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prentissage destinée à former des forgerons, des mécaniciens, des menuisiers, des fondeurs. Elle fut composée de boursiers, «< fils d'anciens militaires », et destinée, dans la pensée de Napoléon, «< à rapprocher les extrémités du centre et à donner à la classe inférieure un esprit national qui ne se trouve pas dans les apprentissages particuliers >> ; 1 on y admettait cependant aussi des pensionnaires payants. Le but était ambitieux, et la création d'une seule école était trop peu pour prétendre y atteindre. 2

Outre les deux écoles d'arts et métiers, la petite école annexée en 1806 au Conservatoire des arts et métiers, qui fut surtout une école de dessin et qui compta jusqu'à 300 élèves,et les six élèves qui étaient entretenus aux Gobelins pour y apprendre l'art de la teinture, il existait quelques écoles de dessin l'école gratuite de dessin à Paris, fondée par Bachelier et dirigée par lui jusqu'en 1806, contenait près de 1,500 élèves qui recevaient une culture artistique; à Paris aussi était le cours du soir «< en faveur des ouvriers », fondé en 1811 dans le faubourg SaintMartin par un ouvrier, Deschevallet, que l'Institut recommanda au ministre; à Marseille était le cours de dessin fondé en 1796 par Guenin et installé dans le lycée des sciences et arts, lequel était très suivi.

Lorsque Napoléon, devenu empereur, eut constitué l'Université (1806-1808), il plaça les « petites écoles et les écoles primaires >> sous la juridiction de ce grand corps. Neuf ans auparavant, le 1er nivôse et le 13 pluviose an IX, il avait fait appel à des congrégations enseignantes de femmes; le 11 frimaire et le 27 germinal an XII, il avait appelé les frères des écoles chrétiennes et les sœurs de Saint-Charles; c'est l'acte le plus marquant de son règne relativement à l'enseignement primaire. L'article 109 du statut de l'Université de 1808 porte: « Les frères des écoles chrétiennes seront brevetés et encouragés par le grand-maître qui visitera leurs statuts intérieurs, les admettra au serment, leur prescrira un habit particulier et fera surveiller leurs écoles. » Le grandmaître de l'Université promulgua en effet un programme d'enseignement à leur usage, lequel comprenait la lecture du français, du latin et de l'écriture manuscrite, l'écriture,et en outre, l'orthographe et l'arithmétique, le catéchisme tous les jours; l'instruction religieuse était obligatoire pour tous les élèves. « Je ne conçois pas, disait Napoléon au Conseil d'État, l'espèce de fanatisme dont quelques personnes sont animées contre les frères; c'est un véritable préjugé. » Cependant il

1. Voir l'arrêté du 6 ventôse an IX. Voir les Mémoires sur le Consulat, p.142, et le Moniteur de 1806, p. 1198. Il y avait alors six ateliers dans l'école, indépendamment des cours d'études grammaticales et scientifiques: 1o atelier de la forge; 2o de l'ajustage; 3° de l'ébénisterie, menuiserie, charronnerie; 4o des tours: 5o de la fonderie; 6o des tailleurs de limes.

2. Napoléon songeait à créer deux autres écoles semblables.

3. Voir Législation de l'enseignement primaire, par GIRARD, p. 59, et l'Enseignement primaire catholique, par FONTAINE De Resbecq.

ne leur donna sur le budget que 4,250 francs pour leur noviciat. 1 Toutefois les écoles congréganistes n'étaient qu'une très simple fraction du nombre total des écoles primaires, communales ou privées. Le nombre des écoles privées laïques était peut-être même plus considérable que celui des écoles publiques, surtout dans les villes; les unes et les autres étaient payantes. Fontanes fit prendre des renseignements dans les États du nord de l'Europe où l'instruction du peuple était beaucoup plus avancée qu'en France; mais il ne sortit rien de ce commencement d'enquête. 2

Napoléon en parla cependant une fois. « Le chef de l'État, dit-il, ne dédaigne pas d'étendre aussi sa pensée sur le genre d'instruction qui convient aux classes inférieures de la société instruction qui en les formant dans l'habitude des bonnes mœurs, leur donne les notions élémentaires utiles à leurs travaux. » 3 Mais sa pensée, distraite par d'autres préoccupations, ne se fixa pas sur cet important objet. C'était une regrettable lacune dans les institutions impériales. Napoléon le comprit quand l'expérience lui eut enseigné que son plus solide appui était dans le peuple. « Je ne suis pas seulement l'empereur des soldats, disait-il au retour de l'île d'Elbe; Je suis aussi celui des paysans, des plébéiens, de la France.... Je suis l'homme du peuple ; si le peuple veut réellement de la liberté, je la lui dois ; j'ai reconnu sa souveraineté, il faut que je prête l'oreille à ses volontés, même à ses caprices*. » Aussi voulait-il, d'accord avec Carnot, devenu ministre de l'intérieur, donner au peuple le bienfait de l'instruction. « Considérant l'importance de l'instruction primaire pour l'amélioration du sort de la société, considérant que les méthodes jusqu'aujourd'hui usitées en France n'ont pas rempli le but qu'il est possible d'atteindre, désirant porter cette partie de nos institutions à la hauteur des lumières du siècle 5 », il décréta la fondation d'une école modèle d'après la méthode lancastrienne, destinée à former des instituteurs. Il était trop tard : la défaite de Waterloo ne lui permit pas d'exécuter ce dessein.

