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gerie spéciale et une pharmacie centrale pour les hospices et hôpitaux de la capitale et créa un atelier de charité pour les femmes pauvres. 1 Il décida Napoléon à rappeler les sœurs hospitalières de charité. Il leur permit d'abord de reformer leurs congrégations avec l'assentiment du gouvernement; puis il les autorisa lui-même en termes plus explicites, leur permettant de contracter des voeux, de faire des novices, d'acquérir des biens et de recevoir des legs et des donations avec les mêmes privilèges d'enregistrement dont jouissaient les hôpitaux, à condition toutefois de faire approuver leurs statuts par décret impérial. La Révolution les avait dispersées en supprimant les congrégations religieuses; l'Empire eut la sagesse de comprendre l'importance du service rendu au pauvre malade par le zèle de ces femmes dont la religion inspirait le dévouement et pour lesquelles le sacrifice était un devoir et un mobile comme l'intérêt personnel l'est pour le commun des hommes. Il brava quelques préjugés et rétablit des communautés qui n'étaient pas en contradiction avec une société fondée sur le travail et la liberté, puisqu'elles exerçaient les travaux méritoires de la charité, et que, ne devant exiger que des vœux temporaires, de courte durée, quelquefois même n'en exigeant pas, elles ne confisquaient pas absolument, en principe du moins, la liberté de l'individu devant la loi civile.

En cherchant à soulager la misère, l'Empire se montra sévère contre la mendicité vagabonde qui couvre souvent le crime ou qui y conduit. L'Assemblée nationale et la Convention l'avaient également condamnée, et avaient ordonné qu'on enfermât les mendiants dans des maisons de répression ou même qu'on les transportat hors du royaume en cas de récidive. L'Empire adopta les mêmes principes, avec quelques adoucissements. Le vagabondage fut considéré comme un délit et puni de trois à six mois d'emprisonnement; la mendicité, dans les lieux où existait un établissement de secours, encourut la même peine, laquelle, d'une part, se réduisait à trois mois au plus dans les lieux où il n'y avait pas d'établissement, mais, d'autre part, pouvait

occupaient des salles supérieures... Les autres salles étaient occupées par environ deux mille malades de tout sexe, de tout âge, gisant, presque partout, deux à deux dans le même lit. » - CHAPTAL, Mes souvenirs sur Napoléon, p. 60.

1. Un établissement de filature et de tissage fut établi pour confectionner les toiles employées dans les hospices et hôpitaux en vue de donner du travail « à 2,500 femmes et 200 hommes qui, sans quitter leur ménage, peuvent gagner de quoi fournir à une partie de leurs besoins ». - CHAPTAL, op. cit., p. 67.

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2. « Le rétablissement des sœurs hospitalières n'était pas aisé, dit Chaptal ;... rétablir une corporation contrastait avec toutes les idées du temps. Ibid., p. 71. 3. Arrêté ministériel du 1r nivôse an IX qui a rétabli de fait (mais non encore de droit) les sœurs de Saint-Vincent de Paul. Décret du 3 messidor an XII (22 juin 1804).

4. Décret du 18 février 1809.

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s'étendre jusqu'à deux ans quand le mendiant était arrêté hors de son canton. Toutefois l'Empire pensa « qu'avant de réprimer la mendicité comme un délit, il fallait lui offrir le travail comme un secours »; en décrétant l'interdiction absolue de la mendicité, il décréta aussi la création de dépôts de mendicité, maisons qui tenaient de l'hospice et de la prison, et dans lesquelles tous les mendiants, arrêtés sur la voie publique, seraient conduits et astreints au travail 2.Il attachait, comme il le disait lui-même, « une grande importance et une grande idée de gloire à détruire la mendicité ». « Les fonds ne manquent pas, ajoutaitil en écrivant à son ministre; mais il me semble que tout cela marche lentement, et cependant les années se passent. Il ne faut pas passer sur cette terre, sans y laisser des traces qui recommandent notre mémoire à la postérité ». Soixante dix-sept dépôts de ce genre furent successivement établis dans soixante-dix-sept départements sur le modèle de celui de Villers-Cotterets, et pendant cinq années on fit une rude guerre au vagabondage, sans parvenir à le détruire.

