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intérêts du service au-dessus des rancunes de parti. La tradition impériale se perpétua dans les bureaux.

La première Restauration. Le gouvernement des Bourbons fut ainsi sollicité dans des directions diverses, par les obligations de la Charte, par les exigences de l'émigration et par les habitudes administratives. A l'époque de la première Restauration, la Charte consacra le Code civil. Louis XVIII composa principalement sa Chambre des pairs de sénateurs et d'officiers généraux, accepta pour ministres d'anciens serviteurs de l'Empire, maintint le Conseil d'État, la Cour de cassation, la Cour des comptes, l'Université, les préfets, les tribunaux, l'organisation judiciaire. D'un autre côté, le directeur de la police prit,pour rendre obligatoire l'observation du dimanche,un arrêté 2 qui étonna autant qu'il mécontenta le petit commerce et les ouvriers de Paris, et que depuis la Chambre des députés transforma pourtant en une loi exécutoire dans tout le royaume. Le ministère présenta un projet de loi sur la presse qui portait que « les journaux et écrits périodiques ne pourront paraître qu'avec l'autorisation du roi », et que << nul ne sera imprimeur ni libraire s'il n'est breveté du roi et assermenté », projet qui émut vivement l'opinion et ne fut voté par les Chambres qu'après modification et à titre temporaire. Le ministère fit voter une loi qui rendait aux deux familles d'Orléans et de Condé leurs pro

hommes, tout naturellement, ne manquent pas de répondre que les administrés pensent comme eux, hors une petite poignée de chouans et de vendéens. Comptez l'armée des douaniers, des employés de toutes sortes, des commis de toutes les espèces, et vous reconnaîtrez que l'administration, dans sa presque totalité, tient aux intérêts révolutionnaires. » (De la Monarchie selon la Charte, 2e partie, chap. XXI.)

1. Art. 68.

2. Ordonnance du directeur général de la police du 7 juin 1814 : « Considérant que l'observation des jours consacrés aux solennités religieuses est une loi qui remonte au berceau du monde ;... qu'il y a été pourvu pour la France par différents règlements de nos rois qui ont été seulement perdus de vue pendant les troubles;... pour attester à tous les yeux le retour des Français à l'ancien respect de la religion et des mœurs... » L'ordonnance interdisait tont travail le dimanche et les jours de fête et tout acte de commerce aux marchands, enjoignait aux habitants de Paris de tendre leurs maisons le jour de la Fête-Dieu et de l'octave, interdisait ces jours-là la circulation des voitures de huit heures du matin à trois heures de l'après-midi.

3. Loi du 18 novembre 1814: « Art. 1er. Les travaux ordinaires sont interrompus les dimanches et fêtes reconnues par la loi de l'État. » — - Cette loi défendait aux marchands d'étaler et de vendre, les ais et volets des boutiques ouverts; aux colporteurs et étalagistes de colporter et d'exposer en vente; aux artisans et ouvriers de travailler extérieurement et d'ouvrir leurs ateliers; aux charretiers de faire des chargements; aux cabaretiers de tenir leurs maisons ouvertes pendant le temps de l'office, etc. La peine était de 5 francs d'amende. En cas de récidive on appliquait le maximum des peines de police. Un certain nombre de professions étaient exceptées. (Moniteur de 1814, p. 1312.)

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priétés représentant 9,383,000 francs de rente. Le ministre comte Ferrand, en présentant ce projet, parla des « regrets qu'éprouve le roi de ne pouvoir donner à cet acte de justice toute l'extension qui est au fond de son cœur » et laissa percer des espérances inquiétantes : loi que nous vous présentons aujourd'hui reconnaît un droit de propriété qui existait toujours; elle en légalise la réintégration; il est permis de croire qu'un jour viendra... » La publication de ce rapport fit baisser la rente de 78 francs à 72. La menace resta suspendue sur la tête des propriétaires de biens nationaux jusqu'au jour où le comte de Villèle fit voter la loi connue sous le nom de «< milliard des émigrés que l'histoire, plus équitable que les partis, doit considérer comme un acte de réparation et d'apaisement.