Malgré les déchets qu'avait causés la Révolution et le médiocre souci que le gouvernement impérial prît des petites écoles, il semble que la somme d'enseignement primaire ait plutôt augmenté que diminué durant les vingt-cinq années qui séparent 1790 et 1816, autant du moins qu'on peut le conjecturer d'après le seul essai de statistique comparative qui existe. Il nous fait savoir que, sur 100 mariages, 47 époux

1. 4,250 francs. Voir le Budget de l'instruction publique, par CH. JOURDAIN, p. 175.

2. Voir sur ce sujet un discours de Cuvier à la Chambre des députés, séance du 12 juin 1821.

3. Corresp. de Napoléon, t. XV, p. 668.

4. DURUY, Hist. de France depuis l'avènement de Louis XIV jusqu'en 1815, p. 526. 5. Moniteur du 30 avril 1815.

et 26.9 épouses ont signé l'acte de célébration durant la période 17861790 et 54.3 époux et 34.7 épouses durant la période 1816-1820 1.

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Résumé de l'œuvre du Consulat et de l'Empire. Sur le grave sujet de l'enseignement populaire, Napoléon laissa à peine le souvenir d'une bonne intention. Ce fut une rare exception à ses habitudes. Car il avait porté la main sur toutes les parties de l'organisation administrative; il les avait remaniées et les avait toutes marquées de l'empreinte de son originalité. Quand il avait pris possession du pouvoir, il avait trouvé une société fatiguée d'anarchie, dégoûtée du présent, inquiète de l'avenir, aspirant à la sécurité d'une vie régulière. Des hommes distingués de tous les partis s'étaient empressés - beaucoup parmi les plus honnêtes étant mus par amour du bien autant que par ambition personnelle de l'aider à construire l'édifice d'un gouvernement solide. La masse des industriels avait concouru à cette œuvre par ses applaudissements et par son ardeur à reprendre le travail. Napoléon, en suivant ses propres instincts, ne faisait au début qu'obéir aux instincts de la bourgeoisie française: c'est le secret de la popularité du Consulat.

Aussi les premières années du Consulat furent-elles fécondes en créations. Un contemporain, qui n'était pas un flatteur, parlait en ces termes de cette époque mémorable : « Dans moins d'un an, il s'était fait une rapide métamorphose. Avant le 18 brumaire, tout portait le signe de la dissolution; maintenant, tout est empreint de vigueur. Partout on voyait une noble émulation pour tout ce qui était bon, beau et grand. Il y avait un enthousiasme réel pour fonder le nouveau régime, comme au commencement de la Révolution pour renverser l'ancien. On ne marchait plus au but par le tumulte et le désordre; une main ferme dirigeait le mouvement, lui traçait sa route et prévenait ses écarts. >>

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En politique, le pouvoir fut concentré entre les mains d'un seul maître et les départements rattachés au centre par l'institution des préfets; en finance, le crédit fut rétabli, la perception des impôts assurée, et le mécanisme de la trésorerie fonctionna avec régularité. La signature du Concordat, quoiqu'elle ne fût pas unanimement approuvée et qu'il eût été alors d'une politique plus prévoyante de laisser l'Église catholique libre en dehors de l'État, calma beaucoup de consciences, comme le retrait des lois sur les émigrés avait rassuré les intérêts. L'autorité de la justice s'accrut par l'inamovibilité des ju

1. Les mariés de 1786-1790 étaient sortis pour la plupart des écoles au commencement du règne de Louis XVI, et ceux de 1816-1820 avaient fait leurs études pour la plupart sous la Révolution ou sous le Consulat. Les chiffres ne donnent donc pas précisément les résultats de la période impériale.

2. Mém. sur le Consulat, par le conseiller d'État THIBAUDEAU, p. 8.

ges, par l'établissement des cours d'appel et la publication du Code Napoléon fixa les droits des personnes dans la vie civile. Ce furent de précieuses garanties pour la concorde et la prospérité générale, et la France sembla oublier que la liberté politique avait été sacrifiée à la restauration du pouvoir gouvernemental et à sa concentration entre les mains d'un homme.

La pensée de rétablir le calme dominait alors les autres considérations. Il y avait eu depuis dix ans des troubles à cause des subsistances: le Consulat n'hésita pas à faire revivre en grande partie la police de l'ancien régime sur les marchés et à créer à Paris, en les mettant dans la main de son administration, des corporations de boulangers et de bouchers. Les formalités de la justice paraissaient mal observées et les intérêts des plaideurs et des contractants mal défendus : le Consulat rétablit les compagnies de notaires, d'avoués, l'ordre des avocats. Pensant non sans raison que l'instruction était insuffisante, il plaça des examens à l'entrée des carrières libérales et créa une instruction publique, surtout secondaire, dont l'État eut la direction et qui fut bientôt investie du monopole.