C'est que la mendicité et le vagabondage ne sont pas, comme on l'a trop souvent répété, des plaies que l'industrie a creusées au flanc de nos sociétés modernes. Ce sont des fléaux qui affligent toutes les sociétés, parce que dans tous les temps et dans tous les lieux il y a des êtres disgraciés de la nature qui ont horreur du travail, et qui à une existence honorable gagnée par le labeur, préfèrent une vie précaire qu'ils mendient dans l'oisiveté, comme d'autres la dérobent par le vol. Il n'y a pas plus de sociétés parfaites qu'il n'y a d'êtres parfaits sur la terre.

Une industrie développée ne peut que solliciter un plus grand nombre d'hommes à devenir actifs en leur offrant un emploi lucratif de leurs forces. Si au milieu d'une société qui prospère on remarque les mendiants, c'est principalement parce que la misère contraste davantage avec la richesse. Le moyen âge avait eu ses mendiants; le xvi siècle en avait été infesté; ils étaient encore un des fléaux sous l'ancienne monarchie, au xvi° siècle. La Révolution n'avait pas dû en amoindrir le nombre. Les vagabonds n'avaient profité ni de l'accession plus facile à la propriété, ni de la liberté du travail, et la fermeture des ateliers les avait nécessairement multipliés. Mais ce n'était pas l'industrie, c'était le défaut d'industrie qu'il fallait en ce dernier cas

accuser.

1. Il eût semblé plus naturel d'assimiler dans ce cas le mendiant au vagabond. Voir Code pénal, liv. III, tit. 1, §§ 2 et 3.

2. Décret du 5 juillet 1808.

3. Corresp. de Napoléon, t. XVI, p. 191. Dès l'année 1801, il s'occupait de cette question, et faisait cette critique qui peut s'adresser à la plupart des institutions de bienfaisance de la période révolutionnaire : « On n'a rien fait encore pour le régime des prisons, parce que l'Assemblée constituante a voulu trop bien faire. » - Opinions de Napoléon au Conseil d'État, par le baron PELET DE LA LOZÈRE, p. 19.

La Révolution et l'Empire, qui honoraient le travail, se montrèrent en conséquence ennemis du vagabondage. Prirent-ils contre lui les meilleures mesures? Non; car les dépôts de mendicité servirent à des emprisonnements arbitraires. Ils devinrent des écoles de débauche et de vol, et le peu de travail qu'ils produisirent excita les réclamations de l'industrie libre, à laquelle ils faisaient une concurrence déloyale, l'État supportant tous les frais d'entretien des prisonniers.

Pour réduire le domaine du vagabondage, il fallait chercher à élever le niveau moral des classes inférieures. La réouverture des églises pouvait y contribuer. Mais dans les villes et même dans un grand nombre de villages, la génération qui avait été élevée sous la République, qui avait acheté les biens nationaux et confondu souvent dans une même haine les prêtres et les émigrés, était peu disposée à écouter les conseils et à accepter la direction du clergé. C'est en l'instruisant qu'il fallait lui apprendre à se diriger elle-même ou à choisir sa direction. L'instruction est la garantie de la liberté ; comme telle, l'instruction primaire était le complément nécessaire de la Révolution. On le répétait ; nous avons vu la Convention dresser de vastes plans qu'elle n'avait pas exécutés.

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L'instruction. Cependant, dans l'enseignement supérieur, elle avait laissé de belles créations et des germes précieux, l'Institut, l'École normale, des écoles de médecine et des écoles spéciales, le Conservatoire des arts et métiers, le Muséum; dans l'enseignement secondaire; elle avait fondé les écoles centrales, qui, établies au chef-lieu de chaque département, avaient pour objet de donner à la classe bourgeoise une instruction adaptée aux besoins de l'industrie, et dans l'enseignement primaire, elle avait attiré un moment des instituteurs. séduits par la perspective d'un gros traitement.