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La réaction de 1815 et la Chambre introuvable. La seconde Restauration parut être d'abord le triomphe de la réaction la plus violente contre les hommes et les idées de la France moderne. Les Cent-Jours avaient exaspéré les passions royalistes; les haines religieuses, longtemps comprimées, éclatèrent dans le Midi; des brigands ou des fanatiques ameutèrent la populace et firent couler le sang. La « Terreur blanche » sévit cruellement à Marseille, à Avignon, à Nîmes, à Uzès. Des armées étrangères occupaient alors le territoire français, et tout en les blåmant parfois, autorisaient par leur seule présence les excès du parti qui les saluait comme des libérateurs.

Les députés furent élus sous celte influence, et quoique nommée par les anciens électeurs de l'Empire, la Chambre, à qui l'histoire a conservé le nom d'introuvable, fut l'expression des rancunes monarchiques. Un écrivain, qui croyait voir en elle le salut des Bourbons, la félicitait d'avoir «< aimé le roi avec idolâtrie », et « armé la couronne de tous les pouvoirs, par les lois sur la suspension de la liberté individuelle, sur les cris séditieux, sur les cours prévôtales, sur l'amnistie ».? Cette Chambre aurait voulu plus encore. Elle désirait et elle demanda instamment que le clergé recouvrât ceux de ses immeubles qui n'avaient pas été aliénés, lesquels lui furent en effet rendus; en invitant les personnes qui avaient acheté des domaines nationaux provenant des biens d'Église à les restituer, afin de se mettre « à l'abri de toute indemnité », elle sembla laisser planer la crainte d'une spoliation sur tous les acquéreurs; elle demanda que l'état civil fût confié aux ministres des cultes et l'instruction publique placée sous la surveillance immédiate des archevêques et évêques, qui « en réformeront les abus... et nommeront aux places ».

Le ministre Decazes. La violence de cette réaction n'eut qu'un

1. VAULABELLE, Hist. des deux Restaurations, t. II, p. 89. Il s'agissait des forêts non aliénées de la famille d'Orléans et de la famille de Condé.

2. CHATEAUBRIAND, de la Monarchie selon la Charte, 2o part., chap. XI.

temps. Le bon sens de Louis XVIII y répugnait. La Chambre introuvable ne dura que l'espace d'une session. Elle fut prorogée, puis dissoute, et l'ordonnance du 5 septembre 1816 inaugura une politique fermement royaliste, mais plus modérée à l'égard des personnes, également bienveillante, selon l'expression du comte Decazes, << pour ceux qui venaient au roi par la Charte ou à la Charte par le roi », et désireuse de se concilier par des concessions libérales la haute bourgeoisie qui formait le véritable fondement constitutionnel de la monarchie des Bourbons. Cette politique, déjà nettement accusée sous la présidence du duc de Richelieu, rendue plus hardie sous la présidence du général Dessolles, lorsque l'influence du comte Decazes fut prépondérante, inspira le gouvernement durant trois années qui peuvent être regardées comme les meilleures du règne de Louis XVIII, au grand mécontentement des royalistes les plus ardents, elle maintint les principes du droit civil et les formes de l'administration. 1

Les Bourbons d'ailleurs, tout en réagissant contre l'Empire et en prétendant le rayer de l'histoire, avaient eux-mêmes trouvé son administration si fortement organisée, si bien faite pour ramener tout à l'autorité monarchique et tout régler par elle qu'ils n'avaient pas pu d'abord s'en passer, et que bientôt même ils l'avaient franchement adoptée : c'est principalement sous le ministère Decazes que cette adoption eut lieu. Lorsqu'en 1820 la mort funeste du duc de Berri eut fait tomber le pouvoir des mains des libéraux, les ultra-royalistes, qui s'en saisirent et qui sous Louis XVIII comme sous Charles X le gardèrent durant dix années, sans autre interruption que le court ministère Martignac, agirent à cet égard comme leurs adversaires; tout

1. Le baron de VITROLLES écrivait à ce sujet au Congrès d'Aix-la-Chapelle : « La révolution occupe tout, depuis le cabinet du roi qui en est devenu le foyer, jusqu'aux dernières classes de la nation, qu'elle agite partout avec violence. »