Les fabriques étaient sans discipline. Exempt des préjugés qui avaient fait proscrire toutes les institutions particulières comme des privilèges, il créa des chambres de commerce; par la loi du 22 germinal an XI, il institua les chambres consultatives; il subordonna l'ouvrier à son patron, il restaura le livret et garantit la propriété des marques.

Le Consulat est un trait d'union entre l'ancien et le nouveau régime. Il a renoué la chaîne des temps violemment rompue par la Révolution. Mais sur plusieurs points il a dépassé la mesure d'une restauration utile. Il a pris certains cadres du passé pour des formes indispensables à la tranquillité publique et il y a fait entrer, bon gré mal gré, une partie de la société, subordonnant le développement de l'activité libre aux besoins et parfois aux préjugés de sa politique.

Est-il étonnant que les espérances qu'il fit naître en agissant ainsi aient éveillé des intérêts personnels et qu'on ait sollicité de lui le rétablissement des corps de métiers? Il résista. En somme, fermement attaché aux principes de liberté civile et d'égalité de 1789 qui étaient devenus la foi de la société nouvelle, il eut, malgré quelques exceptions, l'honneur de les consacrer par ses lois et de les consolider par l'ordre et la paix intérieure. C'était bien sur le double fondement de la liberté et de l'égalité civile qu'était élevé l'édifice administratif de la France nouvelle construit par le Consulat sur le plan civil et économique de la Constituante, avec des matériaux de la Révolution mêlés à des matériaux de l'ancienne France. La liberté du travail était désormais un fait acquis, pour longtemps du moins.

Cette réorganisation de la France par le Consulat n'a sans doute

pas eu l'approbation de tous les Français. Ceux des libéraux dont les convictions n'avaient pas fléchi se sentaient humiliés par le despotisme d'un homme et en redoutaient les conséquences; ceux des jacobins qui ne briguaient pas des places s'irritaient du contre-courant qui renversait certaines institutions démocratiques de la Convention et de l'édification d'une société toute bourgeoise. 1

L'Empire fut moins fécond que le Consulat. 2 Il ne régnait plus alors la même harmonie entre les besoins de la France et la pensée du maître; celui-ci était trop absolu et placé trop haut pour que les conseils et les plaintes pussent désormais monter jusqu'à lui et l'arrêter dans sa course. Cependant il compléta le recueil des codes; il donna à l'industrie ses prud'hommes; il enleva aux communes le droit d'exclure les fabriques sous prétexte d'insalubrité. Pénétré de la puissance des sciences appliquées, il continua à les encourager ; il seconda les efforts de l'industrie par sa protection, par le talent des hommes dont il s'était entouré ou dont il provoquait l'activité : les sciences furent cultivées, et l'industrie, animée de leur souffle, prospéra. Patrons et ouvriers virent rechercher leur travail.

Mais jaloux de son pouvoir, l'empereur, plus encore que le premier consul, rapporta tout à lui-même et voulut que tout tînt de lui la vie et le mouvement. Il exagéra l'autorité en croyant la fortifier; il multiplia ou aggrava les monopoles. Il nourrissait contre l'Angleterre une haine implacable qui n'avait alors d'égale que la haine de l'Angleterre contre Napoléon, et cette passion, n'étant retenue par aucun frein légal, flattée même par la victoire, l'entraîna à de funestes excès. Impuissant à atteindre sur la mer cette rivale détestée, il prétendit la faire périr de consomption dans son ile en fermant par le blocus continental le continent à son commerce. Pour accomplir ce projet gigantesque, il lui fallut faire violence à la nature des choses et aux intérêts de plus de cent millions d'individus, condamner à la ruine les ports, de Saint-Pétersbourg à Cadix, hérisser les côtes de douaniers,ramener le commerce aux routes du moyen âge, jeter l'industrie dans des tentatives de production irrationnelle, tyranniser les rois,

1. LOUIS BLANC (Histoire de dix ans, t. I, p. 6) juge ainsi l'œuvre de Napoléon : « Napoléon a continué l'œuvre de l'Assemblée constituante. La tyrannie, cachée dans le principe du laissez-faire, il l'a maintenue et favorisée. Le Code, il l'a fait sortir des vieilles coutumes et des in-folio de Pothier. Il a consacré le principe de la division des propriétés. Il n'a rien fait pour remplacer la commandite du crédit individuel par celle du crédit de l'État. En un mot, il a fortifié tout ce qui sert de base aujourd'hui à la domination bourgeoise. C'est ce qui l'a perdu. »

2. La seconde partie de l'Empire, distraite par la guerre, fut la moins féconde. On peut en juger d'une manière sommaire par cette remarque dans la collection complète des lois et décrets de Duvergier, le Consulat (4 ans et demi) comprend trois volumes, et l'Empire (10 ans) quatre volumes, dont un seulement depuis sep. tembre 1811.

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