Mais la pauvreté du Trésor avait obligé les législateurs à rétracter cette promesse. Les églises étaient alors fermées, les congrégations dispersées. Les municipalités, n'offrant plus assez d'avantages, ne purent se montrer exigeantes, et l'on vit se produire à peu près dans tous les départements le mal que signalait en ces termes le préfet de la Meurthe : « Quoiqu'il ne paraisse pas, d'après le nombre d'instituteurs des écoles primaires et des élèves, qu'il y ait un grand vide dans cette partie, la plus essentielle de l'instruction publique, il n'est malheureusement que trop vrai qu'elle a beaucoup souffert et qu'elle se trouve dans l'état le plus alarmant. Les besoins que toutes les communes ont d'instituteurs les rendent trop peu difficiles sur le choix, et elles auraient d'autant moins droit d'être sévères qu'elles sont hors d'état de les payer. » On peut en effet estimer qu'en 1800 la qualité de l'enseignement, déjà fort médiocre sous l'ancien régime, était loin de 1. Mém. statist. du département de la Meurthe, p. 123.

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s'être améliorée. D'importantes communes étaient entièrement privées d'instituteur public; en l'an IX, le département de l'Allier demandait bien modestement qu'il y en eût au moins un par chef-lieu d'arrondissement. 2

Les écoles centrales, conception originale, avaient eu plus de succès. Mais, comme le disait un préfet, elles « tenaient trop de la forme académique ». Les élèves, libres de choisir les cours qu'ils voulaient suivre, se portaient vers le dessin et les sciences, études d'une application immédiate, et beaucoup négligeaient le fond de l'enseignement. Souvent la discipline manquait, malgré le pensionnat qu'on avait adjoint à l'école dans plusieurs départements, et cette institution, qu'une pensée juste avait inspirée, ne portait pas tous les fruits qu'on aurait pu en espérer.

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La Consulat voulut tout remanier. « Ce fut, dit un conseiller d'État, la matière d'une longue série de projets, de contre-projets, de mémoires pour et contre. » La pensée à laquelle s'attachait particulièrement Bonaparte était la création de lycées et de 6,000 bourses à la nomination du gouvernement; il voulait que le prix de ces 6,000 bourses, payé par l'État, défrayât entièrement les lycées, et il disait que l'État trouverait le bénéfice de sa dépense dans la libéralité qu'il exercerait envers les fils de ses serviteurs. Les lycées furent en effet créés par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802), qui parmi les trois ordres d'établissements qu'elle reconnaissait, classa « les écoles primaires établies par les communes »; mais qui n'imposa à ces dernières aucune obli

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1. « Dans les villes et dans les campagnes, le pauvre reste sans nulle instruction ; et les citoyens aisés croient avoir assez fait pour l'éducation de leurs enfants lorsqu'ils les ont placés soit dans des pensions, soit à l'école centrale, où ils prennent quelques notions superficielles. » Mémoire statistique du département des DeuxSèvres, p. 218. << On peut avouer que l'instruction est très négligée. » Statistique de la Moselle, p. 97. - Nulle part pour ainsi dire les écoles primaires n'ont été instituées, et celles qui l'ont été l'ont été si mal qu'autant aurait valu qu'elles ne l'eussent pas été.» Statist. de l'Indre, p. 104. Dans la session des conseils généraux de l'an IX, la seule qui ait été imprimée sous le Consulat et l'Empire,plusieurs départements déclarent l'instruction nulle dans les campagnes » (Vosges, Lot-et-Garonne, Maine-et-Loire, etc.). « L'instruction de l'enfance est dans un état affligeant. » (Cher, p. 572.) « Les instituteurs ignorants et étrangers à la profession... » (p. 577.) Durant cette session, 57 départements réclamèrent le rétablissement de l'instruction publique, 17 l'établissement d'écoles de filles. Plusieurs demandèrent les frères. Cuvier rappelait, en 1821, à la Chambre des députés, qu'au commencement du Consulat, on comptait, à Paris seulement, 4,000 enfants vagabondant et n'allant jamais à l'école (Moniteur de 1821, p. 857).