2. Le général Fox, dans un discours prononcé le 4 juin 1824 à propos de la septennalité de la Chambre, représentait l'excessive puissance que les formes de l'administration mettaient aux mains du pouvoir exécutif. « Existe-t-il une parcelle de la puissance publique ailleurs que dans les soudoyés de l'administration? Qu'ont à faire les promesses de la Charte devant cette multitude d'édits de l'ancien régime, de lois de la Révolution, de décrets de l'Empire, où l'autorité trouve tout à la fois des armes pour exécuter et des arguments pour justifier les plus intolérables usurpations? Éducation de tous les âges, enseignement de toutes les sciences, professions qui se rattachent à la surveillance de la police et à la salubrité publique, offices en connexion plus ou moins intime avec l'exercice de la justice; avocats, avoués, huissiers, notaires, établissements industriels, même les procès en matière privée, même la dépouille des morts, tout est envahi par la persistance d'une volonté qui n'est pas la volonté royale; et cette volonté persistante, c'est le glaive à mille tranchants qui menace les opinions, toutes les opinions, toutes également, et qui frappera tour à tour toutes les oppositions, toutes les indépendances. Je vous le demande, messieurs, qu'est-ce autre chose que tout ceci, sinon le pouvoir impérial tombé de chute en chute aux mains des ministres que voilà ?»>

en apportant un autre esprit dans le choix des personnes et dans la direction des affaires, ils conservèrent intacts les cadres de l'organisation administrative et sociale.

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Tentatives infructueuses pour le rétablissement des corporations. — En matière de police industrielle, le point capital était la liberté du travail. La Révolution l'avait proclamée. C'était assez pour que les royalistes lui fussent défavorables. Ils regrettaient et redemandaient l'ancien ordre de choses; en 1816, dans la Chambre introuvable, Feuillant, un des rapporteurs de la commission du budget, déclarait « nécessaire sous tous les rapports le rétablissement des jurandes et des maîtrises ». Nombre d'industriels, petits et grands, sans acception de parti politique, regrettaient le temps où la concurrence était limitée et aspiraient au rétablissement du régime corporatif, sur les vertus duquel ils se faisaient illusion. Un orfèvre joaillier adressait à Louis XVIII un « mémoire sur le rétablissement des maîtrises et sur l'abus des patentes », accusait la Révolution d'avoir « détruit la plus respectable, la plus ancienne, la plus utile et la plus sage de nos institutions... » « Les maîtrises, disait-il, ne présentent pas cette confusion qui est la suite d'une égalité trop parfaite... C'est par elles que le crédit et la probité se soutenaient dans les États... C'était un code et un tribunal de bonnes mœurs... Heureux le jour où les maîtrises seront rétablies! Il sera le signal de la tranquillité pour l'artiste, le manufacturier, le marchand et le négociant. » 3

Le rétablissement des corporations se faisant attendre, on présenta l'année suivante une requête au roi « sur la nécessité de rétablir les corps des marchands et les communautés des arts et métiers ». L'auteur, Levacher-Duplessis, se disait le mandataire des marchands et artisans de Paris, et invoquait tous les vieux arguments déjà produits

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1. Rapport de FEUILLANT, au nom de la commission du budget, dans la séance du 6 mars 1816. Moniteur de 1816, p. 271.- Dans une ordonnance du 4 février 1815 sur boulangerie parisienne, l'administration, sans aborder la question des corporations, parlait de « gens qui par leur existence et leur responsabilité, n'offrent pas à la surveillance de l'autorité administrative ni à la confiance des consommateurs les garanties qu'il comporte d'exiger de la part des boulangers »; en conséquence elle portait que les boulangers munis de permission auraient seuls le droit de vendre du pain à Paris et dans la banlieue, et que la vente ne pourrait être faite qu'en boutique et sur certains marchés.

