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Le conseil de régence, qui avait tenu à replier sur Paris toutes ses opérations, vit sans s'émouvoir alors la création à Rouen, à Nantes, à Bordeaux de banques départementales qui furent investies par ordonnance royale du monopole de l'émission des billets de banque dans leur département. La banque de Rouen s'était ouverte précisément lorsque se fermait le comptoir de la Banque de France.

La réaction du conseil de régence contre la loi de 1806 s'arrêta là. Après s'être tant récrié contre l'escompte des effets du gouvernement que lui avait imposé l'Empire, il en était venu à solliciter sous la Restauration de pareilles affaires pour accroître son dividende en faisant travailler son capital, que le portefeuille commercial, peu garni, n'employait pas en entier. Il escompta des bons royaux pour 55 millions en 1815, pour 97 en 1816, il fit des avances sur la refonte des monnaies, il fit des prêts aux acquéreurs de rentes pour faciliter le placement des titres; en 1817 il se chargea du payement des rentes à partir du 22 mars 1818. Jamais la Banque n'avait eu avec l'État des relations plus nombreuses.

Aux services qu'il retirait de la Banque le gouvernement comprit l'importance d'un tel établissement pour le crédit public, et le danger qu'il y aurait à en laisser la direction suprême à d'autres qu'à luimême. Il ne songea plus à réformer la loi de 1806, et le 6 avril 1820, au moment où allaient expirer les cinq années de la régence de Laffitte, il nomma, en vertu de cette même loi, Gaudin, duc de Gaëte, gouverneur de la Banque de France.

La Banque sortit de sa situation provisoire, non pas pour entrer dans la voie qu'eussent désirée les actionnaires, mais pour reprendre celle qu'elle avait suivie sous l'Empire. Dès lors, dans les comptes rendus, on parla moins de « la propriété des actionnaires », et plus de « l'intérêt général ». 2

« La Banque, justifiant le titre de son institution, a procuré à la France les moyens de s'acquitter envers les puissances étrangères », disait Gaudin dans son premier discours. Il laissait bien entrevoir aux actionnaires la possibilité d'un projet nouveau sur l'organisation de la Banque et sur cette réserve que laissait encore subsister en partie la loi du 4 juillet 1820, mais c'était pour les consoler de la perte de leurs espérances les plus chères. « Il faut le dire avec franchise, ce serait se bercer d'une vaine espérance que d'attendre de toute autre modification dans l'organisation de la banque l'augmentation de produits qui dépendent principalement de l'importance des escomptes. » Gaudin toucha ses 60,000 francs de traitement que Laffitte, comme gouverneur provisoire, avait généreusement refusés. Cette année, le censeur fit malicieu

1. Ordonn. du 7 mai 1817, du 11 mars 1818, du 23 novembre 1818. 2. Voir les comptes rendus annuels de la Banque de France.

sement observer que ces dépenses s'élevaient à la somme énorme de 911,710 francs; ce fut le dernier signe d'opposition que le conseil général se permit contre l'autorité du gouvernement.

En 1822, en effet, le langage des censeurs n'exprimait plus que gratitude: « Vous savez, messieurs, que ce magnifique établissement n'a pas été créé pour le seul intérêt des actionnaires; il doit aussi s'occuper de l'intérêt général. Et combien ne doit-il pas être honoré de voir qu'il devient le centre non seulement des opérations commerciales, mais même de celles du gouvernement ! »>

La police de l'industrie.

L'administration agit de même à l'égard de la classe ouvrière. Pendant quelque temps, elle avait laissé dormir la loi du 22 germinal an XI. Mais la préfecture de police ne tarda pas à en remettre en vigueur toutes les dispositions, à exiger le livret, 2 faire revivre les règlements des marchés, à ériger les facteurs de la Halle en percepteurs de l'octroi, à combattre les coalitions que le Code pénal qualifiait de « manœuvre coupable, tendant à faire cesser les travaux, dans le but de se procurer une augmentation de salaires », et à ordonner, à la suite d'une grève, que tout patron occupant des ouvriers charpentiers fit savoir dans les vingt-quatre heures leurs noms, surnoms et demeures.

Les garçons boulangers furent à Paris l'objet de prescriptions spéciales. «< Informé de la négligence à observer les règlements concernant les livrets », le préfet de police les renouvela par ordonnance du 13 avril 1819 et rappela que l'ordonnance du 14 mars 1803 était toujours en vigueur; puis, faisant droit à un mémoire des syndics qui réclamaient un nouveau règlement pour les garçons, il ordonna (27 mai 1819) que le livret fût déposé chez le commissaire vingt-quatre heures

1. Ordonn. de police du 25 mars 1818.

2. Ordonn. de police du 21 décembre 1816 et du 25 mars 1818. Tout ouvrier dans le ressort de la préfecture de police continuera à être tenu,dans les trois jours de son arrivée, de se présenter pour obtenir son livret ou pour le faire viser. Tout manufacturier devra se faire remettre le livret et le faire viser dans les vingt-quatre heures en indiquant la demeure et le nom de compagnonnage de l'ouvrier. Il devra de même faire connaître dans les vingt-quatre heures la sortie de l'ouvrier. 3. Ordonn. de police du 18 juin 1823.