2. Session des conseils généraux de l'an IX.

3. En l'an IX, 20 départements déclarèrent les écoles centrales inutiles, et 31 les déclarèrent utiles.

4. Voir les observations de Bonaparte au Conseil d'État, dans les Mémoires sur le Consulat, par un ancien conseiller d'État, chap. IX.

5. Loi du 11 floréal an X (1er mai 1802).

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gation et ne les aida pas des fonds du budget. Il laissa la nomination des instituteurs aux maires et aux conseils municipaux et chargea les sous-préfets << de l'organisation des écoles; ils rendront compte de leur état une fois par mois au préfet ». De ce chef c'était trop demander, et il est probable que ce compte n'a pas été rendu.

Les écoles centrales disparurent. Le vide qu'elles laissaient dans l'enseignement industriel fut loin d'être comblé par la création de l'école des arts et métiers de Compiègne.

Avant la Révolution, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt avait créé dans une de ses fermes une petite école dans laquelle on enseignait les éléments de l'instruction et quelques métiers à des enfants de troupe. Pendant la Révolution, le duc ayant dû émigrer, cette petite école devint un établissement d'État, école militaire qui fut installée dans le château de Liancourt et dans laquelle on continua à donner un certain enseignement professionnel. L'État possédait, en outre, sous le nom de Prytanée français, trois établissements ayant un certain cachet professionnel parce qu'on y enseignait, outre le français et les langues anciennes, la géographie, le dessin et les mathématiques (aujourd'hui Louis-le-Grand, Saint-Cyr et Compiègne). Le premier consul visita un jour Compiègne; il interrogea les élèves sur la carrière qu'ils voulaient suivre et fut mécontent des réponses. « L'État, dit-il, fait des frais considérables pour élever ces jeunes gens, et quand leurs études sont terminées, ils ne sont, à l'exception des militaires, d'aucune utilité au pays. Presque tous restent à la charge de leurs familles qu'ils devraient aider. Il n'en sera plus ainsi. Je viens de visiter les grands établissements du Nord et les grands ateliers de Paris. J'ai trouvé partout des contremaîtres distingués dans leur art, mais presque aucun qui fût en état de faire un tracé... C'est une lacune dans l'industrie; je veux la combler ici. »✦

En 1806, l'école fut transférée à Châlons-sur-Marne et le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, qui était rentré en France, en fut nommé inspecteur général. En 1811, l'empereur créa une seconde école à Beaupréau, qui fut transférée à Angers. C'était une sorte d'école d'ap

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1. THIBAUDEAU, peu favorable aux idées de Bonaparte sur cette matière, s'exprime ainsi : « Généreux envers les degrés supérieurs de l'instruction, l'État ne payait rien pour les écoles primaires dont l'établissement était abandonné aux communes et dont les instituteurs devaient être salariés par les écoliers. » Mém. sur le Consulat, p. 134.- Cependant je trouve dans les dépenses de l'an IX : « L'instruction pour les campagnes, les encouragements pour l'agriculture, les manufactures nationales... 1,824,245 francs. » Il est vrai que presque toute cette somme passa probablement aux manufactures, et que l'instruction secondaire et supérieure («<l'instruction publique », selon l'expression caractéristique du budget) coûtait 6,680,500 francs. Voir RAMEL, des Finances de la République, p. 80. 2. Enquête sur l'enseignement professionnel, t. II, p. 583. 3. Décret du 1er novembre 1811.

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