2. L'auteur faisait remonter à Alfred le Grand l'origine des corporations; il s'appuyait sur le témoignage du président Hainaut pour dire que saint Louis rangea tous les marchands et artisans en différents corps de communautés sous le titre de confréries si bien qu'on l'a copié dans tout ce qu'on a fait dans la suite, ce qui est Voir Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant peu exact.1789, t. I, livre III.

3. Cette pièce se trouve aux Archives nationales, F12 508.

4. Requête au roi et mémoire sur la nécessité de rétablir les corps des marchands

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en faveur de la réglementation dans ce grand procès dont les débats duraient en France depuis plus de cinquante ans. La Chambre de commerce, qui fut officiellement saisie de la question, déclara (délibération du 8 octobre) persister dans l'opinion qu'elle avait déjà émise en 1805 par l'organe de Vital Roux. Le banquier Pillet-Will réfuta les arguments du pétitionnaire. Il citait l'exemple de l'Angleterre : « Encouragez-la, disait-il, cette industrie, au lieu de faire revivre d'anciennes institutions qui tariraient la source de ses richesses. » Peu de temps après, Costaz, rapporteur de l'Exposition de 1819, faisait l'éloge officiel de la législation du travail, qui «< fondée sur les principes de la raison et de la justice, a fait régner l'ordre dans les fabriques, sans arrêter l'essor de l'industrie ». Levacher-Duplessis crut avoir un meilleur succès après la chute du ministère Decazes, et en 1821, il reproduisit son projet sous forme d'une pétition qui fut distribuée aux députés et aux pairs. Nouvelle protestation de la Chambre de commerce, qui déclara à l'unanimité que « nulle cause n'a contribué au perfectionnement des manufactures françaises autant que la liberté rendue à l'exercice des professions industrielles par l'abolition des jurandes, maîtrises et corporations d'arts et métiers ».

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et les communautés des arts et métiers, présentée à Sa Majesté le 16 septembre 1817, par les marchands et artisans de la ville de Paris, assistés de M. LEVACHERDUPLESSIS, leur conseil. Moniteur de 1817, p. 1142. Voir aussi Projet de loi pour l'établissement de nouvelles corporations, broch. de 116 pages, sans date (18162). 1. La brochure de Pillet-Will a été publiée en 1817, sous le titre : Réponse au Mémoire de M. Levacher-Duplessis ayant pour titre..... Voir le Moniteur de 1818, P. 4.

2. « Pendant vingt-cinq ans une administration persévérante et éclairée s'est appliquée à donner à la France toutes les industries qui lui manquaient... Une législation fondée sur les principes de la raison et de la justice a fait régner l'ordre dans les fabriques, sans arrêter l'essor de l'industrie; elle a amélioré les mœurs des ouvriers en leur donnant intérêt d'avoir bonne réputation. Elle a détruit parmi eux l'esprit de vagabondage. » (Rapport de 1819. Avant-propos, p. xxj.) COSTAZ avait déjà traité la question dans son livre Essai sur l'administration, publié en 1818. 3. Moniteur de 1821, p. 398. La chambre de commeree faisait remarquer que Levacher-Duplessis se disait gratuitement délégué des négociants, ayant seul signé la pétition. Au conseil général du commerce, auquel cette pétition fut communiquée, on fit remarquer aussi qu'elle ne pouvait être considérée comme un vœu général, que les 3,000 signatures dont elle était revêtue avaient dû être recueillies à domicile, puisque les gens de métier ne pouvaient pas se réunir pour se concerter. La chambre de commerce déclarait que, dans sa conviction, « nulle cause n'a contribué au perfectionnement des manufactures françaises, objet d'envie pour les nations nos rivales, autant que la liberté rendue à l'exercice des professions industrielles par l'abolition des maîtrises et corporations d'arts et métiers ». Ce débat suscita quelques brochures. ANQUETIL aîné combattit le rétablissement dans Un mot concernant les jurandes (1821); BERNARD, président du tribunal de commerce d'Arras, le défendit dans Mémoire sur l'établissement des jurandes (1823). Voir auss Des Maîtrises et des corporations ou Réfutation du mémoire pour le rétablissement des maîtrises et corporations, broch. in-8, 1824, Paris.

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