4. Ordonn. de police du 18 juin 1822. Cette ordonnance, « considérant que l'ordre public a été troublé dans plusieurs ateliers... par une coalition d'ouvriers tendant à faire cesser tous les travaux de charpente dans le but de se procurer par cette manœuvre coupable une augmentation de salaires », prescrit que tout ouvrier arrivant à Paris se présente dans les trois jours au commissariat pour obtenir un livret ou pour le faire viser; qu'avant de recevoir un ouvrier le patron se fasse présenter son livret et le fasse viser dans les vingt-quatre heures en faisant connaître le nom de compagnonnage de l'ouvrier; que dans les vingt-quatre heures il fasse connaître au commissariat le nom, le surnom et la demeure de l'ouvrier; que les commissaires tiennent registre des visas et des sorties.

après l'entrée d'un garçon chez un patron; le maître dut aller reprendre le livret quand il avait à y inscrire son congé. Le garçon ne put quitter son patron que cinq jours après l'avoir prévenu, et le patron était autorisé à n'en laisser partir qu'un par jour. Il tenait un registre sur lequel les garçons étaient inscrits dès leur entrée. Les syndics devaient faire de fréquentes visites chez les boulangers, et même chez les logeurs avec le consentement de ceux-ci. La police administrative restait fidèle à la tradition impériale.

En 1815, comme la chambre consultative des arts et manufactures de Thiers demandait le retour à un certain règlement de fabrique, le ministre répondit que la loi de 1791 suffisait à régir la matière. C'est à cette même loi, ainsi qu'aux règlements promulgués depuis celui du 29 janvier 1739, que renvoyait en 1824 le Conseil d'État à propos de la pétition d'un fabricant de papiers de Paris; toutefois le Conseil d'État ajoute qu'il ne convient pas d'appliquer tous les articles de la loi du 23 nivòse an II, qui à cause de la fabrication des assignats mettait les ouvriers en réquisition, ni l'article du règlement de 1739 qui défend aux fabricants de débaucher les ouvriers de leurs confrères; car les patrons priveraient ainsi les ouvriers au bénéfice de la concurrence et tomberaient sous le coup de l'article 414 du Code pénal. 1

Les ouvriers papetiers étaient restés, comme sous l'ancien régime, unis en confrérie et peu faciles à conduire; ils continuaient, dit le préfet de la Charente en 1826, « à observer entre eux des usages contraires à l'ordre public, à s'imposer mutuellement des amendes, à provoquer la cessation absolue du travail des ateliers, à en interdire l'entrée à plusieurs d'entre eux, à refuser de recevoir comme compagnon quiconque n'est pas issu de parents papetiers, à se coaliser dans le but d'obtenir une augmentation de salaires, à exiger des propriétaires des sommes assez considérables pour se relever des damnations ». Le préfet qui avait été invité par le ministre à rechercher les causes de cette insubordination, pensa que c'était surtout parce qu'ils ignoraient les règlements et il prit un arrêté dans lequel il rappelait le règlement du 20 janvier 1749, la loi du 17 juin 1791, celle du 23 nivòse an II, l'arrêté du gouvernement du 16 fructidor an IV, les articles 415 et 416 du Code pénal, l'arrêté du 9 frimaire an XII (1er décembre 1803), et le ministre approuva (sauf un article) l'arrêté du préfet.

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La police administrative restait donc en général fidèle à sa tradition. Cette tradition, fondée sur quelques textes assez vagues des décrets de la Constituante relatifs aux municipalités et sur la loi plus précise du 28 pluviose an VIII pour le département de la Seine, était, nous le

1. Arch. nationales, F2 95136.

2. Arch. nationales, F1 95135.

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3. Décret du 14 décembre 1789; loi du 16-24 août 1790, titre XI; loi du 19-22 juillet 1791, titre Ier.

savons, celle d'une tutelle vigilante, qui limitant l'activité individuelle dans les menus détails, allait parfois jusqu'à violer le principe de la liberté du travail au profit du bon ordre. Ainsi la police municipale régla l'heure à laquelle les cafés devaient être ouverts et fermés, détermina les jeux qu'elle jugeait sans inconvénient d'y laisser jouer ; elle s'attribua le droit d'accorder des autorisations aux voitures publiques et de restreindre le nombre de ces autorisations, d'interdire à toute voiture non munie d'une permission spéciale de séjourner pour prendre ou déposer des voyageurs, d'arrêter qu'il ne serait vendu de viande que dans la halle à la boucherie, de décider que les blés et farines arrivant dans la ville ou dans les faubourgs ne pourraient être mis en vente qu'aux greniers publics, de défendre la vente des toiles dans les auberges et autres lieux étrangers à ce commerce, ou simplement le dépôt de marchandises destinées au marché, de punir toute personne qui irait sur la route au-devant des marchandises et qui les achèterait. Les municipalités purent même obliger les ouvriers d'un port à se faire nommer et commissionner par elle, et par suite, imposer aux étrangers et aux habitants la loi de n'employer, à défaut de leurs domestiques ou de leurs ouvriers, que des personnes commissionnées. Elles purent, le jour de la fête communale, défendre aux habitants de faire danser dans leur maison. Elles interposèrent ainsi leur autorité dans nombre de cas, pour un motif ou un autre.

