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faire peser sur les peuples un joug plus insupportable encore que celui qu'imposait la politique, étendre les frontières de l'Empire de Lubeck à Terracine, fatiguer les industriels par la proscription des matières premières, les ouvriers par d'incessantes levées d'hommes. Il dut, hors des limites de l'Empire, faire sentir aux mécontents le poids de ses armes, courir de Madrid à Moscou, jusqu'au jour où il eut la douleur de voir l'Europe presque entière conjurée contre lui, la France désaffectionnée, épuisée, envahie, et où le Génie de la guerre fut écrasé sous le nombre. Le blocus continental a faussé la politique de l'Empire et a causé la chute de Napoléon; Napoléon, en tombant, a fait perdre à la France les conquêtes territoriales de la République dont il avait été lui-même le plus glorieux artisan, et même a mis en péril, au commencement de la Restauration, les conquêtes civiles et morales de la Révolution.

LIVRE III

LA RESTAURATION

CHAPITRE PREMIER

LA TRADITION DE L'EMPIRE

SOMMAIRE. Situation politique des Bourbons (535).

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(537). - La réaction de 1815 et la Chambre introuvable (538). Le ministre Decazes (538). - Tentatives infructueuses pour le rétablissement des corporations (540). La confrérie des bouchers de Limoges (545). La Banque de France (546). La police de l'industrie (548).- Organisation du Conseil général du commerce et du Conseil général des manufactures (555). La corporation des bouchers de Les voies de communication (558).- Attaques contre les principes

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Paris (556). de 1789 (559).

Situation politique des Bourbons. - Le Consulat avait été soutenu par l'éclat de la victoire, par le génie d'un grand homme et par la conformité qui existait alors entre les actes du gouvernement et les vœux de la nation. Les Bourbons n'eurent pas la même fortune. Ramenés sur le trône par l'événement d'une guerre qui n'avait été faite ni par eux ni pour eux, ils se trouvaient dans une situation difficile. Ils connaissaient mal la France dont ils avaient vécu exilés pendant vingtdeux ans, et ils n'étaient plus connus d'elle. Ils revenaient conduits par des armées étrangères, imposés par la force des armes, et leur restauration, dont le souvenir était inséparable de celui de l'invasion, affligeait le patriotisme des Français et blessait leur orgueil. Pour effacer la tache de leur origine, il leur aurait fallu de longues années de paix et un système arrêté de politique libérale : c'eût été pour eux le moyen de trancher sur la période impériale et de mériter la reconnaissance de leurs sujets par deux des bienfaits de la civilisation dont la France avait été privée sous le règne de Napoléon et dont les esprits éclairés paraissaient le plus désireux.

Ce double but n'était pas impossible à atteindre. La paix, qui était alors le vœu de toute l'Europe, était une nécessité pour les Bourbons restaurés, et l'on peut dire, malgré les courtes expéditions d'Espagne, de Morée et d'Alger, que la France jouit pleinement de ce premier bienfait sous le gouvernement de Louis XVIII et de Charles X. Le second était en germe dans la Charte, qui fondait un gouvernement constitutionnel, et qui, consacrant la liberté politique après les orages révolutionnaires et le despotisme impérial, était saluée par une partie

des classes supérieures comme le couronnement de l'édifice de 1789. La Restauration semblait disposée à comprendre et à satisfaire ce double besoin lorsqu'elle écrivait dans le préambule de la Charte : << La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets; nous nous en sommes occupés sans relâche; et cette paix, si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume; nous l'avons promise et nous la publions. >> Mais la liberté eut à compter avec les passions, les rancunes, les intérêts et la routine. Elle rencontra, sur des terrains divers, des esprits mal disposés dans deux camps en apparence très opposés, celui de l'émigration et celui de l'administration impériale, qui tous deux exercèrent une influence considérable sur le gouvernement.

Les Bourbons étaient entourés d'un nombreux cortège d'émigrés qui avaient partagé leurs souffrances, auxquels ils croyaient devoir beaucoup et qui exigeaient eux-mêmes plus qu'on ne pouvait leur accorder. Ces hommes, non moins étrangers que la famille royale aux mœurs de la France nouvelle, étaient de plus hostiles à ses institutions, par intérêt comme par préjugé d'éducation. Ils rêvaient le rétablissement des droits féodaux, redemandaient leurs rentes, 1 leurs terres et leurs honneurs, et en attendant, acceptaient des places et des pensions.

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Quelques ministres cédèrent à ce torrent. Cependant la majorité des fonctionnaires, grands et petits, resta telle qu'elle avait été sous l'Empire. On conservait, on recherchait, et avec raison, des hommes rompus à la pratique des affaires dont il eût été inique de briser la carrière et imprudent de négliger l'expérience. Les royalistes les plus ardents gémissaient, avec Chateaubriand, de voir que « la plupart des places étaient et sont encore entre les mains des partisans de la Révolution ou de Buonaparte ». Mais les hommes sensés mettaient les

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1. Un homme, dont le nom est devenu synonyme de bienfaisance, qui ne se décida à émigrer qu'au milieu de l'année 1793 et qui ne partageait pas les préjugés de l'émigration, MONTYON, écrivait, le 29 avril 1815, pendant les Cent jours, à son intendant : « Pour les rentes que je vous charge de percevoir, il faut bien prendre garde que ce ne sont pas des cens qui sont supprimés, mais des rentes ; Vous en aviez l'état, et sûrement vous le retrouverez... On peut demander vingt-neuf années d'arrérages, mais il ne faut demander que cinq années. » M. de Montyon, par M. FERNAND LABON, p. 109. L'auteur croit pouvoir expliquer par là comment le nom de Montyon, populaire dans le monde entier, ne l'est pas dans le village de Montyon. Combien de seigneurs, se fondant ainsi sur les lois de la Constituante, et combien plus encore ne reconnaissant pas du tout le droit de la Révolution, alarmèrent-ils des intérêts qui se croyaient dignes de respect parce qu'ils avaient été consacrés par le temps?

2. CHATEAUBRIAND ajoutait : « Les ministres ne correspondent qu'avec les hommes en place, ils leur demandent des renseignements sur l'opinion de la France. Ces

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