était d'eux qu'ils recevaient leurs inspirations supérieures. Même aux xv et xvII° siècles, lorsque la création de l'Académie de peinture eut amené une scission, les Lebrun, les Oudry avaient animé les ateliers des Gobelins, Watteau et surtout

1. Le jury ne lui donna qu'une mention pour le genre tableau d'histoire (Enlèvement des Sabines), mais ne put lui refuser le prix pour le tableau genre national (Le Sacre). Dans le genre tableau d'histoire, le prix fut décerné à Girodet pour sa Scène du déluge.

2. Lemot fut couronné pour son fronton de la cour du Louvre.

3. Pour l'Arc du Carrousel.

4. Pour sa Déjanire d'après le Guide.

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