Il est nécessaire que les communes aient une police et que le maire soit armé d'une autorité suffisante pour protéger l'ordre public et la sûreté des personnes: une bonne police est un des bienfaits de la civilisation. Mais dans un État constitué, comme la France depuis 1789, sur le principe de la liberté individuelle, la police municipale doit prendre comme double règle l'intérêt de tous et le respect du droit de chacun. Elle doit renfermer son action dans le cercle tracé par la loi, et ne jamais porter atteinte à la propriété ou au travail, sans y être chaque fois autorisée d'une manière toute spéciale et par une nécessité démontrée. Suivait-elle cette règle quand elle excluait des industries de voiturier, de portefaix tous ceux auxquels il ne lui plaisait pas d'accorder sa faveur, ou lorsqu'elle rendait obligatoires le lieu, le mode, l'heure des ventes au marché? En mettant un ordre. apparent sans s'inquiéter des activités qu'on détourne ainsi de leur voie, et des services dont on prive la société, on risque, aurait dit plus tard Bastiat, de faire un peu de bien qu'on voit et plus de mal qu'on ne voit pas.

Les administrateurs, manquant d'une ligne de démarcation précise, empiétaient quelquefois, par zèle, sur le domaine de la liberté indivi

1. Ordonn. de police du 21 décembre 1816.

2. Voir arrêt de la Cour de cassation du 1er août 1823.

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duelle. La Cour de cassation consacra quelques-unes de ces usurpations par sa jurisprudence, et établit même en principe que les règlements antérieurs à 1789, tant qu'ils n'étaient pas en opposition directe avec les lois nouvelles, obligeaient encore les habitants. Quelquefois cependant elle se perdit elle-même dans les obscurités où elle s'était engagée, et se rétracta. C'est ainsi qu'après avoir longtemps soutenu que les communes avaient le droit d'accorder à certains individus le monopole de la vidange des fosses, elle reconnut enfin que cette industrie était libre et ne pouvait former l'objet d'un privilège exclusif. 3

Nous avons déjà dit comment devaient se produire naturellement ces fâcheuses conséquences du système de réglementation rétabli par le Consulat. Par esprit de domination ou par désir de faire eux-mêmes le bien tel qu'ils le comprennent, les administrateurs sont portés en tout temps à réglementer, et les administrés eux-mêmes sont disposés à invoquer la réglementation, quand elle peut servir à exclure ou à gêner des concurrents. Par exemple, lorsque fut créé le théâtre du Gymnase, les autres directeurs réclamèrent contre l'octroi de ce nouveau privilège,qui portait, disaient-ils, atteinte à leurs droits consacrés par les décrets de 1807.

Le législateur ajouta peu, de 1814 à 1830, au système de la réglementation en matière d'industrie et de commerce. Il consolida le privilège des avocats au Conseil d'État, des notaires, des avoués, des courtiers et des commissaires-priseurs en leur conférant le droit de présenter leurs successeurs. Il institua dans les chefs-lieux d'arrondis

1. Voir, entre autres, les arrêts des 11 juin 1818, 10 avril 1819, 12 avril 1822, 1er août 1823.

2. Voir, entre autres, sous le règne de Louis-Philippe, les arrêts du 29 avril 1831 et du 19 janvier 1837.

3. Voir les arrêts du 20 pluviôse an XII, du 24 août 1815, du 27 décembre 1832 qui donnent raison aux communes, suivis des arrêts du 18 janvier 1838 et du 28 juin 1839 qui leur donnent tort.

4.

«

Considérant :

.....

3o Que cet arrêté porte atteinte aux droits légalement acquis aux théâtres qui ont été exclusivement maintenus par les décrets des 6 juin et 29 juillet 1807; «< 4° Qu'il est éminemment préjudiciable... à l'honneur de la scène française... qu'il tend à porter le goût du public vers le genre burlesque et léger...» (Moniteur de 1820, p. 1175.)

Art. 91:

5. Loi de finances du 28 avril 1816, titre IX. Des cautionnements. « Les avocats à la Cour de cassation, notaires, greffiers, huissiers, agents de change, courtiers, commissaires-priseurs pourront présenter à l'agrément de Sa Majesté des successeurs, pourvu qu'ils réunissent les conditions exigées par les lois. Cette faculté n'aura pas lieu pour les titulaires destitués. Il sera statué par une loi particulière sur l'exécution de cette disposition et sur les moyens d'en faire jouir les héritiers ou ayants cause desdits officiers. Cette faculté de présenter des successeurs ne déroge point, au surplus, au droit de Sa Majesté de réduire le nombre desdits fonctionnaires, notamment celui des notaires, dans les cas prévus par la loi du 25 ven

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